1895 |
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4. La Cité du Soleil
La Cité du Soleil
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La guerre à l'état permanent de province à province, de ville à ville, et même de village à village, avait été la vie du Moyen-Âge féodal, d'où l'on venait de sortir ; les maisons dans les cités et même les couvents étaient des places fortifiées pouvant soutenir des sièges ; tous les habitants, les hommes comme les femmes et les enfants, les laïques comme les gens d'église, étaient souvent obligés de prendre les armes pour se défendre, sinon pour attaquer. On se préoccupait avant tout d'avoir de bonnes murailles, derrière lesquelles on pouvait affronter l'ennemi.
La Cité du Soleil, située dans une île divisée en quatre royaumes rivaux, est une forteresse bâtie sur une colline élevée, comme l'étaient les villes du Moyen-Âge, et ainsi que Jérusalem, elle était entourée de sept enceintes crénelées et armées de canons et autres engins de guerre ; pour l'emporter, il aurait fallu donner sept assauts successifs. Morus prend soin également de fortifier Utopia par des travaux d'art qui l'isolent du continent et de mettre à l'abri de toute surprise la source d'eau potable d'Amaurote, la capitale de Utopia.
Platon qui vivait dans une ville maritime et commerçante, dont les habitants étaient classés en des professions différentes, confie la garde de sa République à un corps de guerriers, philosophes et communistes, qui sont des espèces de mercenaires, qu'il compare cyniquement à des «chiens maigres et vigilants» ; il est vrai que pour lui le chien est un animal philosophique, parce qu'il sait défendre son maître et attaquer les ennemis de son maître : les autres citoyens s'occupent de commerce et d'industrie ; ce n'est pas pour eux qu'il élabore son organisation communiste. Mais dans la Cité du Soleil, tous les habitants sans distinction d'âge, ni de sexe, doivent concourir à sa défense. Tous sont guerriers. L'éducation militaire commence à douze ans, mais déjà auparavant, les Solariens ont été habitués, ainsi que les enfants des barons féodaux, à tous les exercices corporels ; mais à partir de cet âge, on leur enseigne à «frapper l'ennemi, les chevaux et les éléphants», à manier l'épée, la lance, à tirer l'arc et à se servir de la fronde, à monter à cheval et à le diriger sans bride par une méthode «qu'ignorent même les Tartares», à attaquer et à battre en retraite, à conserver l'ordre de bataille, à secourir un ami en danger, en un mot à toutes les manœuvres de combat. «L'éducation rend les femmes propres à la guerre, ainsi qu'aux autres travaux ; sur ce point, les Solariens sont d'accord avec Platon, où j'ai lu de semblables choses... et sur ce point je suis en complet désaccord avec Aristote». La guerre est, non seulement une nécessité, mais encore une cause moralisatrice, elle empêche les citoyens de la Cité du Soleil de s'efféminer. Campanella reproduit ici la pensée barbare. César apprend que les tribus Germaines, bien que devenues sédentaires et commençant à devenir agricoles, continuaient à entreprendre des expéditions pour entretenir les vertus martiales. Les Solariens développent la fierté guerrière, ils sont si chatouilleux sur le point d'honneur, que «s'ils n'insultent personne, ils ne supportent, non plus, aucune injure». Campanella, bien que moine et bien que l'organisation de sa cité se ressente de ses habitudes monacales, n'est pas partisan du précepte chrétien, qui ordonne de tendre la joue, quand on a été frappé ; il est vrai que cette doctrine, bonne pour les premiers chrétiens, dont la plupart étaient des esclaves et des affranchis, ne pouvait convenir aux hommes libres et égaux de sa société communiste.
Les Solariens, ainsi que les guerriers de Platon, amènent avec eux leurs enfants dans les combats, «afin qu'ils apprennent à se battre, juste comme les lionceaux et les louveteaux sont habitués par leurs parents à égorger la proie». Leurs femmes, armées militairement, les accompagnent également pour les soutenir, les encourager et les panser : Campanella se souvenait sans doute de ce que César et Tacite disent des barbares, qui raillaient les légionnaires romains d'être frappés de verges et de n'avoir pas avec eux leurs femmes pour assister à leurs combats, pour les exciter, pour les ramener quand ils lâchaient pied et pour soigner leurs blessures : c'est bien chez les auteurs latins qu'il avait emprunté en partie les mœurs guerrières des Solariens, car il dit que les généraux de sa cité fortifient leur camp à la manière des romains et ainsi qu'eux récompensent celui qui le premier avait monté à l'assaut avec une couronne d'herbe ; il est vrai que, se rappelant les tournois de la chevalerie, il ne décerne les récompenses qu'en présence des femmes, acclamant le héros.
Les Solariennes, ainsi que les Amazones et les Lacédémoniennes, s'exercent à tous les travaux de la guerre sous la direction de leurs propres chefs-femmes : on leur enseigne surtout à défendre les fortifications, à lancer des pierres, des matières enflammées, etc. ; «celle qui montre la moindre peur est sévèrement punie». La cité est toujours gardée aux murailles et en rase campagne, pendant la nuit, par les hommes et pendant le jour, par les femmes. Quand on se souvient des grossières et imbéciles injures de saint Jérôme et des Pères de l'Eglise contre la femme, et de ce Concile qui discuta sérieusement si la femme ne devait pas être rangée parmi les animaux qui sont privés d'âme et que c'est seulement à une voix de majorité qu'on reconnut qu'elle en possédait une, on est frappé d'étonnement en voyant Campanella s'affranchir des préjugés de son époque, consacrés par la religion, et avoir la hardiesse de reconnaître à la femme les mêmes droits et les mêmes devoirs qu'à l'homme [17] .
La population valide de la cité tout entière est tous les ans sur pied pour une revue générale et des exercices de petite guerre. Les Solariens qui ont la droite logique des Sauvages ne décident la guerre qu'après avoir convoqué au grand Conseil tous les habitants de la République, âgés de plus de vingt ans ; tous devant se battre, tous doivent par conséquent prendre part à ses délibérations.
Mais quoique, dans cette cité guerrière, tous les habitants sans distinction de sexe et d'âge sont soldats, ce n'est pas la vie de camp que l'on mène comme dans la République de Platon.
Note
17
Saint
Thomas d'Aquin, qui, ainsi que Campanella, était dominicain
et qui fut un peu moins grossier et moins imbécile que les
Pères de l'Eglise, dit cependant : «La femme est une
mauvaise herbe qui croît vite : c'est un homme imparfait, homo
imperfectus, dont le corps n'arrive plus vite à son
complet développement que parce qu'il est de moindre valeur
et que la nature se préoccupe moins de lui ...Les femmes sont
nées pour être tenues éternellement sous le
joug, par leur seigneur et maître, que la nature a marqué
pour la domination par la supériorité qu'elle a
dévolue en tous genres à l'homme.»
Campanella
semble avoir été
influencé par l'opinion
de saint Thomas, quand dans sa Canzone sur la beauté,
il dit : «La proportion
et la symétrie des
membres, la force, l'agilité,
la carnation brillante, la grâce
des mouvements et des gestes, telles sont les conditions de la
beauté parfaite du
corps. Dieu a donné un
plus grand nombre de ces qualités
à l'homme qu'à
la Femme ; c'est pour cela qu'il est plus beau et plus divin et
qu'il est plus aimé
qu'il n'aime.»
Campanella a dû avoir
peu d'occasion de contempler à
loisir les Solariennes, car il aurait vu que des femmes élevées
librement et rompues aux mêmes
exercices que les hommes possédaient
autant de dons naturels qu'eux. Les statuaires grecs, qui s'y
connaissaient, donnent des formes féminines
à Apollon, le Dieu de
la Beauté.
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