1920

Source : Le bulletin communiste, numéro 16 (deuxième année), 21 avril 1921. Certaines corrections d'après la version allemande de ce texte (Die kommunistische Internationale, n° 15, décembre 1920).


L'Institut Supérieur de Formation Politique et d'Instruction Générale

Nadjeda Kroupskaïa


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La guerre et la révolution ont éveillé dans les masses la soif de la science. Pendant les trois années de son existence, le pouvoir soviétiste a accompli dans le domaine de la formation politique et de l'instruction générale une œuvre qui, malgré toute son étendue, représente à peine le millième de ce qu'il reste à faire.

La tâche, en effet, était des plus ardues. Une population presque exclusivement rurale, en majorité illettrée, des dizaines de milliers de hameaux perdus, incultes : tel était le milieu qu'il fallait pénétrer, instruire. La mobilisation d'une partie considérable de la population, la ruine économique générale, la désorganisation des voies de communication et du service postal, l'épuisement des stocks de papier, le défaut de crayons et de fournitures de bureau, l'incroyable pénurie de livres (d'une édition de 50 à 100 000 exemplaires, il ne reste rien au bout de quelques jours), le manque de pétrole et l'insuffisance de travailleurs au centre et en province par suite de l'exode au front des meilleurs d'entre eux, la relégation, dans l'ordre d'urgence, du travail de formation politique et d'instruction générale au dernier plan, tout cela entravait considérablement notre œuvre. Comme cette œuvre était d'une nécessité vitale, elle s'effectuait néanmoins, mais sans méthode aucune. La section extra-scolaire du Commissariat de l'Instruction publique, parmi les différentes organisations, n'était pas la seule à travailler à la diffusion des lumières parmi les masses. La Direction Politique de la République (organisation militaire chargée de la formation politique et de l'instruction générale au sein de l'Armée Rouge) avait son appareil à elle, immense et fortement centralisé, avec des organes spéciaux de ravitaillement, de recensement et autres. Chaque syndicat avait sa section de culture ; l'Université populaire fonctionnait à l'écart, complètement indépendante ; le Comité Exécutif Central panrusse, par ses trains et ses bateaux d'agitation et de propagande, accomplissait un travail analogue à celui du Parti Communiste et de la Centrale Politique des Voies et Communications. En somme, il n'y avait pas une institution qui ne s'occupât plus ou moins de l'instruction des masses. La section extra-scolaire du Commissariat de l'Instruction Publique, qui prit par la suite le nom de l' « Institut Supérieur de Formation Politique et d'Instruction Générale » (I.F.P.I.G.), s'efforçait vainement de faire confluer en une vaste rivière tous ces ruisseaux isolés.

La question de l'unité de plan économique ayant été posée par le neuvième congrès du Parti, les travailleurs de l'instruction publique s'aperçurent enfin que leur œuvre, au lieu de s'effectuer sur l'échelle nationale, se poursuivait au hasard, sans plan aucun, ce qui entraînait la dispersion des moyens de réalisation et par suite une fâcheuse déperdition de forces.

Dans sa session de septembre, le Conseil Exécutif Central panrusse, sous la pression des masses, décida d'instituer un organe unique de formation politique et d'instruction générale, qui fut le I.F.P.I.G. Le soin de publier le décret relatif à la création de cet organe était confié au Conseil des Commissaires du Peuple.

Le 1er novembre eut lieu la conférence panrusse des instituts régionaux de formation politique et d'instruction générale, qui réunit les directeurs des sections de gouvernements et d'arrondissements. Il vint des travailleurs de toutes les extrémités de la Russie ; la République d'Extrême Orient, la Sibérie, la République de Kazan, l'Ukraine, le Don et le Caucase envoyèrent leurs délégués. Plusieurs d'entre eux durent franchir des milliers de verstes (un délégué même voyagea onze jours) pour arriver au Congrès qui réunit un total de 500 membres. Les communistes formaient la majorité ; outre les sympathisants, 60 % des congressistes étaient inscrits au parti. Les directeurs des instituts de formation politique et d'instruction générale ne sont point pour la plupart des pédagogues de profession ; beaucoup sont des propagandistes, des militants du parti. Parmi les sans-parti, nombreux sont les membres du personnel enseignant, extra-scolaire, composé de spécialistes pour la formation et le développement intellectuels des adultes, bibliothécaires, professeurs aux cours d'adultes, organisateurs de maisons populaires ou de clubs, etc... Le travailleur extra-scolaire est ordinairement un homme convaincu et désintéressé.

Depuis plus d'un an et demi, il ne s'était point tenu de congrès panrusse de l'œuvre extra-scolaire. Aussi les questions à résoudre étaient-elles nombreuses. La conférence qui dura une semaine revêtit un caractère particulier. Sur chacune des questions à l'ordre du jour, on vit s'inscrire toute une série d'orateurs : chaque travailleur provincial avait à cœur de faire part de ses idées et de son expérience. La conférence se refusa obstinément à limiter les débats, elle voulut examiner à fond chaque question. Et c'est tout naturel. Dans les conditions actuelles de la vie russe, en effet, tout homme qui se consacre à l'œuvre de la formation politique et de l'instruction des masses doit être plus qu'un travailleur moyen : presque partout il lui faut labourer une terre encore vierge. Le centre ne fait que donner les directives, mais ces directives chacun doit ordinairement les interpréter lui-même, en tenant compte du milieu, des conditions locales de la réorganisation révolutionnaire de la vie sociale. Ce qu'il faut ici, ce n'est pas une initiative quelconque, c'est une activité vraiment créatrice, une tension extraordinaire de toutes les forces de l'être.

La conférence eut à délibérer sur des questions d'une importance capitale, savoir : la nature même du travail, l'étroite connexion de ce travail avec celui des Commissariats économiques, l'unité de plan d'action et enfin, l'adaptation de l'organisation aux tâches nouvelles mises à l'ordre du jour dans le domaine de la formation politique et de l'instruction générale.

Dans son discours d'ouverture, Lounatcharsky parla de la nécessité d'organiser un centre de formation politique et d'instruction générale dont il mit en lumière toute la signification ; Lénine traita surtout de la nature du travail à accomplir. Il démontra que, au moment du passage à de nouvelles formes d'existence, le travail extra-scolaire ne pouvait être apolitique, sans se condamner à l'insuccès certain, à la mort. Puis il indiqua la nature du travail politique à l'heure actuelle, fit ressortir l'étroite interdépendance de la politique et de l'économie et montra l'importance capitale de l'œuvre de l'organisation économique.

Les autres orateurs s'attachèrent également à mettre en lumière l'importance de la réorganisation économique, ainsi que la nécessité d'y participer d'une façon active et d'adapter toutes les institutions de formation politique et d'instruction générale à cette tâche fondamentale du moment. Kroupskaïa, dans son rapport sur l'unité de plan dans l'œuvre de la formation politique et de l'instruction générale, indiqua comment il fallait adapter aux tâches du moment les bibliothèques, clubs, cours d'adultes ainsi que les différentes formes d'agitation et de propagande ; comment il fallait les réorganiser pour les faire contribuer à l'œuvre de réorganisation économique.

Larine, l'un des travailleurs les plus en vue du Conseil Supérieur de l'Economie Populaire, et A. Sviderski, membre du Collège du Commissariat du Ravitaillement, firent des rapports très importants. Celui de Larine était intitulé : « La propagande pour la production, en rapport avec le problème de réorganisation de la vie économique du pays » ; celui de Sviderski avait pour sujet : « La campagne d'approvisionnement et l'œuvre de formation politique et d'instruction générale-politique ». Les deux rapports furent écoutés par la conférence avec le plus profond intérêt. Les deux orateurs donnèrent les meilleures illustrations de la justesse de l'idée suivant laquelle dans l'instant présent le travail d'éducation politique doit être consacré principalement à l'éclaircissement des questions de construction économique. Un exemple de comment on peut et doit aider le travail du Commissariat à l'Economie a été donné par le camarade Chapiro dans son rapport sur la « campagne d'agitation ».

Après la conclusion de la Conférence, tous les délégués étaient unanimes pour dire qu'elle avait beaucoup apporté à tous les participants et qu'elle constituerait sans aucun doute un tournant dans l'histoire du travail d'éducation pour adultes.

La conférence panrusse des instituts de formation politique et d'instruction générale eut pour résultat de faire complètement abandonner l'ancien point de vue sur la nature du travail extra-scolaire : on comprit qu'on ne pouvait plus se borner à une œuvre de culture purement abstraite, complètement détachée de la vie pratique.

Au début du mois de novembre, le Conseil des Commissaires du Peuple publia un décret ordonnant la création de l'I.F.P.I.G. dont la direction fut confiée à une commission de cinq membres. Cette commission se compose exclusivement de communistes : deux d'entre eux sont en même temps membres du Collège du Commissariat de l'Instruction Publique ; un autre est membre du Comité Central du Parti Communiste russe et du Bureau d'organisation. Quant au Commissariat populaire, il entre d'office dans la direction de l'I.F.P.I.G.

Actuellement, l'I.F.P.I.G. effectue un travail considérable dans le but de rassembler autour de soi et d'unifier l'action des différentes institutions et organisations. Il est mis en relations étroites avec les syndicats, les organisations militaires et l'union de la jeunesse. Continuellement on s'adresse à lui pour des renseignements ; tantôt c'est l'association des étudiants de la Faculté de Médecine qui lui demande des indications ; tantôt ce sont les cours d'instruction publique ou des organisations diverses qui ont besoin de ses directives. Le I.F.P.I.G. devient en fait le centre de la formation politique. Déjà à l'époque où il n'était que la section de formation politique et d'instruction générale du Commissariat de l'Instruction publique, il avait entrepris un grand travail pour la lutte contre l'ignorance ; il avait participé à l'action des écoles du parti, aux campagnes d'agitation, à l'œuvre des bibliothèques, etc., etc. La Russie compte des millions d'illettrés, à l'instruction desquels on s'est mis avec ardeur.

Spécialement pour eux, on ouvre partout des écoles (Petrograd seul en compte plus de 500), on forme un personnel enseignant, on imprime des abécédaires. Quant au parti lui-même, il a ouvert pour les illettrés, dans tous les chefs-lieux de gouvernements et dans bon nombre de chefs-lieux d'arrondissements, des écoles dotées d'internats pouvant contenir jusqu'à 200 et 300 personnes. Le nombre des écoles du parti sera porté au 1er mars 1921 à 3 ou 4 par gouvernement.

Le I.F.P.I.G. contribua à la campagne d'approvisionnement par des cours rapides ouverts à tous sur les aliments essentiels ; la littérature idoine a aussi été diffusée, et une large agitation menée.

Du fait du manque de livres, la socialisation des livres et l'utilisation générale ainsi rendue possible des manuels ont été d'une grande importance. La centralisation des bibliothèques poursuit exactement le même but.

Depuis l'époque de sa constitution, l'I.F.P.I.G a déjà beaucoup accompli.

La section bibliothécaire a publié un recueil de notices bibliographiques sur l'organisation économique et dressé pour chaque type de bibliothèque (maisons de lecture dans les villages, bibliothèques de cantons, bibliothèques volantes dans les villes) un catalogue spécial d'ouvrages consacrés aux questions économiques.

La section des musées et excursions a développé une activité intense. Elle organise actuellement des musées dans les usines, publie un indicateur pour les excursions les plus importantes (exposition du Conseil Supérieur de l'Economie Populaire, de la protection de l'enfance et de la maternité, musée du Travail, etc...), et, de concert avec la section scientifique technique du Conseil Supérieur de l'Economie Populaire, institue des cours spéciaux où l'on enseigne l'art de l'excursion.

Le bureau des conférences élabora le programme des conférences sur la production ; il travaille en union avec la section photo-cinématographique et les autres institutions s'occupant également de l'œuvre des conférences publiques.

La section d'agitation se prépare à la campagne des semailles qu'elle mènera conformément aux plans des Commissariats du Ravitaillement ci de l'Agriculture.

Le I.F.P.I.G. a participé de la façon la plus active à l'organisation de la propagande pour la production, qui est actuellement une des questions à l'ordre du jour. Le régime capitaliste développait fatalement chez l'ouvrier l'indifférence complète aux résultats du travail. Comme les fruits de son labeur étaient prélevés par le patron, la quantité de locomotives ou mètres d'étoffes qu'il fabriquait n'intéressait aucunement l'ouvrier. Ce qui importait à ce dernier, c'était la durée, l'intensité, les conditions générales et la rémunération du travail. Dans sa lutte contre le Capital, l'ouvrier avait recours à des moyens de pression, tels que la grève, le sabotage, la grève italienne, etc... qui, pour atteindre leur but, n'en avaient pas moins les conséquences les plus fâcheuses sur la production elle-même. Mais l'ouvrier n'en était nullement troublé, car il n'était pas le maître.

La révolution d'Octobre a conféré au prolétariat la propriété des fabriques et des usines, mais, maintenant encore, l'état d'esprit spécial au salarié se maintient vivace dans les couches arriérées de la classe ouvrière. Durant ces trois dernières années, le prolétariat a considérablement progressé, mais la guerre a drainé le meilleur de ses forces. Les « soubbotniks » (samedis communistes) ont marqué une évolution dans l'état d'esprit des masses. Maintenant que la guerre est terminée, la vie économique est devenue le centre de l'attention générale. Aussi la lutte contre la désorganisation, la propagande en faveur de l'intensification de la production ont-elles acquis une importance capitale. La propagande pour la production a pour but de faire participer les masses ouvrières à l'organisation et à la direction de la production ; et ainsi les ouvriers, auxquels la loi a conféré la propriété des instruments de production, deviendront les maîtres effectifs de l'industrie, ce qui ne peut manquer d'avoir une influence considérable sur toute la vie économique. L'œuvre de réorganisation de la production contribuera, on ne peut mieux, au développement des masses.

Le I.F.P.I.G. a entrepris une étude approfondie et détaillée de la question de la propagande pour la production. Ses thèses, examinées à une assemblée extraordinaire convoquée par le Comité Central, et à laquelle ont pris part les représentants des Commissariats économiques, y ont été adoptées dans leur principe général.

À l'heure actuelle, le I.F.P.I.G., le Commissariat de l'Instruction Publique, le Comité Exécutif Central panrusse et le Comité Central du Parti Communiste Russe ont créé un puissant organe qui, s'appuyant sur ses sections régionales, centralise la formation politique des masses laborieuses, lui donne un développement considérable et la dirige dans sa voie véritable.


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