1908 |
Traduit de l'allemand par Gérard Billy, 2015, d'après la réédition en fac-similé publiée par ELV-Verlag en 2013 |
Les origines du christianisme
Ière partie. La personne de Jésus
2. Les sources chrétiennes
1908
Mais les sources chrétiennes n'en sont-elles pas d'autant plus abondantes ? N'avons-nous pas dans les évangiles les descriptions les plus détaillées de la doctrine et des activités de Jésus ?
Certes, détaillées, elles le sont à suffisance. Mais malheureusement, c'est avec leur crédibilité qu'il y a bien des problèmes. L'exemple du texte de Flavius Josèphe falsifié nous a déjà montré une caractéristique de l'historiographie chrétienne ancienne, son indifférence totale à la vérité. Ce qui lui importait, ce n'était pas la vérité, mais l'effet produit, et elle n'était absolument pas regardante dans le choix des moyens.
Pour être juste, il faut reconnaître qu'elle n'était pas la seule dans ce cas à son époque. La littérature religieuse juive ne faisait pas mieux, et les mouvements mystiques « païens » des siècles qui ont précédé et suivi le début de notre ère tombaient eux aussi dans les mêmes manquements. La crédulité du public, la passion d'en imposer, comme le manque de confiance en ses propres forces, le besoin de s'adosser à des autorités surnaturelles, un sens des réalités déficient, toutes propriétés que nous allons découvrir, infectaient alors toute la littérature, et ce d'autant plus qu'elle s'écartait de la tradition. Nous tomberons souvent sur des manifestations de ce type dans la littérature chrétienne et juive. La philosophie mystique, à vrai dire étroitement apparentée au christianisme, avait aussi cette propension, comme le montre l'exemple des néo-pythagoriciens, un courant apparu un siècle avant notre ère, mélange de platonisme et de stoïcisme, regorgeant de croyance dans la révélation et d'addiction aux miracles, qui se faisait passer pour la doctrine de Pythagore, vieux philosophe ayant vécu au sixième siècle avant notre ère – ou avant J.C., comme on dit -, et sur lequel on ne savait quasiment rien. Ce qui rendait d'autant plus facile de lui imputer tout ce pour quoi on avait besoin de l'autorité d'un grand nom.
« Les néo-pythagoriciens voulaient être considérés comme les disciples fidèles du vieux philosophe de Samos : pour démontrer que leurs doctrines relevaient du pythagorisme d'origine, ils lui attribuaient effrontément des foules d'écrits qui mettaient sans vergogne dans la bouche d'un Pythagore ou d'un Archytas absolument n'importe quoi, même de la date la plus récente ou même archiconnu comme étant d'origine platonicienne ou aristotélicienne. » 4
Nous trouvons exactement la même chose dans la littérature des premiers chrétiens, ce qui fait qu'elle représente un chaos que toute une série d'esprits parmi les plus perspicaces cherche depuis plus d'un siècle à remettre en ordre, sans qu'ils soient parvenus à avancer bien loin dans cette tâche et à arriver à suffisamment de résultats incontestables.
Un seul exemple montrera à quel point les interprétations les plus diverses de l'origine des écrits du christianisme primitif forment un assortiment extravagant, celui de l'Apocalypse de Jean, qui est, il faut le reconnaître, un casse-tête particulièrement difficile. Voici ce qu'en dit Pfleiderer dans son livre sur « Le christianisme primitif, ses écrits et ses doctrines » :
« Le livre de Daniel était la plus ancienne des apocalypses de ce type et a servi de modèle pour l'ensemble de ce genre littéraire. Comme on avait trouvé la clé des visions de Daniel dans les événements contemporains de la guerre juive sous Antiochos Epiphane, on eut raison d'en déduire que l'Apocalypse de Jean devait s'expliquer aussi par la situation de son époque. Or 666, le nombre mystique du chapitre 13, verset 18, ayant été interprété presque simultanément par plusieurs savants (Benary, Hitzig et Reuss), en s'appuyant sur la valeur numérique des lettres hébraïques, comme désignant l'empereur Néron, on en déduisit, en comparant les chapitres 13 et 17, que l'Apocalypse avait été rédigée peu après la mort de Néron en 68. Ce fut longtemps l'opinion dominante, en particulier dans l'ancienne école de Tübingen, laquelle, partant que l'hypothèse non contestée que le livre avait été rédigé par l'apôtre Jean, pensait avoir trouvé dans les controverses entre judaïstes et pauliniens la clé d'explication de tout le livre, ce qui n'était rendu possible dans le détail que par une lecture arbitraire (en particulier chez Volkmar). L'impulsion pour un nouvel examen approfondi de la question fut lancée en 1882 par un élève de Weizsäcker, Daniel Völker, qui émit la supposition qu'un texte de départ avait été remanié et enrichi par différents rédacteurs entre 66 et 70 (plus tard entre 66 et 140). La méthode d'histoire littéraire ainsi appliquée passa dans les quinze années qui suivirent par les variations les plus diverses : pour Bischer, un texte juif avait été remanié par un rédacteur chrétien, Sabatier et Schön pensaient inversement que des éléments juifs avaient été introduits dans un texte chrétien ; Weyland distingua deux sources juives de l'époque de Néron et de Titus et un rédacteur chrétien de l'époque de Trajan ; Spitta voyait un texte chrétien de l'an 60, deux sources juives de l'an 63 et de l'an 40, et un rédacteur chrétien de l'époque de Trajan ; Schmidt : trois sources juives et deux chrétiens qui les auraient remaniées ; Völker, dans un nouvel ouvrage de 1893, une apocalypse primitive datant de 62 et quatre nouvelles versions datant des règnes de Titus, Domitien, Trajan et Hadrien. Le résultat final de toutes ces hypothèses se contredisant et renchérissant les unes sur les autres fut en fin de compte seulement que « ceux qui n'avaient pas pris part au débat avaient l'impression que, dans le domaine des recherches sur le Nouveau Testament, rien n'était sûr et qu'on n'était à l'abri d'aucune interprétation » (Jülicher). » 5
Pfleiderer croit à vrai dire que « les recherches persévérantes des vingt dernières années ont abouti à un résultat solide », mais il n'ose quand même pas l'affirmer en toute certitude, il dit qu'il lui « semble » qu'il en est ainsi. Il n'y a finalement d'à peu près incontestable que ce qui concerne les falsifications repérées dans la littérature du christianisme primitif.
Il est établi que seul un tout petit nombre de textes provient des auteurs auxquels ils sont attribués, que, pour la plupart, ils ont été écrits bien après la date qui y est revendiquée, et que le texte d'origine a très souvent été très grossièrement défiguré par des remaniements et des ajouts. On est sûr, enfin, qu'aucun des évangiles ou des autres textes du christianisme primitif ne provient d'un contemporain de Jésus.
On estime maintenant que l'évangile le plus ancien est celui qui est attribué à Marc, mais qu'il n'a en tout cas pas été écrit avant la destruction de Jérusalem, que l'auteur fait prophétiser à Jésus, et qui était donc un fait accompli lorsqu'il a commencé à rédiger. Il n'a en conséquence pas été écrit avant que se soit écoulé environ un demi-siècle après la période où l'on place la mort de Jésus. Ce qu'il couche par écrit est donc le produit d'une légende qui se constituait depuis une cinquantaine d'années.
Après Marc vient Luc, ensuite celui qu'on appelle Mathieu, enfin, bon dernier, Jean, au milieu du deuxième siècle, au moins cent ans après la naissance du Christ. Plus on avance dans le temps, plus les récits des évangiles comportent de merveilleux. Marc, déjà, nous parle de miracles, mais ils n'ont l'air de rien en comparaison de ceux qui vont suivre. Par exemple les résurrections. Chez Marc, Jésus est appelé auprès de la fille de Jaïre qui est à l'agonie. Tout le monde croit qu'elle est déjà morte, mais Jésus dit : Elle ne fait que dormir, tendez-lui la main, et elle se relèvera. (Marc, chapitre 5)
Chez Luc, vient s'ajouter le jeune homme de Naïm qui est réveillé d'entre les morts. Il est mort depuis assez longtemps pour qu'on l'emporte au tombeau quand Jésus le rencontre. Celui-ci le fait se relever de son cercueil. (Luc, chapitre 7)
Mais cela ne suffit pas à Jean. Il nous raconte au chapitre 11 la résurrection de Lazare qui est déjà au tombeau depuis quatre jours et sent déjà. Là, il bat un record.
Les évangélistes étaient de grands ignorants qui avaient, sur bien des sujets sur lesquels ils écrivaient, des idées complètement fausses. C'est ainsi que Luc fait faire à Joseph accompagné de Marie le déplacement de Nazareth à Bethléem, où Jésus naît, à cause d'un recensement romain. Or il n'y a jamais eu de recensement de ce genre sous le règne d'Auguste. En outre, la Judée n'est devenue une province romaine qu'après la date qui est indiquée pour la naissance du Christ. Il y a certes eu un recensement en l'an 7 après J.C., mais celui-ci s'est fait dans les localités de résidence. Il ne rendait nullement nécessaire de faire le voyage de Bethléem. 6 Nous y reviendrons.
Le procès qui amène Jésus devant Ponce Pilate n'est conforme ni au droit juif, ni au droit romain. Même là où les évangélistes ne racontent pas de miracles, ce qu'ils disent est bien souvent faux ou impossible.
Et ce qui a été ainsi compilé comme « évangile » a ensuite encore été modifié sous bien des aspects par des « rédacteurs » et des copistes ultérieurs, pour l'édification des croyants.
Par exemple, les meilleurs manuscrits de l'évangile de Marc concluent l'ouvrage par le verset 8 du chapitre 16, où les femmes cherchent Jésus mort dans son tombeau, mais trouvent à sa place un jeune homme vêtu d'une longue tunique blanche. Elles quittèrent alors le tombeau « en tremblant de peur ».
Ce qui suit dans les éditions traditionnelles a été ajouté plus tard. Mais il est impossible que l'ouvrage se soit terminé par ce verset 8. Renan déjà supposait que la suite avait été effacée dans l'intérêt de la cause, parce qu'il aurait contenu un récit qui, aux yeux des générations suivantes, aurait paru choquant.
Autre point, Pfleiderer, comme d'autres, conclut, après une étude de détail, « que l'évangile de Luc ne parlait encore pas de la conception surnaturelle de Jésus, que cet élément était plus tardif et avait été rajouté plus tard en insérant les versets 1, 34 sq. 7 et les mots « à ce que l'on pensait » dans 3, 23 ». (Christianisme primitif, I, p. 408)
Rien d'étonnant, au vu de tout cela, que dès les premières décennies du dix-neuvième siècle, bien des chercheurs aient reconnu qu'on ne pouvait absolument pas utiliser les évangiles comme sources pour une histoire de Jésus et que Bruno Bauer en soit même venu à nier totalement qu'il fût un personnage historique. Il est compréhensible que les théologiens ne puissent malgré tout abandonner les évangiles et que même ceux d'entre eux qui sont les plus libéraux mettent tout en œuvre pour préserver leur autorité. Que resterait-il du christianisme si l'on renonçait à la personne du Christ ? Mais pour la sauver du naufrage, ils sont obligés de se livrer à des contorsions bien étranges.
Harnack, par exemple, a expliqué dans ses cours sur « l'essence du christianisme » (1900), que David Friedrich Strauss avait bien cru avoir pulvérisé l'historicité des évangiles. Mais, continuait-il, le travail historique et critique de deux générations aurait réussi à la rétablir dans une large mesure. Certes, les évangiles ne sont pas une œuvre historique, ils n'ont pas été écrits pour raconter ce qui s'était passé, mais pour édifier les fidèles. « Pourtant, comme sources historiques, ils ne sont nullement inutilisables, d'autant plus que le but qu'ils poursuivent n'est pas emprunté de l'extérieur, mais coïncide partiellement avec les intentions de Jésus. » (p. 14)
Mais de ces intentions, nous ne savons que ce que les évangiles nous en disent ! Toute la démonstration de Harnack entreprise pour établir la crédibilité des évangiles comme sources d'information sur la personnalité de Jésus prouve une seule chose, c'est à quel point il est impossible d'avancer quoi que ce soit de certain et de probant en ce sens.
Dans la suite de son traité, Harnack lui-même se voit obligé de laisser tomber comme a-historique tout ce que les évangiles racontent sur les trente premières années de Jésus, et de même sur la période suivante, tout ce dont on peut établir que c'est impossible ou simplement inventé. Mais il voudrait pourtant sauver le reste et y voir des faits historiques. Selon lui, il nous reste encore « un tableau vivant des prédications de Jésus, de la fin de sa vie et de l'impression qu'il a faite sur ses disciples. » (p. 20)
Mais comment Harnack sait-il que les enseignements de Jésus, précisément eux, ont été fidèlement reproduits dans les évangiles ? Les théologiens considèrent avec beaucoup plus de scepticisme les reproductions d'autres sermons de cette époque. Pfleiderer, qui est un collègue de Harnack, écrit dans son livre sur le christianisme primitif :
« Il est futile en fait de discuter de l'historicité des discours relatés par les Actes des Apôtres ; qu'on songe seulement à toutes les conditions qui devraient être remplies pour rendre possible une retransmission littérale ou même simplement à peu près fidèle : il aurait fallu qu'ils soient aussitôt notés par écrit (ou plutôt carrément sténographiés) par un témoin oculaire, et ces notes consignant les différents discours auraient dû être gardées pendant plus d'un demi-siècle dans les milieux de ceux qui les avaient entendus et qui étaient pour la plupart des Juifs ou des païens et n'avaient qu'indifférence ou hostilité pour ces propos. Et ensuite, l'historien aurait dû aller les chercher dans les endroits les plus divers pour les collecter ! Une fois qu'on s'est rendu compte que tout cela est impossible, il n'y a plus de doutes, et on sait ce qu'on doit penser de tous ces discours : ce sont, dans les Actes des Apôtres exactement comme chez tous les historiens laïcs de l'Antiquité, de libres compositions dans lesquelles l'auteur fait parler ses héros comme il pense qu'ils auraient pu parler dans les situations où ils sont présentés. » (p 500, 501)
Très juste ! Mais pourquoi tout cela, tout d'un coup, ne devrait-il pas s'appliquer aux discours de Jésus, dont les rédacteurs des évangiles étaient encore plus éloignés dans le temps que des discours retranscrits dans les Actes de Apôtres ? Pourquoi le discours de Jésus dans les évangiles devraient-ils être autre chose que des discours dont les rédacteurs de ces récits auraient voulu que Jésus les ait prononcés ? Et effectivement, on trouve dans ces discours tels qu'ils nous sont transmis bien des contradictions, par exemple des discours de rébellion et des discours de soumission, pour lesquelles la seule explication possible est que, parmi les chrétiens, existaient différents courants dont chacun adaptait à ses besoins les discours du Christ qu'il propageait. Un seul exemple montrera à quel point les chrétiens étaient peu regardants dans cet ordre de choses. Que l'on compare le sermon sur la montagne chez Luc et chez Mathieu. Chez le premier, c'est encore une glorification des déshérités, une condamnation des riches. A l'époque de Mathieu, beaucoup de chrétiens commençaient à trouver cela gênant. D'un trait de plume, l'évangile de Mathieu fait des déshérités qui accèdent à la félicité, des pauvres en esprit, quant à la damnation promise aux riches, elle disparaît totalement.
Voilà comment on manipulait des discours qui étaient déjà écrits, et on voudrait nous faire croire que les discours que Jésus aurait, dit-on, prononcés un demi-siècle avant qu'ils soient notés, sont retranscrits fidèlement dans les évangiles ! Il est impossible de conserver fidèlement pendant cinquante ans, seulement par transmission orale, le texte exact d'un discours qui n'a pas été noté aussitôt. Celui qui malgré cela prétend mettre par écrit textuellement, au bout d'une aussi longue période, des discours qui ne sont connus que par ouï-dire, montre seulement qu'il se croit autorisé à écrire ce qui lui convient à lui, ou bien qu'il est assez crédule pour prendre pour argent comptant ce qu'on lui raconte.
D'un autre côté, on peut prouver que bien des propos mis dans la bouche de Jésus ne sont pas de lui, mais étaient déjà en vogue avant lui.
On considère par exemple le « Notre Père » comme un produit spécifique de Jésus. Mais Pfleiderer indique qu'une très ancienne prière du kaddich en araméen se concluait par ces mots :
« Que son nom sublime soit dressé et sanctifié dans le monde qu'il a créé selon sa volonté. Qu'il instaure son règne de votre vivant et du vivant de toute la maison d'Israël. »
On voit que le début du Notre-Père chrétien est une imitation.
Mais s'il n'y a rien à retenir des discours de Jésus, de l'histoire de sa jeunesse et surtout pas de ses miracles, qu'est-ce qu'il reste alors des évangiles ?
Selon Harnack, il resterait la forte impression faite par Jésus sur ses disciples et l'histoire de sa passion. Mais les évangiles n'ont pas été rédigés par les disciples, ils ne reflètent pas l'impression que la personnalité de Jésus, mais celle que les récits sur la personnalité de Jésus, ont faite sur les membres de la communauté chrétienne. Même la plus profonde empreinte ne dit rien sur la vérité historique de ces récits. Un récit qui parle d'une personne fictive peut aussi laisser une marque profonde dans la société si les conditions historiques sont réunies. Quelle n'a pas été l'empreinte laissée par le Werther de Goethe, alors que tout le monde savait que ce n'était là qu'un roman. Et pourtant il a suscité de nombreux disciples et de nombreux successeurs.
Il se trouve que les siècles qui précédent et suivent immédiatement Jésus ont vu dans le monde judaïque des personnalités nées de l'imagination produire les plus grands effets quand les exploits et les doctrines qu'on leur attribuait entraient en résonance avec les besoins pressants du peuple juif. Ainsi par exemple de la figure du prophète Daniel, dont le livre de Daniel raconte qu'il aurait vécu sous le règne de Nabuchodonosor, de Darius et de Cyrus, donc au sixième siècle avant J.C., qu'il aurait accompli les miracles les plus stupéfiants et émis des prophéties qui se seraient plus tard réalisées de façon étonnante, celles-ci culminant dans la prédiction que le judaïsme serait frappé de grands malheurs dont il serait sauvé par un rédempteur qui le ferait accéder à une nouvelle splendeur. Ce Daniel n'a jamais existé, le livre qui parle de lui a été écrit vers l'an 165, à l'époque du soulèvement des Macchabées, il n'y a rien de surprenant à que toutes les prophéties qu'il aurait émises au sixième siècle se soient révélées exactes jusqu'à cette date, mais cela remplissait le pieux lecteur de la conviction que la dernière prédiction d'un prophète aussi infaillible ne pourrait manquer de s'accomplir. Tout cela était une affabulation effrontée, ce qui ne l'a pas empêchée de produire des effets considérables ; la croyance au Messie, la croyance à un sauveur à venir, en tira l'essentiel de sa force, ce fut un modèle qu'imitèrent toutes les prophéties annonçant un Messie. Le livre de Daniel montre cependant aussi avec quel sans-gêne on se livrait à l'époque, dans les cercles de dévots, à des mystifications à seule fin d'aboutir au résultat souhaité. L'effet produit par le personnage de Jésus ne prouve donc en rien son authenticité historique.
Ainsi donc, de ce que Harnack lui-même pense avoir sauvé comme noyau historique des évangiles, il ne reste rien que l'histoire de la Passion du Christ. Mais elle est elle aussi, du début à la fin, jusqu'à la résurrection et à l'Ascension, tellement truffée de miracles que là encore, il est presque impossible de repérer avec certitude un noyau historique. Du reste, nous nous occuperons plus tard d'un peu plus près de la crédibilité de cette histoire.
Il n'en va pas mieux des autres écrits du christianisme primitif. On sait que tout ce qui est censé venir de contemporains de Jésus, des apôtres par exemple, est constitué de faux, au moins au sens où ce sont des produits d'une époque plus tardive.
De toutes les lettres attribuées à Paul, il n'y en a aucune dont l'authenticité serait restée totalement incontestée. La critique historique a reconnu unanimement comme fausses un certain nombre d'entre elles. Le faux le plus effronté est sans doute la deuxième lettre aux Thessaloniciens. Dans cette lettre contrefaite, le rédacteur qui se cache derrière le nom de Paul met les lecteurs en garde : « Ne vous laissez pas égarer ni troubler, ni par un esprit, ni par un mot, ni encore par une lettre (falsifiée) en notre nom. » (2, 2). Et à la fin, l'imposteur ajoute : « La salutation est de ma main à moi, Paul. Je signe de cette façon toutes mes lettres, c’est mon écriture. » Ce sont ces mots qui l'ont trahi.
Une série d'autres lettres de Paul constituent peut-être les plus anciennes productions littéraires du christianisme. Mais elles ne parlent pratiquement pas de Jésus, sauf de sa crucifixion et de sa résurrection.
Point n'est besoin d'expliquer à nos lecteurs ce qu'il convient de penser de la résurrection. De la littérature chrétienne concernant Jésus, nous ne tirons donc quasiment aucune information qui soit sûre.
Notes de K. Kautsky
4 Zeller, Philosophie grecque, 3ème partie, section 2, Leipzig 1868, p. 96
5 Pfleiderer, Christianisme primitif, 1902, II, p. 282, 283.
6 Voir à ce sujet déjà David Strauss, La vie de Jésus, Tübingen 1840, 4ème édition, I, p. 227 sq.
7 « Marie dit à l’ange : Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? L’ange lui répondit : L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre etc. »