1976 |
La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme. |
A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel
Stéphane Just
Faut-il opposer le tout à la partie ?
Le camarade Ernest Mandel trouve des raisons morales inspirées du plus pur internationalisme pour, « d'un point de vue programmatique » rejeter le mot d'ordre des États‑Unis socialistes d'Europe, qu'à la Thèse 16 il accepte d'un point de vue tactique mais limité à l'Europe occidentale.
« 24 ‑ D'un point de vue programmatique, le mot d'ordre d'États‑Unis socialiste d'Europe a été maintenant dépasse par la nécessité de lutter pour les États-Unis socialiste du monde. Les problèmes clés de la politique et de l'économie mondiales, le sous‑développement, la faim, la nécessité d'éviter un anéantissement nucléaire. la nécessité d'éviter la destruction des ressources naturelles, etc., ne peuvent être résolus que par une économie mondiale planifiée. L'accroissement du nombre d'États ouvriers et le besoin de surmonter tout rapport d'égoïsme nationaliste entre eux conduit à la même conclusion. Toute notion qui, d'un point de vue programmatique, accorde la priorité à une planification commune avec les États ouvriers « riches », l'URSS et l'Europe de l'Est, contre les « pauvres » d'Asie serait monstrueuse. Toute stratégie mondiale pour le socialisme qui ne tient pas compte des problèmes spécifiques et de la sensibilité des pays sous‑développés conduira au désastre.
« En tant que parti mondial de la révolution socialiste, la IV° internationale doit exprimer consciemment la nécessité de cette planification mondiale et doit construire une direction mondiale gardant présent à l'esprit cet objectif. Toutes priorités continentales ou régionales doivent être subordonnées à cette priorité stratégique.
La Thèse 24 laisse perplexe : opposer une « économie mondiale planifiée », les « États‑Unis socialistes du Monde » aux « États‑Unis socialistes d'Europe » revient à opposer à la révolution en France la révolution européenne. Alors même que la révolution aura vaincu à l'échelle mondiale, les nations, les rapports économiques, sociaux, politiques sur un continent, sur tel ou tel espace géographique, ne disparaîtront pas. On peut prévoir que des États‑Unis socialistes se constitueront en Amérique latine, en Afrique, au Moyen‑Orient, en Asie. La nécessité de tels mots d'ordre découle des exigences de la lutte politique pour la révolution prolétarienne. Ils concrétisent le contenu internationaliste de la révolution prolétarienne et répondent à des exigences économiques, sociales, politiques, voire culturelles. Dresser, contre le mot d'ordre des États‑Unis socialistes d'Europe, celui des États‑Unis socialistes du Monde est purement artificiel et superficiel. La « solidarité avec les sections clés du monde (?) colonial et semi‑colonial » n'est pas mise en cause, bien au contraire, nous y reviendrons.
Cet artifice empêche de donner les réponses qui conviennent à l'actualité de la révolution sociale et de la révolution politique à laquelle répond la perspective des États‑Unis socialistes d'Europe. Il faut donner un contenu à ce mot d'ordre pour en faire une perspective concrète. Or, ce qui lui donne ce contenu nous ramène précisément à l'Allemagne, au peuple allemand, à la révolution allemande. Les États‑Unis socialistes d'Europe sont évidemment incompatibles avec le maintien de la division de l'Allemagne, de la nation allemande, du peuple allemand. Ils ne respectent pas le tabou de la neutralisation du prolétariat allemand, du maintien du mur de Berlin et des réseaux de fil de fer électrifiés qui divisent l'Allemagne. Il faut annuler l'acte réactionnaire que la division de l'Allemagne a été et reste. La perspective des États‑Unis socialistes d'Europe exige de se prononcer pour l'unité inconditionnelle de l'Allemagne, de la nation allemande, du peuple allemand, donc du prolétariat allemand. Pour réaliser la dictature du prolétariat, constituer la république allemande des conseils, le prolétariat allemand a besoin de l'unité allemande. C'est un des objectifs premiers de sa lutte de classe.
De même, donner un contenu concret au mot d'ordre des États‑Unis d'Europe exige que soient intégrées au programme de la révolution prolétarienne des tâches démocratiques, de l’unité et de l'indépendance nationales, que la décadence du mode de production capitaliste a remises en cause ; ou bien que la bourgeoisie n'a pas été capable d'accomplir jusqu'au bout ; ou que le partage de l'Europe a faites resurgir ; ou, enfin, qui résultent de l'oppression que la bureaucratie du Kremlin exerce sur l'Europe de l'Est et en URSS. Elles sont brûlantes. L'Allemagne soulève de tels problèmes. Mais en Europe de l'Est et en URSS, la question des libertés dans tous les domaines de la vie sociale, en politique, dans les arts et la littérature est une des plus importantes questions de la lutte pour la révolution politique. Celle de l'unité et de l'indépendance nationale, jusqu'au droit de séparation (cf. Trotsky sur l'Ukraine) ne l'est pas moins. Donner un contenu au mot d'ordre des États‑Unis socialistes d'Europe exige de dénoncer tous les accords et les pactes impérialistes : OTAN, pacte Atlantique, CEE, etc., d'exiger le retrait des troupes étrangères impérialistes en quelque lieu qu'elles se trouvent (en Allemagne par exemple) mais aussi la dénonciation du pacte de Varsovie, du COMECON, et tous les accords imposés par le Kremlin ou conclus entre les bureaucraties parasitaires, d'exiger le retrait inconditionnel des troupes du Kremlin d'Allemagne de l'Est et de tous les pays de l'Europe de l'Est. La défense de l’URSS et des rapports de production qui existent en Europe de l'Est passe par la révolution politique.
Le camarade Ernest Mandel, après avoir considéré que « la révolution politique n'était pas une perspective immédiate », écrit à la fin de la Thèse 20 :
« Le rôle clé joué par la montée et la victoire de la révolution socialiste en Europe occidentale pour surmonter ces obstacles a déjà été souligné. Il a été confirme de manière embryonnaire par l'expérience limitée du Printemps de Prague et par la panique que cela provoqua chez les bureaucrates qui craignaient qu'un mouvement universel en faveur de l'autogestion et de la démocratie socialiste en Europe de l'Est et en Union soviétique ne soit enclenché par « l'expérience tchèque ». Les effets d'un exemple encore plus avance en Europe de l'Ouest excluant l'intervention militaire du Kremlin seraient beaucoup plus profonds, même s'ils étaient moins rapides que ceux du Printemps de Prague. »
Il ne s'agit pas « d'autogestion », mais de rétablir ou d'établir le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat qui conditionne la possibilité pour les masses de contrôler l'élaboration et la réalisation du plan, et de contrôler toute l'activité sociale et politique. Il s'agit de mettre en place la démocratie soviétique qui donnera les moyens d'un développement sans exemple de la culture. Il s'agit de reprendre et d'achever ce que la révolution russe avait commencé. Telles sont les tâches de la révolution européenne, qui inclut la révolution politique.