1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Á nouveau sur les forces productives

« Ce n'est que dans les années 60 que réapparut dans ces pays une nouvelle génération de révolutionnaires prolétariens qui constitue les moyens de la nouvelle avant‑garde. L'envergure de cette avant-garde est le résultat combiné de processus sociaux fondamentaux dans les pays impérialistes (croissance des forces productives, impliquant un accroissement du nombre, du niveau culturel et des qualifications du prolétariat ; un approfondissement de la crise des rapports de production capitalistes ; une prise de conscience accrue de la part du prolétariat de cette crise, avec des tentatives instinctives ou semi‑conscientes d'introduire la saisie des moyens de production dans le développement des luttes), des effets subjectifs consécutifs aux révolutions cubaine et vietnamienne et de l'intensification de la crise internationale du stalinisme. Agissant dans un contexte de combativité et de conscience de classe renforcées, cette nouvelle génération obtint enfin des succès grandissants dans la construction de nouvelles organisations léninistes, les noyaux déterminants des partis révolutionnaires de masse de demain qui conduiront le prolétariat occidental à la conquête du pouvoir. » (Thèse 7.)

La pensée du camarade Ernest Mandel se dégage clairement. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, selon lui, au contraire des appréciations de Lénine et Trotsky, l'impérialisme aurait été capable de développer puissamment les forces productives, et cela aboutit à un prolétariat régénéré, plus cultivé, plus qualifié. Les ressorts de la croissance des forces productives auraient été selon lui :

« L'augmentation drastique du taux d'exploitation de la classe ouvrière (qui) déterminera une élévation du taux de profit moyen qui impulsa une accélération à long terme de l'accumulation du capital dans le cadre d'une révolution technologique elle-même stimulée par des dépenses massives d'armement et une inflation « rampante ». Cela permit à I'impérialisme de garantir certaines réformes et de faire des concessions à le fois à la classe ouvrière dans les pays impérialistes et à la bourgeoisie des pays coloniaux (qui assura la transition du statut colonial au statut néo-­colonial), ce qui permit de stabiliser relativement le système durant deux décennies. »

Il faut écarter toute interprétation étroite de l'appréciation sur laquelle sont fondés le mouvement, la méthode, tout le programme de fondation de la IV° Internationale, « l'agonie du capitalisme et les tâches de la IV° Internationale ».

Les citations faites plus haut, extraites de L'impérialisme, stade suprême du capitalisme et de l'article de Trotsky, témoignent de la méthode qu'ils utilisaient pour analyser le développement du mode de production capitaliste, la souplesse dont lis l'estimaient encore capable. Soit dit en passant, leur méthode était à l'opposé, elle était fondamentalement différente de celle que les dirigeants de la IV° Internationale, le SI, ont utilisée en 1944‑1948, méthode qui leur fit dénier toute possibilité d'une reconstruction du capitalisme en Europe. De 1943 à 1948, en de nombreux textes, les dirigeants du SI affirmaient alors que le système impérialiste était incapable de se restructurer, que la production dans les pays capitalistes d’Europe ne pourrait que plafonner au‑dessous du niveau de 1938. En 1943-1948, ils considéraient même que la démocratie bourgeoise ne pouvait revivre longtemps en Europe ; à brève échéance, selon eux, le dilemme était révolution prolétarienne victorieuse ou fascisme. La méthode de Lénine et Trotsky était dialectique, celle du SI était mécanique. Il ne faudrait pas garder la méthode du SI en inversant simplement les termes des données, donc les résultats. Ainsi on aboutirait à la conclusion que le mode de production capitaliste a été capable au cours de ces trente dernières années de donner une nouvelle et fantastique impulsion à la croissance des forces productives, Si tel était le cas, il faudrait être rigoureux; la base objective du Programme de transition aurait disparu ; du même coup, le Programme et la IV° Internationale (le parti c'est le programme, LT) flotteraient dans les airs.

Lénine lui, s'exprime ainsi :

« Quant aux États‑Unis, le développement économique y a été en ces dernières dizaines d'années encore plus rapide qu'en Allemagne. Et c'est seulement grâce (souligné par Lénine) à cela que les traits parasitaires du capitalisme américain sont apparus de façon particulièrement saillante. »

Lénine n'utilise pas les termes « croissance des forces productives », mais « développement économique », qui implique et exige, à l'époque du capitalisme, le parasitisme, le pourrissement de l'ensemble du système.

Trotsky, quant à lui, insiste :

« Le capitalisme impérialiste n'est plus capable de développer les forces productives de l'humanité. et, pour cette raison, il ne peut accorder aux ouvriers ni concessions matérielles ni réformes sociales effectives. Tout cela est juste. Mais tout cela n'est juste qu'à l'échelle d'une époque entière. »

Le camarade Ernest Mandel a raison sur le point suivant :

« L'augmentation drastique du taux d'exploitation de la classe ouvrière déterminera une élévation du taux de profit moyen. »

Pourtant, malgré l'exigence d'un renouvellement massif du capital fixe en Europe, au Japon, et aux USA à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, bientôt l'économie capitaliste s'est essoufflée.

En 1948‑1949, le spectre de la crise économique hantait à nouveau les USA et l'Europe. Le volant d'entraînement de l'économie capitaliste a été le réarmement US. L'injection continuelle, avec une accentuation aux moments difficiles de dépression, d'énormes dépenses militaires officielles ou masquées a été indispensable à l'entraînement de l'ensemble du système.

Bien d'autres formes de parasitisme ont été utilisées. Ce fut la condition de « la révolution technologique », d'un renouvellement massif du capital fixe, de la « croissance économique », comme dit Lénine, « d'une accélération à long terme de l'accumulation du capital ». Cette accumulation n'a pas été « stimulée », mais conditionnée par les dépenses massives d'armement et une inflation « rampante ». Tout en étant réelle en grande partie, elle est en une autre partie composée de capital fictif, ce dont témoigne « l'inflation rampante » Loin de « stabiliser relativement le système durant deux décennies », elle le pourrit, le décompose dans ses profondeurs, ronge, corrode le bastion du système impérialiste, jusqu'en ses fondations, et jusqu'au cœur. Ni les vieux capitalismes européens, ni même le capitalisme japonais n'ont retrouvé la santé ; ils sont tout aussi profondément décomposés et d'une fragilité de verre. C'est une confirmation sans appel de ce que Lénine et Trotsky écrivaient :

« Le développement économique aux USA (en Europe, au Japon), d'autant plus qu'il est rapide, souligne les traits parasitaires ( ... )
« A l'échelle d'une époque entière le capitalisme (n'a) plus (été) capable de développer les forces productives. »

A ce point, Il faudrait toute une étude montrant comment l'impérialisme décompose les acquis antérieurs de l'humanité, l'art, la culture, mais également déqualifie d'immenses masses de travailleurs, transforme techniciens et scientifiques en robots. Le capital ne s'intéresse aux sciences et aux techniques qu'en fonction du profit. A l'époque de l'impérialisme, stade suprême du capitalisme, celui‑ci a besoin, pour que l'économie fonctionne, d'immenses dépenses militaires et parasitaires. Tous les rapports bourgeois sont imprégnés de ce pourrissement du mode de production capitaliste et, donc pourrissent. Cette exigence conditionne alors tout le reste. C'est un fait: la famine s'étend, un tiers de l'humanité en est menacé, des millions d'hommes meurent de faim chaque année. Des millions d'hommes sont au seuil de la pauvreté dans les pays capitalistes avancés. Les métropoles impérialistes sont peuplées de millions de salariés importés des pays sous‑développés. Surexploités, sans qualifications, leurs conditions de vie et de travail sont souvent effrayantes. La plupart du temps, ils ne savent ni lire ni écrire, et quelquefois ils sont incapables de parler la langue du pays. Le nombre de salariés augmente dans les pays capitalistes avancés, mais ceux des travailleurs productifs à plutôt tendance à régresser. Ce sont quelques manifestations chroniques du pourrissement du mode de production capitaliste, et cela en pleine période de « prospérité ».

La perspective, c'est la chute aux abîmes : la dislocation du marché mondial, de la division internationale du travail ; le château de cartes des constructions européennes s'effondrera du même coup. La crise de 1929 apparaîtra comme ayant été un simple jeu d'enfants, comparée à celle qui se prépare. A moins que la révolution prolétarienne ne soit victorieuse, l'avenir n'est qu'une suite de catastrophes sociales sans exemple. Voilà ce qui a germé et s'est développé depuis plusieurs décennies, dans le ventre de la bête immonde : l'impérialisme. Vraiment, Trotsky avait raison : « A l'échelle d'une époque, le capitalisme n'est plus capable de développer les forces productives ».


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