1980 |
"Le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs" |
La grève générale et la question du pouvoir
En France, « le moment approche »
En France, la grève générale de mai-juin 1968 a blessé mortellement la V° République sans l'abattre. Depuis, elle agonise. La crise de régime, crise de domination de classe de la bourgeoisie, se perpétue. Maintes fois l'OCI a analysé la forme particulière que la crise de domination de classe de la bourgeoisie qui se développe en France a prise. Il n'est donc pas nécessaire de refaire une fois encore cette analyse. Il suffit de rappeler quelques données essentielles que le rapport préparatoire pour le XXIV° Congrès de l'OCI consigne :
« Sans reprendre tous les aspects de la crise des institutions bonapartistes de la V° République analysés dans les textes et documents adoptés par les congrès antérieurs de l'OCI, il faut néanmoins, pour cadrer notre intervention, revenir sur quelques-unes de ses données fondamentales.
La bourgeoisie française est prise dans une contradiction qu'elle ne peut surmonter. La V° République est en faillite. Elle n'a pu par suite de la lutte de classe du prolétariat instaurer l'État fort, l'État corporatiste, détruire les organisations ouvrières, broyer le prolétariat. Tout au contraire, le prolétariat, les masses exploitées se sont politiquement renforcés. Seul un barrage que dressent le PS et surtout le PCF, les appareils bureaucratiques des centrales syndicales, et surtout l'appareil stalinien de la CGT (plus exactement la politique de l'appareil stalinien ordonne toute la politique des autres directions ouvrières traîtres) a empêché les masses de balayer la V° République et ses institutions et d'ouvrir la crise révolutionnaire. Or, la crise du système impérialiste, en particulier la marche à une crise économique majeure, contraint la bourgeoisie française à attaquer férocement la classe ouvrière, la jeunesse, les masses exploitées, leur standard de vie, leurs acquis et conquêtes. Le gouvernement Giscard‑Barre aux abois doit s'efforcer de réaliser rapidement ce que de Gaulle, Pompidou, plus de vingt ans de V° République n'ont pas permis de réaliser du point de vue des acquis et des conquêtes du prolétariat et des masses exploitées, ce qu'ils n'ont pu engager et cela alors que la mise en place de l'État fort, l'État corporatiste, a irrémédiablement échoué.
Les intérêts de la classe dominante exigent que soient portés les coups les plus sévères aux masses laborieuses et à la jeunesse. Pour porter ses coups, la classe dominante doit utiliser les institutions bonapartistes de la V° République, les seules dont elle dispose. Mais ces institutions sont en crise, crise dont le fondement est l'activité des masses. C'est ainsi que, sous peine d'écrasement politique et économique, la classe dominante doit s'appuyer sur les institutions du bonapartisme en crise, le gouvernement Giscard couronnant les institutions concentrant directement la haine des masses laborieuses et de la jeunesse. Répétons‑le : la faiblesse de ces institutions ne permet pas au gouvernement Giscard‑Barre d'atteindre par ses propres moyens ses objectifs. Les appareils, et particulièrement l'appareil stalinien, doivent prendre en charge la mise en application de la politique anti‑ouvrière d'attaque contre la jeunesse et les masses. Aussi est‑il essentiel que l'avant‑garde révolutionnaire comprenne clairement à la fois le caractère inéluctable de la crise du régime et l'utilisation de la « démocratie » comme levier pour aider à amener la crise du régime à son point de rupture. L'avant‑garde révolutionnaire combat pour libérer l'humanité de toutes les chaînes de l'oppression et de l'exploitation de l'homme par l'homme. Dans ce combat le combat contre les illusions démocratiques est une nécessité absolue. Mais encore faut‑il savoir comment combattre les illusions démocratiques.
La liquidation de la IV° République en 1958 a résulté de conditions et d'événements déterminés, mais elle n'a pas correspondu à des données circonstancielles. Historiquement, la république parlementaire n'est plu; la forme de domination politique correspondant aux besoins de la bourgeoisie française décadente. Ce sont les rapports déterminés entre les classes qui ont nécessité le recours à la république parlementaire pour contenir la montée révolutionnaire née de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
C'est ainsi qu'au lendemain de la guerre elle renaissait de ses cendres car les rapports entre les classes ne permettaient pas alors à la bourgeoisie d'avoir recours à l'État fort, à l'État corporatiste, objectif qui pourtant était celui de De Gaulle dès les années 1944 à 1950. Pour contenir les contradictions que la république parlementaire ne pourrait pas contenir, l'institution du bonapartisme en 1958 a correspondu aux besoins profonds de la bourgeoisie française décadente. Cependant le parlementarisme comme mode de domination de classe peut néanmoins, revivre en fonction des rapports entre les classes et à l'intérieur des classes, de la faillite du bonapartisme, ouvrant la crise révolutionnaire. Il devient alors un régime de crise totalement instable, dont la bourgeoisie a besoin momentanément pour contenir les masses, permettre éventuellement la mise en place d'un gouvernement de front populaire, mais par ailleurs menaçant et insupportable pour elle.
Ne pas comprendre la nature du bonapartisme et la nature de la démocratie parlementaire, l'une et l'autre de nature bourgeoise, serait abandonner les principes, nous désarmer, et glisser sur le terrain du front populaire. Mais ne pas comprendre que bonapartisme et démocratie parlementaire sont des formes de domination de la bourgeoisie qui s'excluent l'une et l'autre serait abandonner en sectaire dogmatique le terrain du marxisme, et par là même l'intervention politique à partir des données fondamentales de la politique révolutionnaire. La démocratie parlementaire comme le bonapartisme sont des produits du développement historique qui ne peuvent être éliminés que par la révolution prolétarienne. Sans qu'il nous soit permis d'oublier son contenu de classe (bourgeois), sans donc la prendre en charge, nous devons opposer la « démocratie » aux institutions bonapartistes, cela afin d'utiliser la « démocratie » contre la forme concrète que prend dans les conditions présentes la forme de domination de classe de la bourgeoisie, à savoir la forme bonapartiste. C'est ainsi que la « démocratie » dont se servent les appareils bourgeois contre les masses laborieuses doit être utilisée (et l'est) par les masses laborieuses pour des objectifs tout différents. Parce que nous comprenons la nature bourgeoise du bonapartisme et de la démocratie parlementaire, en même temps que nous comprenons que ce sont deux formes de domination de la bourgeoisie qui s'excluent l'une l'autre, nous sommes à même de définir la situation réelle du point de vue des relations entre les classes et du point de vue de classe. Par là, nous nous rendons capables d'agir sur les événements.
Comprenant que la démocratie parlementaire ne pourra s’établir que dans l'effondrement du régime de la V° République que cet effondrement verra ‑ dans la mesure où les institutions de la V° République ont fusionné partiellement avec l'État bourgeois ‑ pour le moins la « déstabilisation » de l'État bourgeois, nous agissons ainsi sur la contradiction insurmontable entre bonapartisme ci démocratie parlementaire, pour aider notre classe à promouvoir ses propres éléments de pouvoir dans la crise d'effondrement. Sans aucunement prendre en charge, cela va de soi, répétons‑le, la démocratie parlementaire, mais en utilisant la contradiction insurmontable entre bonapartisme et démocratie parlementaire, en partant de la nécessité de « combattre les illusions sur le terrain des illusions », nous voyons ce qui va arriver inéluctablement : une situation où démocratie parlementaire et formes plus ou moins développées du pouvoir ouvrier (conseils, comités) se côtoieront, comme la prochaine étape politique du combat pour la révolution prolétarienne qui doit renverser tout régime bourgeois, qui doit renverser le système de la propriété privée des moyens de production.
De là découle que, plus le moment du dénouement de la crise politique en crise révolutionnaire approche, plus le levier de la « démocratie » utilisé comme nous venons de l'exposer devient décisif, mais plus l'OCI doit conserver strictement son caractère de classe, et ne pas laisser les revendications de classe se noyer dans la « démocratie » en général. Et c'est là que se noue le problème de la grève générale, ses rapports avec la démocratie et avec le mot d'ordre du gouvernement Mitterrand‑Marchais sans représentant de la bourgeoisie. »
L'article que le dernier numéro de « La Vérité » a consacré à la grève générale de mai‑juin 1968 était titré « La grève générale de mai‑juin 1968 est venue de loin ». La grève générale qui se prépare vient également de loin. Ses origines remonteront à la grève générale de mai‑juin 1968 elle‑même, qui, entravée, transformée en « grève économique », disloquée, a néanmoins blessé mortellement, sans l'achever, la V° République. Toutefois, la nouvelle grève générale qui se prépare ne se prépare pas strictement de la même façon, que celle de mai‑juin 1968. Avant et au cours de celle‑ci, les grandes masses avaient l'illusion que la grève générale se suffirait à elle-même, que sa puissance suffirait à arracher les revendications et à balayer le gouvernement et la V° République. Cette illusion a facilité la politique liquidatrice de la grève des partis ouvriers et des appareils des centrales syndicales, principalement le PCF et l'appareil stalinien de la CGT. Elle leur a permis de vider les entreprises, de prendre le contrôle du mouvement, de ne pas constituer le comité central de grève de la grève générale, de ne pas donner l'ordre de grève générale, de maintenir la division politique, de concocter les « accords de Grenelle » et, après que l'ensemble des ouvriers de chez Renault leur eurent intimé le « Ne signez pas », de conclure des accords corporation après corporation, entreprise après entreprise, de se dérober devant la question du pouvoir.
Le PCF demandait la dissolution de l'Assemblée nationale. De Gaulle la dissolvait. La grève générale était liquidée au nom des élections. Les « élections‑trahison » amenaient à l'Assemblée nationale une majorité de députés UDR. Les masses ont voulu ardemment la grève générale de mai-juin 1968. L'illusion de la grève générale se suffisant à elle‑même les a désarmées politiquement. Elles en ont tiré plus ou moins nettement la conclusion qu'il faut encore réaliser les conditions politiques indispensables pour balayer le gouvernement de la V° République et porter au pouvoir un gouvernement qu'elles considèrent comme étant leur gouvernement . Parmi ces conditions : la réalisation de l'unité de la grève, la réalisation du front unique des organisations et partis ouvriers.
La liquidation de la grève générale, l'élection de l'Assemblée nationale « bleu CRS », n'ont pas abattu la classe ouvrière. A peine de Gaulle vient‑il de proclamer le 24 novembre 1968 : « C'en est fini des cortèges et exhibitions », que les ouvriers de chez Renault, les travailleurs de l'Assistance publique, les métallos de Bordeaux, manifestent pour que soient satisfaites leurs revendications. Ensuite, chez Renault, chez Peugeot, se produisent des grèves dites sauvages. A nouveau l'appareil stalinien de la CGT lance un de ces mots d'ordre d'« action » qui ne sont que des contre‑feux à la mobilisation réelle de la classe ouvrière : tout seul, il appelle à une « journée d'action » le 12 février 1969. De Gaulle dit brutalement non à toutes les revendications. L'ensemble des dirigeants des centrales syndicales sont amenés à lancer conjointement un ordre de « grève nationale » pour le 11 mars 1969. La grève est générale, les manifestations sont massives. Les travailleurs comprennent cette grève comme une grève politique pour leurs revendications contre le gouvernement. De Gaulle tente désespérément de ressaisir l'initiative politique qui lui échappe : il décide d'un référendum pour le 27 avril 1969, dont l'objectif est d'instituer le corporatisme.
Mais la classe ouvrière a déjà réengagé le combat; l'ensemble des centrales syndicales et les partis ouvriers appellent à voter non, la bourgeoisie est divisée : de Gaulle est battu et doit se démettre. Le mot d'ordre du 13 mai 1968 « Dix ans, de Gaulle, ça suffit » est réalisé. Pourtant, la V° République se survit. Ayant appelé conjointement à voter non au référendum du 27 avril, les dirigeants de ce qu'il reste de la SFIO et ceux du PCF présentent chacun leur candidat au premier tour des élections présidentielles qui suivent la démission de De Gaulle. En fonction de la loi électorale, seuls restent candidats au second tour ‑ ceux du PCF et de la SFIO ayant été éliminés au premier ‑ Pompidou et Poher, candidats des partis bourgeois. La classe ouvrière est exclue de cette lutte politique.
Tout au cours des années suivantes, d'importantes grèves se sont succédé. Parmi celles‑ci, il faut citer la grève Renault d'avril‑mai 1971, que les dirigeants CGT disloquent en grèves tournantes. A l'occasion de ce mouvement, Georges Seguy explique :
« Du point de vue de la combativité, il ne faudrait pas grand‑chose pour en arriver là (à un éventuel mai-juin 1968). Mais les conditions pour déboucher sur un changement politique dans notre pays ne sont pas réalisées. Ce qui pèse aussi sur les luttes syndicales. »
Très consciemment, Seguy oppose à une nouvelle grève générale... l'absence de perspective gouvernementale. En juin 1971, les cheminots débraient spontanément et réalisent la grève. Une fois encore, dirigeants de la CGT et de la CFDT brisent la grève : le 19 mai, ils expliquent :
« En dépit de la combativité qui s'exprime dans certaines consultations des cheminots en grève, la direction (de la SNCF) refuse d'aller au‑delà des concessions acquises dont l'effet n'est pas immédiat. De surcroît, le renforcement des actions au plan national, seul capable de faire céder le gouvernement, n'est pour le moment pas envisageable. Cette appréciation tient compte d'un contexte politique général. »
En octobre, c'est la grève des conducteurs du métro de la RATP qui se réalisera contre la volonté affirmée des dirigeants syndicaux. Les conducteurs parviennent à imposer une assemblée générale aux dirigeants qui n'en veulent pas. L'un des grévistes lance : « Les syndicats à nous, les permanents à notre service ! » Mais les conducteurs ne constituent pas leur comité central de grève; sans direction, leur grève se disloque.
D'autres mouvements significatifs ont lieu.
Un événement politique d'importance se produit : la construction. d'un nouveau Parti socialiste. La participation de la SFIO à la mise en place de la V° République, Guy Mollet se faisant au Parlement le fourrier de De Gaulle, sa participation aux premiers gouvernements de la V° République l'ont disloquée et presque détruite Mais il existe en France dans la classe ouvrière et les masses populaires une tradition socialiste, et donc une place pour un parti ouvrier bourgeois de type parlementaire. Dans la tradition de la vieille SFIO, sans que ce soit celle‑ci, un Parti socialiste, bien que très hétérogène, s’est construit et a occupé la place laissée libre Il en résulte une modification dans les rapports à l'intérieur du mouvement ouvrier, de la classe ouvrière et des masses populaires. A condition d'apparaître comme un parti ne collaborant pas aux gouvernements de la V° République, un tel parti peut regrouper derrière lui de larges masses. Il doit également se situer sur le terrain de l'unité d'action avec le PCF et répondre aux aspirations unitaires. De son côté, le PCF prendrait de grands risques d'isolement en s'opposant aux aspiration unitaires des masses. Dans un temps la direction du PCF va choisir, pour endiguer et noyer l'aspiration unitaire des masses pour la dénaturer, la vieille tactique du front populaire, dénommé cette fois « Union de la gauche ». Le 27 juin 1972, le PS et le PCF signent le « Programme commun de gouvernement ». Le « Programme commun de gouvernement » se situe totalement dans le cadre de la V° République, de sa Constitution et de ses institutions; c'est ce qui lui confère son caractère. Pour que nul n'ignore qu'il se situe entièrement sur ce terrain, le 12 juillet, le groupe des « radicaux de gauche » le ratifie. A de multiples reprises, en particulier au cours de la campagne électorale pour les élections législatives de mars 1973, Mitterrand et Marchais affirment leur respect de la V° République, de sa Constitution, de ses institutions, notamment de la majorité présidentielle, de la majorité à l'Assemblée nationale, reflet de la majorité présidentielle. Aux élections législatives de 1973, fortement entamée (par rapport à 1968 elle perd 2 300 000 voix), la coalition des partis de la V° République reste majoritaire, majorité présidentielle et majorité parlementaire coïncidant encore. En un premier temps, I’» Union de la gauche» a rempli sa fonction, au moins sur le plan électoral, en endiguant l'aspiration à en finir avec la V° République et ses gouvernements.
D'importants mouvements de grève se produisent encore entre les élections législatives de mars 1973 et les élections présidentielles de mai 1974 : grève des OS-presses de chez Renault à Boulogne‑Billancourt, la grève de la Sécurité sociale, d'autres mouvements encore. Il faut signaler plus particulièrement le mouvement des lycéens en mars 1973 contre la loi Debré. Un événement fortuit, la mort de Pompidou, va contribuer à dégager la modification en cours des rapports politiques, aussi bien en ce qui concerne les rapports entre les classes qu'en ce qui concerne les rapports à l'intérieur des partis de la V° République, les rapports entre le PS et le PCF, les rapports au sein du mouvement ouvrier et des masses populaires. Alors qu'aux élections législatives de mars 1973, le PS et le PCF ne totalisaient ensemble que 41 % des suffrages exprimés, Mitterrand, premier secrétaire du PS, candidat unique de la « gauche », en obtenait 49,3 % au second tour des élections présidentielles de juin 1974. Le candidat de l’UDR, Chaban-Delmas n'obtenait au premier tour que 15,1 % des suffrages exprimés. Il s'en fallait donc d'un souffle pour que y compris dans le cadre de la V° République, dans celui d'un scrutin au caractère bonapartiste évident, les partis de la V° République ne. soient battus sur leur propre terrain Entre le premier et le second tour, le PCF, en tendant la main à l'UDR, avait tout fait pour qu'il n'en soit pas ainsi. En même temps, l'UDR, parti par excellence de la V° République, subissait une défaite retentissante.
Les élections présidentielles de 1974 exprimaient une fantastique poussée politique de la classe ouvrière, la crise sans issue de la V° République, la recherche par la bourgeoisie d'une solution politique... Mais laquelle ? Les masses avaient conscience d'avoir remporté un succès politique qui pouvait rapidement déboucher sur la victoire décisive contre la V° République et ses gouvernements. Giscard d'Estaing, vainqueur de l'UDR, désireux de réaliser l'ouverture à gauche, c'est‑à‑dire d'intégrer à sa couverture parlementaire, sinon au gouvernement, le PS, était contraint de constituer un gouvernement qui ménage l'UDR, le gouvernement Giscard-Chirac. Il lui fallait également poursuivre les « grandes réformes » de la V° République. Alors que la bourgeoisie l'avait fait élire afin de réaliser une transition, intégrer un maximum de parlementarisme dans le fonctionnement de la V° République, Giscard d'Estaing se trouvait et devait se trouver de plus en plus contraint d'accentuer le caractère bonapartiste du régime, de concentrer de plus en plus le pouvoir entre ses mains, de réduire de plus en plus ouvertement l'Assemblée nationale à une chambre d'enregistrement.
Dès avant les élections présidentielles, d'importantes grèves exprimaient le mouvement en avant de la classe ouvrière : au début de l'année 1974, les mineurs de Lorraine imposent aux dirigeants syndicaux la grève, au lieu des grèves tournantes; en avril, c'est au tour des travailleurs des banques d'imposer la grève.
Après les élections présidentielles dès le 21 juillet, les travailleurs de l'ORTF manifestent devant l'Assemblée nationale, à qui le gouvernement a soumis la loi qui disloque l'Office. Les dirigeants syndicaux réduisent à l'impuissance les travailleurs de l'ORTF en leur imposant à la rentrée les grèves tournantes, comme ils vont réduire à l'impuissance les marins du « France » qui ont spontanément débrayé et occupé le navire contre son désarmement, en les isolant.
Mais le mouvement le plus important de cette année 1974, c'est la grève des postiers. En novembre, les postiers d'un centre de tri, puis des bureaux-gares, puis l'ensemble des PTT se mettent en grève. Ils imposent la grève pour leurs revendications aux dirigeants qui n'en veulent pas. La grève prend son point d'appui sur l'ordre de grève que donnent les dirigeants FO des PTT au niveau de la région parisienne. La grève dure plusieurs semaines. Mais les postiers ne parviennent pas à imposer le front unique des organisations syndicales, à arracher l'ordre de grève générale aux fédérations des PTT, à constituer l'outil indispensable d'unification de la grève qui rassemble les organisations syndicales et les délégués de tous les centres et bureaux. Ce mouvement a un contenu politique précis : pour les revendications, contre le gouvernement Giscard‑Chirac. Les postiers ne parvenant pas à réaliser ou à imposer l'unification du mouvement, sa centralisation, le mouvement s'effrite. Les postiers sont contraints de reprendre le travail. Mais ce mouvement est l'un des plus importants depuis la grève générale de mai-juin 1968. Il s'inscrit dans la lutte des classes comme un moment capital de la maturation politique de la classe ouvrière.
Mais les résultats des élections présidentielles indiquent que le gouvernement Giscard‑Chirac et la V° République peuvent être battus et renversés en utilisant leurs propres consultations électorales. D'anciens ministres du gouvernement Messmer n'ont pas été intégrés à la nouvelle coalition gouvernementale. Ils ont fait démissionner leurs suppléants à l'Assemblée nationale et se représentent à la députation. Le 30 septembre, aux élections législatives partielles, la coalition de la V° République perd, par rapport à 1973, des milliers et des milliers de voix. Au second tour, le 4 octobre, deux anciens ministres, dont Joseph Fontanet, sont battus. En relation avec les résultats des élections présidentielles et des élections législatives partielles, un mot d'ordre s'impose : « dissolution de l'Assemblée nationale ! », mot d'ordre qui fait appel aux aspirations démocratiques des masses, lesquelles se conjuguent à leurs luttes de classe. Le 15 décembre 1974 se tient, à l'initiative de l'OCI, l’« Assemblée nationale des délégués pour que le gouvernement Giscard‑Chirac disparaisse, pour que soit porté au pouvoir un gouvernement du PCF et du PS sans ministres représentants des organisations et partis bourgeois, pour le front unique des organisations ouvrières, partis et syndicats ». Elle lance un appel au comité directeur du PS et au comité central du PCF. On y lit :
« vous vous réclamez de la démocratie parlementaire, du suffrage universel.
Nous constatons l'écrasement de l'UDR qui, le 5 mai dernier, a recueilli moins d'un sixième des voix, alors qu'à l'Assemblée nationale le parti, gaulliste, dominant l'État, l'ayant investi depuis seize ans, continue à occuper plus d'un tiers des sièges. Il y a violation de la démocratie. L'Assemblée nationale reflète un passé révolu. Elle ne représente pas le pays. Les mesures anti-ouvrières qu'elle vote (démantèlement de la Sécurité sociale, de l'ORTF, budget d'austérité) sont entachées d'arbitraire.
La démocratie parlementaire et le suffrage universel vous accordent le droit d'engager une grande campagne nationale, mobilisant les travailleurs et la jeunesse, pour la dissolution de l'Assemblée nationale.
Que disent encore la démocratie et le suffrage universel ?
Le 19 mai 1974, les travailleurs ont voté François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste, contre Giscard d'Estaing.
Le 30 septembre 1974 dans ses fiefs, la majorité présidentielle a perdu des milliers et des milliers de voix. Deux ex‑ministres ont été battus.
La démocratie parlementaire et le suffrage universel disent : le gouvernement Giscard‑Chirac pas plus que l'Assemblée nationale sur laquelle il s'appuie n'ont aucune légitimité pour gouverner le pays.
Il ne peut, en aucun cas, se réclamer de la souveraineté populaire pour mener une politique réactionnaire aux conséquences désastreuses.
La démocratie parlementaire, le suffrage universel, la volonté populaire, vous accordent le droit de mener une grande campagne nationale mobilisant les travailleurs et les jeunes pour la disparition du gouvernement Giscard‑Chirac, pour substituer à ce gouvernement capitaliste menant le pays à la catastrophe, bafouant la démocratie, votre gouvernement, celui du Parti socialiste et du Parti communiste français sans ministres bourgeois.
C'est pourquoi nous vous appelons à réaliser l'unité à laquelle aspirent la population laborieuse et la jeunesse, pour en finir avec le gouvernement capitaliste Giscard‑Chirac. »
Liant cette ligne politique au développement de la lutte des classes, à l'intervention dans les entreprises, les usines, la jeunesse, les grèves, l'OCI organise trois rassemblements le 27 avril à Lyon, Nantes et Paris, auxquels des milliers de militants, de travailleurs, de jeunes, participent.
Au printemps et au début de l'été 1975, le conflit entre les besoins et aspirations des masses et la politique des appareils s'est manifesté au cours de nombreuses et importantes grèves, notamment dans la métallurgie. Ce sont les grèves des caristes de chez Renault, de Chausson, d'Usinor, etc. Ces mouvements expriment I'aspiration au combat uni pour leurs revendications, contre le patronat et pour le gouvernement des travailleurs. Les appareils, et particulièrement l'appareil stalinien de la CGT, que la CFDT flanque le plus souvent, imposent les grèves tournantes, les journées d'action disloquantes et liquidatrices. Le 10 juillet, la direction de la CGT organise une journée d'action d'un nouveau type : des « délégations des entreprises en lutte » sont rassemblées au Champ‑de‑Mars; au pied de la tour Eiffel, elles saucissonnent et mangent des frites. Se heurtant à la bousille systématique de leur mouvement, conscients que la lutte pour la satisfaction de leurs revendications est indissociable du combat unitaire contre le gouvernement Giscard‑Chirac et pour en finir avec lui, au cours des six derniers mois de 1975, les travailleurs hésitent à engager d'importants mouvements de grève.
Tandis que l'appareil stalinien de la CGT s'emploie à disloquer et à liquider les mouvements de grève authentiques, le PCF a engagé dès le lendemain des élections législatives partielles de septembre‑octobre 1974 une campagne contre le PS. Au cours d'une conférence de presse tenue le 10 février 1975, Marchais explique :
« Il apparaît maintenant avec netteté que la direction du Parti socialiste utilise la stratégie du Programme commun à des fins essentiellement partisanes. Elle le fait pour se renforcer et nous affaiblir, en prenant au besoin sur les campagnes que l'adversaire développe contre nous ( ... ). Je retire du congrès de Pau l'impression d'une direction et d'un premier secrétaire sûr de lui et dominateur. »
En effet, se confirme et se renforce ce que les élections présidentielles ont exprimé : l'utilisation par les masses du terrain électoral, où il apparaît de plus en plus nettement que même de ce point de vue le président de la République, son gouvernement, sa couverture pseudo‑parlementaire sont minoritaires dans le pays. Les élections cantonales de mars 1976 renforcent encore ce phénomène.
Du même coup, surgit un problème politique que la direction du PCF n'avait pas prévu : l'« Union de la gauche » ne parvient pas à endiguer l'aspiration des masses à l'unité du PS et du PCF pour en finir avec Giscard, son gouvernement, la V° République et ses institutions, et pour porter au pouvoir un gouvernement de leurs partis. Le terrain électoral peut devenir celui d'une défaite irrémédiable du régime, et ouvrir la voie à une crise révolutionnaire.
L'année 1976 est marquée par une puissante grève des étudiants. Ils se dressent contre la réforme des second et troisième cycles. Elle s'est étendue sur plus de trois mois. Les étudiants désignent leurs comités de grève. A plusieurs reprises, se réunissent des coordinations nationales des étudiants qui sont des champs de bataille entre des orientations fondamentalement opposées, staliniens et gauchistes s'opposant à la grève générale à l'Université, militants de l'AER et de l'UNEF (Unité syndicale) combattant pour. César Corte écrit dans le numéro 573 de « La Vérité » (septembre 1976) :
« Dès le 21 avril, René Maurice, secrétaire de l'UNEF‑UEC, déclarait : "Les étudiants, qui attendent une solution rapide de ce conflit, ne veulent ni crise politique, ni reddition gouvernementale, ni nouveau mai-juin 1968."
Les dirigeants du SNESup opposent un non catégorique à la volonté des enseignants du supérieur qui, le 25 avril, réunis à Amiens, adoptent la résolution suivante :
"L'assemblée des enseignants, membres du SGEN, du SNESup ou non syndiqués, réunis le 25 avril 1976 à Amiens, dans la journée des universitaires en lutte contre la réforme du second cycle, a constaté que les enseignants d'une majorité d'universités sont aujourd'hui en grève reconductible.
En conséquence, elle appelle les instances nationales des syndicats de l'enseignement supérieur à donner dans un délai très proche le mot d'ordre de grève nationale pour obtenir, en liaison avec les luttes étudiantes, l'abrogation de l'arrêté sur le second cycle."
La logique du mouvement, c'était la grève générale de l'Université, la jonction avec les enseignants. Pour qu'il parvienne à arracher l'abrogation de la réforme du second cycle, il fallait que ce mouvement franchisse le seuil de la grève totale de l'Université, étudiants‑professeurs. Les dirigeants du SNESup, aux côtés de ceux de l'UNEF‑Renouveau, ont bloqué la réalisation de la grève générale de l'Université. Ils se sont refusés à donner l'ordre de grève aux enseignants du supérieur, malgré les demandes explicites de la coordination des enseignants d'Amiens. Et là est la raison pour laquelle le mouvement, bien qu'il ait contraint le gouvernement à des reculs, ne put arracher l'abrogation de la réforme. »
D'autres grèves ont eu lieu, comme celle des métallos de La Rochelle, que l'appareil stalinien parvient à disloquer. En revanche, la grève des instituteurs de la Seine‑Saint‑Denis pour la garantie de réemploi des suppléants à a rentrée scolaire est victorieuse. César Corte tire les conclusions suivantes :
« Par leur combat politique, unis à la base sur leurs revendications, en engageant l'action, les instituteurs de la Seine‑Saint‑Denis ont réussi partiellement à imposer le front unique, à faire jouer aux organisations le rôle pour lequel la classe ouvrière les a construites, contre ce qu'affirmaient les dirigeants, qui, parce que toute leur politique est tendue vers le maintien en place de ce gouvernement, prétendaient que ces revendications étaient irréalistes. Par la méthode de la démocratie ouvrière, lui donnant son plein contenu dans le combat de classe, ils ont arraché la victoire. Ils ont appris dans ce combat qu'ils peuvent, en décidant eux‑mêmes, en s'organisant Par le comité de grève, unissant tous les personnels, contraindre les dirigeants. C'est une leçon d'importance pour toute la classe ouvrière de ce pays. Dans cette bataille se sont renforcés et dans certains cas constitués, à l'initiative et par le combat politique des militants de l'OCI, comme instruments politiques nécessaires au combat pour le front unique, les comités unitaires de base à Aulnay, aux Lilas, à Aubervilliers, Sevran, Pantin. »
Mais, en cette année 1976, la crise du régime s'accentue brutalement : la coalition Giscard‑Chirac se rompt. Elle était un colmatage de la fissure entre l'UDR ‑ cette société du 10 décembre de la V° République ‑, dont les positions clés dans l'appareil d'État étaient de plus en plus mises en cause, et ce qui allait devenir l'UDF. Giscard d'Estaing et son équipe politique investissent à leur tour l'État. La rupture a été provoquée par les résultats des élections cantonales , les grèves, la proximité des élections municipales et, un an et demi plus tard, des élections législatives . La déroute est en vue, et chacun s'efforce de tirer son épingle du jeu. Chirac se refuse à prendre en charge la politique d'« austérité » que la crise économique rampante exige. Ce sera au nouveau gouvernement Giscard‑Barre d'en assumer la responsabilité. En même temps, I'UDR ne peut casser la « majorité » à l'Assemblée nationale sans précipiter la catastrophe. Barre, présenté comme un « technicien », sera donc assisté de trois ministres d'État « politiques », Poniatowski, Lecanuet et Guichard.
Une fois encore, les appareils vont s'employer à désamorcer une explosion possible à la suite de l'accentuation de la crise du régime et de l'annonce du « plan Barre ». Le PS et le PCF continuent à considérer comme parfaitement légitime cette majorité de députés UDR et giscardiens minoritaires dans le pays, et ils le disent. La CGT, la CFDT et la FEN appellent en commun à une grève nationale le jeudi 9 octobre contre le plan Barre. Mais c'est le 17 octobre que l'Assemblée nationale prendra position sur une motion de censure PS‑PCF, qui n'obtient que 181 voix, alors que la majorité absolue est de 242 voix. Les dirigeants du PS et du PCF se sont bien gardés d'appeler à manifester ce jour‑là devant et contre l'Assemblée nationale. En conséquence, le plan Barre est adopté.
En suite de quoi, une série de grèves tournantes disloque la possibilité d'un véritable combat. D'autres mouvements sont, au cours de cette fin d'année, sabotés par les appareils.
Aux Chantiers de Saint‑Nazaire, la direction refuse de renouveler les accords salariaux qui garantissaient la parité des salaires pratiqués dans cette entreprise avec ceux pratiqués dans la métallurgie parisienne. Pour prévenir un mouvement qui s'amorce, les dirigeants CGT, CFDT et FO décident d'organiser des débrayages tournants et l'occupation du « Bellamya ». Ils provoquent le lock‑out et finalement capitulent devant la direction. Les dirigeants syndicaux isolent un autre mouvement important qui dure trois mois, celui de la Caisse d'épargne de Paris, et provoquent sa défaite.
La préparation des élections municipales étale alors au grand jour la crise de la V° République. Chirac transforme l'UDR en RPR. La lutte pour la municipalité de Paris est féroce. Chirac annonce sa candidature à la mairie de Paris contre Dominati, candidat de Giscard d'Estaing. Conjointement à l'affirmation de la crise du régime, la déconfiture électorale s'accentue et, surtout, s'affirme la poussée du PS et du PCF. En ce qui concerne les villes de plus de 30 000 habitants, les listes de la « majorité » obtiennent 46,5 % des suffrages, les listes que dirigent le PS et le PCF obtiennent 51,5 % des suffrages. La signification politique est sans équivoque : si tout se passe « normalement » aux élections législatives de l'année suivante, les partis de la V° République seront écrasés en voix et en élus, la V° République s'effondrera, la crise révolutionnaire sera ouverte. Le désarroi est total au sommet de la V° République. Un nouveau gouvernement Barre est constitué, mais dont la « base » se réduit : les ministres d'État Poniatowski, Lecanuet et Guichard disparaissent. La question de la dissolution de l'Assemblée nationale se pose ouvertement devant tous.
Des mouvements importants se produisent. Sous l'impulsion de l'OCI un combat est engagé dès le deuxième trimestre de l'année scolaire 1976‑1977 contre les décrets parus au « Bulletin officiel » de décembre 1976, qui signifient, s'ils sont appliqués, le licenciement de 10 000 maîtres auxiliaires à la rentrée de septembre 1977. Un rassemblement national se tient le 6 mars. Il appelle les enseignants du secondaire et des CET à une grève le 15 mars. 6 000 grévistes. C'est évidemment une minorité. Mais, dans ce cas, ils ouvrent une voie, celle de l'action et du combat unitaires pour la garantie d'emploi aux MA et aux MI‑SE. Le 16 mars, une coordination nationale des délégués des comités d'unité publie le texte suivant :
« Pour ces garanties, les MA, les MI‑SE, les enseignants dans les établissements ont commencé à réaliser l'unité. Ce qui est possible dans les établissements doit l'être nationalement.
Directions nationales des organisations syndicales, il est de votre devoir de réaliser l'unité pour que soit arrachée immédiatement la garantie d'emploi pour tous.
Les actions engagées démontrent que le personnel enseignant attend les décisions d'action unie jusqu'à satisfaction totale de notre revendication unanime : garantie d'emploi pour tous ! »
En quelques jours, 19 000 signatures sont recueillies sur cet appel. Le 17 avril, une nouvelle coordination se tient et lance l'appel suivant :
« Les MA disent : pourquoi les propositions d'action ne sont‑elles pas unifiées ?
Est‑il possible qu 'au niveau des directions nationales l'unité ne se réalise pas ?...
Grèves tournantes, division, journées d'action sans lendemain ? Les enseignants n'en veulent plus ! ( ... ) Nous nous sommes mis d'accord pour proposer aux dirigeants des syndicats une action générale unitaire et efficace :
MARCHE NATIONALE SUR PARIS ! »
Ce sont aussi les dockers du port de Dunkerque qui décident la grève générale jusqu'à satisfaction de leur revendication : maintien de la réglementation du travail sur le nouveau quai aux aciers, réglementation qui oblige à la présence de deux dockers lors de toute opération. Ils exigent également que ce quai soit exploité comme un quai public et commercial, et que les salaires qui y seront pratiqués soient ceux du port de commerce. Le syndicat du port de Dunkerque dirige la grève. Tous les dockers sont syndiqués. Pourtant, les dockers élisent leur comité de grève. En fait, une lutte ouverte oppose la fédération CGT des ports et docks, le bureau confédéral que Krasucki représente, et la direction du syndicat des dockers du port de Dunkerque. La direction de la CGT est pour l'acceptation de la réglementation qu'Usinor veut imposer. Les dockers sont victorieux.
Le 24 mai, l'ensemble des centrales ayant conjointement appelé à une grève générale de vingt‑quatre heures, la grève est totale.
Pour l'appareil stalinien, il faut à tout prix briser le processus qui se développe. Ce sera d'abord la conclusion du « mouvement » des travailleurs du « Parisien libéré ». Après deux ans d'« actions rodéo », de solidarité financière opposée à la grève générale de la corporation, un accord est signé entre la fédération du livre CGT, le patron d'alors du « Parisien libéré » et le gouvernement, accord qui est une pure et simple application des projets patronaux de rationalisation, de déqualification, de licenciements.
Mais l'essentiel est à ce moment d'empêcher à tout prix la défaite des partis de la V° République aux élections législatives. La direction du PCF engage l'attaque qui aboutira à la rupture avec le PS, le prétexte invoqué étant la nécessité d'une « réactualisation du Programme commun ». Voici comment « La Vérité » n° 579 (décembre 1978) apprécie la politique du PCF :
« Une majorité de députés du PCF et du PS à la prochaine Assemblée nationale est du domaine du possible.
Mais ce serait un double échec de la politique de l'« Union de la gauche ». Premièrement : défaite des partis de la V° République que l'« Union de la gauche » conforte. Deuxièmement : la ligne de retraite de la constitution d'un gouvernement d'Union de la gauche qui subordonne le prolétariat à la bourgeoisie, au travers de ses partis, deviendrait difficile à défendre et à tenir. Le vote classe contre classe ‑ au premier tour vote pour le parti ouvrier de son choix, au deuxième tour désistement pour le candidat du parti ouvrier ayant obtenu le plus de voix au premier tour, report de toutes les voix sur lui ‑, en permettant que soit élue une majorité de députés du PS et du PCF, porterait le coup final à la V° République agonisante. La crise révolutionnaire s'ouvrirait. Porter au pouvoir un gouvernement du PS et du PCF sans ministres représentant des organisations et partis bourgeois découlerait logiquement du résultat des élections.
Dès lors que cette éventualité devenait vraisemblable et proche, la direction stalinienne du PCF se lançait, sur l'ordre du Kremlin, à corps perdu dans la bataille pour éviter par tous les moyens la défaite des partis intégrés à la V° République et pour empêcher à tout prix qu'une majorité de députés du PCF et du PS soit élue aux prochaines élections législatives. La bureaucratie du Kremlin apportait son soutien ouvert au gouvernement Giscard‑Barre en recevant ce dernier à Moscou, et ensuite le ministre Bourges. Brejnev déclarait espérer recevoir Barre à Moscou l'année suivante, c'était dire qu'il souhaitait la victoire des partis de la VI République aux prochaines élections. Aux dirigeants du PCF revenait la tâche de chercher et de trouver un prétexte pour rompre avec le parti socialiste. Ce prétexte, ce fut l’"actualisation du Programme commun." »
Dès lors, les dirigeants du PCF engagent une campagne forcenée de division contre le PS, accusé d'être responsable de tous les maux, de trahir le « Programme commun de gouvernement ». A la conférence nationale du PCF qui se tient les 7 et 8 janvier 1978, Marchais affirme :
« Si la politique poursuivie par le Parti socialiste était mise en œuvre non seulement il n'y aurait pas de changement, mais les conditions seraient créées pour que la bourgeoisie aggrave encore sa politique d'austérité et d'inégalité avec plus de commodité pour elle. C'est ce qui se passe avec les gouvernements social-démocrates de Grande‑Bretagne, d'Allemagne fédérale, et d'ailleurs. »
Le PCF refuse de s'engager au désistement automatique au second tour. De toutes ses forces, l'appareil stalinien conforte Giscard‑Barre, Chirac, la V° République et ses institutions, et il dit : mieux vaut Giscard d'Estaing, l'UDF, le RPR, que le PS et François Mitterrand. Evidemment, il faut empêcher la classe ouvrière de se mobiliser, de combattre et de vaincre selon ses propres méthodes de lutte, dont la grève. L'appareil stalinien de la CGT, épaulé par la CFDT, impose une fois encore au mois de décembre 1977 les grèves tournantes disloquantes à l'EDF, où se pose la question des salaires, les électriciens et gaziers n'acceptant pas l'accord salarial que FO a signé. A la SNCF, les fédérations CGT, CFDT, CGT‑FO, CFTC liquident par une grève étalée sur trois jours, les 9, 10 et 11 décembre, la résistance à la conduite par un seul agent. Le gros oeuvre est accompli chez Michelin, où le mouvement spontané des travailleurs a réalisé la grève des usines de Clermont‑Ferrand contre le travail le samedi matin, que la direction veut réintroduire, et la reprise du travail le dimanche à 22 heures ‑ le semi‑continu.
Les travailleurs de chez Michelin ne se sont pas dotés d'un organisme centralisant et dirigeant leur grève. C'est la faiblesse du mouvement. L'appareil, lui, reste centralisé, et il est sûr dans ces conditions de rétablir son contrôle. C'est ce qui se produit. Au bout de dix jours, l'appareil stalinien de la CGT, flanqué de la CFDT, liquide la grève.
Malgré tout, au premier tour des élections législatives de 1978, une majorité de voix se porte sur les candidats du PS et du PCF. Cependant cette majorité est limitée et, compte tenu du découpage électoral, compte tenu du fait que le PCF n'appelle que dans la soirée du 13 mars au désistement en faveur du PS là où les candidats socialistes devancent au premier tour ceux du PCF, le RPR et l'UDF, minoritaires dans le pays, obtiennent la majorité en députés élus à l'Assemblée nationale. Le désastre immédiat est évité.
Deux ans se sont écoulés depuis les élections législatives de mars 1978. Le recul du temps permet de mieux constater que la classe ouvrière n'a pas subi de défaite politique à ce moment. Au moment même des élections, une grève de la Caisse d'allocations familiales de Paris avait lieu. Elle s'est poursuivie après les élections. Elle a duré soixante‑six jours. Quelques semaines plus tard, les machinistes de la RATP débraient spontanément pour arracher leurs revendications. 19 dépôts sur 22 s'engagent dans la grève. Mais, une fois encore, les machinistes ne sont pas dotés d'un organisme qui centralise et dirige leur grève, assure son unité. Les appareils CGT, CFDT, FO et Autonomes ont les mains libres. Ils sont sûrs d'être en mesure de disloquer et de liquider la grève à un moment ou à un autre.
Immédiatement après les élections législatives, d'autres importants mouvements : une nouvelle grève des OS de Renault‑Flins, la grève des travailleurs des arsenaux.
La grève des arsenaux commence à l'initiative des ouvriers de l'Arsenal de Brest le 12 juin. La fédération FO lance l'appel à la grève générale des arsenaux. Elle s s'étend aux 100 000 travailleurs des arsenaux qui réclament le retour à la parité entre leurs salaires et ceux de la métallurgie de la région parisienne. L'OCI diffuse un appel qui reçoit 850 signatures :
« Nous demandons que, dans l'unité, avec nos organisations syndicales et à leur appel, puisque c'est de Paris que Raymond Barre et Yvon Bourges prétendent nous imposer leur loi en s'appuyant sur l'Assemblée nationale truquée, les syndicats réalisent l'unité pour appeler tous les travailleurs de tous les arsenaux à manifester le même jour au Palais-Bourbon, et pour cela organisent la montée en masse sur Paris. »
Là encore, en l'absence d'une direction centralisée de la grève, incluant les syndicats mais représentation des travailleurs en lutte, les appareils parviennent à liquider la grève sans que satisfaction ait été arrachée. C'est au cours de ce mois que la question de Manufrance est ouvertement posée. A l'initiative de l'OCI, 4 620 travailleurs de Saint‑Étienne signent l'appel que contresignent plusieurs dizaines de milliers de travailleurs :
« Sur quel objectif combattre ?
Il y a la politique des manifestations tous azimuts dans Saint‑Etienne, la politique des manifestations tenues éloignées du centre des décisions gouvernementales et de son Assemblée nationale désavouée.
Il y a la politique des délégations restreintes, qui n'ont pas empêché le gouvernement capitaliste d'avancer sur la voie des licenciements à Manufrance. C'est cette politique qui a permis la liquidation du "Parisien libéré ".
Il y a les 4 620 travailleurs de Saint‑Etienne qui demandent l'unité pour la montée en masse sur Paris contre l'Assemblée nationale.
Que craint le patron Gadot‑Clet ? Que craignent les capitalistes ?
Ce que les capitalistes et leur gouvernement craignent par‑dessus tout, c'est que se réalise l'unité des travailleurs et de leurs organisations contre leur politique dévastatrice.
Ils savent qu'ils sont en minorité.
L'unité des organisations ouvrières pour aller, de toute la France, par milliers, à Paris, pour signifier à ce gouvernement : "C'est assez !", c'est la volonté des masses laborieuses de ce pays, qui refusent de s'incliner devant ce gouvernement et qui veulent le combattre.
C'est la volonté du 12 mars faut l'organiser ! Travailleurs, jeunes, nous nous adressons à vous.
Reprenez tous notre appel.
Signez‑le tous.
Faites‑le signer.
Rejoignez les comités pour l'unité pour que les dirigeants prennent en compte ce que nous voulons tous :
Que les dirigeants réalisent un accord sur un objectif de combat uni et centralisé contre le troisième gouvernement Barre et sa cascade de mesures anti-ouvrières. »
Saint‑Etienne, le 16 juin 1978.
Sur le plan électoral, la poussée de la classe ouvrière et des masses populaires a de nouveau l'occasion de se manifester.
Le Conseil constitutionnel a invalidé cinq élections. A la fin de l'été et au début de l'automne 1978, cinq élections partielles ont donc lieu : cinq défaites écrasantes du RPR, de l'UDF et donc de Giscard d'Estaing; quatre députés du PS, un du PCF, sont élus; de La Malène (RPR), J.‑J. Servan‑Schreiber (UDF) sont battus. Partout, le PS et le PCF dépassent 50 % des voix, 58 % à Nancy. Le PS est le grand bénéficiaire en élus et en voix.
Cette poussée si politiquement significative s'accentue encore aux élections cantonales de mars 1979 : au premier tour, les candidats PS et PCF totalisent 55,11 % des suffrages exprimés. La poussée particulière du PS se confirme et s'accentue.
La crise politique de domination de classe de la bourgeoisie, la faillite du régime politique de la V° République se renforcent d'autant mais, de plus, elles se conjuguent aux contradictions générales de l'impérialisme, et notamment sur le plan économique. Si bien que, malgré sa crise, en dépit des rapports de forces entre les classes et en fonction de la logique du système politique et des impératifs économiques du capital, le gouvernement Giscard-Barre engage une offensive économique sans précédent depuis des décennies contre la classe ouvrière, la jeunesse et les masses exploitées: c'est une offensive tous azimuts qui vise à organiser la baisse du pouvoir d'achat, des centaines de milliers de licenciements, la polyvalence, la déqualification, le démantèlement de l'enseignement, de la santé, de la Sécurité sociale, etc.
Une contradiction véritablement explosive ne cesse de croître. D'une part, il y a la tendance du mouvement des masses à réaliser et à imposer l'unité, à en finir avec le gouvernement Giscard‑Barre, cette Assemblée nationale, la V° République. Cette tendance s'exprime aussi bien au cours de grèves, de mouvements réels que les travailleurs et les jeunes parviennent à réaliser, sans être encore cependant en mesure de les pousser jusqu'au bout, qu'au travers des résultats électoraux. Il y a la crise mortelle du régime. D autre part, il y a cette offensive sans précédent contre les masses.
Cette contradiction est aujourd'hui contenue uniquement par la politique des appareils syndicaux et des partis ouvriers, que la politique du PCF et de l'appareil stalinien ordonne. Il faut qu'ils aillent plus loin dans le sabotage des luttes ouvrières, dans la division. Ils doivent aller jusqu'à prendre directement en charge l'application de la politique d'agression contre les masses du gouvernement et de la bourgeoisie.
Se rendant parfaitement compte de cette contradiction explosive, au lendemain des élections législatives Giscard d'Estaing a proposé l'« union nationale ». Mais les rapports politiques entre les classes et à l'intérieur des classes n'ont pas permis sa mise en oeuvre. Le Parti socialiste ne peut participer au gouvernement de la V° République, ou même le soutenir, sans se condamner, se disloquer, se liquéfier. L'expérience Mollet a été significative. Si une telle expérience était renouvelée, la dislocation du PS irait infiniment plus vite. Le PS est un parti ouvrier‑bourgeois adapté à un régime parlementaire et non au bonapartisme. En outre, du point de vue de la bourgeoisie, le PS est une roue de secours indispensable, un recours nécessaire pour le moment inéluctable où la V° République s'effondrera et où s'ouvrira la crise révolutionnaire.
Mais, même du point de vue des rapports avec la classe ouvrière, l'« union nationale » ouvertement proclamée, comme au moment de la Libération et après, est impossible. Le PCF, l'appareil de la CGT ne peuvent dire à la classe ouvrière, à la jeunesse, aux masses : « Nous participons ou nous collaborons au gouvernement : il faut produire d'abord, la grève est l'arme des trusts. » C'est d'une tout autre façon qu'il leur faut prendre en charge la défense du régime et la mise en place de la politique du patronat et du gouvernement : par la division, en ayant recours à la bousille du combat réel, d'une mobilisation réelle de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses, au nom de «la lutte, la lutte », « l'action, l'action ». Pendant ces deux dernières années, le PCF et l'appareil de la CGT ont, sur cette ligne, réalisé des exploits.
La façon dont la résistance des métallurgistes au « plan acier », qui implique des milliers de licenciements, a été disloquée (démarches auprès des parlementaires UDF et RPR pour qu'ils ne votent pas le « plan acier » en octobre 1978; pseudo‑marche sur Paris le 23 mars 1979) est un exemple du genre. Le cas de Manufrance en est un autre, comme également la liquidation au bout de cinquante‑huit jours de la grève des ouvriers de l'Aisthom‑Belfort du 27 septembre au 26 novembre 1979. L'appareil stalinien de la CGT s'efforce de neutraliser la classe ouvrière en organisant une infinité de grèves tournantes ‑ dont il est impossible de tenir la comptabilité ‑, en se faisant le champion de la division syndicale, ce qui convient parfaitement aux appareils des autres centrales syndicales. Ensemble, ils coopèrent avec le patronat et signent de nombreux accords liquidant l'enseignement professionnel, instituant par l'établissement de la classification par niveaux la polyvalence et la déqualification, discutant avec lui de l'établissement de l'horaire annuel, du travail à mi‑temps, des horaires variables. Ensemble, ils désarment la classe ouvrière et donnent tous les moyens au gouvernement de « réformer la Sécurité sociale », d'instituer les stages des élèves et des enseignants en entreprise et, inversement, la pénétration des agents du patronat dans l'enseignement, etc.
La clé de voûte de ce dispositif est néanmoins la politique de division que pratique la direction du PCF contre le PS. La raison est évidente, il faut boucher à la classe ouvrière toute perspective politique, pour que le gouvernement Giscard‑Barre, l'Assemblée nationale et la V° République dont la situation s'est encore aggravée au cours de l'année 1979 survivent. Quelle que soit son habileté, l'appareil stalinien n'a pu empêcher les explosions politiques où les travailleurs ont affronté les CRS, l'appareil d'État, à Saint‑Chamond, Nantes, Valenciennes, Longwy, Denain. Les élections cantonales lui ont porté un nouveau coup. Giscard d'Estaing en a témoigné :
« Il a fallu beaucoup de doigté, beaucoup d'attention cet hiver, au moment des tensions les plus extrêmes, pour éviter que la société française se déchire. »
La crise de la V° République est devenue purulente : les scandales de toute sorte, de toute nature, éclaboussent les plus hauts personnages du régime, de Giscard d'Estaing à son ami Poniatowski. Plus important encore que leur existence est le fait qu'ils soient révélés fort opportunément par la presse, ce qui situe les rapports existant à l'intérieur et jusqu'au sommet de l'appareil d'État. La session de l'Assemblée nationale de l'automne 1979 a été celle de l'utilisation massive de l'article 49‑3. Ministres ou anciens ministres se suicident ou sont assassinés. Et, pendant ce temps, la marche à la crise économique s'accélère : hausse des prix, chômage, etc. C'est au niveau de l'Assemblée nationale, de la question du gouvernement, qu'il faut absolument boucher toute perspective à la classe ouvrière, à la jeunesse, aux masses exploitées. Il faut donc affirmer et réaffirmer la légitimité de cette Assemblée nationale, en dépit des règles démocratiques les plus élémentaires. Il faut conjointement dénoncer le PS, diviser sur le terrain immédiatement politique. En fin de compte, cela conditionne la possibilité de bloquer et de disloquer tout combat réel de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses exploitées. Assurer la pérennité de la V° République et de ses institutions, là est l'essentiel.
Il faut revenir directement à la question de la grève générale et comprendre la signification de ce que Rosa Luxemburg a écrit :
« Ce n'est pas la grève en masse (la grève générale) qui produit la révolution, c'est la révolution qui produit la grève en masse. »
En France, aujourd'hui, c'est parce que la question du gouvernement se pose directement et de façon brûlante, c'est parce que la crise de la V° République atteint son point extrême, c'est parce que la crise révolutionnaire est imminente que la question de la grève générale est à l’ordre du jour pour achever ce que la grève générale de mai-juin 1968 a commence : en finir avec la V° République, engager le processus révolutionnaire.
La grève générale qui se prépare s'est élaborée, préparée, et continue à s'élaborer dans tous les mouvements de la lutte des classes, au travers de tous les rapports politiques qui, partant de la grève générale de mai-juin 1968, se sont développés au cours de la longue agonie de la V° République.
Une chose est certaine, elle jaillira du plus profond des masses, de leur « spontanéité », en submergeant les appareils, les obstacles qu'ils dressent, leur politique. Dans une certaine mesure, ce sont les appareils, et plus particulièrement l'appareil stalinien de la CGT, le PCF, qui préparent la grève générale. Le soutien frénétique qu'ils apportent à Giscard‑Barre et à la V° République, et leur collaboration étroite avec le capital exigent qu'ils bouchent toutes les issues à la classe ouvrière et à la jeunesse. Ainsi bloquent‑ils la voie électorale. Les masses ont cependant conscience que dans chaque scrutin se dégage une majorité PS‑PCF. Elles en concluent d'abord qu'il faut en finir avec la division; ensuite, que ce régime est antidémocratique; enfin, qu'il leur faudra employer leurs propres méthodes et moyens, leurs propres formes d'action pour réaliser leur unité, imposer le front unique, en finir avec ce gouvernement, ce régime, arracher leurs revendications, porter au pouvoir « leur » gouvernement. Ces méthodes, ces moyens, ces formes d'action se concentrent à un moment donné dans la grève générale. Les appareils, particulièrement l'appareil stalinien de la CGT, disloquent, liquident les mouvements, les grèves réelles. Ils le peuvent car ils sont, eux, organisés et centralisés. La classe ouvrière apprend à ses propres dépens que débrayer, réaliser « spontanément » la grève, engager le combat ne suffit pas, qu'il faut l'organiser, le centraliser, constituer une direction placée sous son contrôle : c'est à partir de cette expérience que se constitueront les comités de grève, d'organisation et de direction du combat, et cela à tous les niveaux. Avec la grève générale de mai-juin 1968 et après elle, la classe ouvrière, la jeunesse, les masses exploitées ont accumulé une expérience politique d'une richesse inouïe. C'est elle qui jaillira sous l'apparence de la pure « spontanéité » lorsque la classe ouvrière se rassemblera comme classe contre les exploiteurs dans la grève générale.
C'est dire que la grève générale se prépare dans le quotidien. Le XIX° de l'OCI qui se tenait en juin 1974 lançait la formule : « préparer la révolution, se préparer à la révolution ». Sur cette ligne, l'OCI s'est totalement engagée. Elle s'est engagée à chaque fois qu'il lui était possible dans la préparation et le développement des luttes efficaces de la classe ouvrière et de la jeunesse. Elle s'est engagée en d'importantes campagnes politiques nationales. Bien sûr, il n'est pas possible ici de suivre pas à pas cette action politique dans chacune de ses manifestations. Mais il faut rappeler que, dès 1974, l'OCI s'engageait dans une vaste campagne d'agitation et d'organisation politique pour que le PS et le PCF s'unissent et appellent les masses à imposer la dissolution de l'Assemblée nationale.
Le thème central de toute l'action politique de l'OCI a été : rupture avec la bourgeoisie; sur tous les terrains, front unique des partis ouvriers pour en finir avec la V° République, son président, son gouvernement, son Assemblée nationale, ses institutions, et pour porter au pouvoir un gouvernement PS‑PCF sans ministre bourgeois; aider à dégager l'initiative des masses. A la fin de l'année 1977 et jusqu'à la veille des élections législatives de 1978, l'OCI est à l'initiative d'une vaste campagne pour exiger du PCF qu'il s'engage à se désister pour les candidats du PS au second tour là où ses candidats arriveraient après eux au premier tour. Au début de l'année 1980, l'OCI prend une nouvelle initiative nationale : une lettre ouverte à François Mitterrand et à Georges Marchais. Elle leur dit :
« Vous le savez mieux que personne, la Constitution de 1958‑1962, que vous avez dénoncée à l'époque comme antidémocratique, a transformé le Parlement dont vous vous réclamez en un Parlement croupion.
Ainsi, non seulement la démocratie parlementaire est un leurre sous le régime de la V° République, mais le recours multiplié à l'article 49‑ter démontre avec éclat que le président de la République, de qui procède en dernière analyse la loi, n'a même plus le soutien de la partie RPR de sa fausse majorité.
S'opposer réellement dans les faits à l'utilisation par Giscard‑Barre d'un pouvoir arbitraire, c'est respecter la démocratie.
Mais comment cela est‑il possible avec la division ? »
Les militants de l'OCI et de la LCI ont rassemblé sur cette lettre 85 000 signatures. Ils ont constitué des comités d'initiative et d'unité et préparé une conférence nationale de ces comités. Elle s'est tenue les 15 et 16 mars 1980. Mesurant les aspirations de la classe ouvrière, un délégué a dit :
« Nos revendications ? Il y en a des centaines et il n'y en a qu'une : il faut renverser le gouvernement. »
Aucune revendication n'est négligeable. Toutes doivent être arrachées. La revendication qui les concentre toutes est celle du renversement du gouvernement ! Arracher les revendications dépend totalement d'une orientation qui s'inscrit dans le combat politique pour en finir avec le gouvernement. C'est pourquoi les grèves de masse, la grève générale sont à l'ordre du jour. Mais c'est aussi pourquoi le combat politique pour que se réalise le front unique des organisations ouvrières et particulièrement des partis ouvriers, le PS et le PCF, puisqu'il faut en finir avec le gouvernement Giscard‑Barre, la V° République et ses institutions et mettre au pouvoir un gouvernement de ces partis sans représentants des organisations et partis bourgeois, est aussi à l'ordre du jour.
Plus haut, cet article a souligné combien les illusions des masses sur la grève générale se suffisant à elle-même les ont désarmées et ont laissé les mains libres aux appareils pour disloquer. et liquider la grève générale de mai-juin 1968. Il faut également rappeler que, plus ou moins nettement, l'OCI a partagé cette illusion. C'est ainsi que si l'OCI a mis au centre de son combat politique la préparation de la grève générale avant mai‑juin 1968, si au cours de la grève générale elle a combattu pour la constitution du comité central de la grève générale, elle n'a pas mis au centre de cette activité la réalisation du front unique entre la SFIO et le PCF pour renverser le gouvernement, elle n'a pas lutté avec suffisamment de force au cour de la grève générale pour un gouvernement de la SFIO et du PCF.
Tout le mouvement, toutes les aspirations, toute l'expérience politique de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses, sont en contradiction avec la politique des appareils de soutien au gouvernement, à sa politique, à la V° République, que le PCF et l'appareil stalinien de la CGT ordonnent.
Pourtant, d'autant plus qu'il s'agit du prolétariat dans son ensemble, et non d'une couche de militants ou même de travailleurs plus ou moins» politisés » (comme certains disent), qu'il s'agit de sa mobilisation comme classe contre la bourgeoisie comme classe, ce mouvement, ces aspirations, cette expérience les amènent à vouloir intensément la réalisation du front unique entre les organisations ouvrières qui les organisent, ou dont elles estiment qu'elles les représentent (bien ou mal) politiquement. Pour arracher n'importe quelle revendication, pour s'engager dans n'importe quel combat réel, les travailleurs ressentent la nécessité du front unique de leurs direction de organisations et le veulent. A bien plus forte raison lorsqu'il s'agit de la revendication des revendications, en finir avec ce gouvernement, laquelle appelle la question : quel autre gouvernement porter au pouvoir ? C'est pourquoi le mouvement vers la grève générale et pour résoudre la question gouvernementale est également le mouvement pour réaliser le front unique des organisations ouvrières, particulièrement entre le PS et le PCF. L'action politique en vue de préparer la grève générale, « le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs », a en son centre la lutte politique pour la réalisation du front unique des organisations ouvrières, particulièrement des partis ouvriers.
La Conférence nationale des comités d'initiative et d'unité des 15 et 16 mars 1980 a tout centré sur l'action politique pour la réalisation du front unique entre le PS et le PCF. Ainsi s'insère-t-elle dans la préparation de la grève générale. Il n'y a nulle opposition entre l'action politique pour la de grève pour diriger directement la réalisation du front unique et l'affirmation que la grève générale se réalisera par le mouvement du prolétariat lui-même. Car, encore une fois, la « spontanéité » des masses est historiquement déterminée, elle se développe dans une direction : réaliser leur unité, réaliser le front unique de leurs organisations. Les travailleurs constituant leurs comités de grève se dotent d'organismes qui les représentent, dirigent leurs combats, et dans ce sens réalisent leur unité, mais qui, pour réaliser leur unité, englobent leurs organisations. Ainsi que Trotsky l'a expliqué, les soviets sont le parlement et l'exécutif des masses, ils sont aussi la plus haute expression de la réalisation du front unique ouvrier.
La grève des instituteurs de Paris du mois de mars a illustré ce rapport. Les instituteurs ont engagé la grève de leur classe, ce mouvement, ces aspirations, propre initiative, ils ont commencé à constituer des comités de grève, en même temps qu'ils exigeaient des dirigeants du SNI que le syndicat joue son rôle en appelant à. la grève. La direction de la section départementale de Paris a appelé à la grève limitée à deux jours, les lundi 10 et mardi 11 mars, et à une manifestation pour le mardi 11. Des milliers et des milliers d'instituteurs ont manifesté. Mais alors que la section parisienne du SNI voulait diriger la manifestation vers l'Hôtel‑de‑Ville, les instituteurs sont allés au ministère, chez Beullac. Ensuite, des centaines et des centaines d'instituteurs sont allés au siège du SNI, dire aux dirigeants :
« Assez de journées d'action ! Grève générale jusqu'à satisfaction ! Dirigeants, appelez ! »
A la conférence des comités d'initiative et d'unité des 15 et 16 mars, un intervenant soulignait :
« Il y a dans cette grève l'expression d'ensemble de la politique que nous devons mettre en œuvre. Les instituteurs se lancent dans la bataille en élisant leurs comités de grève et s'adressent à leurs dirigeants. La grève générale est la seule possibilité de vaincre ce gouvernement sur le terrain de la lutte des classes. Comment cette possibilité peut-elle devenir réalité ? Il y a un même mouvement des travailleurs constituant leur comité de grève, et posant la question de la responsabilité des dirigeants.
Nous n'avons bien sûr aucune illusion, les dirigeants savent ce qu'ils font. Cependant, en posant la question de la grève générale, les instituteurs s'adressent non seulement à l'ensemble de leurs collègues, ouvrant la voie du combat contre le ministère, mais encore, au‑delà, ils expriment au niveau le plus élevé le mouvement de toute la classe ouvrière. En posant le problème de la responsabilité des dirigeants, les instituteurs, par leur grève, appellent les travailleurs dans leur ensemble à combattre pour se saisir de leurs organisations, à donner par là encore une réponse à la question clé : s'unir pour renverser le gouvernement, s'unir pour un nouveau gouvernement, un gouvernement des partis ouvriers sans ministre bourgeois. »
Diverses grèves ont eu le même sens que celle des instituteurs parisiens, notamment dans les PTT. A Carcassonne, à Montpellier, les préposés ont imposé l'unité, leur mouvement a été victorieux. Au centre de tri du PLM, le personnel a imposé la grève. Les dirigeants se sont opposés à l'assemblée générale de toutes les brigades pour unifier la grève, comme ils ont refusé d'appeler les personnels à manifester ensemble à la direction des services des ambulants responsable de la modification des roulements et des effectifs. Finalement, ils ont réussi à briser la grève.
Pour casser le mouvement des instituteurs et des enseignants, les dirigeants du SNI, du SNES, de la FEN ont programmé des grèves tournantes. Pourtant, la volonté d'unité et de grève générale des enseignants a fait de la grève de 48 heures des 24 et 25 avril une démonstration nationale d'une puissance inégalée depuis douze ans. La question qui se pose est évidemment : et maintenant ? La réponse de « L'Humanité » est : replonger dans les grèves tournantes, les journées d'action. Celle des dirigeants de la FEN et du SNI n'est pas encore connue. Celle des centaines de milliers d'enseignants, qu'il s'agit de formuler, n'est pas douteuse : « Assez de journées d'action ! Grève générale jusqu'à satisfaction ! Dirigeants, appelez ! »
Ces exemples illustrent comment se combinent l'initiative des masses qu'il s'agit de dégager, et l'aspiration à la réalisation du front unique qu'il s'agit d'imposer. Ils illustrent aussi coin, ment se combinent les grèves réelles dans une entreprise, une corporation, et la préparation de la grève générale. Le dénominateur commun de tout ce processus ne peut être que politique. Il doit joindre réalisation du front unique pour en finir avec le gouvernement, cette Assemblée nationale, pour porter au pouvoir un gouvernement des partis ouvriers sans ministre bourgeois, et combat pour les revendications, ouverture d'une voie pour l'initiative des masses.
Ces extraits d'un tract de l'OCI donnent ainsi qu'une épure la ligne de combat qui prépare la grève générale :
« L'Assemblée nationale va siéger à partir du 2 avril. L'Assemblée nationale va "adopter " cette loi en mai. (Il s'agit de la loi Berger‑NDLR)
Les députés du PCF et du PS feront, sans l'ombre d'un doute, des discours où ils condamneront la loi. Ils voteront contre la loi.
Et la loi passera néanmoins, l'expérience le prouve !
Pourquoi les dirigeants du PCF et du PS n'appellent‑ils pas des millions de travailleurs à manifester, dans l'unité, contre l'Assemblée nationale le jour du vote de la loi Berger ?
84 000 travailleurs et jeunes ont signé la lettre d'unité à G. Marchais et F. Mitterrand.
Des millions de travailleurs veulent en finir avec ce gouvernement.
Unité PCF‑PS !
Ce gouvernement veut faire adopter la loi Berger en mai !
Il y a urgence !
Unité des travailleurs et des organisations pour la manifestation centrale le jour du vote de la loi Berger !
Dirigeants du PCF et du PS, appelez à manifester !
Nous irons manifester dans l'unité contre la loi Berger, contre l'Assemblée nationale ! »
Le rapport préparatoire au XXIV° Congrès de l'OCI insiste :
« Plus le moment du dénouement de la crise politique en crise révolutionnaire approche, plus le levier de la "démocratie" utilisé comme nous venons de l'exposer devient décisif, mais plus l'OCI doit conserver strictement son caractère de classe, et ne pas laisser les revendications de classe se noyer dans la "démocratie" en général. »
D'une certaine façon, la politique de l'appareil stalinien, en évitant que la majorité en voix PS‑PCF se transforme en majorité en élus, se tourne en son contraire : les masses sont amenées à rechercher une issue sur leur propre terrain, avec leurs propres méthodes, dont la grève générale.
La ligne politique que les extraits du tract de I'OCI exprime fait appel aux aspirations démocratiques des masses, comme toutes les campagnes politiques que l'OCI a menées, plus particulièrement de juin 1974 (pour la dissolution de l'Assemblée nationale) jusqu'à l'automne 1977 (pour une majorité en voix et en élus des partis ouvriers aux élections de mars 1978) et, depuis, pour balayer cette Assemblée nationale dont la majorité de députés, couverture du gouvernement Giscard‑Barre, est minoritaire dans le pays. Cependant, elle ne fait aucune concession à la « démocratie en général »; tout au contraire, elle utilise le levier de la « démocratie » pour la réalisation du front unique, la mobilisation des masses sur leur propre plan, selon leur propre méthode, contre cette majorité d'élus à l'Assemblée nationale et ce gouvernement minoritaire dans le pays, qui organisent contre les masses une offensive sans précédent depuis des dizaines d'années. C'est pourquoi elle est la ligne directrice de la préparation de la grève générale, et de tout mouvement particulier pour les revendications qui s'insèrent nécessairement dans la préparation de la grève générale.
A sa manière, l'appareil stalinien témoigne de ce que la grève générale se prépare. Pour tenter de relancer les « journées d'action » les grèves tournantes et dislocantes, la direction de la CGT a dû faire référence au « tous ensemble » en la personne de Krasucki. Elle l'a fait pour saboter la préparation de la grève générale, comme elle « organise » des pseudo‑marches sur Paris pour saboter d'authentiques marches sur Paris. La première mesure de sabotage c'est l'accentuation de la politique de division, y compris la rupture avec la CFDT. La deuxième mesure a été de faire de la journée du 24 avril un salmigondis de mouvements partiels, de débrayages ici, de rodéos là, etc. Néanmoins, les rapports entre les classes sont tels que ces manœuvres de grand style ne font que souligner la nécessité du front unique aussi bien au niveau des centrales syndicales qu'au niveau des partis ouvriers, l'exigence d'aller véritablement vers la grève générale pour qu'il en soit ainsi, et que la classe ouvrière, la jeunesse, les masses exploitées s'en donnent les moyens.
Bien évidemment, l’OCI n'a pas une position objectiviste. Elle prépare la grève générale en rassemblant une avant‑garde : les meetings qui se tiendront à Paris et en province à la fin du mois de mai mesureront l'importance de la force que l'avant‑garde aura été capable de rassembler. De même, LOCI prépare la grève générale en se construisant elle‑même.
La grève générale qui se prépare sera nourrie de l'expérience politique que les masses ont acquise au cours de la grève générale de mai‑juin 1968 et depuis. Vraisemblablement, le besoin créant l'organe, des comités de grève surgiront, dans lesquels les dirigeants à tous les niveaux prendront place. Les masses tendront de toutes leurs forces à imposer l'unité des organisations ouvrières, syndicats et partis, à arracher l'ordre de grève générale, à réaliser le comité central de la grève générale. Elles voudront en finir avec le gouvernement et le régime politique actuels, porter au pouvoir un gouvernement de leurs partis, le PS et le PCF. Tout au moins, c'est sur cette voie qu'elles s'engageront_ Jusqu'où pourront‑elles aller ? Il n'y a pas de réponse à une telle question. Cela dépendra de multiples facteurs, dont le rôle que l'organisation qui construit le parti révolutionnaire sera en mesure et capable de jouer.
Encore faut‑il prendre garde que « grise est la théorie, vert est l'arbre de la vie », c'est‑à‑dire se garder des schémas pré‑établis. Il y a des lignes de développement et de multiples combinaisons et rapports concrets qui ne peuvent être prévus.
La grève générale se prépare, elle est d'ores et déjà en gestation. L'OCI combat pour la préparation de la grève générale, son élaboration dans la lutte politique et les processus concrets de la lutte des classes, parce qu'elle est « le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, le début classique de la révolution, ». Or la crise de la bourgeoisie amène inéluctablement à la crise révolutionnaire. L'OCI la prépare et s'y prépare. Mais elle sait que la grève générale ne se suffit pas à elle‑même, qu'elle s'intègre au processus révolutionnaire mais qu'elle n'en est qu'une composante. Elle n'idéalise pas la grève générale.
Enfin : la grève générale est en gestation; il faut la préparer et s'y préparer. Pourtant, il n'est pas écrit que c'est la grève générale qui en finira avec le gouvernement, cette Assemblée nationale, la V° République. Personne ne peut dire quel événement en finira avec eux, comment la V° République, déjà mortellement atteinte, finira. Par contre, il est sûr que, quelle que soit la forme immédiate, c'est en raison du processus de mobilisation des masses qui s'oriente vers la grève générale; il est sûr que la chute de la V° République ouvrira la crise révolutionnaire; grèves de masse, grève générale, manifestations se produiront alors inéluctablement à la manière dont elles se sont produites au cours de la révolution de 1905 en Russie, et en général dans tout mouvement et crise révolutionnaires, dans toute révolution prolétarienne.