1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

2

L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


Exemple de la Tchécoslovaquie et de la R.D.A.

La bureaucratie du Kremlin, les bureaucraties satellites, ont désespérément tenté de “ rattraper et dépasser ” la productivité du travail des pays capitalistes les plus développés, mais cela leur était impossible dans les limites d'une “ société socialiste isolée ”. C'est pourquoi elle n'était et ne pouvait être “ une société socialiste ”.

L'exemple de la Tchécoslovaquie est particulièrement illustratif, ainsi que celui de l'Allemagne de l'Est, précisément parce que leurs économies sont plus développées que celles des autres pays de l'Europe de l'Est.

L'industrie métallurgique, l'industrie mécanique tchèques étaient, avant la guerre, parmi les plus hautement qualifiées du monde. Aujourd'hui, leur retard technologique se situe, par rapport aux industries des pays capitalistes les plus développés, aux environs de vingt ans. En 1929, la part des exportations de la Tchécoslovaquie dans le revenu national s'élevait à 30 %. Elle est descendue de 12 à 14 % environ. Par contre, ce pays de 15 millions d'habitants produit 80 % de l'assortiment mondial de machines. Ce manque de spécialisation correspond à la conception de la construction du socialisme dans un seul pays, à l'impossibilité de l'approvisionner dans les pays hautement industrialisés. Le professeur Ota Sik, alors vice‑président du gouvernement, expliquait à la télévision, le 1er juillet 1968 :

“ ... S'il faut 186 kg d'acier pour une production de 1 000 dollars dans l'industrie métallurgique américaine, la même production en Tchécoslovaquie exige 435 kg d'acier. ”

Et encore :

“ ... Pour obtenir le même accroissement du revenu national il faut un investissement quatre fois plus élevé qu'ils y a dix ans. ”

Le résultat sur le plan économique s'est traduit brutalement au début des années 60.

La revue tchèque “ Hospedarwe Noviny ” situait l'augmentation du revenu national entre 1958 et 1963 ainsi :

1959+ 6 %
1960+ 8 %
1961+ 6,7 %
1962+ 1,4 %
1963‑ 3,7 %
“ De 1961 à 1963, la production agricole a connu une chute considérable (de l'ordre de 20 %), elle serait inférieure de près d'un quart à ce qu'elle était en 1936. ”

Depuis, la situation ne s'est pas améliorée. Elle résulte de la gestion bureaucratique et de la conception de la construction du socialisme dans un seul pays, non seulement en Tchécoslovaquie, mais encore des rapports qui, sur cette base, se nouent avec l'U.R.S.S. et les pays de l'Est de l'Europe et qui font que ce pays hautement industrialisé, et occupant jadis une place de premier plan dans la division internationale du travail, étouffe littéralement.

Le commerce s'est effectué sur une base unilatérale entre pays de l'Est de l'Europe jusqu'en 1964. Depuis, des opérations de clearing se font, mais en monnaie de compte non convertible, en roubles, inutilisables sur le marché mondial.

Le commerce extérieur de la Tchécoslovaquie peut être divisé en trois secteurs :

  1. Avec les pays de l'Est de l'Europe et l'U.R.S.S.
  2. Avec les pays économiquement arriérés, en fonction des relations politiques.
  3. Avec les pays capitalistes avancés.

La Tchécoslovaquie a un rôle “ privilégié ” dans les premier et deuxième secteurs. Ainsi, elle a fourni à l'U.R.S.S. en 1960 un crédit en biens d'équipement de 300 millions de dollars pour obtenir en échange des matières premières, du pétrole, des minerais. En 1966, elle fournit un second crédit de 550 millions de dollars. Ces facilités financières permettaient de mettre en exploitation des gisements pétroliers nouvellement découverts en U.R.S.S. En échange, la Tchécoslovaquie payait jusqu'en 1964 la tonne de pétrole brut 20,8 dollars, le double du prix sur le marché mondial (10,4). Elle le paie encore 16,8 dollars la tonne depuis 1964. Le solde de la balance commerciale de la Tchécoslovaquie avec les pays de l'Est de l'Europe et l'U.R.S.S. est généralement créditeur, mais il est inutilisable, étant bloqué en roubles non convertibles, pour le commerce avec les pays capitalistes économiquement développés. La crise de l'économie tchécoslovaque a rendu urgente l'obtention de crédit en dollars, en marks, en francs, ou en livres, que l 'U.R.S.S. est incapable de fournir. Aussi se tourne‑t‑elle vers l'Ouest pour tenter d'obtenir des crédits qui devraient se chiffrer à plusieurs centaines de millions de dollars.

Parce qu'elle est un des pays les plus industrialisés et économiquement développés, et qu'elle est donc intégrée à la division internationale du travail, la Tchécoslovaquie exprime avec plus d'acuité la crise générale de la gestion bureaucratique de l'économie planifiée et la faillite de la conception de la construction du socialisme dans un seul pays. Elle a atteint le point où la bureaucratie et les limites nationales sont devenues un obstacle absolu à la croissance des forces productives.

La R.D.A. a connu une période extrêmement difficile, correspondant à celle où la “ théorie de la construction du socialisme dans un seul pays ” était poussée jusqu'à la caricature : chaque pays de l'Europe de l'Est construisait en particulier son petit socialisme. Région sans matières premières, dotée d'une industrie principalement de transformation, d'une agriculture déficitaire comme celle du reste de l'Allemagne, la tentative d'édifier une économie se suffisant à elle‑même, se conjuguant à la coupure du reste de I'Allemagne, aboutit à une situation économique catastrophique. La réforme de 1963‑66 eut comme objectif avoué : “ la conquête des marchés mondiaux ”. Elle impliquait la spécialisation de la production, et des prix compétitifs sur le marché mondial. L'effort a porté principalement sur l'électro‑technique, l'électronique, la construction de machines. Des résultats ont été obtenus dans ces branches, mais au détriment d'autres branches aussi importantes que la chimie, qui connaissent des difficultés. En 1968 et 1969, dès le mois de décembre, la population a manqué d'électricité, de combustibles solides (lignite, charbon). L'économie de la R.D.A. s'intègre au marché mondial et à la division internationale du travail dans deux directions : d'un côté elle fournit à l'U.R.S.S. 27 % de ses importations de machines, qui lui fournit en retour des matières premières, en général à des cours bien supérieurs à ceux du marché mondial ; de l'autre, elle importe brevets et machines d'Occident, surtout de la R.F.A. dont elle est débitrice. En fait de “ conquête des marchés mondiaux ”, la R.D.A. est contrainte de s'adapter aux conditions du marché mondial, d'accroître ses échanges à la R.F.A. qui couvrent maintenant un dixième de ses échanges, autant que ses échanges avec tous les autres pays occidentaux, alors que cela ne représente que 1,6 % du commerce extérieur de la R.F.A., de solliciter des crédits, d'importer, comme tous les autres pays de l'Est, des ensembles industriels complets [1].

Il est significatif que la réforme des prix dans tous les pays de l'Est de l'Europe, U.R.S.S. comprise, prend pour base les prix mondiaux (un coup à faire rougir de colère Mandel qui n'a pas “ suggéré ” cela mais la comptabilité économique en heures de travail). La pression du capital international sur l'U.R.S.S. et les pays de l'Est de l'Europe est d'autant plus grande que les rapports politiques entre la bureaucratie de l'U.R.S.S. et les bureaucraties satellites, de celles‑ci entre elles, sont à la fois indissolublement liés et antagonistes. Elles dépendent les unes des autres, et les bureaucraties satellites de la bureaucratie du Kremlin, en raison de leur origine historique; tout craquement au sein d'une d'entre elles se répercute au sein des autres. De profondes cassures ouvertes au sein de la bureaucratie du Kremlin seraient un signe de mort à brève échéance pour toutes les bureaucraties satellites. Mais chacune d'entre elles défend à l'encontre des autres ses intérêts spécifiques, sa base nationale, à commencer par celle de l'U.R.S.S. qui exporte ses contradictions en imposant aux autres ses prix, le rouble comme monnaie de compte, qui les contraint à se spécialiser dans des productions dont elle a besoin, voire “ d'investir en U.R.S.S. ”. La R.D.A. vient “ d'accepter ”, après les exemples de la Tchécoslovaquie, en juillet 1969, d'investir des “ capitaux ” en U.R.S.S. Par ailleurs, chaque bureaucratie tente de nouer, en fonction de ses intérêts spécifiques, des liens propres avec les pays capitalistes de l'Europe occidentale. La course aux “ crédits ” témoigne de la nature de ces rapports. Selon une statistique de l'O.C.D.E. rapportée par “ Le Monde ”, les pays de l'Europe de l'Est et l'U.R.S.S. auraient obtenu ces dernières années 1 939 millions de dollars de crédits (10,6 milliards de francs), soit environ 15 % du total des crédits à plus de cinq ans octroyés, alors que la part de ces pays dans les échanges des nations industrialisées de l'O.C.D.E. n'atteint pas le tiers de ce pourcentage. Ils se répartissent ainsi : à l'U.R.S.S. 1 014 millions de dollars, 409 à la Roumanie, 229 à la Pologne, 116 à la Tchécoslovaquie, 96 à la Bulgarie, 45 à la Hongrie, 15,8 à la R.D.A.


Notes

[1] Pour avoir une vue plus détaillée sur les rapports économiques entre l'Ouest et , des pays de lEst entre eux, de la révision des prix, voir l'article de Michel Varga, “ La crise du conseil d'assistance économique mutuelle ” Paru  dans les N° 544­-545-547 de “ La Vérité ”.


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