1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Reconstruire la IV° Internationale
La « réalité objective » résulte du conflit des forces sociales en présence. « Les hommes font leur propre histoire, quelque tournure qu'elle prenne. ... L'inconséquence ne consiste pas à reconnaître des forces motrices IDEALES, mais à ne pas remonter plus haut, jusqu'à leurs causes déterminantes. » (Idem.) La conscience n'est pas un phénomène individuel. Elle ne peut jamais s'affranchir des conditions économiques et sociales qui lui donnent naissance. Lorsqu'elle semble se libérer de sa base matérielle, elle cesse d'être conscience au sens scientifique du terme pour devenir idéologie et mystification, tout en restant l'expression des intérêts d'une couche sociale ou d'une classe. La conscience d'une couche ou classe sociale condamnée par l'histoire existe, mais elle est toujours partielle et limitée. Fondamentalement, elle ne peut dominer le développement historique, elle reste dominée par lui, bien qu'elle y participe.
Seuls ceux qui se situent dans la perspective de la mission historique de la classe ouvrière peuvent substituer la conscience à l'idéologie, en raison même la nature de cette mission : établir la société sans classe. Mais la classe ouvrière n'est pas armée de pied en cap pour sa tâche historique. « Pour transformer la vie, il faut la connaître » . Or, et c'est la contradiction principale que la classe ouvrière a à résoudre : la classe révolutionnaire jusqu'au bout, par son rôle dans la production, est en même temps dépourvue de culture, de connaissances. Encore est-ce là une simplification. Il nous faut reproduire ici un passage des « Questions de la vie quotidienne » de Trotsky :
« Le prolétariat représente une puissante unité sociale, qui se déploie pleinement et définitivement en période de lutte révolutionnaire aiguë pour les buts de la classe entière. Mais à l'intérieur de cette unité, on observe une diversité extraordinaire, voire une disparité non négligeable. Du berger ignorant et analphabète au mécanicien hautement qualifié, il existe un grand nombre de qualifications, de niveaux de culture et d'adaptation à la vie quotidienne. Chaque couche, chaque corporation, chaque groupement se compose après tout d'être vivants, d'âge et de tempérament différents, ayant chacun un passé différent. Si cette diversité n'existait pas, le travail du Parti communiste, quant à l'unification et à l'éducation du prolétariat, serait des plus simples. Combien ce travail est difficile au contraire, c'est ce que nous voyons en Europe de l'Ouest. On peut dire que plus l'histoire d'un pays, et, par suite, l'histoire de la classe ouvrière est riche, plus elle a acquis d'éducation, de tradition, de capacités, plus elle contient d'anciens groupements, et plus il est difficile de la constituer en unité révolutionnaire. »
(« Littérature et révolution » , pp. 272-73.)
Les classes ou fractions de classe s'expriment au moyen de leurs organisations de toutes sortes ; ainsi, les syndicats et les partis pour la classe ouvrière. Encore faut-il préciser que ces organisations vivent de leur vie propre et tendent à développer leur propre logique, à avoir leurs intérêts spécifiques.
Parler de la « réalité objective » comme d'un monstre mythologique, c'est dissoudre la réalité vivante dans une pure abstraction. En même temps, abstraire la « conscience » de l'histoire, c'est aboutir à un autre idéalisme. On ne saurait mettre un signe égale entre la « conscience » du prolétariat de juin 1848 en France et celle du prolétariat de Pétrograd en Octobre 1917, entre la conscience de la classe ouvrière hongroise de Novembre 1956 et celle de la classe ouvrière des U.S.A. ; entre la conscience de l'avant-garde et celle des fractions arriérées de la classe. Et pourtant ce serait la pire des erreurs que de ne pas chercher les liens qui les unissent, les règles et les lois de leur mouvement.
Plus qu'aucune autre classe de la société, la classe ouvrière manifeste sa conscience par l'action politique avant tout. L'organisation politique est la manifestation et la condition de la conscience de la classe ouvrière. La conscience de la classe peut se manifester sans qu'existe l'organisation politique adéquate. Elle ne peut jamais cependant se développer jusqu'au bout et jusqu'aux dernières implications pratiques sans cette organisation politique. Il n'y aurait jamais eu les journées de Février 1917 sans l'action de la social-démocratie russe, qui, elle-même, n'existait que parce qu'il y avait une social-démocratie internationale. Les journées de Février se firent par-dessus les organisations sociales-démocrates. Elles n'auraient jamais abouti à la révolution d'Octobre sans le parti bolchévik. Jamais l'avant-garde n'aurait « inventé » les Soviets ; mais sans le parti bolchévik, les Soviets étaient condamnés à l'impuissance, à la dégénérescence et à la défaite. L'existence d'organisations syndicales et politiques issues des luttes ouvrières signifie une certaine conscience de classe. A leur tour, elles peuvent devenir des obstacles à un développement ultérieur de la conscience de la classe ouvrière.
Les marxistes (inutile d'ajouter « révolutionnaires » ) abordent toute situation du point de vue de la construction de l'Internationale et de ses partis, qui incarnent la plus haute conscience des tâches et problèmes de la révolution prolétarienne et sont les instruments indispensables de cette révolution. Ils ne commentent pas la « situation objective » , ils l'analysent pour y intervenir en vue de la modifier. La modification fondamentale dans les rapports entre les classes et à l'intérieur de la classe se manifestera par la construction de l'Internationale et de ses partis. Répondant à un correspondant de la revue « Partisan Review » , Trotsky écrivait le 17 juin 1938 : « Aucune idée progressiste n'a émergé d'une « base de masse » , sinon elle ne serait pas progressiste. Ce n'est qu'en fin de compte qu'une idée rencontre les masses, à la condition, bien sûr, qu'elle réponde elle-même aux exigences du développement social » (« Littérature et révolution » , p. 361), le marxisme moins qu'aucune autre « idée » . En même temps « l'idée » ne se développe pas en dehors de la lutte des classes, mais au dedans. Exemples ? Le « Manifeste communiste » et le « Programme de transition » . Et l« idée » requiert ses instruments de formation et d'intervention, l'Internationale et ses partis, qui en feront une force matérielle, en dehors de quoi elle n'est rien.
Les mouvements d'Août 1953 et d'Août-Septembre 1955 en France, la vague révolutionnaire des années 1953-1956 culminant avec la révolution hongroise, Dien Bien Phû ne sont pas des combats de classes indépendants ou même seulement parallèles. Ils procèdent tous d'une même « réalité objective » , poussant à l'exacerbation des contradictions économiques et sociales : l'impérialisme à peine stabilisé prépare la guerre contre l'U.R.S.S., la Chine, l'Europe orientale, en vue de la réintégration de ces zones d'économie planifiée dans le système capitaliste mondial ; et l'économie planifiée, de son côté, étouffe dans son cadre économique limité. Et lorsque l'on a dit cela, on n'a encore rien dit. Ce n'est seulement qu'un point de départ permettant de comprendre l'unité profonde de ces luttes et leur caractère international, indépendamment de la conscience qu'en ont eu ou non les prolétariats qui y furent engagés. Il s'agit de savoir pourquoi et comment ces luttes se déroulèrent ainsi, les problèmes que cela nous pose, à nous trotskystes, qui nous situons du point de vue de la construction des partis révolutionnaires et de la IV° Internationale.
Les causes « objectives » ne suffisent pas pour comprendre le déroulement des événements et y intervenir. Il faut considérer bien d'autres éléments : la disposition des forces sociales dans le monde leur organisation, leur conscience et ses limites ; la « guerre froide » , intervenant sur la base d'un rapport de forces entre les classes qui était suffisamment stabilisé en faveur de l'impérialisme ; le fait que la disposition nouvelle des forces de classes et leur organisation ne permette plus à la bureaucratie du Kremlin de jouer le même jeu d'équilibre entre les différents groupes impérialistes et entre les classes qu'avant et au cours de la deuxième guerre impérialiste ; l'impossibilité où se sont trouvés l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin de museler les révolutions chinoise et yougoslave, et, pourtant, les déformations et les limitations quils leur imposèrent : les caractéristiques qu'ont reçues les régime établis en Europe orientale du fait qu'ils tirent leur origine de révolutions tronquées par l'action militaro-bureaucratique du Kremlin, du double point de vue de leur développement interne et en tant que partie intégrante de la situation révolutionnaire qui ébranlait l'impérialisme dans ses bastions traditionnels d'Europe ; l'expérience historique acquise par les travailleurs, élément de leur conscience, et les limitations de cette conscience, en particulier leur incompréhension de la nécessité de détruire les partis staliniens et de construire de nouveaux partis de l'avant-garde ouvrière, susceptibles d'adopter dans chaque pays une stratégie révolutionnaire internationaliste, non seulement en Europe orientale, mais aussi dans les pays capitalistes avancés, tels que la France ; la capacité des bureaucraties réformistes et staliniennes à partielliser au niveau de la conscience un mouvement révolutionnaire par essence international, particulièrement à séparer au niveau de leur conscience les prolétaires d'Europe orientale, de l'U.R.S.S., de Chine, des prolétaires des pays capitalistes, et la révolution dans les pays coloniaux de celle dans les pays économiquement développés, ce qui a inévitablement sa traduction sur le plan de l'action ; finalement, la décomposition théorique et politique de la IV° Internationale, qui joua au profit de la bureaucratie du Kremlin et de l'impérialisme. Voilà l'ensemble des éléments qu'il faut prendre en considération, et toujours en tant que combattants de la lutte des classes et non en spectateurs.