1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Le pablisme et le « mouvement réel des masses »
La politique pratiquée par Frank au cours de la grève d'août 1953 en France, celle pratiquée par Mandel au cours de la grève générale belge, nous fournissent des exemples de l'application de la ligne pabliste dans les pays capitalistes avancés. En Angleterre, leur alignement devait s'effectuer sur l'aile bévaniste d'abord, l'aile droite du Labour Party ensuite. Nous n'y insisterons pas, nos camarades de la S.L.L. exposant dans leurs documents ces questions en détail.
La participation des dirigeants du Lanka Sama Samaya Party (section ceylanaise du « S.I. » ) au Gouvernement Bandaranaike était également contenue en germe dans les conceptions pablistes. Ainsi, dans son rapport au « 10° plénum du C.E.I. » , que nous venons de citer, Pablo disait :
« Aux camarades de Bolivie et de Ceylan, l'Internationale dit actuellement : le pouvoir est à votre portée, non pas d'ici dix ans, mais immédiatement, dans les quelques années à venir, sinon cette année même. (Ceci plus particulièrement pour Ceylan.) »
Appréciation simplement trop optimiste ? Non, il s'agit d'autre chose. Pablo poursuit :
« Il dépend en grande partie de votre politique dès maintenant, de votre audace, de votre activité quotidienne à la tête des masses pour la défense de leurs revendications quotidiennes, de votre programme hardi pour demain, de gagner leur majorité, MEME UNE MAJORITE PARLEMENTAIRE, et de constituer un gouvernement ouvrier, premier pas vers une véritable prise du pouvoir à Ceylan, appuyée sur la mobilisation et l'organisation révolutionnaire des masses. »
(Idem, p. 51.)
Dès 1952 les pablistes, donnaient ainsi leur blanc-seing à la perspective d'une majorité parlementaire à Ceylan constituant un gouvernement ouvrier. Reprise constamment, cette idée de la venue au pouvoir par les moyens du parlementarisme allait guider l'essentiel de l'activité du Lanka Sama Samaya Party. Le n° de « Quatrième Internationale » de septembre-octobre 1959 publie sans aucune critique la résolution adoptée par un congrès du L.S.S.P. Il y est écrit :
« Les illusions des masses dans le bulletin de vote comme moyen de parvenir au pouvoir politique et d'accomplir la transformation sociale sont extrêmement répandues et réelles... Il y a une revendication étendue dans la classe ouvrière et les masses laborieuses généralement que le parti devrait miser sur une majorité aux prochaines élections générales... le parti doit comprendre clairement que la lutte pour une majorité parlementaire est en premier lieu un combat pour gagner le contrôle d'un appareil d'Etat (sic) qui peut être utilisé aux fins de la lutte des masses et qu'une majorité parlementaire ne peut être une substitution à la mobilisation des masses révolutionnaires. »
(« Quatrième Internationale » , 17° année, n° 7, septembre-octobre 1959, p. 93.)
Il est possible que les travailleurs de Ceylan aient des illusions parlementaires. Mais, de toute évidence, il est clair que, depuis des années et des années, les dirigeants du L.S.S.P., eux, non seulement, avaient des illusions quant à la possibilité pour eux d'accéder au pouvoir par des voies parlementaires, mais encore qu'ils ne visaient à rien d'autre qu'à prendre le contrôle de l'appareil d'état bourgeois ceylanais. Dans la résolution adaptée par la conférence des 20-22 juillet 1962 du L.S.S.P., on lira alors :
« Le L.S.S.P., ayant aidé non seulement électoralement mais aussi politiquement à amener le gouvernement S.L.F.P. (Sri Lanka Freedom Party) au pouvoir, a élaboré un cours tactique par rapport à ce gouvernement qui a été résumé en une assurance en trois points aux masses. Le L.S.S.P. s'est engagé :(« Quatrième Internationale » , n° 17, décembre 1962, p. 62.)
- à soutenir toute action progressive du gouvernement S.L.F.P. ;
- à défendre le gouvernement S.L.F.P. contre le sabotage par l'U.N.P. et les forces de la réaction ;
- à résister de façon intransigeante à tout effort de quelque secteur que ce soit pour arracher aux masses les positions qu'elles avaient conquises. »
Qu'ils en soient venus là n'a rien d'étonnant. Se plaçant sur le terrain du parlementarisme bourgeois, il était dans l'ordre qu'ils choisissent de soutenir un « gouvernement progressif » en l'opposant à un « gouvernement réactionnaire » .
Ce soutien encore conditionnel d'un gouvernement bourgeois préparait l'entrée du L.S.S.P. dans un autre gouvernement bourgeois plus « à gauche » . Aussi lit-on dans la même résolution : « Dans les huit premiers mois environ de l'existence du gouvernement S.L.F.P., l'accent du L.S.S.P. a été mis sur le premier aspect de la tactique. Ce fut pendant cette période que le Parti a voté pour le discours du Trône et pour le budget. »
La critique que le « Secrétariat International » fit de la politique du L.S.S.P. est révélatrice. Dans une déclaration datée du 10 septembre 1960, le « S.I. » écrivait :
« Tout en tenant compte des arguments des camarades ceylanais, et en prenant en considération le fait que leur politique peut être caractérisée, d'une façon générale, comme une politique de soutien critique, le Secrétariat International n'a pas manqué pour sa part, d'exprimer au L.S.S.P. son désaccord à la fois sur sa récente politique électorale et sur sa politique envers le S.L.F.P. après les élections de mars et de juillet. En particulier, le Secrétariat International pense que l'accord de non-contestation, étendu en un accord de soutien mutuel, implique le danger de créer des illusions sur la nature du S.L.F.P. parmi les larges masses, et qu'une attitude de soutien d'un gouvernement comme celui de Mme Bandaranaike ne peut être que critique, et par conséquent limitée aux mesures progressives réellement proposées et adoptées. »
(« Quatrième Internationale » , n° 11, octobre-novembre 1960, p. 90.)
Le principe du soutien d'un gouvernement bourgeois comme celui de Mme Bandaranaike est admis, bien que « ne pouvant être que critique et limité aux mesures progressives » . Il suffit de mettre les arêtes de côté lorsqu'on mange du poisson. L'ennui est que la chose est moins facile en politique, le risque est grand qu'elles vous restent dans la gorge. Le parti ouvrier révolutionnaire ne peut soutenir un gouvernement quelconque qu'autant que celui-ci est un gouvernement de transition vers la dictature du prolétariat, les seules mesures vraiment progressives consistant à réaliser « le programme le plus élémentaire d'un gouvernement ouvrier... armer le prolétariat, désarmer les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires, instaurer le contrôle sur la production, faire tomber sur les riches le fardeau principal des impôts et briser la résistance de la bourgeoisie contre-révolutionnaire... Les communistes (étant) également disposés, dans certaines conditions et sous certaines garanties, à appuyer un gouvernement ouvrier (c'est-à-dire réalisant le programme élémentaire ci-dessus) non communiste » (IV° congrès de l'I.C., résolution sur la tactique de l'I.C.). La critique du « S.I. » est typiquement pabliste : les conditions objectives nouvelles obligent le gouvernement Bandaranaike à des mesures progressives. Que le L.S.S.P. lui apporte un soutien critique et limité. Il n'y a aucune raison que, les conditions devenant plus objectives et plus nouvelles, le L.S.S.P. n'aille pas plus loin, c'est une question de degré et non de principe. La critique n'est pas fondamentale, elle est circonstancielle.
La politique du parti le plus important de l'Internationale pabliste aurait dû être discutée à fond par les organisations la composant, ainsi que par les organismes de cette internationale. En 1952 la « direction internationale » et son proconsul dans le bureau politique français Germain, agissant au nom du « bureau du S.I. » , organisme trinitaire Pablo-Germain-Frank, qui, bien qu'ignoré dans les progrès statuts du « 2° congrès mondial » , s'arrogeait tous les pouvoirs, outrepassait le mandat que lui avait conféré le 3° Congrès Mondial et formulait oukase sur oukase à l'encontre de l'organisation française. Il est vrai qu'il s'agissait alors de tenter de détruire l'organisation française en lui imposant l'« entrisme sui generis » . L'attitude de la direction pabliste allait être tout autre vis-à-vis de la direction du L.S.S.P. Une résolution de 16 lignes fut publiée dans « Quatrième Internationale » (n° 12, premier trimestre 1961, p. 15) à l'issue du « 6° Congrès mondial » (1961) de l'organisation pabliste, qui reprenait le contenu de la « Déclaration » que nous venons de citer. Et sur la résolution de 24 pages consacrée aux « Bilan, problèmes et perspectives de la Révolution coloniale » , dont nous avons parlé plus haut, exactement quatre lignes furent consacrées à la politique du L. S. S. P. :
« Pour que le L.S.S.P. joue pleinement son rôle, il doit raffermir sa structure bolchévique et mieux se lier aux masses paysannes, grâce à un travail systématique parmi elles, appuyé sur l'influence ouvrière du Parti, et conduit sur la base d'un programme concret de revendications économiques et politiques transitoires. »
(Idem p. 56.)
Ce fut avec l'appui du « S.I. » , et après le « Congrès Mondial de réunification » qu'en 1963 le L.S.S.P. forma un « Front Uni de Gauche » avec le P.C. qui avait soutenu le gouvernement Bandaranaïke et le M.E.P. qui avait participé à ce gouvernement en 1956. Gerry Healy a écrit, dans « The Newsletter » des 4 et 11 juillet 1964, deux articles où il montre comment ce « Front Uni de Gauche » fut le tremplin utilisé par le L.S.S.P. pour participer au gouvernement Bandaranaike ; la décision de participer au gouvernement fut prise à la conférence du 7 juin 1964 du L.S.S.P. par 507 délégués contre 75, 159 membres qui s'opposaient à cette politique quittant la conférence. Les articles de G. Healy ayant été publiés dans « Informations Internationales » , n°14, nous n'insisterons pas plus longuement et y renverrons nos lecteurs.
Reproduisons seulement ici ce passage d'une lettre du « S.U. » , du début de 1964, citée par G. Healy, et qui montre comment le « S.U. » , en l'occurence Germain, Frank et leurs associés de la réunification couvrait, au nom de « l'unité » , la politique des dirigeants du L.S.S.P. :
« Le Congrès de réunification (juin 1963) a donné à la direction nouvellement unifiée la responsabilité de faire tout son possible pour cimenter les liens rétablis après une longue scission, et d'uvrer pour une nouvelle cohésion et une stabilité dans le mouvement trotskyste mondial. Cela nécessite une certaine détente organisationnelle, pour un certain temps, et demande un effort sérieux pour améliorer les conflits internes dans les différentes sections et dans les composants du mouvement uni - surtout les conflits hérités du passé -, afin d'aider, tous, à prendre un nouveau départ. Tout cela a été expliqué et admis par les délégués qui assistaient au Congrès de réunification. »
« L'attitude du « S.U. » vis-à-vis de la situation à Ceylan, comme partout dans le mouvement, est déterminée par les considérations générales votées par le Congrès de réunification. »
« Le « S.U. » , comme le dit le camarade Anderson, n'a pas du tout modifié « fondamentalement » les critiques adressées au L.S.S.P. au cours du 7° Congrès Mondial. Ce qu'il a fait, c'est de faire confiance à la direction du L.S.S.P. pour tenir compte de ces critiques. La lettre envoyée au L.S.S.P. n'avait l'intention, ni de les condamner publiquement, ni de les inviter à participer à une bagarre de fraction, comme le camarade Anderson semble le croire. Les critiques contenues dans cette lettre y étaient mises, avec bonne volonté, par les représentants du mouvement trotskyste mondial qui faisaient confiance au L.S.S.P. pour y réfléchir avec soin. Le « S.U. » a essayé de maintenir son attitude de loyauté et de camaraderie à l'égard de la section ceylanaise, tout en admettant, franchement, que ses propres membres tendraient à sympathiser, politiquement, avec l'aile gauche du L.S.S.P... »
« Cependant, le « S.U. » pense qu'il serait faux pour lui, en tant qu'organe du mouvement entier, de repousser les déclarations de la majorité du L.S.S.P., et de refuser de leur accorder le temps nécessaire pour prouver, dans l'action, la sincérité de leur position par rapport au Front Uni de Gauche, et aussi pour démontrer la bonne foi de leurs promesses.
« Premièrement, nous échaufferions délibérément l'ambiance dans le L.S.S.P. en y injectant un fractionnisme poussé. Deuxièmement, en portant ces questions sur l'arène publique, nous exacerberions encore plus la situation. Une politique décisive de ce genre mettrait en danger et détruirait peut-être même les rapports fraternels entre le « S.U. » et la direction du L.S.S.P. L'aboutissement pourrait être néfaste à la IV° internationale et au L.S.S.P., y compris son aile gauche, qui n'a aucun intérêt à mettre en question l'unité du parti, en créant des tensions internes excessives ou toute autre sorte de tension. »
(Cité par « Informations internationales » , n° 14, pp. 8-19.)
Cette politique vient de porter ses fruits amers. Le Lanka Sama Samaya Party est mort en tant que parti ouvrier révolutionnaire. Il faudra reconstruire un parti marxiste à Ceylan. Au moment où, le 21 mars 1964, à la suite de l'accord des différentes organisations syndicales sur un programme en 21 points, une énorme manifestation se déroulait à Colombo qui pouvait être le point de départ d'une lutte de masse pour le pouvoir, les dirigeants du L.S.S.P. se préparaient à participer au gouvernement Bandaranaike. Un an plus tard, par les voies les plus légales et les plus parlementaires, l'United National Party, parti d'extrême droite, accédait au pouvoir.