1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
Économisme et lutte des classes
Mais avant d'aller plus loin, il n'est pas inutile de revenir un peu sur le fameux « camp anti-impérialiste » et sur l'une des idées-force de Pablo comme de Germain, qui s'exprime, entre autres, au point 9 des thèses intitulées « Montée et déclin du stalinisme » et adoptées par le 4° « congrès mondial » pabliste en 1954 :
« Mais, la montée révolutionnaire internationale, avant tout la victoire de la révolution chinoise, détruisit la possibilité pour la bureaucratie soviétique d'arriver à des compromis d'ensemble avec l'impérialisme... Placée entre la menace impérialiste et la révolution chinoise, la bureaucratie soviétique se vit obligée de s'allier à la République Populaire de Chine, issue de cette révolution, contre l'impérialisme. Ceci impliqua la reconnaissance de facto de l'autonomie et l'indépendance du P.C. chinois et de la République Populaire de Chine, de la co-direction sino-soviétique sur tout le mouvement communiste en Asie. Ceci marqua l'ouverture d'une phase nouvelle de la situation mondiale dans laquelle se trouve placée la bureaucratie soviétique, situation caractérisée par l'exacerbation des contradictions de classes internationales et par l'évolution des rapports. de forces entre les classes de façon de plus en plus favorable à la révolution. CETTE SITUATION NOUVELLE LIMITE DE PLUS EN PLUS LA CAPACITÉ DE MANUVRES CONTRE-REVOLUTIONNAIRES DE LA BUREAUCRATIE (souligné par nous). Celle-ci ne peut plus utiliser l'ensemble de la révolution coloniale comme monnaie d'échange afin d'arriver à un accord général avec l'impérialisme. »
(Amendements au document « Montée et déclin du stalinisme » adoptés par le « 4° congrès mondial ».
« Quatrième Internationale », vol. 12, n° 6-8, juin-août 1954, p. 5.)
Cela fut écrit en 1954, au lendemain de l'écrasement, par les forces armées de la bureaucratie du Kremlin, de la lutte révolutionnaire du prolétariat de l'Allemagne orientale, et jette une lumière singulière sur la « déclaration du S.I. » du 25 juin 1953, citée plus haut.
Ce texte ne prête d'ailleurs guère à confusion : quelles que soient ses intentions subjectives, la bureaucratie du Kremlin, aux yeux de nos révisionnistes, a changé de « camp ». En 1933, la capitulation sans combat du Parti communiste allemand devant l'hitlérisme avait constitué le test décisif, avec l'absence de toute réaction ultérieure dans les rangs de l'I.C. contre cette politique, qui avait amené Trotsky à conclure que cette dernière était passée définitivement du côté de l'ordre bourgeois, comme il devait l'écrire dans le « Programme de transition ». Germain et Pablo ont résolument substitué à cette thèse fondamentale du trotskysme la thèse opposée : la bureaucratie du Kremlin ne peut plus trahir la révolution, « objectivement », elle se situe du côté de la révolution.
La réalité n'a pas tardé à démentir de nouveau cruellement la thèse de Pablo, Germain et consorts : intervention armée contre la révolution hongroise d'abord, ensuite rupture avec la Chine, politique coloniale de la bureaucratie du Kremlin, politique des P.C. dans les pays capitalistes occidentaux, il n'y a que l'embarras du choix. La bureaucratie du Kremlin n'a jamais été aussi cyniquement « du côté de l'ordre bourgeois » dans le monde entier que dans la dernière période.
La rupture de Moscou avec Pékin est, à cet égard, du plus haut intérêt.
Les intérêts de la bureaucratie du Kremlin s'opposent directement à la solution des problèmes que pose l'industrialisation de la Chine; elle ne veut ni ne peut en assumer la charge. C'est ce que signifie la rupture des relations économiques avec la Chine. Cependant, le destin de la révolution chinoise est étroitement dépendant de l'industrialisation du pays, mais cette industrialisation exigerait la collaboration des pays les plus développés, donc la victoire de la révolution prolétarienne dans ces pays. Le blocus économique de la Chine, les menaces de laisser les mains libres à l'impérialisme, en cas de guerre contre celle-ci, l'aide apportée par Moscou à la bourgeoisie indienne, etc., tout cela a un sens précis : la bureaucratie du Kremlin a choisi de contribuer, par tous les moyens dont elle peut disposer, à la restauration, d'une façon ou d'une autre, du capitalisme en Chine.
Pour des gens qui ont proclamé, dès 1950-1954, que la bureaucratie du Kremlin n'était plus capable de trahir, la manière dont la résolution majoritaire du « Congrès mondial de réunification » de 1963 traite de ce problème est une véritable dérobade :
« LA CAUSE fondamentale du conflit sino-soviétique réside précisément dans les nécessités différentes des deux directions (du P.C. de l'U.R.S.S. et du P.C chinois) : l'une exprimant les besoins d'une bureaucratie repue à la tête d'un pays économiquement développé, l'autre se trouvant à la tête d'une société encore très pauvre et qui ne peut compter sur une aide importante de l'U.R.S.S. La recherche d'accords, et surtout d'un accord global avec l'impérialisme de la part de la bureaucratie soviétique, s'oppose à la recherche de la part des dirigeants chinois d'une aide accrue et de meilleures défenses face aux fortes pressions de l'impérialisme. C'est à partir de ces nécessités différentes que découlèrent les divergences qui se sont manifestées entre Chinois et Soviétiques sur des questions essentielles de la politique internationale à l'heure présente et qui ont amené les Chinois à dénoncer dans des termes très vigoureux l'orientation de Kroutchev aussi bien que celle de ses partisans de par le monde (Togliatti, Thorez, P.C. indien, P.C. des Etats-Unis. »
(« Quatrième Internationale », 21° année, n° 19, p. 54.)
Quelle profondeur ! « C'est à partir de nécessités différentes que se sont manifestées les divergences entre Chinois et Soviétiques. » C'est là, incontestablement, une thèse difficile à réfuter. Germain a beaucoup appris à l'école de Pablo qui, après s'être risqué à annoncer, à l'automne de 1950, que la guerre était inéluctable à brève échéance, jugea opportun de préciser ultérieurement (voir sa brochure « La guerre qui vient » ) que « la guerre est possible à partir de 1953 ».
Mais à quoi tendent les « fortes pressions de l'impérialisme » sur la Chine ? Sur quelles bases un accord global entre l'impérialisme et la bureaucratie de l'U.R.S.S. (accord exclu, il est vrai, nous l'avons vu, par le « 4° congrès mondial » ) peut-il se faire, sinon au détriment des conquêtes de la révolution chinoise ? Sinon, par conséquent, au prix de la consolidation mondiale de l'impérialisme, et finalement de sa pénétration en Chine même ?
L'intervention de la bureaucratie inspire d'ailleurs aux « germanistes » des réflexions non moins profondes (et non moins significatives) :
« Kroutchev a été obligé (le pauvre) d'assurer une aide à des mouvements révolutionnaires, mais il l'a fait de façon insuffisante (un mauvais point), timorée (poltron), en fonction de l'obtention daccords, soit avec l'impérialisme, soit avec la bourgeoisie des pays sous développés ou après que la révolution ait déjà obtenu des succès décisifs. »
(Idem, p. 53.)
Souslov lui-même est plus précis. Il disait à ce propos dans le rapport au C.C. du P.C. de l'U.R.S.S. qu'il a présenté le 14 février 1964, sous le sous-titre « Voie de développement non capitaliste » (Souslov n'est pas encore aussi à gauche que Germain : au lieu d'« anti-capitaliste », il n'en est encore qu'à « non capitaliste » ) :
« Il est absurde de dire que la tâche d'une insurrection armée se pose aux travailleurs d'Algérie, du Ghana, du Mali et de certains autres pays. Une telle indication signifie, en réalité, un appel à soutenir les réactionnaires qui cherchent à renverser ces gouvernements. Et que peut apporter cette indication dans les pays tels que, par exemple, Indonésie ou Ceylan ? »
C'est clair : c'est contre la révolution prolétarienne, pour le maintien du régime capitaliste dans ces pays, que la bureaucratie du Kremlin apporte son aide économique et politique aux « bourgeoisies nationales ».
Nous sommes loin du tableau tracé par Germain, lorsqu'il affirmait que « la victoire de la révolution chinoise, les progrès constants de la révolution coloniale, les progrès économiques réalisés en U.R.S.S. » ont définitivement fait pencher la balance du côté du socialisme. L'intervention sciemment contre-révolutionnaire de la bureaucratie du Kremlin est un facteur qui joue dans le sens de l'impérialisme. Il a une très grande importance, et l'impérialisme en est parfaitement conscient, mais pas Germain. Les processus économiques ne jouent pas dans l'abstrait.
Dans le mode de production capitaliste, les forces productives entrent en contradiction avec la propriété privée des moyens de production et les frontières nationales. Ces contradictions fondamentales nourrissent la lutte des classes qui, à son tour, réagit sur les processus économiques. En U.R.S.S., en Chine, dans les pays d'Europe orientale, le développement des forces productives sur la base de la propriété étatique des moyens de production entre en contradiction de plus en plus violente avec la gestion bureaucratique et le « socialisme dans un seul pays » ; ces contradictions alimentent les antagonismes sociaux, qui à leur tour réagissent sur les processus économiques.
Les contradictions économiques de l'impérialisme, de l'U.R.S.S., de la Chine, des pays d'Europe orientale, les antagonismes sociaux, la lutte des classes dans ces pays se combinent. C'est dans leur unité contradictoire qu'il faut s'efforcer de les saisir.
La crise historique du capitalisme aiguise la lutte des classes dans tous les pays économiquement arriérés, comme dans les pays capitalistes avancés. La seule possibilité, pour l'impérialisme, de surmonter cette crise pour une étape historique, serait de restaurer le capitalisme dans les pays qui ont échappé à ce mode de production. Seule la victoire du prolétariat dans les pays capitalistes avancés peut jeter bas l'impérialisme. La survie de l'impérialisme fait peser une menace mortelle sur les conquêtes révolutionnaires dans le monde. Mais la révolution prolétarienne dans les pays capitalistes avancés constitue une menace tout aussi mortelle pour la bureaucratie du Kremlin; et cela d'autant plus que les forces productives de l'U.R.S.S., du fait même de leur croissance, étouffent sous la gestion bureaucratique, et aspirent à nouer des liens plus étroits avec le marché mondial et la division mondiale du travail, enfin qu'il existe un puissant prolétariat russe. Sa hantise de la révolution prolétarienne amène la bureaucratie à soutenir les « bourgeoisies nationales » contre le prolétariat, à utiliser les P.C. d'Europe occidentale pour tenter de liquider la capacité de combat des classes ouvrières de ces pays (nous y reviendrons), à s'efforcer d'amener la direction du Parti Communiste Chinois à capituler devant l'impérialisme. Il s'agit bien d'une politique qui aide l'impérialisme à surmonter sa crise. La pénétration de l'impérialisme en Chine, qu'elle se fasse grâce à une capitulation de la direction du P.C.C. sous la pression conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin (et de la propre hantise des bureaucrates chinois eux-mêmes devant les effets éventuels sur les masses chinoises, de la victoire de la révolution dans les pays capitalistes avancés), ou par le moyen d'une intervention militaire en Chine, le prolétariat des pays capitalistes comme celui de l'U.R.S.S. étant neutralisés par la politique du Kremlin et des partis staliniens, serait une grave défaite pour le prolétariat mondial, dont il est bien difficile de mesurer toutes les conséquences.