1965 |
"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne." |
Défense du trotskysme (1)
De la révolution-guerre à la coexistence pacifique
La perspective d'une guerre prochaine des impérialismes coalisés contre l'U.R.S.S., la Chine et l'Europe orientale servit aux pablistes de justification pour leurs conceptions révisionnistes.
Il est curieux de constater comment au 8° plénum du C.E.I. (printemps 1950), le rapport du « S.I. » sur « le tournant de la situation mondiale et les tâches de la IV° Internationale » concluait que, « pour toute une période », une guerre d'agression contre l'U.R.S.S. était exclue :
« Les modifications qui se sont produites dans les rapports de forces entre les Etats-Unis et l'U.R.S.S. tendent à se neutraliser les unes les autres, et provoquent une situation d'équilibre des forces qui exclut pour toute une période toute possibilité d'une guerre d'agression contre l'U.R.S.S. »
(« Quatrième Internationale », vol. 8, n° 5-7, mai-juillet 1950, p. 46.)
C'étaient déjà clairement les forces matérielles et techniques qui jouaient un rôle déterminant dans la possibilité d'une longue période de coexistence pacifique entre la bureaucratie du Kremlin et l'impérialisme dans ce rapport du « S.I. » qui « s'attachait surtout à montrer cette neutralisation sur le plan militaire » (Idem).
Mais, à la fin de juin 1950 la Corée, ancienne colonie japonaise arbitrairement divisée, à la hauteur du 38° parallèle, connaissait dans sa partie sud une crise grave. Les troupes du gouvernement du Nord franchissaient le 38° parallèle, elles allaient rapidement bousculer les troupes sud-coréennes du gouvernement de Syngman Rhee, ne leur laissant bientôt plus qu'une toute petite partie de territoire autour de Fusan, port du sud-est de la Corée. Sous l'égide de l'O.N.U., l'impérialisme américain intervint avec de puissantes forces. Le caractère de classe de la guerre de Corée était évident; l'intervention de l'impérialisme américain signifiait que celui-ci tentait de donner un coup d'arrêt brutal aux développements de la révolution en Asie; elle s'inscrivait dans la perspective générale d'une préparation de l'impérialisme à la guerre contre l'U.R.S.S. et surtout la Chine.
Dans le numéro de « Quatrième Internationale » d'août-octobre 1950, Pablo écrivait alors, dans un article intitulé : « La guerre de Corée et la politique du prolétariat révolutionnaire » :
« ... S'il est vrai que la guerre de Corée accélère la préparation du capitalisme à la guerre, il est également vrai qu'il aggrave par cette préparation cette crise sociale dans tous les pays, crise qui donnera naissance à de nouvelles grandes luttes capables de bouleverser aussi bien les plans de Washington que de Moscou.
Malgré les prophètes de la troisième guerre mondiale imminente (« imminente » depuis 1946 déjà !), la guerre de Corée reste circonscrite dans le climat général de la « guerre froide ». C'est le résultat du rapport des forces actuel entre l'U.R.S.S. et l'Amérique, qui ne permet ni à l'une ni à lautre d'escompter une victoire tant soit peu certaine.
Pour les U.S.A., ceci est maintenant évident avec la guerre de Corée. Leur impréparation à une guerre générale saute aux yeux. La déclarer malgré tout maintenant signifierait la mener presque sans disposer du moindre allié tant soit peu efficace, non seulement contre l'U.R.S.S. et ses satellites, mais aussi contre toute l'Europe et toute lAsie, qui ne résisteraient nullement à l'action combinée des armées soviétiques et des révoltes intérieures dirigées par les Partis communistes.
Au temps du monopole atomique, les U.S.A. pouvaient espérer une victoire stratégique rapide. Cet espoir n'existe même pas maintenant. jusqu'à la guerre de Corée, il y avait un sentiment diffus dans l'opinion publique - qui avait pénétré même dans nos, propres rangs -d'une supériorité naturelle des U.S.A. sur l'U.R.S.S., d'une efficacité à toute épreuve de leur force matérielle et militaire. Les faits ont démontré que cette supériorité, cette efficacité tout américaine, incontestable du point de vue purement matériel et technique, n'a pas son équivalent immédiat dans des guerres révolutionnaires du genre de celle de Corée. D'autre part, en s'étalant sur le monde entier, cette force et cette efficacité deviendraient faiblesse et incohérence, et seraient d'un prix écrasant même pour le richissime impérialisme américain.
En réalité, l'U.R.S.S. plutôt que les U.S.A. disposerait à l'heure actuelle d'un ensemble de possibilités pour mener une guerre mondiale. Cette constatation modifie dans une certaine mesure notre propre estimation du rapport des forces à l'étape actuelle entre les deux camps antagonistes, tendant à déplacer la supériorité effective actuelle du côté du camp soviétique. Mais elle n'altère pas fondamentalement notre perspective de CONTINUATION DE LA « GUERRE FROIDE » ENTRECOUPEE DE TENTATIVES DE COMPROMIS SANS GUERRE GENERALE IMMEDIATE.
Les raisons pour lesquelles l'U.R.S.S., malgré les avantages de sa position actuelle, est probablement très peu disposée à prendre l'initiative d'une guerre générale, tiennent avant tout aux risques que la bureaucratie soviétique encourrait en cas d'une conflagration mondiale, qui libérerait des forces révolutionnaires immenses dans le monde, sans garanties suffisantes que ces forces puissent être contrôlées par Moscou.
Celui qui oublie cet aspect de la nature profonde de la bureaucratie et lui prête des audaces napoléoniennes de conquête mondiale la juge superficiellement Car le conservatisme de la bureaucratie est réel et elle n'avance dans l'arène mondiale que prudemment, selon un rythme qui lui permette d'asseoir son contrôle absolu aussi bien sur la bourgeoisie que sur les masses. »
(Ouvrage cité, p. 21.)
Curieuse littérature, qui révèle, sous la suffisance du ton, la confusion la plus totale. S'il était vrai que « la guerre de Corée accélère la préparation du capitalisme à la guerre » (et) également vrai quil aggrave, par cette préparation, la crise sociale dans tous les pays, crise qui donnera naissance à de nouvelles grandes luttes bouleversant aussi bien les plans de Washington et de Moscou », encore fallait-il, pour ne pas perdre le fil des événements, reprendre les raisons pour lesquelles, au « temps du monopole atomique » « les U.S.A., qui pouvaient encore espérer une victoire stratégique rapide », si l'on considère le seul point de vue matériel et technique, ne se sont pas engagés dans une guerre contre l'U.R.S.S. Ces raisons, on ne pouvait les trouver qu'en se souvenant que ce sont les forces sociales qui sont déterminantes, et non la « force matérielle et militaire ». A l'époque du monopole atomique des USA, l'existence du régime capitaliste se jouait en Europe. En dépit de lantagonisme entre limpérialisme et lURSS, la bureaucratie du Kremlin, par l'intermédiaire de ses agences, P.C.F., P.C.I., etc., jouait, à cette époque, un rôle décisif dans la reconstruction des appareils d'état bourgeois et de l'économie capitaliste en Europe occidentale. C'était en France, le temps où Thorez proclamait (discours d'Ivry, janvier 1945) : « Une seule police, une seule armée, un seul Etat ». L'aide économique des U.S.A. ne prenait son efficacité, au lendemain de la guerre, que grâce à la politique des P.C. en Europe occidentale. En outre, c'est encore la politique stalinienne qui donna quelques chances à l'impérialisme de préparer la guerre et d'intervenir en Corée, et cela de multiples façons :
En utilisant le potentiel révolutionnaire des prolétariats des pays d'Europe occidentale (ainsi, en France, au cours de mouvements de grève, comme celui de novembre-décembre 1947 ou celui des mineurs l'année suivante) pour faire pression sur les bourgeoisies de ces pays afin qu'elles ne participent pas à l'alliance atlantique, tout en contrôlant bureaucratiquement le développement de ces mouvements afin qu'ils ne mettent jamais en cause le pouvoir bourgeois; ce qui aboutit à de durs échecs pour la classe ouvrière, et renforça d'autant la bourgeoisie et la coalition atlantique.
En aggravant, par sa politique de « blocs », la prostration du prolétariat allemand, consécutive à la politique antérieure menée en commun avec les « alliés », et qui se traduisait par la fameuse formule : « Il n'est de bons Allemands que ceux qui sont morts », due au futur « libéral » Ilya Erhenbourg; en coupant l'Allemagne en deux; en écrasant les prolétaires d'Europe orientale sous la tutelle « militaro-bureaucratique » ; en les dépossédant des conquêtes révolutionnaires consécutives à l'effondrement des bourgeoisies nationales de ces pays; en substituant à la conception de classe qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie celle de la différenciation, à l'intérieur de la classe ouvrière, selon la ligne de démarcation des « blocs ».
En n'hésitant pas à tenter de livrer à l'impérialisme toute révolution victorieuse, qui, même si elle se trouvait sous une direction bureaucratisée, n'en posait pas moins des problèmes menaçants pour le Kremlin : ainsi, la révolution yougoslave, qui posait celui d'une fédération socialiste balkanique échappant au contrôle militaro-bureaucratique du Kremlin, au moment même où la révolution chinoise se développait contre les directives du Kremlin.
En alimentant la guerre froide de façon délibérée, par exemple par le blocus de Berlin, dans le but de « geler » les antagonismes sociaux en U.R.S.S. et en Europe orientale, en dépit de l'aide fournie ainsi à l'impérialisme dans ses efforts pour justifier ses préparatifs de guerre.
Bien que l'U.R.S.S. ait acquis l'arme atomique, l'impérialisme pouvait passer à la préparation directe à la guerre, grâce à la politique du Kremlin qui se révélait, une fois encore, par sa pratique contre-révolutionnaire, le meilleur atout de l'impérialisme.
Certes, aucun prolétaire conscient, à bien plus forte raison les trotskystes, ne pouvait reprocher à la bureaucratie du Kremlin de manquer d' « audace napoléonienne », de ne pas s'engager dans des « conquêtes mondiales », de ne pas, par « une conflagration mondiale, libérer des forces révolutionnaires immenses ». L'un des crimes de la bureaucratie du Kremlin consiste justement à avoir conduit l'humanité au bord de l'abîme en contribuant à mettre l'impérialisme en état de préparer la troisième guerre mondiale.
L'impérialisme avait pu se stabiliser au point d'intervenir massivement en Corée. Mais en même temps, la préparation à la guerre, s'engageant sans qu'aucune défaite décisive n'ait été infligée au prolétariat, aggravait « la crise sociale dans, tous les pays, crise qui donnera naissance à de nouvelles grandes luttes capables de bouleverser aussi bien les plans de Washington que de Moscou ».
Les trotskystes, tout en soutenant inconditionnellement toutes les guerres révolutionnaires engagées contre l'impérialisme, opposaient fondamentalement la lutte des classes, la révolution prolétarienne, à la préparation à la guerre et à la guerre contre-révolutionnaire de l'impérialisme elle-même.
Nous ne pouvions exclure que l'impérialisme parvienne à préparer à plus ou moins longue échéance la troisième guerre mondiale. Cela dépendrait de la capacité du prolétariat à surmonter les conséquences de la politique stalinienne. La troisième guerre mondiale serait, non la « libération de forces révolutionnaires immenses dans le monde », mais une des défaites les plus terribles que la classe ouvrière ait eues à subir.