1936 |
Il s’agit d’un texte de compromis en juillet 1936, suite aux travaux de la commission d’unification, signé du seul côté de ses représentants S.F.I.O. (Blum, Bracke, Séverac et Zyromski). J.-B. Séverac présente ce texte comme le fruit de concessions unilatérales de la SFIO, les communistes restant sur leur projet initial. La CAP de la SFIO ajourne ce texte, puis suspend définitivement les négociations avec le PCF en novembre 1937. Ce texte aura cependant servi en octobre-novembre 1936 dans les pourparlers d’unification de la SFIO avec le petit Parti d’unité prolétarienne (P.U.P.) Sources : G. Lefranc, L’Information historique, 1967 ; et rapport sur l’unité avec le P.U.P. au congrès de Marseille de la SFIO (1937). |
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Paris, le 9 juillet 1936
Aux membres de la C.A.P.
Chers camarades,
Dans sa dernière séance, la C.A.P. a confié à ses représentants au sein de la Commission d’unification, le soin d’examiner le projet de Charte du Parti Unique élaboré par nos camarades de la Bataille Socialiste[1]. Elle a décidé aussi que, pour le cas où ses délégués à la Commission d’unification se mettraient d’accord, il n’y aurait pas lieu de revenir devant elle. Cet accord a été réalisé après deux réunions. Néanmoins je crois devoir porter à votre connaissance le texte sur lequel cet accord s’est fait.
Comme vous le verrez, ce texte est, dans sa première moitié, la reprise à peu près complète du texte connu sous le nom de « Projet de conciliation et de synthèse » qui a obtenu l’aval de la C.A.P. et du Parti. Dans sa deuxième moitié, à partir du chapitre intitulé « Défense de la Russie Soviétique », les recours au texte de « Conciliation et de Synthèse » sont moins nombreux. Cette seconde moitié traite en effet de problèmes qui ou bien n’avaient pas été abordés dans le texte de Conciliation et de synthèse ou n’y avaient été traités que très brièvement.
Je dois ajouter à ces informations que votre délégation à la Commission d’unification n’écarte pas l’idée de substituer au chapitre sur la dictature du prolétariat, un texte qui se rapprocherait davantage du texte de la Bataille socialiste, mais affirmerait avec plus de force les droits du mouvement révolutionnaire de la France à créer des organismes de combat différents de ceux dont l’histoire a donné l’exemple, qui condamnerait de façon moins catégorique les institutions parlementaires et qui insisterait sur le caractère nécessairement transitoire de la dictature du prolétariat.
Votre délégation à la Commission d’unification a, en outre, pensé que si les communistes persistent à demander la publication de leur projet de charte et du projet ci-joint, toutes mesures devraient être prises pour qu’il fût sensible à tous les lecteurs que notre projet est le résultat d’une suite d’efforts de conciliation et de rapprochement entre les deux positions initiales et qui sont :
Fraternelles salutations socialistes
Le secrétaire général adjoint, J.-B. Séverac
Le Parti Unique du Prolétariat est un parti de classe qui a pour but la conquête du pouvoir en vue de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste.
Le Parti unique du Prolétariat, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réformes, mais un parti de lutte de classes et de révolution.
Le Parti unique du prolétariat vise à combattre et à détruire le système capitaliste. Il ne saurait admettre une politique de collaboration avec les partis bourgeois. Il ne saurait rechercher la participation au gouvernement dans la société bourgeoise. Il repousse toute tentative faite pour masquer les antagonismes de classe toujours croissants à l’effet de faciliter un rapprochement avec les partis bourgeois. Même lorsqu’il utilise au profit des travailleurs les conflits secondaires des possédants ou qu’il se trouve combiner son action avec celle d’un parti politique pour la défense des droits et des intérêts du prolétaire, il reste toujours un parti d’opposition fondamentale et irréductible à l’ensemble de la classe bourgeoise et à l’Etat qui en est l’instrument.
Il repousse les moyens de nature à maintenir la classe dominante et qui assurent ainsi la domination de la bourgeoisie ; par voie de conséquence, il refuse au gouvernement bourgeois les crédits militaires, les crédits de conquête coloniale, les fonds secrets et l’ensemble du budget.
Le Parti unique du prolétariat sait que son but ne saurait être atteint que par la conquête du pouvoir de haute lutte contre la bourgeoisie.
Ainsi seulement l’Etat bourgeois pourra être détruit et remplacé par l’Etat prolétaire, par lequel s’exercera la dictature de classe ouvrière durant toute la période nécessaire pour briser la contre-révolution.
Le Parti unique du prolétariat fait sienne cette conception marxiste de la dictature du prolétariat telle qu’elle figure dans la critique du Programme de Gotha : « Entre la société capitaliste et la société communiste se place une période de transformation révolutionnaire de la première à la deuxième, à quoi correspond une période de transition politique où l’Etat ne saurait être autre que la dictature révolutionnaire du prolétariat. »
La dictature du prolétariat, étape indispensable vers la révolution sociale, assure aux forces révolutionnaires la totalité du pouvoir politique. Elle doit signifier un élargissement considérable de la démocratie pour le peuple, en même temps qu’une limitation à la liberté des exploiteurs et des oppresseurs du peuple.
A la différence de la démocratie bourgeoise, toujours étriquée, imparfaite et viciée et à l’inverse et à l’encontre des dictatures fascistes qui signifient l’assujettissement des masses populaires à la toute-puissance d’un homme, instrument lui-même d’une oligarchie de privilégiés, la dictature du prolétariat signifie pour la totalité des masses populaires l’instauration de la vraie liberté et de la vraie démocratie.
Contrairement à ce qui se passe avec le parlementarisme bourgeois, elle assurera à tous les travailleurs, quels que soient leur sexe et leur âge, qu’ils soient manuels ou intellectuels, qu’ils soient dans la vie civile ou sous les armes, l’électorat et l’éligibilité dans les organismes de la souveraineté qui seront ainsi l’expression directe des masses populaires des villes et des campagnes.
Ces organismes seront à la base de l’Etat prolétaire, sous les formes qui répondront le mieux aux besoins du mouvement révolutionnaire lui-même. Ils détiendront à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et assureront aux travailleurs la totalité du pouvoir politique. Les élus seront placés sous le contrôle direct de leurs mandants et révocables à tout moment par eux.
Ainsi la dictature du prolétariat : utilisation transitoire des forces de l’Etat contre tout retour offensif du capitalisme et limité dans sa durée à l’accomplissement de cette tâche – appellera les masses travailleuses à la gestion des affaires publiques en vue de préparer la disparition progressive aussi prompte que possible de l’Etat lui-même ; la construction d’une société socialiste, collectiviste ou communiste où chacun travaillant selon sa capacité recevra selon ses besoins ; l’instauration d’un régime où l’administration des choses remplacera le gouvernement des hommes.
Le Parti Unique du prolétariat repousse toute politique de collaboration avec la bourgeoisie pendant la guerre comme pendant la paix. Il ne s’engagera dans la voie de l’union nationale ou de l’union sacrée dans aucun cas, sous aucun prétexte.
Son action reste guidée par les principes
généraux inclus dans la proposition de Stuttgart
(1907).
Elle sera toujours déterminée par les
intérêts supérieurs du prolétariat
mondial.
Le Parti Unique du prolétariat affirme sa solidarité vis-à-vis de la Russie soviétique, issue de la Révolution Russe.
Il proclame que l’U.R.S.S. représente dans le monde un point d’appui particulièrement solide dans la lutte contre le Fascisme, pour la paix, pour la marche du socialisme.
Les grandes conquêtes historiques de la Révolution Russe doivent être maintenues et les résultats obtenus par la Russie soviétique dans la voie du socialisme doivent être consolidés, étendus, perfectionnés. C’est pourquoi la Russie soviétique, afin de pouvoir développer librement son expérience grandiose sur toute l’étendue de son territoire, doit être en mesure de compter sur l’aide et le soutien de toute la classe ouvrière internationale.
La défense de l’U.R.S.S. comme de tout autre Etat issu d’une révolution prolétarienne ou populaire, constitue donc une nécessité et un devoir primordial pour le Parti Unique du prolétariat.
Le Parti Unique du Prolétariat remplira ce devoir en appuyant la politique de paix indivisible, de sécurité collective et de désarmement voulue par le prolétariat international et que la Russie soviétique a défendue à Genève – en se dressant contre toute guerre dirigée contre l’U.R.S.S.[2], en menant résolument la lutte pour la conquête du pouvoir, quelle que soit la position prise par le gouvernement de la bourgeoisie dans le conflit et selon les formes appropriées à la situation et au rôle joué par le gouvernement.
L’objectif du parti Unique du prolétariat sera ainsi d’enlever à la bourgeoisie la conduite de la guerre afin de le soustraire à toute influence impérialiste, pour assurer à l’Etat prolétarien attaqué l’appui sûr et efficace d’un autre Etat où la puissance publique est tombée aux mains des travailleurs, pour travailler au rétablissement le plus rapide possible de la paix.
Le Parti Unique du prolétariat recherchera dans le cadre d’une Internationale ayant les mêmes grands principes que lui, à réaliser l’entente des travailleurs et à renforcer leur action internationale.
Cette Internationale unique devra grouper les travailleurs du monde entier sans distinction de race et de couleur.
Composée de partis nationaux, constitués en sections intimement associées l’une à l’autre, placées sous la direction d’un organisme commun démocratiquement aménagé et ayant toutes les mêmes buts et les mêmes principes fondamentaux, elle devra représenter l’instance souveraine aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix.
Ses décisions qui doivent tenir compte de la situation concrète de chaque pays seront obligatoires pour toutes les sections adhérentes.
Afin d’atteindre cet objectif, le Parti Unique du prolétariat établira des liaisons étroites avec les deux internationales politiques actuelles existantes ainsi qu’avec les partis ouvriers qui n’adhèrent à aucune organisation internationale afin de constituer le centre de jonction actif et permanent qui mette tout en œuvre pour aider à la reconstitution de l’unité internationale de la classe ouvrière mondiale.
Le Parti Unique du prolétariat est fondé sur le centralisme démocratique. La politique du Parti Unique du Prolétariat est déterminée par le parti lui-même délibérant dans ses congrès.
Ces congrès sont formés par les délégués de l’ensemble des adhérents et leurs discussions sont libres, comme sont libres celles des adhérents au sein des groupes régionaux et locaux.
Un organisme central de direction et d’action politique assurera l’application des décisions correspondant aux exigences de la situation, prises par lui dans le cadre de la politique du Parti définie par les Congrès.
Son autorité s’exercera sur toutes les formes de l’activité du Parti (action générale, action parlementaire, presse, et.). Les décisions de l’organisme central qui doit être élu par le Congrès sont obligatoires pour les organismes régionaux et locaux également élus par leurs congrès respectifs.
Tous les organismes, à tous les échelons du Parti, doivent rendre compte périodiquement de leur activité devant leurs mandants.
Tout membre du Parti, quelle que soit la fonction remplie, doit exécuter les décisions prises et observer une discipline librement consentie, déterminée par le principe démocratique qui est la loi de la majorité.
Les organismes centraux, régionaux, locaux, sont chargés d’assurer la réalisation effective de ces décisions.
Il ne doit y avoir qu’une politique, celle délibérée par le Parti et tous ses membres sans distinction, quel que soit le poste occupé, doivent la défendre et y conformer rigoureusement leurs paroles, leurs écrits, leurs actes de propagande, afin de dégager une action collective et homogène.
Le Parti Unique du Prolétariat sait qu’une cohésion idéologique est indispensable pour souder étroitement tous ses éléments dans la lutte engagée contre le système capitaliste et l’idéologie bourgeoise.
En conséquence, la liberté de discussion qui existe à l’intérieur du Parti s’appliquera bien à tous les problèmes de tactique qui sont posés par l’action même quotidienne, mais elle ne saurait s’étendre aux principes fondamentaux du Parti définis dans cette charte.
En toutes circonstances, le devoir du Parti Unique sera de préserver l’intégrité de sa doctrine contre toute tentative de déviation théorique ou contre toute collaboration avec l’Etat bourgeois.
C’est ainsi que le Parti Unique doit entendre l’unité idéologique, condition indispensable de sa capacité de lutte.
En utilisant tous les moyens légaux pour son action délibérée, le Parti ne se laissera jamais arrêter dans cette action par les entraves de la légalité bourgeoise. Il doit s’adapter à toutes les tâches qui se présentent à lui avec le souci de porter au maximum la combativité de la classe ouvrière.
Signé : Blum, Bracke, Séverac, Zyromski
Notes
[1] Tendance menée par J. Zyromski. (Note MIA)
[2] Ce paragraphe tempère le texte des communistes qui proposait « Le parti unique (…) invite les travailleurs à soutenir par tous les moyens l’U.R.S.S. (…) Dans le cadre d’une guerre dirigée contre un pays où il y a un gouvernement prolétarien, le parti unique appelle les travailleurs à ne pas combattre leurs frères libérés, mais à joindre leurs efforts à ceux des défenseurs de la patrie socialiste » auquel la Gauche révolutionnaire de la SFIO s’était opposé, déclarant « Nous n’admettons pas d’exclusive contre les critiques de la Russie soviétique. Nous ne pouvons pas décerner pour le passé, le présent et l’avenir, un brevet d’infaillibilité au gouvernement soviétique. Nous admettons encore moins sans précisions supplémentaires le soutien « par tous les moyens » de l’U.R.S.S. en cas de guerre. Nous sommes prêts à la soutenir dans la mesure où ses intérêts coïncident avec ceux du prolétariat. » (Note MIA)
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