1926 |
Le bolchévisation du P.C.F. le replonge dans la crise ... |
Rapport de J. Humbert-Droz
Secrétaire de la Commission française de l'Exécutif élargi
La résolution sur la question française, dont le projet vous a été distribué, est très longue et soulève bien des problèmes. Je me bornerai donc à vous communiquer quelques importantes impressions de la commission. Les thèses politiques affirment que le danger principal dans le parti français est à droite. Et pourtant, dans la commission française, on a parlé beaucoup plus des fautes de gauche et des erreurs d'organisation du parti. On peut se demander s'il n'y a pas là une certaine contradiction. Ce n'est pas le cas pour la raison suivante : le danger de droite du parti français est en étroite relation avec les fautes commises par la Centrale dans la dernière année. Certes, les fautes du parti n'ont pas créé les tendances de droite, mais elles ont provoqué un grand mécontentement parmi les membres du parti et ont donné à la droite la possibilité de se développer.
Il y a en France des conditions objectives très importantes pour les dangers de droite : la situation économique et politique de la France, la tradition social-patriotique et syndicaliste du mouvement ouvrier français et l'histoire même de la constitution de notre parti. Mais en plus la politique fausse du parti depuis le 5° Congrès mondial a contribué à développer l'influence de la droite. Il est vrai qu'au cours des derniers mois, des corrections importantes ont été faites aux fautes de la direction. Les fautes les plus importantes de la direction furent déterminées avant tout par le manque d'une analyse de la situation qui conduisit à de fausses perspectives; une fausse évaluation du danger fasciste, la croyance qu'une situation révolutionnaire immédiate se présenterait dans l'avenir de quelques mois, des mots d'ordre qui dépassaient de beaucoup la situation et qui isolaient le parti des masses, l'emploi de ces faux mots d'ordre, du programme même du parti dans nos propositions de front unique, une sous-estimation des syndicats et une direction mécanique et brutale du parti sur les syndicats, un cours pareillement faux, trop mécanique et sans démocratie interne à l'intérieur du parti.
Les 1° et 2 décembre a eu lieu une conférence extraordinaire du parti, qui a exercé une autocritique sur quelques-unes de ces fautes et qui a adressé au parti une lettre ouverte où les fautes les plus importantes furent critiquées et où un nouveau cours fut inauguré.
Surtout, trois fautes furent signalées dans cette autocritique :
L'Exécutif élargi doit ratifier cette autocritique du parti faite le 1° décembre et l'élargir.
La lettre ouverte que cette conférence du parti a adressée aux membres du P.C.F. permettait diverses interprétations. Ces imprécisions et cette possibilité de double interprétation doivent être supprimées. Il ne faut pas permettre que la portée de cette conférence soit sous-estimée de quelque façon que ce soit. La résolution qui vous est présentée, confirme expressément la critique que le parti a exercée à cette conférence contre lui-même, élargit cette critique déjà commencée par le parti, et affirme la nécessité de combattre au sein du parti toute sous-estimation de la conférence de décembre ou toute tentative de revenir aux fautes anciennes du parti.
La droite française avait-elle donc raison d'attaquer le parti comme elle l'a fait ? Absolument pas.
La partie de la résolution dirigée contre la droite en fournit la meilleure preuve.
La résolution étudie en détail ce qu'est la plate-forme politique de la droite française, afin de démontrer aux membres mécontents du parti français que sous sa critique quelquefois juste dans le détail à l'égard des fautes du parti, la droite cache des déviations social-démocrates ou syndicalistes nettement étrangères au communisme. A côté de justes critiques contre les fautes du parti, la droite a des déviations importantes et très dangereuses qu'il faut énergiquement combattre.
Cette fausse politique a deux sources :
Dans ses deux organes, paraissant en France en marge du parti, le Bulletin communiste et la Révolution Prolétarienne, la droite mène une campagne systématique contre la Russie des Soviets et contre l'Internationale. Elle cherche à semer le pessimisme et le défaitisme dans nos rangs. Cet état d'esprit de dénigrement systématique créé, la droite a passé dans le parti français au sabotage des actions du parti. Des membres du parti écrivent dans les organes extérieurs qu'ils ont pris la décision de pratiquer la “ politique du pire ”, de " faire le vide " devant la direction du parti, etc. Ce fut particulièrement grave lors de la grève de protestation de 24 heures contre la guerre du Maroc. L'attitude de la droite dans la question coloniale et nationale est également tout à fait fausse et social-démocrate. La droite a protesté contre le mot d'ordre de la fraternisation avec l'armée des Riffains, en invoquant le fait que les Riffains n'ont pas le même degré de civilisation que les armées françaises, et qu'on ne peut fraterniser avec des tribus à demi-barbares. Elle est allée plus loin encore écrivant qu'Abd-el-Krim a des préjugés religieux et sociaux qu'il faut combattre. Sans doute il faut combattre le panislamisme et le féodalisme des peuples coloniaux, mais quand l'impérialisme français saisit à la gorge les peuples coloniaux, le rôle du P.C. n'est pas de combattre les préjugés des chefs coloniaux, mais de combattre sans défaillance la rapacité de l'impérialisme français. “ Le Maroc aux Marocains, mais non pas à Abd-el-Krim ! ” a écrit la droite. Ce fut l'argument utilisé par Painlevé pour repousser les pourparlers de paix avec Abd-el-Krim. C'est la formule hypocrite du bloc des gauches pour servir l'impérialisme et légitimer les crimes du militarisme français.
On constate la même attitude à l'égard de l'Alsace-Lorraine. Le camarade Zinoviev l'a déjà signalé dans son rapport.
Il est aussi important de noter que la droite française, dans son opposition à la grève générale de 24 heures, n'a pas seulement critiqué le fait qu'elle était mal préparée, elle l'a repoussée aussi politiquement. Elle était en principe contre une grève de protestation contre la guerre coloniale.
Ces déviations sont nettement social-démocrates, même social-patriotes. Mais la droite s'est solidarisée en même temps avec des déviations syndicalistes. Les articles de Louzon dans la Révolution prolétarienne sont particulièrement caractéristiques. Il prend une position très dangereuse pour un P.C. à l'égard des questions quotidiennes. Il prétend que la question des impôts n'est qu'une lutte entre la petite et la grande bourgeoisie et qu'elle n'intéresse pas le prolétariat; de même pour les dettes interalliées et l'inflation. La lutte contre la vie chère n'intéresse que la petite bourgeoisie. Les prolétaires doivent au contraire saluer la vie chère. Cette politique du pire qui salue la vie chère parce qu'elle oblige les travailleurs à la lutte pour des améliorations de salaires, qui ignore et néglige les luttes et les divisions entre la petite et la grande bourgeoisie, qui ne cherche pas à utiliser ces divisions pour trouver des alliés au prolétariat, est la politique caractéristique du maximalisme italien. Elle cache, sous un verbalisme révolutionnaire et une intransigeance de parade, la stérilité et la faillite de sa politique. Elle est le contraire d'une tactique communiste. Ces syndicalistes professent surtout une opinion tout à fait négative à l'égard du rôle du parti. Toute une série d'articles à l'occasion de la grève de Douarnenez dans la Révolution prolétarienne s'occupent du rôle du parti et nient au parti son rôle d'avant-garde du prolétariat. On conteste même au parti la tâche de l'éducation révolutionnaire du prolétariat.
Une autre faute de la droite réside dans l'application de la tactique du front unique. Elle dit qu'il ne faut pas croire, lors de l'application de cette tactique, qu'il soit possible de séparer les chefs réformistes des masses !
En outre, la droite française est résolument contre la réorganisation sur la base des cellules d'usines.
De ces quelques considérations, que la résolution de la commission appuie de nombreuses citations, vous pouvez constater que la base politique de la droite est social-démocrate ou syndicaliste. Par ses critiques à l'égard des fautes du parti, elle n'a pas contribué à redresser la ligne politique du parti, mais elle s'est efforcée de la faire dévier encore davantage vers des conceptions totalement étrangères au communisme. Elle a jeté la confusion au lieu d'opposer aux fautes de la direction du parti une critique s'inspirant d'une tactique communiste plus juste.
C'est pourquoi elle doit être combattue et ses déviations démasquées aux yeux des ouvriers français qui seraient enclins, par mécontentement à l'égard des fautes du parti, à suivre la droite dans son action anticommuniste.
La droite se compose :
Les membres mécontents du parti qui ne partagent pas la fausse idéologie social-démocrate ou syndicaliste des deux premiers groupes et qui sont tombés sous l'influence de la droite par suite des fautes du parti. Ils forment un élément sain que le parti doit rallier et attirer au travail actif du Parti.
Un nouveau cours dans la politique du parti séparera ce troisième groupe de la droite. La lutte contre la droite a donc comme première condition le changement sérieux et réel de la ligne politique du parti dans le domaine de la politique générale, des rapports avec les syndicats et de la vie interne du parti.
Le parti doit faire des distinctions au sein de la droite et adapter sa lutte aux divers groupes qui la constituent. Une sérieuse lutte idéologique du parti contre les déviations de droite a commencé et doit être continuée systématiquement. Laquelle des nuances de droite est la plus dangereuse ? Ce sont sans doute les déviations syndicalistes parce qu'elles nient et combattent le rôle du parti dans les masses et surtout dans les masses syndiquées, et qu'elles s'appuient, pour faire ce travail qui, dans les circonstances présentes, est objectivement contre-révolutionnaire, sur de vieilles et saines traditions révolutionnaires de la classe ouvrière française. Elles sont un danger non seulement dans le domaine politique à l'égard du parti, mais aussi dans le domaine syndical, car dans la situation actuelle, très différente de celle d'avant-guerre, avec une forte concentration de la grande industrie, un prolétariat beaucoup plus nombreux, devant l'offensive des grandes organisations patronales, la classe ouvrière française a besoin de grandes organisations syndicales de masse; elle ne peut se contenter des organisations syndicalistes du type d'avant-guerre. C'est sur le terrain syndical aujourd'hui plus encore que sur le terrain politique que cette tentative de faire revivre le vieux syndicalisme est un danger pour le prolétariat français. Il faut clairement expliquer cela aux ouvriers pour combattre cette tendance de droite.
Sur la base des décisions prises ici, la discipline doit être rétablie dans le P.C.F. La résolution demande clairement aux membres du parti collaborant avec le groupe de la Révolution Prolétarienne et celui du Bulletin Communiste; ou bien vous romprez avec les organes qui combattent le parti et le communisme et vous resterez dans le parti discipliné, ou bien vous quitterez le parti.
La résolution parle aussi des tâches essentielles du P.C.F.
La situation économique de la France est caractérisée par une grave crise financière et politique, qui s'accentue à travers des périodes de stabilisation temporaire et des périodes de crise aiguë. A travers ces zigzags, s'approfondit aussi la crise économique qui devient imminente. Ainsi le parti est placé devant la grande tâche de conduire les masses dans leur lutte contre le capitalisme au pouvoir. L'antagonisme entre la grande et la petite bourgeoisie en France est important. La petite bourgeoisie, frustrée par l'inflation, est déjà entrée dans la lutte contre la grande bourgeoisie sur la question de l'inflation, des impôts, de la vie chère. Le prolétariat, comme troisième facteur de la lutte, est resté jusqu'à présent assez passif. Ses intérêts n'ont pas été atteints dans la même mesure que ceux de la petite bourgeoisie. La politique du parti socialiste l'a mis dans une large mesure à la remorque de la petite bourgeoisie, qui a son expression politique dans le bloc des gauches. Mais le renchérissement rapide du coût de la vie, conséquence de la politique d'inflation et d'impôts, va dans un avenir très proche pousser le prolétariat à une intervention active dans les luttes sociales du pays pour la défense de son niveau de vie.
Le rôle de notre parti est d'être à l'avant-garde de ces luttes, de donner au prolétariat une politique de classe indépendante, d'en faire le guide et l'entraîneur des paysans et de la petite bourgeoisie dans la lutte contre le grand capitalisme. Le parti doit gagner surtout de l'influence sur les grandes masses inorganisées de la classe ouvrière française, car le mouvement français a cette particularité que le pourcentage des ouvriers politiquement et syndicalement organisés est très petit. Il faut appliquer la tactique du front unique, moins comme manœuvre à l'égard du parti socialiste, que comme une action pour mobiliser les masses inorganisées et les mettre en mouvement.
Le parti doit s'efforcer de lier la lutte de la classe ouvrière avec les luttes des petits bourgeois et des petits paysans contre l'inflation, les impôts, la vie chère, la guerre, etc.
En outre, la résolution s'occupe des autres tâches actuelles du parti, de la tâche importante de développer les syndicats comme organisations de masses, d'intensifier le travail pour l'unité syndicale et de continuer la lutte contre les guerres coloniales. La résolution montre, en outre, de quelle manière la tactique du front unique doit être appliquée à l'égard des socialistes dans le sens de la conférence du 1° décembre.
Ensuite, on souligne comme mot d'ordre politique central le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan.
La commission française propose au Plénum de ratifier la résolution présente. La première partie de la résolution, qui contient l'analyse économique et politique du pays et la critique de la politique passée du parti, a été adoptée à l'unanimité contre la voix du camarade Bordiga, la seconde partie de la résolution, concernant la lutte contre la droite, fut adoptée à l'unanimité contre les voix du camarade Engler, qui lui opposa une résolution de droite, et du camarade Bordiga. Une des tâches essentielles de la direction du parti est de faire cesser les luttes intérieures de la direction et d'organiser son travail collectif sur la base des décisions de la conférence du 1° décembre et de la résolution adoptée ici. Si la Centrale réalise un tel travail collectif et forme un bloc homogène, elle sera capable d'épurer rapidement le parti des déviations de droite et d'en faire, dans la période des grandes luttes qui approche, le guide des grandes masses prolétariennes et de leurs alliés contre l'Etat capitaliste ébranlé par une crise de plus en plus profonde.