Paru dans "L'Humanité" du 10 octobre 1912.
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Conflit élargi
Que la Bulgarie, la Serbie et la Grèce s’apprêtent à suivre l’exemple du Monténégro et à déclarer la guerre, personne n’en doute en Europe, quoique les hostilités n’aient pas encore été officiellement annoncées.
L’incendie va couvrir bientôt toute la région des Balkans. Mais ce que je vais dire et répéter dès le début de cette nouvelle période du drame, c’est que, si les démocrates sincères de l’Europe ne prennent pas tout de suite conscience du péril et si le prolétariat n’organise pas immédiatement une vigoureuse action internationale, le conflit ne tardera pas à s’élargir, à envelopper l’Europe entière.
Qu’on n’essaie pas de se rassurer et d’endormir les peuples en alléguant les engagements réciproques des grandes puissances. Comme le remarquaient hier les Débats, il y a eu, dans le drame qui se développe, une trop grande part de comédie, trop d’acteurs ont joué un rôle appris par cœur et qui ne concordait que médiocrement avec la vérité, pour qu’on puisse prendre au sérieux les assurances qu’échangent les pouvoirs européens. "Intégrité territoriale ; souveraineté du sultan". Vous souvenez-vous de ce refrain ? L’avons-nous assez entendu à propos d’un autre territoire que la Turquie, et d’un autre sultan que celui de Constantinople ?
Et puis, la guerre même en se développant pourra permettre à bien des puissances de dire : "J’avais promis ceci ; je m’étais interdit cela. Mais il y a des faits nouveaux. Les circonstances ne sont plus les mêmes." Ainsi par exemple la conscience de diplomates italiens pourra être libérée, par la suite des événements, du scrupule qui les empêche aujourd’hui de retenir officiellement les îles de la mer Égée. Et le Monténégro s’est montré, par sa déclaration de guerre à la Turquie, un beau-père de choix.
Voici dès maintenant par quels procédés le conflit pourra être élargi.
Voilà donc sans parler des diplomates, de leurs roueries, de leurs vanités, de leurs rancunes, bien des forces qui travailleront à l’élargissement du conflit. Et qu’on retienne bien surtout qu’il dépend des belligérants eux-mêmes, au moment où ils sentiront sur eux l’ombre de la défaite, et quel que soit le vaincu, de créer une diversion formidable en agrandissant la guerre, en appelant. sur le théâtre ensanglanté de nouveaux acteurs.
Je sais bien que les mêmes députés français qui par leur politique marocaine ont préparé niaisement (je parle des meilleurs) la terrible crise présente, essaient de s’en dissimuler à eux-mêmes la gravité.
"Bah ! ce ne sera rien." Et comme un mot suffit aux cerveaux indolents pour se délivrer de toute pensée, le mot "localiser " les rassure : "On localisera le conflit."
Et nous, nous disons que le plus grand péril d’aujourd’hui et de demain est dans cette sécurité épaisse et dans cette inconscience. La guerre frappe en ce moment à toutes les portes de l’Europe, d’un coup brutal et retentissant à celle-ci, d’un coup amorti encore et assourdi à celle-là. Stupide vraiment qui n’entend pas ! Que les démocrates s’éveillent, que le prolétariat s’organise.