(...) Dans la lutte de classe qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie, la monarchie bonapartiste (dont Marx fournit la caractéristique dans son 18-Brumaire et moi-même dans la Question du logement, (II, et ailleurs), joue un rôle identique à ce que fut celui de l’ancienne monarchie absolue dans la lutte entre le féodalisme et la bourgeoisie. Mais de même que cette lutte ne pouvait aboutir sous l’ancienne monarchie absolue, mais seulement sous la monarchie constitutionnelle (l’Angleterre, la France de 1789-1792 et de 1815-1830); la lutte de la bourgeoisie et du prolétariat ne peut parvenir à son terme qu’en République. Si donc des conditions favorables et un passé révolutionnaire ont aidé les Français à renverser le bonapartisme et à instaurer une République bourgeoise, ils ont sur nous-mêmes, qui nageons toujours dans un mélange de semi-féodalisme et de bonapartisme, l’avantage de disposer déjà de la forme dans laquelle cette lutte doit être menée jusqu’à son aboutissement, tandis qu’il nous reste encore à la conquérir. Politiquement, ils nous ont dépassés, d’une bonne étape. C’est pourquoi la restauration de la monarchie en France aurait pour conséquence de remettre à l’ordre du jour la lutte pour la restauration de la République bourgeoise, tandis que le maintien de la République signifie une intensification de la lutte de classe directe, avouée entre le prolétariat et la bourgeoisie, jusqu’au point de crise.
Chez nous aussi, le premier résultat direct de la révolution ne peut et ne doit être, du point de vue de la forme, rien d’autre que la République bourgeoise. Mais ici ce ne sera guère qu’une brève période de transition puisque, par bonheur, nous n’avons pas de parti bourgeois purement républicain. La République bourgeoise, peut être emmenée par le parti progressiste, nous servira pour commencer à gagner les grandes masses ouvrières au socialisme révolutionnaire. La chose se fera en un ou deux ans et aboutira à l’épuisement, à l’autodestruction complets – nous-mêmes exceptés – de toutes les formations intermédiaires encore possibles. Ce n’est qu’alors que nous pourrons l’emporter.
La grosse erreur des Allemands est d’imaginer que la révolution est quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain. En réalité, c’est un processus de développement des masses qui prend plusieurs années, même si les circonstances favorisent son accélération. Toutes les révolutions qui se sont accomplies en un jour ont ou bien aboli une réaction déjà caduque (1830) ou bien abouti à des résultats directement opposés à ce à quoi elles avaient aspiré (la France de 1848).
Bien à vous,
F.E.