1861-65 |
« À mon avis, la morale de tout cela c'est qu'une guerre de ce genre doit être
faite révolutionnairement et que les Yankees ont essayé jusqu'ici de la faire constitutionnellement. » Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec. |
La guerre civile aux États-Unis
PHASE MILITAIRE
Il y a quelque trois mois et demi - le 8 mars 1862 - la bataille navale entre le Merrimac et les frégates Cumberland et Congress dans les Hampton Roads clôtura la longue ère des navires de guerre en bois. Le 9 mars 1862, la bataille navale entre le Merrimac et le Monitor dans les mêmes eaux avait inauguré l'ère de la guerre entre navires cuirassés [1].
Depuis un certain temps, le Congrès de Washington consacre d'importantes sommes à la construction de différents navires cuirassés et à l'achèvement des grandes canonnières blindées de M. Stevens (de Hoboken, près de New York). En outre, M. Ericsson est en train d'achever la construction de six navires, conçus d'après le plan du Monitor, mais bien plus vastes et pourvus de deux tourelles mobiles, dont chacune est flanquée de deux grands canons. Le Galena, un second navire cuirassé, est construit dans un autre arsenal selon un modèle nouveau. Il vient d'être achevé et escortera le Monitor, d'abord pour surveiller le Merrimac, puis pour nettoyer la rive du fleuve James des forts rebelles; cette tâche est déjà réalisée jusqu'à une distance de sept à huit milles de Richmond. Le troisième navire cuirassé en mission sur le fleuve James est le Bengaluche, appelé d'abord Stevens d'après son inventeur et son propriétaire précédent.
Un quatrième navire cuirassé - le New Ironsides - est en construction à Philadelphie et doit prendre la mer d'ici quelques semaines. Le Vanderbilt et un autre grand vapeur sont transformés en navires blindés; de nombreux autres navires de guerre en bois, tel le Roanoke, vont ressusciter avec un blindage. Le gouvernement de l'Union a en outre fait construire sur l'Ohio quatre ou cinq canonnières pourvues de rails, qui rendirent de grands services près de Fort Henry, Fort Donelson et Pittsburg Landing. Enfin, le colonel Ellet et quelques-uns de ses amis se spécialisent dans la pose de blindages. A Cincinnati, et en différents points de l'Ohio, ils ont aplani d'anciens vapeurs et en ont revêtu la proue de blindage. Ils ne sont pas armés de canons, mais garnis de tireurs d'élite, si nombreux dans l'Ouest. Nous reviendrons plus loin sur le premier fait -d'armes de ces navires blindés improvisés.
De leur côté, les confédérés ne sont pas restés inactifs. Ils ont commencé à Norfolk la construction de nouveaux navires en métal et le radoubage de vieux bateaux. Mais, avant même qu'ils n'aient achevé leur ouvrage, Norfolk tomba aux mains des troupes de l'Union, et tous ces navires furent détruits. Les confédérés construisent, en outre, trois navires blindés d'acier, de tonnage moyen, à La Nouvelle-Orléans; un troisième navire cuirassé d'un tonnage énorme et supérieurement armé était en voie d'achèvement, lorsque La Nouvelle-Orléans fut prise. A en croire les officiers de marine de l'Union, s'il avait été terminé et engagé dans la guerre, ce dernier navire eût exposé toute la marine de l'Union au plus grand danger, car le gouvernement de Washington n'avait rien d'égal à opposer à ce monstre. Ses frais de construction ont atteint deux millions de dollars. Comme on sait, les rebelles ont eux-mêmes détruit ce navire.
A Memphis, les confédérés n'avaient pas construit moins de huit navires blindés, dont chacun était doté de quatre ou six canons de fort calibre. C'est à Memphis aussi que se déroula la première « bataille des blindés » sur le Mississippi, le 6 juin. Bien que la flottille de l'Union, qui descendait le Mississippi, ne comptât que cinq canonnières blindées, ce furent néanmoins les deux blindés du colonel Ellet Widder - la Queen et le Monarch - qui décidèrent de l'issue du combat. Sur les huit blindés ennemis, quatre furent détruits, trois capturés et un seul parvint à prendre la fuite. Après que les canonnières de la flottille de l'Union eurent ouvert un feu violent sur les navires rebelles ainsi tenus en haleine, la Queen et le Monarch se glissèrent jusqu'au milieu de l'escadre ennemie. Le feu des canonnières s'arrêta bientôt, étant donné que les blindés du colonel Ellet Widder avaient formé avec l'adversaire un tel écheveau que l'artillerie ne pouvait plus distinguer l'ami de l'ennemi.
Comme nous l'avons remarqué ci-dessous, les bateaux construits par Ellet Widder ne disposaient pas de canons, mais d'un grand nombre de tireurs d'élite. Les navires à vapeur étaient simplement protégés par un assemblage de bois et de fer. De puissantes machines à vapeur et une proue armée d'une pointe acérée de chêne et de fer constituaient tout l'équipement de ces blindés. Hommes, femmes et enfants accoururent par milliers de Memphis pour suivre anxieusement du haut des rives abruptes du Mississippi la « bataille des blindés »; parfois la foule n'était qu'à une demi-lieue anglaise du théâtre de guerre. La bataille dura à peine une heure. Tandis que les rebelles perdaient sept navires et cent hommes, dont quarante par noyade, un seul navire de l'Union fut sérieusement endommagé; il n'y eut qu'un blessé, et aucun tué du côté nordiste.
A part le navire blindé qui réussit à s'échapper dans la bataille navale de Memphis, les confédérés ne possèdent plus guère qu'une paire de navires cuirassés ou blindés à Mobile. A part cela et les quelques canonnières de Vicksburg qui menacent à la fois quiconque remonte le fleuve depuis Farragut et quiconque le descend depuis Davis, leur flotte a déjà cessé de mener son existence bénie.
Notes
[1] Le 8 mars 1862, dans la baie de Hampton Roads, il y eut un premier combat naval entre le cuirassé sudiste Merrimac et des bateaux de bois de la flottille nordiste. Les frégates nordistes Cumberland et Congress turent détruites et les autres gravement endommagées. Le lendemain, le cuirassé nordiste Monitor entra en action et mit en fuite le Merrimac. À la différence de celle du Merrimac, l'artillerie du Monitor était concentrée dans une tourelle blindée au centre du navire, conformément au modèle de l'ingénieur Ericsson.