1921 |
Source : numéro 51 du Bulletin communiste (deuxième année), 17 novembre 1921. |
Autour d'une contre-motion
Le Bulletin Communiste a publié, en numéro spécial, la thèse du Comité Directeur sur la politique du Parti à l'égard des syndicats. Adoptée par l'unanimité des membres du Comité, cette thèse est actuellement dans les mains de toutes les sections du Parti et de tous les militants préoccupés de posséder sur les questions à l'ordre du jour une documentation exacte.
Les autres thèses qui vont sortir incessamment (celle qui concerne la politique agraire est complètement terminée), paraîtront, elles aussi, dans le Bulletin Communiste.
On sait que les 2 et 3 novembre derniers, un certain nombre de militants syndicalistes qui, la veille et l'avant-veille, avaient participé à la Conférence nationale minoritaire, se sont réunis à la Bellevilloise, sur la convocation du Comité Directeur, et qu'après avoir entendu la lecture de la thèse sur la politique syndicale, ils ont été invités à donner sur elle un avis motivé. Tous ces militants syndicalistes étaient membres de notre Parti.
Le débat qui s'est ainsi ouvert, et qui ne fut pas sanctionné par un vote (la réunion étant purement consultative), a rempli trois séances. Il a été des plus nourris, des plus intéressants, des plus utiles A l'exception de Loriot, de Treint et de moi-même, tous ceux qui y ont pris part sont d'actifs praticiens du mouvement syndical. Ils se trouvaient en présence d'un fait nouveau : la volonté du Parti communiste d'avoir désormais une politique syndicale, de ne plus considérer l'autonomie administrative et fonctionnelle des organisations spécifiquement ouvrières comme lui faisant défense, à lui Parti de classe, d'exercer sur le syndicalisme une influence quelconque.
On pouvait s'attendre de leur part à de vives récriminations. N'ont-ils pas plus ou moins grandi, tous tant qu'ils sont, dans la tradition anti-politique et anti-socialiste de la motion d'Amiens, dans la doctrine ésotérique du syndicalisme qui se suffit à lui-même et qui suffit à tout ? Comment accueilleraient-ils l'initiative d'un parti assez « audacieux » pour dire, comme il a l'audace de le penser, que tout ce qui est prolétarien est sien, et que sa propagande et son action, ayant à gagner au communisme la grande majorité des masses ouvrières, ne sauraient dépasser les barrières plus ou moins arbitraires et plus ou moins factices qu'élèvent autour d'eux-mêmes les syndicats ouvriers ?
Eh bien, j'ai hâte de le dire : à la seule exception de celle de Verdier, pas une voix ne s'est élevée contre les bases fondamentales de la thèse du Comité Directeur. Verdier, seul, a fait entendre contre elle la protestation du syndicalisme révolutionnaire absolu. A notre communisme marxiste, il a opposé — principes contre principes — le vieux syndicalisme d'avant-guerre ; à la conquête du pouvoir, la négation du pouvoir ; à l'insurrection armée des masses, la grève générale ; à la lutte parlementaire, l'action directe ; à la reconstruction communiste de la société, la reconstruction syndicaliste ; bref, à ce que nous appelons la politique ce qu'il appelle l'économie. — Ce sont là des principes qui, historiquement et logiquement, ne se sont jamais opposés. Ils ne s'opposent que dans la cervelle de Verdier, de Besnard1 et de quelques autres ; j'espère bien, d'ailleurs, que même dans ces cervelles-là, ils se réconcilieront un jour, comme ils sont en train de le faire dans l'action prolétarienne pratique, moins affamée de logique rationnelle, que ne le sont nos cerveaux humains.
Mais Verdier ne représente pas à lui seul tout le syndicalisme révolutionnaire, et ceux qui à la Bellevilloise ont parlé, avant ou après lui, se sont bien gardés de le suivre jusqu'au bout dt son absolutisme doctrinaire. Certains nous ont donné purement et simplement raison, tels nos camarades Kirsch2 et Liedrich, de Lorraine ; Lauridan3, que les grèves du Nord ont mis en pleine lumière ; Julienne4, de Seine-et-Oise ; tel aussi Bert, de la Haute-Vienne, qui ne demandait, dans notre thèse, que quelques substitutions de termes destinées à prévenir certaines susceptibilités. Les autres, tels. Mayoux, Quinton, Semart, etc., tout en se déclarant fermement communistes, n'ont fait valoir contre nous que des arguments sans objet, ou des arguments périmés. Ils ont condensé leur point de vue en un texte que nos lecteurs trou/eront plus loin et due nous les prions de comparer attentivement avec le nôtre.
La grande, l'unique préoccupation de Mayoux, de Quinton5 et de Semard6, c'est de sauvegarder l'autonomie du mouvement syndical, c'est d'empêcher que le Parti ne s'empare de la direction des syndicats et ne mette ceux-ci « au service des luttes électorales ».
Et moi qui pensais que nous avions, avec tant d'énergie, affirmé le principe de l'autonomie syndicale et celui de la fonction propre, de la « valeur propre » des syndicats qu'il serait impossible de mettre nos affirmations en doute, de nous inculper à cet égard de quelque arrière-pensée que ce fût !
Répétons-le : nous sommes CONTRE toute subordination des syndicats au Parti, parce que nous croyons d'abord à la valeur révolutionnaire propre des syndicats, ensuite à la capacité des syndiqués de s'administrer eux-mêmes. Nous sommes, tout comme Quinton et Mayoux, pour que « le Parti et les syndicats s'entendent toujours sur pied de parfaite égalité » ; — nous pensons même, qu'un jour viendra peut-être où Parti et syndicats, ayant pris la bonne habitude de s'entendre, créeront entre eux des liens dont la souplesse n'exclura pas la permanence ; mais ce n'est là qu'une opinion personnelle.
Mayoux et Quinton nous reprochent de distinguer syndicalisme et communisme et d'attribuer au second une supériorité sur le premier. Or, nous n'avons rien distingué qui ne le fût déjà, hélas ! depuis longtemps. A notre avis, syndicalisme et communisme ne s'opposent pas, à condition de les bien entendre (et si nous préférons le mot communisme au mot syndicalisme, c'est qu'étant plus général, plus ample, plus clair, plus anciennement consacré ; les deux doctrines ne s'opposent que dans la cervelle, avide de distinguos subtils, de certains camarades). Pour nous, elles se confondent si bien qu'un seul nom nous suffit pour les désigner, toutes deux, et ce nom, c'est le communisme.
On nous reproche de méditer la création de noyaux communistes dans les syndicats. Ni le mot ni la chose ne sont dans notre thèse. C'est que nous n'avons pas besoin de noyautage pour gagner au communisme les masses syndiquées ; il suffit que les ouvriers communistes agissent dans les syndicats en communistes qui ne craignent pas de s'affirmer comme tels et sachent y tenir tête aussi bien à la politique de Lecoin7 qu'à la politique de Verdier. Il nous suffit qu'il y ait dans les syndicats, désormais, une politique communiste : au congrès de Marseille on en élaborera précisément les grandes lignes.
J'avais promis à Mayoux et à Quinton, à la fin de la conférence, que la commission restreinte qui a rédigé la thèse du Comité Directeur serait saisie de leur motion et verrait s'il n'y avait pas lieu d'en faire profiter notre thèse. La commission a estimé que, toutes les idées essentielles de Mayoux et de Quinton se trouvant déjà dans la thèse, il n'y avait pas lieu de modifier celle-ci. Mais elle a décidé de publier à part la motion déposée par eux. Si nous sommes pour l'autorité dans l'action, nous sommes, en effet, pour la liberté dans la discussion. Nos lecteurs trouveront donc plus loin la motion de nos camarades.
Notes
1 Pierre Besnard (1886-1947), cheminot. Après avoir été mis en minorité avec ses partisans par ceux de l'adhésion à l'Internationale Syndicale rouge (Profintern) en 1922, il a essayé de regrouper l'opposition au sein de la CGTU. Après la guerre participera à la création de la Confédération Nationale du Travail française.
2 Marcel Kirsch (1895-1978), secrétaire général du syndicat des cheminots de la Moselle en 1919. Syndicaliste CGTU et membre du PCF jusqu'à la guerre, il est favorable à la charte du travail de Pétain, et est exclu à vie de toute participation à une organisation syndicale.
3 Henri Lauridan (1885-1963), fonctionnaire municipal, puis journaliste, secrétaire général (1920-1921) puis secrétaire (1922) de l’Union départementale CGT du Nord ; exclu du PC en 1923, militant à partir de 1926 d’organisations fascistes.
4 Alexandre Julienne (1882-1964), travailleur des chemins de fer, quitte le PC pour la SFIO vers 1930.
5 Augustin Quinton (1890-?), alors secrétaire des Comités syndicalistes révolutionnaires.
6 Le Bulletin communiste a « Semart », mais il s'agit très probablement de Pierre Semard.
7 Louis Lecoin (1888-1971), anarchiste, tira en l'air au congrès de la CGT de 1921.