Publié dans la Pravda du 24 janvier 1929 (WH 1619). Traduction établie à partir de celle d'Hélène Souviron (tapuscrit de 1977) et corrigée avec la traduction des Œuvres choisies en un volume (Moscou, 1990, pp. 485-507).
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Le testament politique de Lénine
(Allocution à la séance commémorative du cinquième
anniversaire de la mort de Lénine)
21 janvier 1929
Camarades ! Les œuvres des grands hommes, — et notre maître et dirigeant défunt était l'un des plus grands, — représentent un trésor merveilleux d'idées. On est amené à choisir parmi la remarquable diversité de ce trésor. On est amené à. limiter son thème, car les richesses idéologiques sont inépuisables et immenses. C'est pourquoi je limite le thème de mon intervention au testament politique de Lénine, c'est à dire à l'ensemble des pensées que Vladimir Ilitch nous a laissé, sa dernière déclaration, la plus sage, la plus pondérée, sa directive la plus mûrement réfléchie. Je vais parler du plan pénétrant et génial de tout le travail laissé au parti. Ce parti, Lénine l'a créé, il l'a mené, il l'a conduit à la victoire. Il l'a dirigé durant les jours difficiles et héroïques de la guerre civile, il l'a reconstruit et l'a mené de nouveau au combat à l'époque où s'ouvraient les grands travaux économiques.
L'essentiel de ce que nous a laissé le camarade Lénine se trouve dans cinq remarquables articles au contenu très profond : Feuillets de bloc-notes, Sur notre révolution, Comment réorganiser l'Inspection Ouvrière et Paysanne, Mieux vaut moins, mais mieux, De la coopération. Tous ces articles, si on les examine attentivement, ne sont pas des morceaux séparés et dépareillés, mais constituent les parties organiques d'un grand tout, du grand plan de la stratégie et de la tactique léniniste : ce plan est établi sur la base de la perspective tout à fait précise prévue par le regard génial et pénétrant du stratège des forces révolutionnaires mondiales.
Je sais très bien qu'on a plus d'une fois cité ces articles, que presque chacune de leurs phrases a été étudiée. Mais il existe jusqu'à ce jour une lacune que j'ai envie de combler en cette soirée commémorative solennelle. Jusqu'à présent, en effet, pour autant que je sache, on n'a pas tenté d'examiner tous ces articles dans leur corrélation, de les comprendre comme une parcelle du grand plan des perspectives de tout notre travail de communistes.
Au seuil de la sixième année après la fin douloureuse de notre maître une crainte peut, il est vrai, apparaître : est-ce que nous ne philosophons pas là outre mesure ? Est-ce que nous ne relions pas nous-mêmes a posteriori et, qui plus est, de façon artificielle, des choses qui, chez Vladimir Ilitch, étaient des remarques isolées, bien que géniales ? En effet, qu'y a-t-il de commun entre une appréciation sur toute notre révolution et des remarques sur la façon de réorganiser l'Inspection ouvrière et paysanne ? Néanmoins l'auteur de ces articles les considérait lui-même comme l'expression d'un plan global.
C'est précisément dans l'article sur l'Inspection ouvrière et paysanne, question à première vue particulière, que Lénine écrit :
« Voici comment je relie dans mes pensées le plan général de notre travail, de notre politique, de notre tactique, et de notre stratégie aux tâches de réorganisation de l'inspection ouvrière et paysanne. »1
Si nous nous penchons avec attention sur les derniers articles de Lénine nous voyons qu'ils contiennent une foule d'éléments : 1°, une appréciation générale de notre révolution du point de vue de la possibilité de construire le socialisme dans notre pays, 2°, les grandes lignes, nettement tracées, de notre développement, 3°, une analyse très profonde bien que très courte de la situation internationale, 4°, les bases de notre stratégie et de notre tactique, 5°, les problèmes de la construction de notre économie, 6°, les problèmes de la révolution culturelle, 7°, les problèmes du rapport de force entre les principales classes, 8°, les problèmes de l'appareil d'Etat, 9°, de l'organisation des masses, 10°, et enfin de l'organisation de notre parti et de sa direction.
En fait il n'est pas une seule question tant soit peu importante de notre politique dont l'analyse n'ait pu trouver place dans ce plan génial, développé par le camarade Lénine dans ses dernières directives.
Ces problèmes très importants de notre politique, Lénine ne les a pas développés dans l'optique d'une conjoncture momentanée et passagère. Lorsqu'il les a posés, il avait en vue une « grande politique », les perspectives les plus larges, les voies générales, la « grande route de notre développement ». Son analyse n'est pas l'analyse étriquée d'un petit secteur, mais une immense toile sur laquelle il a représenté avec une puissance inhabituelle, avec la simplicité et l'expressivité les plus convaincantes, la démarche difficile du processus historique. Lénine tire de cette analyse des conclusions énormes, mais il lui subordonne aussi des détails d'organisation relativement secondaires.
Donner une image de l'ensemble du plan de Lénine, comme d'un tout, voilà la tâche que je me suis assignée aujourd'hui.
Je commencerai avant tout par le problème de l'appréciation générale de notre révolution du point de vue de la possibilité de construire le socialisme dans notre pays. L'article intitulé Sur notre révolution y est consacré.
A première vue, et superficiellement, on peut considérer cet article comme occasionnel, presque comme une « note » de critique. Ce serait une grossière erreur. Par ses idées la note Sur notre révolution est l'une des œuvres les plus originales et les plus audacieuses de Vladimir Ilitch.
Ce n'est pas par hasard, bien sûr, qu'il a choisi ce thème « notre révolution », c'est à dire l'appréciation de cette révolution et de ses possibilités envisagées dans leur ensemble. Il avait prévu que des doutes divers pourraient naître à propos de la construction du socialisme dans notre pays ; il savait que notre classe ouvrière serait peut-être amenée à subir plus d'une vague d' « attaques » variées de la part des partis qui avaient à une certaine époque agi en tant qu'ennemis politiques actifs à l'intérieur de notre pays, de la part de leurs successeurs, et des renégats de notre propre parti.
Il comprenait parfaitement que les diverses difficultés de la construction pouvaient conduire les intellectuels hésitants à douter de la possibilité de construire le socialisme dans notre pays ; il comprenait qu'il se trouverait des partisans camouflés de relations « normales », capitalistes ; il comprenait que les élucubrations des smenoviekhovtsy2 sur le grand bienfait de la révolution d'Octobre pour ce qui est de la destruction des vieilles armoiries nobles, des écuries féodales et du moyen-âge tsariste, mais en même temps pour ce qui est de la prospérité et de lu victoire imminente des nepmen, il comprenait que ces élucubrations se réchaufferaient de temps à autre. Nous savons parfaitement que de tels doutes ont existé, qu'ils existent encore çà et là, et que selon toute vraisemblance, ils existeront pendant un certain temps.
C'est pourquoi Lénine a encore une fois posé le problème fondamental de notre révolution, du caractère de notre révolution, de son appréciation dans son ensemble.
Le camarade Lénine pose le problème fondamental : on affirme que chez nous les conditions économiques et culturelles objectives n'étaient pas suffisantes pour passer au socialisme.
Bien. Mais cela ne résout pas la question. Qu'est-ce que ne comprennent pas les pédants kautskistes ? Ils ne comprennent pas ce fait essentiel, que si du point de vue de l'histoire mondiale seuls devraient faire une révolution prolétarienne les pays développés, les pays ayant une base économique extrêmement développée et tout à fait « suffisante » pour passer au socialisme (bien que personne ne puisse dire à partir de quel degré ce développement commence â être « suffisant » ), malgré tout il peut y avoir des exceptions particulières, définies par l'originalité de la situation intérieure et extérieure.
Cette originalité de situation a justement existé chez nous, puisque la révolution s'y trouvait liée premièrement à la guerre mondiale, deuxièmement au début d'une immense fermentation révolutionnaire parmi des centaines de millions d'asiatiques, et troisièmement à la combinaison que Marx dès les années cinquante du siècle dernier estimait la plus favorable, à savoir : la combinaison d'une guerre paysanne et d'une révolution prolétarienne.
Et voilà, ce sont ces circonstances, cette situation totalement particulière et originale qui furent la base de tout le développement de notre révolution. Une position originale fut rendue possible : nous avons d'abord conquis « le pouvoir ouvrier et paysan », et ensuite seulement nous avons dû, « forts d'un pouvoir ouvrier et paysan et du régime soviétique, nous mettre en mouvement pour rattraper les autres peuples »3.
Ces jugements extrêmement audacieux étaient indispensables à Vladimir Ilitch pour dévider aussi à partir de là le fil de l'orientation à donner ensuite. Si chez nous la résolution socialiste repose pour une bonne part sur cette combinaison particulière des forces de classes déjà prise en considération par Marx, eh bien cette « combinaison de la révolution prolétarienne et de la guerre paysanne » (c'est à dire union de la classe ouvrière et de la paysannerie sous la direction de la classe ouvrière) doit durer, elle doit être maintenue coûte que coûte ; car si l'on se prive de cette combinaison particulièrement favorable, toute la base du déploiement de la révolution socialiste dans notre pays s'effondre.
Lénine qualifie encore une fois notre révolution de socialiste. Il rejette les principaux arguments des gens qui flirtent avec le retour à un « capitalisme sain », et à la restauration de la bourgeoisie ; Lénine caractérise « notre révolution » dans toute son ampleur, et ensuite il pèse avec un soin exceptionnel le problème le plus général du caractère du développement de « notre révolution » et, par suite, des bases, de l'orientation de notre tactique. Lénine prévoit le risque que des gens se dissimulant sous une phraséologie révolutionnaire ne comprennent pas le changement énorme, décisif et tenant aux principes qui a lieu dans tout le développement de la société après la conquête du pouvoir par le prolétariat.
À partir de là nous trouvons une fois de plus une formulation extraordinairement audacieuse, vive, nette, et d'une énergie rare, de ce problème. Lénine la donne dans son remarquable article De la coopération.
Dans cet article le camarade Lénine écrit :
« Force nous est de reconnaître que tout notre point de vue sur le socialisme a radicalement changé. »4
Quand et où a-t-on formulé cette thèse avec tant de netteté ? J'affirme que parmi toutes ses œuvres, c'est précisément dans l'article De la coopération que cette thèse a été formulée de la façon la plus nette et avec une énergie politique sévère et passionnée.
« Force nous est de reconnaître que tout notre point de vue sur le socialisme a radicalement changé », écrit le camarade Lénine.
« Ce changement radical consiste en ceci ; autrefois nous faisions porter (et nous devions le faire) le centre de gravité sur la lutte politique, la révolution, la conquête du pouvoir, etc. Mais aujourd'hui le centre de gravité se déplace : il porte sur le travail pacifique d'organisation « culturelle ». Je dirais que pour nous le centre de gravité se déplace vers l'action éducative, n'étaient les relations internationales, le devoir que nous avons de défendre notre position à échelle internationale. Mais si on fait abstraction de ce point pour se borner à nos rapports économiques intérieurs, il est bien vrai qu'à présent, le centre de gravité de notre travail se porte sur l'action « éducative ».5
Cela ne veut absolument pas dire que Lénine renie ici la lutte de classe, car le travail « pacifique d'organisation », le travail « culturel », est aussi une forme particulière de la lutte de classe. Cela veut dire que le prolétariat entraîne derrière lui tout le monde du travail ; qu'il répond du développement de toute la société dans son ensemble, qu'il devient le grand organisateur collectif de toute l'économie nationale. Cela veut dire que l'orientation du développement ne passe pas par un élargissement du fossé qui sépare les principales classes (classe ouvrière et paysannerie), que l'on ne va pas du tout vers une « troisième révolution » etc.
Il va de soi que le déroulement réel de la vie — comme le dit la sentence de Méphistophélès : « la théorie est grise, mon ami, mais vert est l'arbre éternel de la vie » — est dans la réalité plus compliqué : les conditions objectives peuvent se révéler plus compliquées, et notre tactique peut ne pas se révéler tout à fait idéale. C'est pourquoi il peut réellement y avoir des périodes d'aggravation de la lutte de classe et de ses formes. Ces périodes sont liées aux regroupements des classes sociales.
Nous traversons en ce moment une de ces périodes d'aggravation de la lutte de classe où nous ne pouvons pas dire que notre travail se borne à l'action éducative. Il serait bien sûr, absolument faux de ne pas tenir compte des traits particuliers de chaque étape de notre lutte. Mais en même temps les thèses fondamentales du camarade Lénine sur le caractère de notre développement restent profondément justes. Et cela doit rester notre base théorique lorsque nous établissons notre grande orientation tactique.
Dans son testament politique Lénine est loin de se limiter à ces questions générales : du général il va au particulier, aux choses toujours plus concrètes. De main de maître il jette des couleurs toujours plus vivantes et vives, pose des problèmes toujours plus brûlants. Vladimir Ilitch était un révolutionnaire international, un théoricien marxiste de première classe et, bien entendu, il comprenait que les plus grandes difficultés, les menaces et les dangers les plus perfides étaient liés à notre position internationale. Il nous arrive d'oublier ce qu'a écrit Vladimir Ilitch dans son testament politique à propos de notre position internationale, et pourtant il y donne une analyse qui a été confirmée, à peu d'exceptions près, par tout le cours ultérieur des événements mondiaux.
Sur un point, la vie a apporté une très importante correction. Je le place en premier. Le camarade Lénine présentait la situation internationale comme suit :
1° En Europe occidentale, schisme entre les Etats impérialistes :
L'Allemagne est à zéro, l'Allemagne est dépecée par les pays vainqueurs qui ne la laissent pas se relever. Ce point est pour une bonne part caduc : l'Allemagne, comme on sait, bien qu'elle se heurte à d'énormes difficultés, s'est relevée sous la vivifiante pluie d'or américaine.
2° D'autre part, écrit Lénine dans son analyse de la situation, les vainqueurs, c'est dire la France, l'Angleterre, les Etats-Unis et le Japon, sur la base de leur victoire peuvent renforcer leur pouvoir, peuvent faire à la classe ouvrière des concessions qui « y retardent encore le mouvement révolutionnaire et créent un certain semblant de « paix sociale » »6. Cette formulation est précise, juste et d'une prudence bien mesurée.
3° En même temps un mouvement révolutionnaire couve dans les pays d'Orient (Inde, Chine etc.) — la plus grande partie de l'humanité s'engouffre dans le tourbillon révolutionnaire.
4° Des conflits extérieurs mûrissent, comme dit Lénine, entre « les Etats impérialistes prospères occidentaux et les Etats orientaux. »7
5° Des contradictions et des conflits mûrissent en Orient entre les impérialistes contre-révolutionnaires et le mouvement national-révolutionnaire, dont les forces matérielles sont encore faibles.
6° Un conflit mûrit entre l'impérialisme et le pays des Soviets.
Au moment où Lénine écrivait ces lignes, nous ne posions pas le problème de la stabilisation du capitalisme. Il n'y avait pas de signe de cette stabilisation. Mais Vladimir Ilitch avait donné en fait pour l'essentiel l'analyse à laquelle nous avons fini par aboutir avec une difficulté énorme seulement au cours des années qui suivirent. Vladimir Ilitch ne craignait pas un instant d'être suspecté d'opportunisme ou d'un quelconque péché mortel de ce genre et il écrivait que les Etats impérialistes vainqueurs « prospéreraient ». Mais il notait d'autre part les contradictions qui naissent de la stabilisation du capitalisme. Et, ce qui est particulièrement intéressant, Vladimir Ilitch liait directement la prochaine explosion révolutionnaire à une guerre future.
Pour ce qui est des mouvements populaires importants, il les cherchait en premier lieu en Orient ; il voyait là une situation révolutionnaire et la possibilité d'explosions révolutionnaires spontanées de larges masses populaires. L'histoire n'a-t-elle pas pleinement confirmé ce pronostic ?
À la lumière de cette analyse de la situation internationale, Vladimir Ilitch définissait aussi les bases de notre stratégie et de notre tactique.
Le camarade Lénine considérait notre position internationale en premier lieu du point de vue du danger de guerre. C'était de toute évidence l'essentiel à ses yeux.
En effet, comment posait-il le problème ? Comment le formulait-il ?
— « Quelle tactique nous impose une telle situation ? »
— « Pouvons-nous échapper à un affrontement futur avec ces Etats impérialistes ? »
— Quelle tactique devons-nous suivre pour « empêcher les Etats contre-révolutionnaires d'Europe occidentale de nous écraser ? »8
Celui qui connaît la précision avec laquelle s'exprimait Vladimir Ilitch sait combien Vladimir Ilitch se montrait réservé dans l'emploi des « grands » mots.
Et si l'on se souvient qu'il s'agit de son testament politique, on ne peut pas ne pas lire la plus profonde inquiétude dans la façon de poser ces questions. (L'inquiétude d'un penseur sérieux et d'un sage stratège). Lénine était inquiet pour la destinée de toute la construction du socialisme, pour la destinée de toute la révolution. Lénine n'avait rien d'un ultra patriote irréfléchi, il tenait compte sérieusement des forces puissantes des ennemis. Il parlait de même ouvertement de nos faiblesses, appelait les masses à les surmonter. Il attirait avant tout l'attention sur la faible productivité du travail national. Il notait que les impérialistes n'avaient pas réussi à détruire l'état soviétiques, mais qu'ils avaient réussi à le ruiner, à rendre son développement plus difficile, à le freiner, c'est à dire qu'ils avaient réussi à résoudre le problème à moitié (« les problèmes à moitié résolus »).
Il faut reconnaître que, bien que nous ayons fait un grand bond avant dans le domaine du développement économique et culturel, nous vivons cependant dans une situation de semi-blocus. Et en ce qui concerne « la faible productivité du travail national », et bien que là aussi nous ayons bien progressé, nous nous trouvons encore, si l'on compare avec l'Europe occidentale et l'Amérique, à un degré de développement extraordinairement bas, semi-barbare.
Mais comment Vladimir Ilitch répondait-il lui-même aux questions posées ci-dessus ? Il répondait avec la plus grande prudence. Il disait : la solution du problème général de l'issue de ce combat gigantesque dépend « d'un grand nombre de facteurs » qu'il est impossible de prévoir. Cependant, en fin de compte, notre victoire repose sur la force titanique de la masse. La masse principale de l'humanité (U. R. S. S., Inde, Chine, etc.) décidera de l'issue du combat. Cependant cette issue suppose une tactique définie.
Donc :
« Quelle tactique nous impose une telle situation ? De toute évidence celle-ci : nous devons manifester la plus extrême prudence pour conserver notre pouvoir ouvrier, pour garder sous son autorité et sous sa direction la petite et la très petite paysannerie. »9
Ainsi, lorsque Lénine posait la question de savoir quelle était la garantie intérieure essentielle dans la lutte contre une attaque des impérialistes, quelle était la règle tactique essentielle, indispensable pour que la révolution du prolétariat soit victorieuse dans la lutte contre les gouvernements contre-révolutionnaires d'Europe occidentale, il répondait : « La plus grande prudence dans les points de la politique qui concernent l'attitude du pouvoir ouvrier envers la paysannerie ».
Ailleurs dans le même article il donne avec précision, et de façon très claire et concise des formulations que leur brièveté rend d'autant plus expressives :
« Il nous faut suivre cette tactique, ou bien adopter pour notre salut la politique suivante :
Nous devons nous efforcer de construire un état où les ouvriers continueraient à exercer la direction sur les paysans, garderaient la confiance de ces derniers, et par une économie rigoureuse banniraient de tous les domaines de la vie jusqu'aux moindres excès.
Nous devons réaliser le maximum d'économie dans notre appareil d'état ».10
Cela semble à première vue bien peu pour assurer « notre salut » lors d'une attaque des puissances capitalistes d'Europe occidentale. Mais plus loin le camarade Lénine déroule dans toutes les directions, à partir de ces directives apparemment « pauvres », la chaîne la plus riche d'indications toujours plus concrètes ; de plus chaque maillon s'accroche au suivant, et ainsi se dégage toute la pratique complexe et vivante de la lutte révolutionnaire et de la construction. La pensée que Lénine a soulignée avec tant de puissance en la débitant en lourdes notes semble pauvre : la direction sur la paysannerie, la « plus grande prudence », la confiance de la paysannerie, la réduction de llappareil au minimum, cela semble trop peu, tout cela semble trop simple.
Mais il existe deux sortes de simplicité : la simplicité qui est « pire que le vol », et la simplicité géniale, produit de la plus profonde pénétration et de la connaissance du sujet la plus profonde. Dans le domaine de la création artistique, Tolstoï avait cette géniale simplicité, dans le domaine de la politique, c'était Lénine.
De ce que j'ai déjà dit, il découle que Vl. Ilitch considérait un affrontement armé comme tôt ou tard inévitable. Il affirmait que notre révolution ne pouvait en sortir victorieuse que si les paysans faisaient confiance au pouvoir ouvrier. D'après le testament de Lénine, c'est cela la condition décisive sans laquelle la révolution ne peut exister. Cela suppose à son tour la plus grande économie dans notre gestion. Pourquoi ? A ce propos le camarade Lénine dévoile toutes la richesse interne de ses mots d'ordre : le sens de « la plus grande économie » se révèle être beaucoup plus profond qu'il ne paraît à première vue.
Dans son célèbre article Mieux vaut moins mais mieux Lénine développe son plan selon deux directions liées à la directive concernant l'union des ouvriers et des paysans et à celle portant sur l'économie. Ce sont : le plan d'industrialisation et le plan de « l'entrée de la population dans les coopératives ». Après avoir dit que nous devions garder la confiance des paysans, extirper tout ce qui est superflu dans nos relations sociales, réduire l'appareil d'état au minimum, et réaliser une accumulation progressive, le camarade Lénine demande ensuite :
« Mais est-ce que ce ne sera pas alors le règne de la médiocrité paysanne ? »11
Vl. Ilitch connaissait bien notre peuple, il savait parfaitement qu'il y aurait des attaques de ce genre, prétendant qu'il prônait « le règne de la médiocrité paysanne », qu'il parlait trop de la paysannerie etc. En réponse, Lénine disait :
« Non. Si nous conservons à la classe ouvrière sa direction sur la paysannerie, nous aurons la possibilité, au prix d'économies des plus rigoureuses dans la gestion de notre Etat, d'employer la moindre somme économisée pour développer notre grande industrie mécanisée, l'électrification, l'extraction hydraulique de la tourbe, pour achever la construction de la centrale hydroélectrique du Volkhov, etc.
« Là, et là seulement, est notre espoir… »12
Alors nous tiendrons bon, à coup sûr, et qui plus est, « non pas au niveau d'un pays de petite agriculture paysanne, mais à un niveau qui s'élève de plus en plus vers la grosse industrie mécanisée. »13
Où est le « nœud » ? Où est le cœur-même de la pensée politique ? Où se trouve ici cette chose particulière qui distingue l'orientation léniniste de toute autre ? Tout d'abord dans le fait que l'union des ouvriers et des paysans se trouve à la base de tout le plan, et dans cette « extrême prudence » à ce sujet, prudence qui sépare si nettement la « terre » léniniste des « cieux » trotskistes. Ensuite, dans le fait qu'est donnée ici une réponse tout à fait définie à la question : à partir de quoi devons-nous mener l'industrialisation du pays, où sont les sources de ces sommes supplémentaires que nous devons dépenser de plus en plus largement pour industrialiser le pays ?
Ces sources peuvent être diverses. Elles peuvent venir de la dépense des réserves que nous avions (balance passive augmentant), elles peuvent venir d'une émission de papier monnaie entraînant un risque d'inflation et la faim monétaire ; elles peuvent venir d'une surimposition de la paysannerie.
Mais tout cela ne représente pas une base saine pour l'industrialisation. Tout cela n'est pas solide, n'est pas durable ; tout cela peut faire courir le danger d'une rupture avec la paysannerie.
Le camarade Lénine indique d'autres sources. C'est, avant tout, une réduction maximale de toutes les dépenses improductives qui sont chez nous vraiment énormes, et l'élévation des indices qualitatifs, en premier lieu l'élévation de la productivité du travail national. Les moyens principaux de réaliser l'accumulation ne sont pas d'émettre, de dévorer les réserves (d'or, de marchandises, de devises), ni de surimposer la paysannerie, mais d'élever la qualité de la productivité du travail national et de lutter sévèrement contre les dépenses improductives.
C'est bien une directive définie, une ligne politique définie. Elle est sage car c'est la seule ligne assurant au problème de la construction économique, et de l'accumulation socialiste etc., une base réelle, solide, et saine, à la fois dans le domaine économique et dans le domaine des classes sociales.
S'orienter vers l'industrialisation, résoudre le problème des sources de l'accumulation, faire en sorte que la politique d'industrialisation non seulement ne provoque pas une rupture avec la paysannerie mais au contraire consolide l'union avec elle, et donner une appréciation générale du problème de l'industrialisation comme problème décisif : « là, et seulement là est notre espoir » écrivait Lénine à propos de la grande industrie mécanisée. Voilà quelles sont les directives qui découlent pour Lénine de la conjoncture économique et sociale et de l'analyse de la situation internationale.
Concrétisant le problème de savoir sur quelle base d'organisation devait se réaliser l'alliance d'une industrie en croissance avec les petites et les toutes petites exploitations paysannes, Lénine développe son « plan de coopération », le plan de l'alliance à travers « la forme coopérative »14. Pourquoi la coopération est-elle proposée comme une méthode décisive ? Parce qu'elle est la transition, comme l'exprime Lénine avec beaucoup de prudence, pour aller vers un « état de choses nouveau », « par la voie la plus simple possible, la plus facile, la plus accessible pour le paysan » (p. 140), lorsque la population, en passant par la coopération, va vers le socialisme, mue par son intérêt propre.
Le problème de l'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie (du point de vue économique, social, et de classe) peut évidemment être posé de différentes façons.
Il peut être posé de telle sorte que la classe ouvrière construise le socialisme, mais que la paysannerie, elle, ne construise aucun socialisme, tout comme la petite bourgeoisie (les propriétaires) qui, quelles que soient les conditions, est incapable de faire quoi que ce soit de ce genre.
Vl. Ilitch ne posait pas le problème ainsi. Après avoir noté que la coopération était le moyen le plus simple et le plus facile pour entraîner la paysannerie, il poursuit :
« Or, c'est là, encore une fois, l'essentiel. Imaginer toutes sortes de projets d'associations ouvrières pour construire le socialisme, est une chose ; autre chose est d'apprendre à construire le socialisme pratiquement, de façon que chaque petit paysan puisse participer a cette œuvre. C'est à ce stade que nous sonnes parvenus aujourd'hui. Cela étant, il est certain que nous en profitons très insuffisamment. »15
Ce dernier point est encore valable aujourd'hui.
Tout le monde connaît l'appréciation globale que portait le camarade Lénine sur la coopération. Il disait que lorsque la population serait groupée au maximum dans les coopératives, dans nos conditions, le socialisme se réaliserait de lui-même, et que nous aurions besoin uniquement de cela.
« Là est toute la sagesse qu'il nous faut à présent pour passer au socialisme. Mais ce "seulement" nécessite toute; une révolution, toute une époque le développement culturel de la masse populaire. Voilà pourquoi nous devons avoir pour règle de raffiner et de ratiociner le moins possible. La NEP représente à cet égard un progrès en ce sens qu'elle s'adapte au niveau du paysan le plus ordinaire, qu'elle ne lui demande rien au-delà »16
Alors que nous traversons actuellement toute une série de nouvelles difficultés avec la paysannerie, il n'est pas mauvais du tout pour nous de nous souvenir de cette règle très simple et en même temps très sage. Il nous faut accrocher les intérêts du paysan, sans raffiner, sans ratiociner, il nous faut chercher les méthodes les plus simples pour le toucher. Pour réaliser le plan de coopération il faut une révolution culturelle, car pour grouper totalement la population dans les coopératives il faut tout d'abord que les coopérateurs aient le savoir-faire d'un marchand, Notre coopérateur, écrivait textuellement le camarade Lénine, « fait maintenant du commerce à la manière asiatique ; tandis que pour être un vrai marchand, il faut faire du commerce à l'européenne ».17
Ainsi, on prend la situation à sa base ; il faut partir des méthodes simples et accessibles au paysan : raccrocher « notre affaire » aux intérêts privés du paysan. Ailleurs dans le même article, VI. Ilitch pose ce problème sous une forme extrêmement aiguë : « la NEP, écrit-il, c'est le moyen de combiner l'intérêt privé, l'intérêt commercial privé, d'une part, et son contrôle par l'état d'autre part, le moyen de subordonner l'intérêt privé à l'intérêt général, ce qui autrefois était la pierre d'achoppement pour un grand nombre de socialistes »18. Lénine enseignait qu'il fallait accrocher les intérêts du paysan, et sur cette base, par la forme coopérative, par la coopération, l'amener au socialisme. Mais pour que la coopération l'amène au socialisme, il faut qu'elle soit civilisée, ce qui nécessite un commerce à l'européenne et non à la manière asiatique.
Vl. Ilitch n'abordait pas les problèmes économiques comme si l'économie était "hors classe". Il reliait tout problème important d'une part à la situation internationale, d'autre part à la lutte des classes de notre pays. L'économie se développe pour lui parallèlement aux regroupements et aux croisements incessants qui se produisent dans la composition des classes de notre société.
La garantie essentielle pour construire le socialisme dans notre pays est de veiller à avoir le rapport de forces le plus favorable pour nous permettre de construire ultérieurement le socialisme... de veiller à la combinaison de « la révolution prolétarienne » avec « la guerre paysanne » sous sa nouvelle forme, cette fois-ci constructive. C'est cela l'essentiel. C'est là-dessus que Marx attirait l'attention. C'est ce qui, en dépit de la tradition lassalienne, en dépit de tous les kautskistes, mencheviks et autres, représente le prolongement des conceptions marxistes. La nécessité d'une union solide entre les ouvriers et les paysans est mise particulièrement en relief par la situation internationale pénible et difficile. En liaison avec cette position centrale de Lénine, se trouve un passage remarquable, qu'aucun de nous ne doit perdre une minute de vue. Tout le monde connaît ce passage, mais j'estime de mon devoir de vous le rappeler ici encore une fois :
« Certes, dans notre République des Soviets, le régime social est fondé sur la collaboration de deux classes : les ouvriers et les paysans, collaboration à laquelle sont aujourd'hui admis, à certaines conditions, les « nepmen », c'est à dire la bourgeoisie. Si des désaccords sérieux surgissaient entre ces classes, la scission serait inéluctable. Mais notre régime social ne renferme pas nécessairement les germes d'une telle scission. Et la principale tâche de notre Comité Central et de notre Commission Centrale de Contrôle, ainsi que de l'ensemble de notre parti est de surveiller attentivement les facteurs pouvant donner lieu à la scission et de les prévenir, car le sort de notre république dépendra en fin de compte de ceci : la masse paysanne, fidèle à son alliance avec la classe ouvrière, marchera-t-elle avec cette dernière, ou bien laissera-t-elle les « nepmen », c'est-à-dire la nouvelle bourgeoisie, la désunir, la séparer des ouvriers ? Plus clairement nous apparaitra cette alternative, plus clairement nos ouvriers et nos paysans s'en rendront compte, et plus nous aurons de chances d'éviter la scission, qui serait fatale à la République des Soviets ».19
J'attire l'attention sur plusieurs points qui peuvent paraître « monstrueux » pour un marxiste. Tout le monde sait que la classe ouvrière, ce n'est pas la même chose que la paysannerie. La paysannerie, même si l'on parle du paysan moyen et petit, est la petite bourgeoisie de la campagne (Vl. Ilitch ne mentionne pas une fois le koulak dans ces articles). Chacun comprend que s'il existe deux classes, c'est qu'entre les deux il y a des différences de classe ; or Vl. Ilitch emploie une formulation où il est dit que « si des désaccords sérieux surgissaient entre ces classes, la scission serait inéluctable » et la mort [fin] de la République des Soviets inévitable. De quoi s'agit-il ? Lénine était-il en retrait par rapport au marxisme ou avait-il cessé de considérer la paysannerie comme une classe particulière ? On ne peut en aucune manière comprendre ce dont il s'agit si l'on s'en tient à une optique sans relief, vulgaire, anti-léniniste, si l'on ne comprend pas toute la dialectique réelle du développement original « soviétique ». La classe ouvrière a maintenant pour tâche de réformer constamment la paysannerie, de la « réformer à son image », sans s'isoler d'elle mais en fusionnant avec toute la masse, de l'entraîner avec elle. Un rapport tout autre existe entre le prolétariat et la paysannerie dans la société capitaliste. Notre Armée Rouge, constituée dans une grande mesure de paysans, est une immense machine culturelle pour la réforme du paysan qui en sort avec une nouvelle psychologie.
Vladimir Ilitch a absolument raison : la scission entre ces deux classes, c'est-à-dire l'apparition de désaccords de classe sérieux entre elles, qui anéantiraient ce mécanisme de réforme d'une classe par l'autre, signifierait la fin de la République soviétique. Il est donc tout à fait compréhensible que Vladimir Ilitch ait examiné chacune de ces dispositions sous l'angle de vue du rapport entre la classe ouvrière et la paysannerie. Et c'est justement de cela que découle sa directive générale : la tâche principale de tout notre parti, de tous ses organes, consiste à découvrir de quoi peut découler la scission, et après avoir remarqué à temps le danger, à le supprimer.
Donc, industrialisation plus coopération. Mais la coopération suppose une révolution culturelle. Lénine, en mettant en avant le mot d'ordre de révolution culturelle, ne se limite en aucun cas à ce seul slogan. Ici aussi, il découvre son contenu concret, il dit ce qu'il faut « faire », ce sur quoi doit se porter principalement notre attention, où se trouve le « maillon ». C'est à cela qu'est plus spécialement consacré son article Feuillets de bloc-notes. Ce problème Lénine le pose là aussi, bien sûr, du point de vue des rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie.
« Il s'agit là d'un problème politique essentiel, dont l'importance est décisive pour notre révolution : l'attitude envers la campagne. »20
L'orientation générale est claire. Nous négligeons l'« essentiel » : nous n'avons pas élevé l'instituteur à la hauteur nécessaire.
Voilà une directive. Et Lénine va tout de suite plus loin : après avoir pris l'établissement de notre budget d'état, il dit : si vous voulez faire une révolution culturelle, voilà mon conseil : il est indispensable de remanier tout notre budget d'Etat de façon à satisfaire les besoins de l'instruction primaire. C'est à dire que Lénine ne s'est pas contenté de lancer le mot d'ordre de révolution culturelle ; il en a tiré aussitôt des indications pratiques, et qui ont de plus une grande portée.
Personne ne dira qu'on peut réaliser cela sur le champ, ni même dans l'année en cours, mais la directive est audacieuse, révolutionnaire et profondément juste. Voyons ce qu'elle signifie quant au fond : bannir de nos rapports sociaux tout le superflu, tous ces jouets de seigneurs, tout ce qui est inutile ; remanier le budget d'Etat pour satisfaire les besoins de l'instruction primaire, élever notre instituteur à la hauteur nécessaire. C'est, évidemment, toute une « révolution ». On peut le faire, mais des forces s'y opposent : force élémentaire des habitudes, du mode de vie, des préjugés, de la routine bureaucratique, la singerie des seigneurs. Vladimir Ilitch ne se gênait pas pour dire que « nous ne faisons presque rien pour les campagnes en dehors de notre budget officiel ou en dehors de nos relations officielles »21.
Et à partir des tâches qu'impose la révolution culturelle, il avance l'idée d'organisations ouvrières de masse qui pénétreraient à la campagne, il pose le problème des sociétés de parrainage, et donne la formule des travailleurs d'avant-garde allant porter le communisme à la campagne. Mais aussitôt le camarade Lénine déchiffre le contenu de ce concept, sachant comme toujours combien on préfère chez nous la phrase, et le roulement de tambour, à l'action proprement dite. Il explicite sa pensée :
« Il ne faut pas porter purement et simplement les idées communistes dans les campagnes. Tant que nous n'avons pas de base matérielle pour le communisme au village, ce serait, pourrait-on dire, faire œuvre néfaste pour le communisme. Non. Il faut commencer par établir un contact entre la ville et la campagne, sans s'assigner délibérément pour objectif d'implanter le communisme à la campagne. Ce but ne saurait être atteint aujourd'hui. Il est prématuré. S'assigner ce but ne serait pas utile mais préjudiciable à notre cause ».22
Voilà la sagesse de l'organisateur qui n'organise pas une simple cellule de jeunes employés soviétiques, mais organise des dizaines et des centaines de millions de gens, et sait comment les toucher. Traitant du problème des formes de la liaison entre la campagne et la ville (patronage, etc.) il insiste : n'agissez pas de façon bureaucratique ; et il lance le mot d'ordre : créer des associations ouvrières de toutes sortes, en les préservant par tous les moyens de la bureaucratisation.
C'est ainsi que Lénine pose le problème de la révolution culturelle et particulièrement la campagne. Et il est de plus caractéristique de voir l'importance que Vl. Ilitch accordait à ce travail. Dans l'article De la coopération, il dit :
« Deux tâches se présentent à nous : 1°, la réforme de notre appareil d'Etat, et 2°, le travail culturel pour la paysannerie »23
A un autre endroit, il estime que ce travail culturel parmi la paysannerie est « une tâche culturelle d'une importance historique mondiale ».
Vous voyez ainsi comment le large plan qu'expose Vl. Ilitch à propos du travail culturel, se trouve étroitement lié, interfère pourrait-on dire, avec ses autres thèses : sur l'organisation en coopératives, sur l'industrialisation du pays, sur la lutte contre le capitalisme international, etc.
Et là Vladimir Ilitch aborde ce qui représente l'un des moments constitutifs très importants de la révolution culturelle, l'un des principaux leviers pour réaliser l'accumulation socialiste et entraîner les masses à prendre part à cette construction — or chaque petit paysan doit construire le socialisme ! — la santé de l'appareil d'Etat et la qualité de la direction.
Ce problème est développé dans deux articles : Comment réorganiser l'Inspection ouvrière et paysanne, et Mieux vaut moins, mais mieux. L'approche de Vl. Ilitch est déjà intéressante en elle-même :
« Il faut devenir raisonnable à temps. Il faut se pénétrer d'une méfiance salutaire envers un élan inconsidéré, envers toute espèce de vantardise, etc. ; il faut songer à vérifier les dispositions que nous proclamons à chaque heure, que nous prenons à chaque minute, et dont nous démontrons ensuite à chaque minute la faiblesse, le caractère inconsistant et inintelligible. Le plus nuisible ici, ce serait la précipitation »24
A partir de cette orientation qui suppose « force », « consistance » et « intelligibilité », choses relativement simples. Vladimir Ilitch aborde le problème de notre appareil d'Etat.
Vous vous souvenez des prémisses de Vl. Ilitch au sujet de l'appareil : il faut réaliser des économies car c'est à ce prix seulement que l'on pourra mener l'industrialisation. Il faut simplifier, car c'est seulement ainsi que nous pourrons entraîner les masses. II faut obtenir une élévation générale de la productivité du travail. Ainsi la question de l'appareil d'Etat, du point le vue de la participation des masses, de l'économie, de la productivité du travail, est liée à tous les problèmes. Dans le problème de l'appareil d'Etat se retrouvent comme dans un foyer optique tous les problèmes, des problèmes économiques aux problèmes culturels.
Et cela se comprend. En définitive l'appareil d'Etat, c'est bien ce levier, cette machine, grâce à laquelle notre Parti, dirigeant victorieux du prolétariat, oriente toute sa politique. En fin de compte, si l'on se place du point de vue des perspectives, notre appareil d'Etat est cette organisation qui, par la suite, on entraînant des millions de gens, en entraînant tous les travailleurs jusqu'au dernier, doit constituer une étape déterminée dans le passage à l'Etat-commune, dont nous sommes encore malheureusement très éloignés.
Donc, Vl. Ilitch demande : si la question de l'appareil d'Etat se pose ainsi, comment faut-il le réparer, vers quoi devons-nous nous tourner, quels leviers devons-nous saisir ? Et il donne une formulation remarquable. Il dit : nous devons retourner à la source la plus profonde de la dictature. Et ce sont les « travailleurs d'avant-garde ».
Ainsi il nous faut d'abord nous tourner vers les « travailleurs d'avant-garde » et ensuite, vers les « éléments vraiment instruits » de notre pays. Il faut nous soucier de concentrer dans l'Inspection Ouvrière et Paysanne « les meilleurs éléments de notre régime social »25, « un matériel humain d'une qualité réellement moderne, qui n'ait rien à envier aux meilleurs exemples de l'Europe occidentale. »26
C'est à partir de là qu'il faut nettoyer l'appareil d'Etat. Les éléments « réellement instruits » doivent avoir les qualités suivantes :
1° ils ne devront rien croire sur parole ; 2° ils ne diront pas un mot qui soit contraire à leur conscience (la conscience n'est pas supprimée dans la politique, comme certains le croient — rires -) ; 3° ils ne craindront pas de prendre conscience des difficultés, quelles qu'elles soient, 4° ils ne reculeront devant aucune lutte pour atteindre le but qu'ils se seront sérieusement assigné.
Voilà ce qu'exigeait Vl. Ilitch de ces hommes.
Mais cela ne suffit pas. Pour renouveler l'appareil d'Etat, à commencer par l'Inspection Ouvrière et Paysanne, rattachée à la Commission Centrale de Contrôle, Lénine proposait d'introduire des épreuves particulières, des « examens » (examen pour les personnes qui sollicitent une place à l'Inspection Ouvrière et Paysanne et un examen pour les candidats aux postes de membres de la Commission Centrale de Contrôle). Ces examens doivent consister en un contrôle des connaissances de la structure de l'appareil d'Etat et de la théorie de l'organisation du travail auquel ils ont l'intention de se consacrer, etc.
Après avoir fait de l'Inspection Ouvrière et Paysanne cet accumulateur d'énergie rationalisatrice de première classe, il faut en faire un levier qui détermine tous les autres Commissariats du Peuple, réforme tout le système de travail, et élève la productivité du travail.
Mais pourquoi Vl. Ilitch proposait-il le rattachement à la Commission Centrale de Contrôle, comment cela se reliait-il à l'ensemble du plan ? Cela devient très simple et compréhensible, camarades, si l'on étudie attentivement le plan de Vl. Ilitch dans son ensemble. Son plan a deux axes : le premier c'est un meilleur travail, des économies, l'industrialisation, l'élévation de la productivité du travail, l'élévation de la qualité des indices ; le deuxième c'est l'existence de rapports corrects entre la classe ouvrière et la paysannerie, et le souci de ne pas laisser se créer une scission entre ces deux classes à travers notre parti, à travers une scission dans notre parti. De là vient la réunion de l'I. O. P. et de la C. C. C., l'organisation de ce corps bipartite, constitué par les meilleurs éléments du pays, qui doit veiller sur les deux principales tâches.
Ce projet d'organisation est ainsi tout entier lié à tout ce qui précède, à commencer par la politique internationale. Et, enfin, dans ce plan Lénine développe aussi les exigences correspondantes à l'égard des masses — Ces exigences, Vl. Ilitch les résume en une formule extrêmement courte et expressive : la « participation réelle des masses réelles. »
Car il est possible de rassembler quelques gens du peuple, mais ce ne sera pas la masse réelle ; on peut les rassembler et faire comme s'ils participaient, sans qu'ils participent réellement. D'où la formule : « participation réelle des masses réelles ».
Donc, si nous dessinons maintenant le plan dans son unité globale, nous voyons qu'en plus de l'appréciation générale portée sur notre révolution, on trouve une appréciation de la situation internationale.
A partir de cette situation internationale se pose un problème : garder le pouvoir, le renforcer ; et la directive principale donnée à la classe ouvrière est de garder son pouvoir sur la petite et la toute petite paysannerie.
Cela entraîne, à son tour, l'orientation vers l'industrialisation du pays sur la base des économies réalisées, de l'élévation de la qualité du travail lors de l'entrée de la population dans les coopératives ; c'est à dire entraîner la paysannerie dans l'édification du socialisme par le moyen le plus facile, le plus simple et sans aucune pression.
De là, à nouveau, découlent les mots d'ordre de révolution culturelle, de transformation de l'appareil d'Etat en quelque chose de plus efficace, fonctionnant mieux et attirant les masses. Du souci de rapports corrects entre les classes naît celui de la ligne du parti, de l'unité de notre parti.
A partir de là s'élabore le plan de l'organisme bipartite (Inspection Ouvrière et Paysanne plus Commission de Contrôle), qui veille d'une part à la qualité du travail, y incorpore un contrôle, des travaux pratiques et des travaux scientifiques théoriques dans le domaine de l'organisation du travail, et d'autre part veille à l'unité du Parti — et à travers lui — à la réalisation harmonieuse de l'union des ouvriers et des paysans.
Tout ce plan grandiose — l'ensemble de ce plan — est conçu pour plusieurs années. Il est issu des perspectives les plus larges. Il repose sur la base solide des principales thèses léninistes. Et il est en même temps concrétisé, c'est à dire qu'il comporte toute une série d'indications de caractère réellement pratique.
Camarades, j'ai essayé ici de n'omettre aucune des principales idées de Lénine, et je n'ai rien ajouté de moi-même, si ce n'est quelques commentaires inspirés par les articles correspondants de Vladimir Ilitch. J'ai tenté de vous les présenter comme un tout, comme le testament politique de Vladimir Ilitch. Il va de soi que cette grande période historique, que nous avons vécue depuis sa mort, a apporté des changements importants dans les conditions objectives de développement dans tous les domaines : celui des rapports de classe internationaux, celui des relations entre les Etats impérialistes et l'Union soviétique ; dans le domaine de la construction de notre économie ; dans celui des rapports entre les classes (l'activité grandissante des Koulaks s'y rapporte) et dans le domaine des regroupements à l'intérieur de notre Parti, etc., etc.
On peut à vrai dire affirmer, sans risque de se tromper, qu'il est peu probable qu'un seul d'entre nous s'attendait à ce que nous puissions aligner toute une série de chiffres records se rapportant, par exemple, à la construction de l'industrie. Or nous avons effectivement toute une série de chiffres record, nous avons beaucoup de réalisations dans le domaine de la rationalisation de notre industrie, de la fécondation scientifique de notre économie, de la réorganisation technique directe, dans le domaine de l'accroissement de la production etc., etc. Sur le plan économique, nous avons fait un immense pas en avant.
Nous nous sommes aussi renforcés dans une certaine mesure dans l'arène internationale, bien que les contradictions du développement se fassent ici sentir de la façon la plus aiguë. Cependant notre croissance a été extrêmement irrégulière, ce qui a entraîné toutes les difficultés, dont nous parlons tant en ce moment. Notre parti s'est vu assigner ces derniers temps toute une série de nouvelles tâches, qui ne sont pas inscrites en toutes lettres dans les textes du testament de Vladimir Ilitch.
Nous avons posé les problèmes de la construction des Kolkhozes (ce qui est lié à la coopération, et sur quoi nous mettons maintenant l'accent), les problèmes de la construction des sovkhozes, les tâches de la reconstruction technique. Ces problèmes et tâches, Vl. Ilitch les avait posés seulement dans leurs grandes lignes. Beaucoup de problèmes ont chez nous quelque peu changé. Mais le dessin général de notre politique, de notre stratégie, de notre tactique a été génialement prévu et prédéterminé par Vladimir Ilitch. Et les difficultés que rencontrent actuellement notre pays et notre Parti nous obligent à nous reporter encore et toujours à l'une des sources inépuisables de la sagesse politique, au testament de Vl. Ilitch.
Nous sommes amenés à examiner encore et toujours de la façon la plus attentive le problème essentiel : des rapports de la classe ouvrière avec la paysannerie. Car les problèmes de l'industrialisation, du blé, de la disette de marchandises, de la défense, ce sont toujours des problèmes concernant le travailleur et le paysan. Ce n'est pas par hasard si notre Parti place cette question à l'ordre du jour de sa prochaine conférence.
Camarades, il y a cinq ans, par un jour tranquille de l'hiver, le génie de la révolution prolétarienne nous a quittés. Il s'est trouvé que beaucoup d'entre nous avons eu le bonheur de travailler avec cet homme, ce « Vieux » de fer, comme nous l'appelions, ce dirigeant, ce révolutionnaire et savant.
Cinq ans après sa mort, alors que ses préceptes ont subi l'épreuve cruelle de la vie, c'est avec la plus grande ardeur, la plus grande résolution, c'est avec une meilleure connaissance de la réalité que nous élevons plus que jamais nos étendards rouges pour aller de l'avant, encore de l'avant, toujours de l'avant !
— (Applaudissements prolongés ; l'orchestre joue l'Internationale) —
Notes
1 (O. t 33, p. 516)
2 Les « smenoviekhovtsy », ou les partisans d'un changement d'orientation, un groupe de l'intelligentsia bourgeoise qui appelait à collaborer avec le pouvoir soviétique dans le cadre de la NEP qu'ils prenaient pour le début d'une « renaissance ». (NdT)
3 (p.492)
4 (p. 487)
5 (p. 487)
6 (p. 513)
7 (p. 515)
8 (p. 515)
9 (p. 514)
10 (p. 515-516)
11 (p. 516)
12 (p. 516)
13 (pp. 516-517)
14 (p. 482)
15 (p. 481)
16 (p. 483)
17 (p. 483)
18 (p. 483)
19 (p. 499-500)
20 (p. 477)
21 (p.478)
22 (p.478)
23 (p.487-488)
24 (p. 502)
25 (p. 503)
26 (p. 501)