Repris de : Boukharine, Le socialisme dans un
seul pays, 10/18, 1974, pp. 34-92. Première publication :
« Remarques critiques sur le livre du camarade Préobrajenski,
La nouvelle économique », Pravda n° 148 (01-07-1926), 150
(03-07-1926) et 154 (07-07-1926). Références dans la bibliographie
de W. Hedeler : n° 1322 et 1509 (réédition de 1928).
|
|
Remarques critiques sur le livre du camarade Préobrajenski : La Nouvelle Economique
1er juillet 1926
Il y a déjà un certain temps, je fis une critique de l'article du camarade Préobrajenski sur « la loi de l'accumulation socialiste primitive ». (E. Préobrajenski : « La Loi de base de l'accumulation socialiste » « Le Messager de l'Académie communiste » - N. Boukharine : « Nouvelle révélation sur l'économie soviétique », etc. surtout : « Sur le trotskisme ». - Moscou 19251.) Aussitôt, l'auteur, furieux, répondit par un article contradictoire dans lequel il se promettait de « me photographier » sur le « lieu du crime », où il m'accusait naturellement de diverses déformations, me reprochait d'avoir soumis une « haute théorie » à une « basse politique », me félicitait d'une « victoire à bon marché », puis, tel un cygne, s'envolait sur les hauteurs enneigées de l'abstraction, avec la promesse d'apporter une réponse encore plus solide, « formant un tout », si l'on peut dire, dans le livre qu'il s'apprête à faire imprimer. Maintenant que ce livre a vu le jour, il me faut y répondre d'autant plus que la « basse politique » pose sous une forme nouvelle les mêmes questions essentielles de notre édification du socialisme et que le camarade Préobrajenski, qui manifeste à son propos ce « glacial mépris » de docteur qui est le sien, livre, sur le fond du problème, les arguments d'une politique bien définie - et qui, avec cela, est loin d'être exacte.
A propos d'un problème, il tombe sur ses opposants avec toute une cascade de caractéristiques « non politiques », comme par exemple : « com-populistes », « menchevisme », « économistes vulgaires », etc. Mon propos n'est pas de défendre tous les adversaires du camarade Préobrajenski, mais de montrer que le camarade Préobrajenski ne maîtrise pas du tout son « style » et est aussi peu éloigné de la politique que chacun d'entre nous, pauvres pécheurs, avec cette différence simplement que, pour une raison obscure, il cherche à le cacher. Je considère de mon devoir de montrer cela, devoir de bien peu d'importance - même minuscule - mais de mon devoir quand même ; et ce, justement du point de vue de la politique.
De façon générale d'ailleurs, il sera permis de remarquer que le ton « hautain » et les anecdotes dont est rempli le livre du camarade Préobrajenski produisent une impression quelque peu comique : voici le véritable « esprit russe ». « Il répète les leçons apprises ». Et quelles leçons ! Il fut un temps où tous nous avions plus ou moins paradé avec cette « érudition » qui nous a valu les reproches mérités de Lénine. Mais maintenant, après neuf ans de dictature, à quarante ans, n'est-il pas risible de faire ainsi le dindon et de se gonfler d'une façon aussi prétentieuse ?
C'est peut-être risible en effet.
Et maintenant que le lecteur me permette de le prendre par la main pour l'entraîner dans une promenade à travers les jardins théoriques de la « Nouvelle Economique »2.
La première question méthodologique et la plus importante à laquelle se heurte n'importe quel investigateur de la « Nouvelle Économique »3 est de savoir quel est le caractère propre des lois de cette économie.
On sait que les lois en régime capitaliste obéissent à un développement anarchique, elles sont « aveugles » ; elles expriment l'irrationalité du processus collectif ; par là elles se présentent comme des lois extérieures « à la manière de la loi de la pesanteur lorsqu'une maison s'écroule sur notre tête » (Marx).
D'autre part, les lois d'une société socialiste organisée ont leur caractéristique propre. Bien sûr, ici aussi intervient le phénomène causal de conditionnement de tout ce qui produit. Mais cette causalité est connue des hommes et reçoit son expression à travers leur volonté organisée collectivement, « le règne de la liberté » est le règne de la « nécessité connue », mais de la nécessité quand même, et ils ont absolument tort ceux qui se représentent le fameux « bond en avant », comme un bond dans une sphère où la causalité disparaît et où la notion même de loi devient superflue, considérée comme « surannée ». Des « novateurs » aussi hardis auraient fait ce « bond en avant » vers le royaume de l'eau la plus claire d'un idéalisme à bon marché. Le camarade Préobrajenski a tout à fait raison de les accabler avec la même force que la « maison » de Marx citée plus haut. Heureusement la divergence de vue de ces économistes qui effectueraient leur envol loin du conditionnement vers le royaume de la non-causalité n'est pas grande et la polémique avec eux ne présente absolument aucun intérêt pour une compréhension totale du problème. Et puis on ne peut pas couvrir des pages et des pages « à la sueur de son front » pour enfoncer des portes ouvertes... Un tel donquichottisme contredit le régime de l'économie.
Demandons-nous à quel type de lois obéit la période de transition c'est-à-dire la période entre le capitalisme et le socialisme. Il n'est pas difficile de comprendre que cette période est la période de transformation des lois anarchiques en lois connues et appliquées de façon consciente.
Un jour, Pierre Strouvé4 avança la thèse d'un dualisme inévitable dans le processus économique, immanent à ce dernier, en tant que tel. C'est là le point de vue d'un bourgeois qui ne peut franchir les limites de sa barrière (de classe) et polémique d'une « façon scientifique » contre la possibilité d'un régime social en général. Cependant la réalité de la période transitoire, où ce dualisme existe encore incontestablement, présente une image d'un déplacement continuel du centre de gravité depuis une force incontrôlée vers une force consciente, de l'aveuglement au plan, de l'irrationnel au rationnel, la limite de ce développement, à la fois historique et logique, est « le mode de production communiste », héritier à la fois du capitalisme et de la dictature du prolétariat. Tout ceci, le camarade Préobrajenski semble le comprendre aussi. Mais en allant plus avant dans l'analyse, il commence à trébucher ce qui ne l'empêche pas de garder son air triomphant. Telle est la « contradiction » de la « politique » de Préobrajenski.
En effet, posons-nous la question suivante : Dans quoi se traduit le développement de la base rationnelle sur l'irrationnel ? La réponse ne sera pas à double sens : dans le développement de la planification. Quelle est la base sur laquelle s'appuie cette planification ? Là aussi la réponse est évidente : c'est la croissance des éléments socialistes (d'État) de l'économie, la croissance de leur influence et la croissance de leur poids spécifique.
Enfin, dans quoi ce processus trouve-t-il son expression du point de vue des particularités propres aux lois de la période transitoire ? En ceci que les régulateurs anarchiques sont remplacés par des régulateurs conscients c'est-à-dire par la politique économique d'un État ouvrier qui, à partir d'une période déterminée, perd son caractère de classe c'est-à-dire se nie lui-même, c'est-à-dire cesse d'être un État.
Faire abstraction de l'économie politique de l'État ouvrier, cela signifie considérer les lois de la période transitoire en dehors de leur transformation de « l'élémentaire » en « consciente »», c'est-à-dire faire justement ce contre quoi s'élevait avec raison le camarade Préobrajenski lui-même un camarade protestataire ?
Lisez !
Page 40 de la « Nouvelle Economique » il proclame : « Les objections de caractère méthodologique (objections qui avaient été faites au camarade Préobrajenski N.B.) se ramenaient, en premier lieu, au fait qu'il serait impossible, dans une étude de l'économie soviétique, de faire abstraction de la politique économique du gouvernement soviétique, quand bien même il s'agirait d'en faire abstraction à un stade déterminé de l'étude.
« Cette première objection, s'il faut insister à son sujet, menace, avec une logique inéluctable et inflexible, de rejeter les contradicteurs sur les positions de Stammler et de son école, et aussi vers le point de vue de la sociologie subjective de Mikhailovsky et de Karieev, etc. Par ailleurs, cette position ne permet pas, dans le domaine de la théorie économique, de sortir du marais de l'économie politique vulgaire, et, par là même, empêche d'avancer d'un seul pas dans l'étude scientifique de l'économie soviétique. »
Nous verrons plus loin quels « pas de géant » a faits le camarade Préobrajenski. Notons tout de suite (à mettre à son crédit pour le moment, mais pas pour longtemps) son immense... assurance à juger des opposants, assurance qui - comme nous nous en convaincrons par la suite - est en l'occurrence une assurance superflue par rapport à la science elle-même.
Le camarade Préobrajenski répète ses philippiques, qui forment une analogie avec ce qui vient d'être dit à plusieurs reprises, il cite Stammler, il cite Marx d'une façon tout à fait déplacée, en ajoute (contrairement à ce que dit le proverbe latin, il a justement besoin de mentionner ces noms-là parce qu'ils sont odieux) (voir page 105 etc.), et ensuite il annonce fièrement que lui-même est parmi les « purs » et qu'il est resté totalement sur « le terrain du marxisme » (page 107). Rester sur « le terrain du marxisme » est une excellente chose, mais malheureusement les déclarations sont une chose, et la réalité en est une autre.
En tout cas, ces deux grandeurs ne « correspondent » pas toujours. Marx, dit le camarade Préobrajenski, a fait abstraction de l'État et de ses fonctions. Cette remarque est juste (bien qu'elle manque d'originalité). Mais autant qu'on s'en souvienne, Marx a analysé la société capitaliste avec son système de lois anarchiques. Or le camarade Préobrajenski appelle - pour des raisons méritées - par des noms tout à fait impropres ces gens qui ne comprennent pas la « petite » différence qui existe entre le capitalisme et la période de la dictature du prolétariat. A quoi bon, dans ce cas, s'appuyer sur Marx ?
Mais voici ce qui démasque véritablement le camarade Préobrajenski dans une remarque juxtalinéaire à la page 107, inscrite en petits caractères, nous pouvons lire les mots suivants :
« Le fait d'indiquer que chez nous le gouvernement dirige le secteur socialiste de l'économie et en est inséparable prouve seulement qu'il y a là plus de difficultés à l'abstraction que sous le capitalisme, mais ne va pas le moins du monde à l'encontre de la nécessité de séparer l'économie de la politique (les italiques sont de nous Nic. Boukharine) à un stade déterminé de l'étude. »
Le lecteur devine déjà vraisemblablement de quoi il s'agit. Le camarade Préobrajenski a caché l'argument décisif de ses adversaires dans une remarque marginale dissimulant ainsi le fond du problème tout entier.
Tâchons de tirer la question hors de ce souterrain littéraire et de la poser comme l'exigent les intérêts réels de l'analyse.
Mais, d'abord qu'il soit permis d'attirer l'attention sur un fait. Dans les citations, prises à la page 40 de la « Nouvelle Économique », il s'agit de la politique économique du gouvernement soviétique, c'est-à-dire justement de cette sphère à laquelle la planification économique se rapporte en tout premier lieu. Or, dès cette remarque en petits caractères où le camarade Préobrajenski, visiblement non pas dans un but de politique, mais dans un but d'« analyse » des plus objectives, s'est arrangé pour fourrer ce qu'il y avait de plus important, « la politique économique » s'est transformée, avec l'aide de Dieu, en simple « politique ». Ceci, bien sûr, soulage jusqu'à un certain point le camarade Préobrajenski dans son entreprise sur les « difficiles » abstractions. Mais dans l'intérêt de la science, dont se soucie tant le camarade Préobrajenski, en accord avec la page 40 de la « Nouvelle Economique », nous parlerons justement d'une politique économique.
Examinons donc cette question à fond. Citons tout d'abord le principal « argument » du camarade Préobrajenski.
A propos de l'objection qui considère comme inadmissible qu'on puisse faire abstraction de la politique économique du gouvernement soviétique, l'auteur de la « Nouvelle Economique » écrit (page 106) : « Cette objection ne se justifie absolument pas et va à l'encontre de la méthode sociologique universelle de Marx et de la théorie du matérialisme historique... Par sa théorie de « la base et la superstructure », il (Marx N.B.) a fondé son droit à faire débuter l'analyse de la société capitaliste par la « base », bien qu'une superstructure déterminée soit toujours supposée exister en outre comme fait social objectif...
« Pourquoi serait-il impossible, dans l'analyse théorique de l'économie soviétique, de commencer également par la base ? Sur ce point mes opposants abandonnent, sans le reconnaître, la méthode marxiste pour passer dans le camp du sociologue allemand bien connu Stammler et de son école, et tendent aussi la main à tous les autres critiques du marxisme... » (Préobrajenski p. 106).
Il n'est pas difficile de voir sur quoi ici repose l'erreur du camarade Préobrajenski. Elle repose sur le fait qu'il ne voit absolument pas l'originalité qui existe dans la corrélation entre la base et la superstructure d'un régime de dictature prolétarienne. Comme on le sait le véritable marxisme consiste en ceci qu'il examine les différents types de production et leur superstructure sous l'angle de particularités historiques spécifiques (particularités de types).
Or, le camarade Préobrajenski en l'occurrence a radicalement oublié cette exigence méthodologique fondamentale du marxisme.
En effet, le « capitalisme classique », dont Marx a fait l'analyse, apparaissait comme une structure de production collective, où les sujets dirigeants, du point de vue de leurs fonctions économiques, n'étaient pas branchés directement sur l'appareil du pouvoir. L'Etat n'était pas du tout une composante des rapports de production dont l'étude est justement l'objet de cette théorie économique. L'État était au service du processus de reproduction capitaliste, l'influençait comme une enveloppe politique qui lui correspondait et c'est tout. D'autre part, les systèmes de lois économiques étaient définis sur la base de l'anarchie de tout le processus dans son ensemble. Le capitalisme financier signifiait et signifie un certain accroissement (dans les limites définies), avec en même temps une augmentation et une aggravation des contradictions, sur une nouvelle base, toujours plus élevée des éléments rationnels (syndicats, trusts, consortiums bancaires, etc.).
De ces éléments, la théorie économique non plus ne faisait pas abstraction. Elle serait vraiment intéressante la théorie économique du capitalisme financier qui ne tiendrait pas compte de la politique des prix monopolistes, du dumping, de l'exportation du capital, etc. Bien sûr, le problème ici est de savoir, entre autre, où fixer les limites objectives de cette politique, d'en découvrir le conditionnement économique, etc.
Mais ceci ne signifie absolument pas qu'il faut s'écarter de ces éléments. On le comprend aisément.
Mais, nous dira-t-on, les trusts et les syndicats, dans un régime de capitalisme financier, ne rentrent pas dans le système du pouvoir de l'État, c'est-à-dire dans le système de superstructure : ils sont eux-mêmes les formes organisées de la base économique de la société.
C'est exact. Mais il nous est nécessaire de faire appel à eux pour exposer d'une façon plus claire le problème qui suit... Car, chez nous, nos trusts et nos syndicats entrent dans l'ensemble de l'appareil étatique et leur politique entre comme composante de toute première importance dans la politique du pouvoir de l'Etat. L'appareil de notre économie d'État est une composante des rapports de production de la société soviétique, c'est-à-dire qu'il est lui-même entièrement inséré dans la « base ». C'est une « petite » particularité de notre organisation que le camarade Préobrajenski se garde de remarquer. Il se contente de sentir que quelque chose ne va pas et vivement, dans un petit texte, il se glisse par la porte dérobée d'une remarque marginale.
Mais posons véritablement la question avec toute l'acuité marxiste requise. Qu'est-ce qui est typique pour l'économie soviétique et qui la différencie de toutes les anciennes structures ? C'est que la classe ouvrière joue aussi dans le processus de production un role de dirigeant ; c'est que l'ancienne échelle hiérarchisée de la production est renversée, qu'il n'y a plus « de rapport maître-esclave » (Herrschaftsund Knechtschaftsverhältnis. Marx).
D'une façon concrète, ceci s'exprime en premier lieu dans la direction de l'industrie par le prolétariat, et de façon générale dans la direction par le prolétariat de toute la vie économique du pays. Les organes économiques de l'appareil d'État sont le sommet de notre base spécifique. S'en écarter, s'en abstraire signifie s'écarter de la caractéristique essentielle de la « Nouvelle Économique ».
Et il semble tout à fait simple à comprendre que justement une telle diversion, en fait, signifie aussi s'éloigner des positions marxistes. Or, le camarade Préobrajenski, qui pour la question présente non seulement s'éloigne, mais s'enfuit à toutes jambes bien loin de ces positions, nous convainc d'un « air triomphant » de cohabitation illégitime avec la sociologie bourgeoise ! En fait, la vérité, c'est qu'« il allait dans une pièce, et qu'il s'est retrouvé dans une autre ».
Essayez de « faire abstraction » des appareils économiques, et ensuite tâchez de définir le type de rapports de production de la « Nouvelle Economique ». Le problème apparaîtra insoluble : car le rapport fondamental, décisif de la production est le rapport de la classe ouvrière dirigeante dans la production, rapport à la fois à chaque couche du prolétariat séparément, et à l'élite technique et (si l'on sort des limites de l'économie d'État) à la paysannerie. On peut faire abstraction de ce que l'on veut, mais il est inadmissible pour un marxiste de s'écarter de l'essentiel de ce qui définit le contenu du type historique de production. Cette erreur, le camarade Préobrajenski la commet en appliquant d'une façon enfantine le schéma de l'État bourgeois à la dictature du prolétariat.
La superstructure de l'État n'est pas un bien éternel de la société - c'est la première chose ; la seconde, c'est que, tant à sa naissance qu'à son déclin, cette superstructure possède des traits particuliers (d'autant que pas plus là-bas qu'ici elle n'est une superstructure au sens propre « classique » du terme). Car elle surgit de la base du début de sa naissance et elle s'absorbe dans la base et se dissout en elle à la fin de son existence lorsque l'État « disparaît ». La période transitoire se caractérise d'abord par un renforcement exceptionnel des fonctions de l'État justement en vertu de la fusion immédiate de la superstructure et de la base.
Mais aussi paradoxal que cela paraisse la circonstance actuelle est une prémisse de la mort de l'État lui-même, en tant que catégorie spécifique de superstructure. Car la « base » engendre la « superstructure » mais la détruit aussi, comme Chronos détruisit ses propres enfants. « L'administration des choses » (Engels) dans la société communiste n'est pas (déjà) une fonction de superstructure d'État : c'est une partie du processus d'ensemble de production où le sujet dirigeant (dirigeant d'une façon planifiée) est la société elle-même, où la loi objective du développement correspond à la norme de ce développement, où l'irrationalité de la vie économique est remplacée par la rationalité. La dictature du prolétariat et les rapports de production qui lui correspondent sont le germe de la société communiste.
Les organes administratifs d'Etat qui planifient, régularisent, dirigent, sont le germe de « l'administration communiste des choses ». L'Etat ouvrier dans ses fonctions économiques (économie politique) est une base rationnelle, un sujet dirigeant collectif. Supprimez-le, « faites en abstraction », et là même vous ferez aussi abstraction du processus de transformation des lois anarchiques en lois connues, de la transformation de l'économie politique en science que Préobrajenski trouve moyen de faire un tour semblable : il insiste d'une façon catégorique sur le « plan » et autres excellentes choses du même genre et en même temps insiste encore plus catégoriquement sur la nécessité de faire abstraction des fonctions du pouvoir de l'État dans le domaine de l'économie.
Il considère le plan, mais sans le sujet du plan ; la planification, mais sans les organes de planification ; une base rationnelle mais sans un endroit précis où situer cette base.
De telles représentations ne peuvent être appelées autrement que mystiques. Ce mysticisme, le camarade Préobrajenski l'offre à nos lecteurs en brandissant le drapeau rouge avec l'inscription : « Je reste sur le terrain du marxisme », « Une tradition toute fraîche mais que l'on croit difficilement ».
Le fait que derrière la connaissance des lois il y ait les lois elles-mêmes, ne fait aucun doute, c'est-à-dire que tout plan élaboré d'une façon consciente ne tombe pas du ciel mais se détermine avec précision, comme on l'a dit, la nécessité connue est toujours une nécessité.
Mais détacher cette « nécessité » du fait qu'elle est connue signifie pour une économie planifiée arracher de la loi sociale son écorce historique, ce qui est totalement étranger à une véritable réflexion marxiste.
En conclusion, il est nécessaire de faire maintenant une réflexion tout à fait essentielle. Le remplacement par les lois sociales de leur écorce historique est bien entendu un processus beaucoup plus long que le remplacement du linge sale.
L'extraordinaire complexité de l'analyse de la période de transition est due au caractère disparate des divers costumes, en particulier lorsqu'il s'agit (comme c'est le cas) d'un pays qui réunit dans l'ensemble de son organisme économique une extrême variété de formes économiques. La prise du pouvoir par le prolétariat et « l'expropriation des expropriateurs » sont la condition élémentaire pour que commence le processus d'égalisation des lois sociales. Ce processus a comme base la croissance de l'économie, placée sous le contrôle de l'État, et de son influence. Cette croissance passe par des formes multiples et souvent au plus haut point contradictoires : la base même de la planification dans une certaine mesure consiste à prévoir la résultante des facteurs spontanés. C'est pourquoi à chaque moment il faut se méfier et de la sous-estimation et de la surestimation de la base de la planification et il reste à se souvenir de la relativité historique de l'opposition elle-même.
En liaison avec ceci, il y a, bien sûr, l'estimation théorique du degré de refonte des lois sociales. L'analyse de tous ces phénomènes enchevêtrés d'une façon très complexe et la destruction des systèmes fondamentaux de lois sur le développement, forme la théorie de la période transitoire.
Autre remarque :
Il découle de notre analyse qu'il est tout à fait absurde de s'écarter de la politique économique du pouvoir de l'État ouvrier, car cela signifierait s'écarter du principe de la planification. Mais il est tout à fait admissible à un certain stade de l'analyse de s'écarter d'influences spécifiquement politiques données des hésitations purement politiques dues à la conjoncture.
Cette question est d'un domaine tout à fait particulier et, comme le voit aisément n'importe quel lecteur qui réfléchit un peu, il serait pour le moins étrange et léger (pour n'employer que des termes modérés) de mêler ce problème au problème général concernant notre politique économique dans ses lignes fondamentales.
Nous avons vu que l'introduction méthodologique du camarade Préobrajenski souffre d'une profonde contradiction. Nous verrons par la suite que cette contradiction se traduit aussi dans les arguments d'une analyse élaborée.
Mais passons pour l'instant à une autre de ses erreurs, encore plus décisive, et qui est, à notre avis, fondamentale et tout à fait centrale.
OU L'ERREUR FONDAMENTALE DU CAMARADE PREOBRAJENSKI5
Ainsi nous avons fait le tour du premier problème méthodologique soulevé par le camarade Préobrajenski. Passons maintenant au second point de « l'ordre du jour ».
« La seconde objection méthodologique était dirigée contre la thèse développée dans le présent livre, suivant laquelle l'équilibre économique s'établit dans l'économie soviétique sur la base de la lutte entre deux lois antagonistes : la loi de la valeur et la loi de l'accumulation socialiste primitive, ce qui implique la négation d'un régulateur unique de l'ensemble du système » (page 40).
Critiquant la conception naturaliste de la loi de la valeur (et le faisant fort justement), attaquant ceux qui ne comprennent pas la nature socialiste de notre économie nationale, et traitant de tels camarades de « déviationnistes vers une conception menchévique de notre économie » (c'est absolument juste... Mais hum, hum... Comment s'exprimer d'une manière plus délicate au sujet de certains amis actuels du camarade Préobrajenski ?... Ne m'aiderez-vous pas, lecteur ?), l'auteur de la « Nouvelle Économique » continue en ces termes : (p. 41) :
... « L'objection fondamentale à la loi de l'accumulation socialiste primitive que j'ai formulée... se ramène à l'argument suivant : « Oui, disent les contradicteurs, l'accumulation socialiste existe chez nous ; mais il n'existe aucune loi de l'accumulation socialiste primitive, ou, tout au moins, son existence n'est pas prouvée. » En un mot : la lutte d'un principe socialiste de planification avec le marché existe, mais il n'y a pas de lutte de la loi de la valeur contre une loi de l'accumulation socialiste primitive. Toute la profondeur irréfutable de cette objection peut se comprendre parfaitement, sans mots superflus, si on l'expose comme le fit un de mes lecteurs dans une conversation personnelle avec moi. Il s'exprimait ainsi : « A quoi bon parler d'une loi de l'accumulation socialiste ? Autant le gouvernement soviétique décidera d'accumuler, dans les limites du possible, et autant il sera accumulé. »
Au sujet de cette objection fondamentale et de la « contre-objection » fondamentale, on peut faire les petites remarques suivantes :
Pour ce qui est du lecteur : c'est un procédé bien commode que de prendre un lecteur qui ne brille pas par son intelligence et d'élever ensuite ses objections au rang d'objections fondamentales.
Il est vrai que pour le camarade Préobrajenski et ses semblables, il est alors plus « aisé de comprendre » (et même sans mots inutiles) l'indigence des arguments d'un lecteur si perspicace, il est plus facile de les réfuter et de se sentir vainqueur.
Mais les arguments du lecteur n'éclaircissent en rien le fond du problème. Car s'il y a réellement un processus d'accumulation socialiste (cf. la citation plus haut), pourquoi dans ce cas devrait-il y avoir un processus d'accumulation primitive socialiste ? C'est le premier point.
Deuxièmement, s'il y a lutte entre le principe de planification et la loi du marché, pourquoi la loi de la valeur doit-elle céder la place justement à la « loi d'accumulation primitive socialiste » et non à quelque chose d'autre ? C'est justement cela qu'il s'agit de démontrer et non pas de décréter a priori. Là nous approchons déjà du fond du problème. Mais afin de rendre plus clair le point de vue du camarade Préobrajenski lui-même, il nous faut lui laisser la parole, d'une façon qui est d'ailleurs fort démocratique. .
« ... La loi de la valeur, écrit le camarade Préobrajenski, et le principe de planification, dont les tendances fondamentales prennent la forme de la loi de l'accumulation socialiste primitive, agissent à l'intérieur d'un organisme économique unique, opposées (N. d. T. les deux lois : loi de la valeur et principe de la planification) l'une à l'autre par suite de la victoire de la Révolution d'Octobre » (p. 100 ; italiques de N.B.).
«... S'il existe, dans un organisme économique unique, une lutte entre deux principes en tant que forme antagoniste du mouvement en avant de tout le système, en tant que forme propre au processus dialectique du développement en général, alors il ne faut pas poser la question de savoir s'il peut exister deux régulateurs dans une telle situation, mais s'il pourrait ne pas en exister deux » (italiques de l'auteur ; page 110).
« ... Si nous évinçons partiellement l'action salutaire pour l'économie non organisée de la loi de la valeur avec ses moins comme ses plus (auteur), nous devons remplacer ( ! N.B.) de façon correspondante l'activité régulatrice de cette loi par une autre loi, propre, de façon permanente, à l'économie planifiée, à un stade donné de son développement, par la loi de l'accumulation socialiste primitive » (page 114).
S'échauffant de plus en plus, notre auteur passe directement à l'offensive :
« ... Ce fait de la lutte de deux principes, tous le reconnaissent formellement. Mais pour qu'il y ait lutte, comme on sait, il faut au minimum deux (auteur) combattants. La dualité est déjà présente. La lutte, si elle est effectivement menée, ne peut pas ne pas être une lutte pour deux types (auteur) différents d'organisation du travail, pour une distribution différente des forces productives, pour deux méthodes de régulation. Comment alors, l'autre régulateur, antagoniste de la loi de la valeur, peut-il faire défaut ? Ce n'est aucunement possible, ni logiquement, ni en fait. Et je conseillerais fort, en ce cas, aux économistes dont je parle, d'introduire le minimum de « principe de planification » dans leurs idées et d'indiquer comment ils équilibrent, dans le domaine théorique, la thèse du « type socialiste conséquent » de notre industrie d'État... et leurs propres affirmations opiniâtres à l'égard du régulateur unique » (page 118).
Le camarade Préobrajenski bâtit toute sa théorie de la nouvelle économie sur la loi de « l'accumulation primitive socialiste », et c'est sur cette pierre qu'il édifie la prétendue église orthodoxe de sa pratique.
Ce faisant, il souligne à plusieurs reprises sa solidarité avec Lénine et nous, pauvres pécheurs, sommes inscrits au nombre des « com-populistes ».
Pour souligner d'une façon plus nette toute l'importance que le camarade Préobrajenski accorde à son œuvre - c'est-à-dire à sa fameuse « loi » - nous nous permettons de reproduire ici l'accord que frappe le camarade Préobrajenski en passant à la généralisation, et où il utilise pour plus d'emphase le procédé graphique de l'italique :
« ... Ne pas comprendre qu'une telle loi existe, qu'elle a un caractère coercitif pour l'économie d'État et influe sur l'économie privée, ne constitue pas seulement une erreur théorique, une obstination de la pensée, ce n'est pas seulement du conservatisme, mais c'est une chose dangereuse dans la pratique, dangereuse du point de vue de la lutte pour l'existence de tout notre système d'économie collective » (page 115).
En d'autres termes : qui ne reconnaît pas « la loi », trahit « l'économie collective », trompe le prolétariat en théorie et en pratique pour se jeter dans le giron de la petite-bourgeoisie. Nous commencerons par la fin, par une remarque quant à l'orthographe théorique de la position du camarade Préobrajenski. Il y a six ans, en 1920, dans mon livre sur « l'économie de la période de transition », j'employai le terme « accumulation primitive socialiste » et j'ajoutai en note: « terme proposé par V. M. Smirnov ». A cela Lénine réagit par la remarque (le codicille) suivante : « et extrêmement malheureux. Un jeu d'enfants qui consiste à imiter des termes utilisés par les grandes personnes ». Il est aisé de comprendre que si, d'après Lénine, la notion d'« accumulation socialiste primitive » est un « jeu d'enfant », « la loi » du camarade Préobrajenski se trouve classée dans la même catégorie.
Pourquoi est-ce Lénine qui a raison : de cela nous débattrons dans un autre chapitre, lors d'une analyse plus approfondie de « la loi ». Nous voulions simplement démontrer ici que les références à Lénine étaient tout à fait inutiles de la part du camarade Préobrajenski, et que ses attaques « sévères » à l'adresse des négateurs de « la loi » (« erreurs théoriques », « obstination de la pensée », « conservatisme », « pratique dangereuse », etc.) tout cela, comme nous le voyons, concerne avant tout Lénine.
Il va de soi que nous ne considérons pas que par là même la question « soit supprimée ». Nous ne faisons qu'approcher l'analyse du fond de la question, en commençant par les aspects les plus généraux du problème, et nous nous efforcerons de démontrer que le camarade Préobrajenski a tort et que ses inflexions sont en contradiction criante avec les fondements de la théorie économique et sociologique de Marx.
Commençons par les rudiments :
Dans une lettre remarquable à Kugelmann du 11 juillet 1868, Marx écrivait :
«... N'importe quel enfant sait que toute nation crèverait de faim, qui cesserait le travail, je ne veux pas dire pour un an mais ne fût-ce que pour quelques semaines. De même, cet enfant sait que les masses de produits correspondant aux divers besoins exigent des masses différentes et quantitativement déterminées de la totalité du travail social.
« Il va de soi que cette nécessité de la répartition du travail social en proportions déterminées n'est nullement supprimée par la forme déterminée de la production sociale : c'est la façon dont elle se manifeste qui peut seule être modifiée. Des lois naturelles, par définition, ne peuvent pas être supprimées. Ce qui peut être transformé, dans des situations historiques différentes, c'est uniquement la forme sous laquelle ces lois s'imposent. Et la forme sous laquelle cette répartition proportionnelle du travail se réalise, dans un état social où la structure du travail social se manifeste sous la forme d'un échange privé de produits individuels du travail, cette forme, c'est précisément la valeur d'échange de ces produits »6.
En d'autres termes : la loi de dépenses proportionnelles du travail ou plus simplement « la loi de la dépense du travai » est un facteur indispensable de l'équilibre social sous toutes les formes historiques les plus variées quelles qu'elles soient. Il lui faut « s'imposer » sous diverses formes.
En particulier, dans une société marchande (capitaliste ou autre) elle se pare du costume-fétiche de la loi de la valeur.
La loi de la valeur est historiquement relative, c'est une forme spécifique, qui « porte gravé sur le front qu'elle « appartient à une forme de société telle, que c'est le processus de production qui dirige (« bemeistert ») les hommes et non les hommes qui dirigent les processus de production » (Marx).
Dans la loi de la valeur, il ne faut pas voir loi de la dépense de travail uniquement : car cela signifierait que l'on se détourne du caractère et de la signification spécifiquement historique de la valeur.
Mais d'un autre côté, il ne faut pas chercher à deviner au-delà de la forme socio-historique (sociale et historique) un contenu en travail matérialisé de cette loi. « L'essence » de la valeur, en tant que catégorie historique, réside dans son caractère de fétiche.
Mais on peut encore moins se détourner de la « signification » matérielle et humaine, « supra historique » (c'est-à-dire propre à chaque société dans des conditions plus ou moins « normales ») de cette catégorie.
Dans une note du premier tome du Capital, Marx éclaire ce point à l'aide d'une formulation brillante :
« La forme valeur du produit du travail est la forme la plus abstraite et la plus générale du mode de production actuel, qui acquiert par cela même un caractère historique, celui d'un mode particulier de production sociale. Si on commet l'erreur de la prendre pour la forme naturelle, éternelle, de toute production dans toute société, on perd nécessairement de vue le côté spécifique de la forme valeur, puis la forme marchandise et, à un degré plus développé, de la forme argent, forme capital, etc. C'est ce qui explique pourquoi on trouve, chez des économistes complètement d'accord entre eux sur la mesure de la quantité de valeur par la durée du travail, les idées les plus diverses et les plus contradictoires sur l'argent, c'est-à-dire de la forme fixe de l'équivalent général... »7.
A l'opposé de tout cela est apparu un système qui est une restauration du mercantilisme (Ganilh, etc.) et qui ne voit dans la valeur qu'une forme socialement admise, ou plus justement une vue de l'esprit (Substanzlosen Schein).
Marx analyse soigneusement la loi de la dépense du travail :
a) dans les conditions d'un « mode de production patriarcal » d'une famille paysanne ;
b) dans une association « d'hommes libres » travaillant à l'aide d'une planification des moyens sociaux de production, une association où « la distribution (du temps de travail N.B.) règle le rapport exact des diverses fonctions aux divers besoins »8 ;
c) dans l'économie marchande où la loi de la dépense de travail revêt la parure-fétiche de la loi de la valeur. Ainsi, la loi de la dépense de travail qu'elle soit nue ou habillée apparaît comme le régulateur universel et obligatoire de la vie économique.
Maintenant rappelons-nous ce que nous dit le camarade Préobrajenski de la phase actuelle de la « période de transition ». Ses réflexions s'enchaînent ainsi : la période de transition est une période de lutte entre les principes socialistes et les principes du capitalisme marchand. Ce sont les luttes entre le plan et 1es éléments incontrôlés, il y a un régulateur particulier pour le plan, un autre, également particulier, pour les éléments ; le premier régulateur, prolétarien, disons, c'est pour la période donnée, la loi de l'accumulation socialiste primitive ; le second qui est un régulateur bourgeois, c'est la loi de la valeur, de même que le prolétariat s'oppose à la bourgeoisie de même la loi d'accumulation socialiste primitive s'oppose à la loi de la valeur.
C'est pourquoi pendant la période de transition ne peut pas ne pas exister deux régulateurs dont la lutte constitue le fondement de l'économie actuelle dirons-nous, c'est-à-dire que ce sont là pour tout le mécanisme les ressorts moteurs que l'auteur nous a révélés dans le livre que nous analysons.
De là découle, aussi simplement que deux et deux font quatre, que, dans la mesure où le principe de planification se développe, la loi de la valeur se transforme d'après Préobrajenski en loi de l'accumulation sociale primitive.
Mais de l'analyse de Marx, découle de la même manière que la loi de la valeur ne peut se transformer en rien d'autre qu'en la loi des simples dépenses de travail et que toute autre « transformation » n'est que criante billevesée.
En effet, de quoi peut-il bien être question lors du passage des régulateurs inconscients à des régulateurs conscients ? Peut-il être question de sortir des cadres de la loi, dont parle Marx dans la lettre à Kugelmann ?
Pour cela, il suffit de poser la question, pour que devienne évidente l'absurdité d'une réponse négative Car cette loi est la loi générale et universelle de l'équilibre économique. Par conséquent, on ne peut parler que du remplacement de sa (de cette loi) forme sociale.
De ce point de vue, il est évident, que le processus victorieux des principes planificateurs socialistes n'est pas autre chose qu'un processus de rejet par la loi de la dépense de travail, de la loi de la valeur qui n'est qu'un linge sale, c'est-à-dire le processus de transformation de la loi de la valeur en loi de dépense de travail, processus de « défétichisation » du régulateur social de base. Il est caractéristique de la part du camarade Préobrajenski qu'il ne cite guère qu'en deux ou trois endroits, et juste en passant, la loi des dépenses du travail, sans remarquer que c'est justement là que gît le lièvre.
De plus, la conception du camarade Préobrajenski lui-même est vraiment étonnante. Il ressort de sa théorie, que le principe de planification prolétarien apparaît comme un principe de lutte non pas avec la forme valeur de la loi de la dépense proportionnelle de travail (social), mais comme le principe de lutte avec cette loi, pour ainsi dire, en fonction de son essence matérielle.
En d'autres termes, le plan prolétarien consiste, d'après le camarade Préobrajenski, à rompre systématiquement l'équilibre de la société, à briser systématiquement la proportion indispensable à la société entre les diverses branches de la production - c'est- à-dire de lutter systématiquement contre ce qui apparaît comme la condition la plus élémentaire à l'existence de la société.
Il n'y a pas à dire, il a trouvé là un bon petit « régulateur » pour la sauvegarde du socialisme, le camarade Préobrajenski !
Il est vrai qu'une telle « technologie sociale » ne révèle ni une faiblesse d'esprit ni du « conservatisme » : je crois qu'elle représente plutôt, à sa manière, une sorte de futurisme économique à tel point qu'elle est contraire aux traditions, et en premier lieu, aux conditions marxistes. Mais il est douteux qu'une telle « hardiesse » fasse se mieux porter non seulement la loi de la valeur, mais aussi l'économie collective dont le camarade Préobrajenski prend tant de soin.
Ainsi se trouve résolu de fait le problème d'un ou de deux régulateurs d'un caractère antagoniste. Le camarade Préobrajenski n'arrive absolument pas à comprendre que dans le cas présent il n'est pas question de l'antagonisme quant à l'essence matérielle du contenu de la loi mais qu'il ne peut être question que de l'antagonisme, de sa forme sociale. On ne peut poser le problème de deux régulateurs antagonistes quant à l'essence matérielle ; nous voyons que ceci est absurde du point de vue de la réalité comme du point de vue du désaccord avec les fondements les plus élémentaires du marxisme.
Par conséquent : l'erreur fondamentale du camarade Préobrajenski consiste, en ceci, qu'il a « remplacé » le processus de transformation de la loi de la valeur en loi des dépenses de travail par le processus de la transformation de cette loi en sa loi favorite de l'accumulation socialiste primitive.
Pour être juste, il faut dire qu'il y a chez le camarade Préobrajenski quelque chose qui ressemble à un semblant d'objection, un semblant de réponse à la position que nous défendons. Voici ce dont il s'agit :
... « Le second point à noter, c'est évidemment la confusion faite entre la proportionnalité dans l'économie qui est objectivement nécessaire à tout système de production sociale, ainsi que la répartition du travail, et la méthode historiquement transitoire de réalisation d'une telle proportionnalité sur la base de la loi de la valeur. Une distribution correcte, proportionnelle, du travail est tout aussi nécessaire au capitalisme, au socialisme et à notre système socialiste-marchand actuel d'économie.
« Mais, même s'il était démontré - et j'ai montré l'impossibilité d'une telle démonstration - que la distribution des forces productives, qui s'établit chez nous sur la base de la lutte, correspond par quelque miracle à celle qui s'établirait chez nous sur la base de l'action de la loi de la valeur en régime de suprématie des rapports capitalistes, c'est-à-dire que les proportions de la production collective à un stade donné d'industrialisation du pays correspondent aux proportions capitalistes. Même alors la théorie du régulateur unique ne serait pas prouvée - D'où viendrait-il que les proportions qui nous sont nécessaires seraient dictées par la loi de la valeur en tant que régulateur et ne pourraient être obtenues que par son intermédiaire, étant admis que la loi de la valeur est liée historiquement et, si vous voulez, matériellement, physiquement à la production marchande et inséparable de celle-ci en tant que production où domine la propriété privée des moyens de production ?...
« Pourquoi la thèse suivant laquelle nous trouvons, pour l'essentiel, les proportions nécessaires par nos méthodes... serait-elle impossible ? Et si cela est possible, ne serait-ce qu'à moitié, de dire qu'il n'existe essentiellement chez nous qu'un seul régulateur revient à confondre de la manière la plus grossière la forme de manifestation de cette loi sous le capitalisme avec cette nécessité économique objective de la proportionnalité, qui n'existe pas seulement pour l'économie marchande et socialiste-marchande et ne s'établit pas seulement par les méthodes capitalistes. En système socialiste-marchand, cette proportionnalité ne peut justement s'établir que sur la base de la lutte, quand bien même les directions d'action de la loi de la valeur et de la loi de l'accumulation socialistes (primitive ? N.B.) coïncideraient dans certains cas particuliers de la conjoncture réelle. » (pages 121 à 123 de « Nouvelle Économique ».)
Dans cette longue tirade se trouvent mêlés et confondus ce qui est vrai et ce qui est d'une fausseté criante.
Il est vrai que nous pouvons trouver des proportions grâce à nos méthodes, mais il est faux que nos méthodes soient en contradiction avec le contenu matériel de la loi de la valeur. Il est vrai que la loi de la valeur est un attribut spécifique d'une société marchande. Mais il est faux d'affirmer qu'elle est relayée par la loi de l'accumulation socialiste primitive, qui est de plus obligatoirement en contradiction avec la loi de la valeur en son contenu matériel. La position finale est absolument fausse selon laquelle, la proportionnalité ne peut s'établir chez nous « que dans la lutte » avec la loi de la valeur.
La position générale sur le fait qu'en régime capitaliste les proportions seraient autres s'avère exacte. Mais les conclusions qui sont tirées sont fausses, etc. ?
Ici, il nous faut nous arrêter plus en détail sur quelques problèmes, parce qu'ils sont nouveaux et très peu étudiés, et parce que le camarade Préobrajenski leur donne une réponse qui n'est pas du tout satisfaisante. Nous choisissons ici deux problèmes, en liaison avec la citation faite plus haut : le problème concernant les proportions dans un type de relations organisées collectivement, différemment du point de vue social, et le problème des corrélations entre la valeur, la dépense de travail, et le problème de l'accumulation. Il va de soi - qu'à ce niveau donné de l'analyse - nous nous bornerons à une exposition de la discussion à propos des « régulateurs », dont il est question dans le présent chapitre.
Voici par quel bout nous allons prendre le premier problème. Laissons pour l'instant de côté la question de la forme sociale des dépenses de travail. Nous aurons alors devant nous la position exprimée par K. Marx dans la lettre à Kugelmann citée plus haut. On peut toutefois se demander : comment est-il possible qu'un seul et même régulateur, quant à son essence matérielle, conduise à des phénomènes des plus variés dans le domaine des relations économiques ? Est-ce que vraiment, dans des structures sociales différentes nous avons les mêmes proportions entre les diverses branches de l'industrie ?
La dynamique de ces proportions et de ces corrélations est-elle semblable ?
Enfin, qu'est-ce qui détermine l'énorme différence dans le rythme de développement. Prenez le rythme de développement de la société féodale et le galop effréné du capitalisme. Ou bien comparez le rythme de développement de la commune primitive et le rythme de développement du capitalisme. Comment tout ceci est-il lié à un régulateur unique de fait, c'est-à-dire à la loi des dépenses de travail ?
Il me semble que de telles questions ne sont pas très claires même pour le camarade Préobrajenski. Il voudrait que notre développement soit plus rapide qu'en régime capitaliste. C'est un « désir » parfaitement légitime. Et à partir du moment où le camarade Préobrajenski pense qu'il nous faut une industrialisation plus rapide que par le passé, un rythme d'accumulation également plus rapide, il est évident qu'il nous faut une autre loi. Comme le voit le lecteur nous posons la question dans sa forme générale et c'est à cette question qu'il faut en premier lieu donner une réponse. Dans toute société, la production est le moyen de satisfaire les besoins qui, selon l'expression de Marx, « sont liés entre eux en un système naturel ». La totalité du temps de travail est répartie entre des productions séparées qui, dans l'ensemble, satisfont, tant bien que mal ces besoins. Dans les sociétés organisées cela s'exprime par le plan économique, (comme l'affirme Marx dans le Capital, en économie marchande « la tendance permanente des diverses sphères de production à l'équilibre se manifeste seulement comme une réaction contre la rupture permanente de cet équilibre. La norme appliquée a priori, et de façon planifiée, à la répartition du travail dans un atelier n'agit lors de la répartition du travail dans la société qu'a posteriori c'est-à-dire comme une force intérieure et aveugle de la nature qui se soumet l'arbitraire désordonné du producteur et qui ne se perçoit que sur la forme des fluctuations barométriques des prix du marché ».
Prenons maintenant la mécanique du système de « régulation » : supposons que nous ayons devant nous une société de producteurs. Nous avons alors : une impossibilité d'appliquer le travail de masse (la production est petite, fractionnée), des cadres étroits pour l'éventail des besoins ; le système de régulation (obéissant à des forces non contrôlées) passe à travers les fluctuations des prix qui tournent autour de la valeur ; l'offre et la demande, la concurrence des simples producteurs conditionnent le mouvement de progression. Prenons une société capitaliste ; nous sommes ici en présence de l'application massive de la concentration du travail. Là aussi sa répartition dans la société est réglée en fin de compte par la valeur... Mais les fluctuations de prix ne se font pas directement autour de la valeur ; la fluctuation des prix se fait autour « des prix de revient à la production » (coûts de production plus profit moyen), « la norme moyenne » du profit constitue « l'âme » spécifique de ce mécanisme.
Le mécanisme de la concurrence est mû par le profit ; les possibilités d'accumulation apparaissent et agissent avec la plus grande force. Par conséquent, la loi de la valeur joue ici le rôle de régulateur. Mais le mécanisme dans son ensemble, n'est pas le même que dans le cas d'une simple économie marchande. La loi de la valeur agit différemment dans des conditions différentes, avec un autre appareil de transmission. Et c'est pourquoi nous avons là un autre type et un autre rythme de développement. Et, étant donné que ce même rythme de production est lié à la croissance de nouveaux besoins, et que ces derniers, je le répète, sont liés aux divers groupements d'hommes (d'après leurs classes, leurs revenus, etc.) « le système naturel des besoins » se transforme sans arrêt en ce qui concerne sa composition interne, ce qui, à son tour, par effet rétroactif se reflète sur la production et y compris sur les proportions internes à la production.
Simultanément - et nous insistons particulièrement sur ce point - toute une série de catégories fondamentales se transforment sans cesse qualitativement, le travail simple se transforme en un travail plus complexe, le travail complexe passe à un degré supérieur de complexité ; « l'intensité moyenne du travail » se transforme aussi, etc.
En même temps l'échelle du temps de travail socialement nécessaire change. Toutes les proportions l'y rapportant se déplacent conformément au précédent changement. L'équilibre qui s'établit, s'établit chaque fois sur une base nouvelle, mais la loi continue à agir précisément parce que les proportions elles- mêmes ont changé. Plus le processus de rupture et de rétablissement de l'équilibre économique est rapide, et plus la transformation des catégories citées est rapide.
Considérons maintenant une société socialiste. Ici la loi objective des dépenses de travail correspond à la norme consciemment pratiquée des dépenses de travail. Les fluctuations suivent premièrement la courbe des erreurs statistiques (mais il va de soi que ce n'est là ce qui caractérise ces fluctuations : ce ne »ont pas des fluctuations en dents de scie, à la façon des fluctuations des prix autour de la valeur) ; deuxièmement, la base ici est l'augmentation du rendement du travail, augmentation consciente et établie a priori (avec le changement correspondant des coefficients de travail). La masse du travail est appliquée de façon concentrée. Ce qui stimule le mouvement de progression, ce n'est pas le profit, mais le recouvrement des besoins des masses dans un régime d'économie, de travail humain. Grâce à cette dernière circonstance, tout le mécanisme qui se manifeste par l'intermédiaire de la loi de dépenses de travail, se distingue considérablement du mécanisme correspondant en régime capitaliste.
D'un autre côté, « le système naturel des besoins » et sa dynamique sont différents également grâce à l'absence « du système du double budget » (il n'y a pas de classes, les budgets qualitatifs de consommation des couches sociales sont absents). Ce mécanisme socialiste à travers lequel agit la loi des dépenses de travail se distingue, comme nous le voyons, considérablement du mécanisme capitaliste. C'est pourquoi son type et son rythme de développement sont différents. Quant à la loi des dépenses de travail, elle demeure le régulateur fondamental de tout le processus et, qui plus est, sous un aspect de « pureté » maximale.
Ainsi la réponse à l'ensemble de notre question est claire : le mécanisme qui se manifeste par l'action de la loi des dépenses de travail (ou par la loi de la valeur en tant que forme historique de l'ensemble de la loi) résout le problème. Et la loi demeure le seul régulateur pour tous les stades de développement. Il est absurde de dire par exemple qu'en régime capitaliste il existe deux lois : la loi de la valeur et la loi des prix de revient à la production ; car la loi des prix de revient à la production, c'est le mécanisme à travers lequel agit la loi de la valeur.
C'est de la même façon qu'il faut poser le problème des lois de la période transitoire. En quoi réside la distinction spécifique entre ces lois ? Elle réside dans le fait qu'ici on assiste à un processus de transformation de la loi de la valeur en loi des dépenses de travail - c'est la première chose à noter.
Ensuite, en faisant l'analyse du capitalisme on pouvait faire abstraction de tous les éléments non-capitalistes - Marx a analysé « le capitalisme pur ». Cependant, en ce qui concerne la théorie de la période de transition, le problème ne peut être posé de la manière la plus abstraite que d'une seule façon : celle qui pose ces deux éléments :
- une industrie nationalisée et une simple économie marchande paysanne.
Il est impossible de faire abstraction de ces « tierces personnes », car le problème de la période transitoire en tant que telle devient absurde en dehors de cette corrélation. Enfin, un degré plus concret de l'analyse abstraite suppose l'« élément obscurcissant » du capital privé. De cette façon, nous avons les diverses formes de l'action de la loi des dépenses de travail, à la fois en tant que loi de la valeur, et en tant que loi des prix de revient à la production, c'est-à-dire en tant que loi modifiée de la valeur.
Il va de soi que toutes ces variantes, en se combinant, donnent un résultat original et entraînent des lois originales. Mais avec toute leur diversité, ces formes se ramènent cependant à une certaine unité.
Le processus de transformation de la loi de la valeur en loi de dépenses de travail trouve son expression dans le fait que dans l'ordre du plan, les « prix » dans leur fonction à demi fictive (c'est-à-dire que ce ne sont déjà plus des prix définis du point de vue des fluctuations barométriques du marché) se forment consciemment de façon différente que lorsqu'ils se forment d'une façon anarchique.
Mais cela ne signifie pas le moins du monde qu'il y ait ici un semblant de contradiction avec la loi des dépenses proportionnelles de travail. Au contraire, il y a ici une anticipation préalable qui lors d'une régulation anarchique se serait établie post-factum. D'un autre côté, ainsi que nous l'avons montré plus haut, le problème ne se situe pas seulement dans l'antithèse des formes sociales de la dépense de travail (la valeur d'un côté, et de l'autre simplement les dépenses de travail). Puisque tout le mécanisme qui apparaît : les stimulants à la production, les rapports entre production et consommation, etc. sont différents puisque ce n'est pas le profit moyen, mais le recouvrement des besoins des masses qui devient de plus en plus (bien que peu à peu) le principe fondamental de la planification de la production, alors les proportions de production ne seront pas les mêmes qu'à l'intérieur de la structure sociale du capitalisme privé. En conclusion, quelques considérations des plus générales en ce qui concerne l'accumulation socialiste et la loi de la valeur (ou des dépenses de travail).
Lorsque nous parlons de notre croissance économique sur la base des rapports de marchés (c'est d'un certain point de vue « le sens » de la NEP), nous réfutons du même coup la thèse qui consiste à opposer l'accumulation socialiste même à la loi de la valeur. Pour parler au figuré, nous forçons la loi de la valeur à servir elle aussi nos buts... La loi de la valeur « nous aide » et - même si cela a une résonance curieuse - elle prépare par là même sa propre fin.
Nous nous sommes ici limités aux considérations les plus générales. L'analyse suivante du livre du camarade Préobrajenski nous montrera comment ses formules doivent être transposées en un langage plus concret.
Passons maintenant à l'analyse de l'axe théorique qui soutient tous les jugements du camarade Préobrajenski, c'est-à-dire à l'analyse de sa « loi sur l'accumulation primitive socialiste ». Avant de se plonger dans le secret de l'Être soviétique, donnons la parole au camarade Préobrajenski afin d'éclaircir le rôle et la signification de cette « loi ». Le camarade Préobrajenski écrit :
« ... Non seulement nous pouvons parler d'accumulation socialiste primitive, mais nous ne pourrions rien comprendre à l'essence de l'économie soviétique, si nous ne comprenions pas le rôle central que joue dans cette économie la loi de l'accumulation socialiste primitive qui détermine, dans sa lutte avec la loi de la valeur, la répartition des moyens de production dans l'économie, la répartition des forces de travail, et l'importance de l'aliénation du surproduit du pays au bénéfice de la reproduction socialiste élargie» (p. 134, italiques de l'auteur).
Ici le camarade Préobrajenski terrorise littéralement le lecteur. C'est une vraie plaisanterie ! Si l'on n'admet pas la « loi », cela signifie que l'on ne comprend rien à ce qui est l'essentiel de l'économie soviétique. Mais comment tout homme humble par la pensée, qui serait incapable de reconnaître courageusement la découverte « qui fait époque » du camarade Préobrajenski, pourrait-il éviter de sombrer dans le néant ?
Cependant, à nous, il nous paraîtrait tout à fait exact de faire la transformation suivante dans l'exposé de la thèse du camarade Préobrajenski. On ne peut rien comprendre de l'essentiel de sa position, si l'on ne saisit pas la « loi sur l'accumulation primitive socialiste ».
Mais l'Être soviétique est une chose, et la conscience du camarade Préobrajenski en est une autre. Finalement toute la discussion se ramène à une chose : savoir si sa position théorique est juste, c'est-à-dire savoir si « elle correspond à la réalité ».
« L'essence » de la position de l'auteur de la « Nouvelle Économique » réside, comme on l'a dit, dans la « loi sur l'accumulation primitive socialiste ». Cette « loi » suppose le processus même d'« accumulation primitive socialiste », par analogie avec l'accumulation primitive capitaliste. Si l'on retire des constructions faites par le camarade Préobrajenski cette « accumulation primitive socialiste », alors tout l'édifice de la « Nouvelle Économique » s'effondre d'un seul coup. Il ne reste alors plus rien, absolument rien, de toute la théorie élaborée par le camarade Préobrajenski. Nous avons déjà cité plus haut l'opinion du camarade Lénine sur « l'accumulation socialiste primitive » qu'il considère comme « un jeu d'enfant ». Cette opinion sévère du chef du prolétariat et du plus grand théoricien de notre temps anéantit le camarade Préobrajenski.
Mais, bien sûr, il ne nous suffit pas que « magister dixit » (le maître ait dit). Nous devons comprendre pourquoi c'est Lénine qui a raison contre Préobrajenski et non Préobrajenski contre Lénine.
C'est à l'étude de ce problème que nous arrivons.
Rappelons d'abord ce que Marx entendait par « notion d'accumulation primitive », à laquelle est consacré le célèbre chapitre 26 du premier livre du « Capital ».
Comment Marx abordait-il cette question ?
Au début du chapitre, il écrit :
« ... L'accumulation capitaliste présuppose la présence de la plus-value, et celle-ci la production capitaliste qui, à son tour, n'entre en scène qu'au moment où des masses de capitaux et de forces ouvrières assez considérables se trouvent déjà accumulées entre les mains des producteurs marchands. Tout ce mouvement semble donc tourner dans un cercle vicieux, dont on ne saurait sortir sans admettre une accumulation primitive (previous accumulation, dit Adam Smith) antérieure à l'accumulation capitaliste et servant de point de départ à la production capitaliste, au lieu de venir d'elle. »10
Comment Marx définissait-il les méthodes d'accumulation primitive ? Il les définissait de la façon suivante :
« Dans les annales de l'histoire réelle, c'est la conquête, l'asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale, qui l'a toujours emporté ; dans les manuels béats de l'économie politique, c'est l'idylle au contraire qui de tout temps a régné. A leur dire il n'y eut jamais, l'année courante exceptée, d'antres moyens d'enrichissement que le travail et le droit. En fait, les méthodes de l'accumulation primitive sont tout ce qu'on voudra, hormis matière à idylle. »11 .
En quoi consiste l'essence historico-économique dans la théorie de l'accumulation primitive d'après Marx ?
« Le mouvement historique qui fait divorcer le travail d'avec ses conditions extérieures, voilà donc le fin mot de l'accumulation appelée « primitive » parce qu'elle appartient à l'âge préhistorique du monde bourgeois. »12
Quels moments historiques fondamentaux expriment d'après Marx la période dite « d'accumulation primitive » ?
« Dans l'histoire de l'accumulation primitive, toutes les révolutions qui servent de levier à l'avancement de la classe capitaliste en voie de formation font époque, celles surtout qui, dépouillant de grandes masses de leurs moyens de production et d'existence traditionnels, les lancent à l'improviste sur le marché du travail. Mais la base de toute cette évolution, c'est l'expropriation des cultivateurs. »13
C'est exprès que nous avons tiré toutes ces citations de Marx ; elles caractérisent d'une façon tout à fait suffisante ce qu'il est convenu d'appeler « l'accumulation primitive » de plusieurs points de vue : à la fois pour ce qui est de la nature historique du processus, et enfin pour ses moments essentiels.
Encore une petite remarque préalable. Il nous semble tout à fait inexact de reporter la « préhistoire du capitalisme » sur son histoire, et en plus sur toute son histoire. On observe une telle tendance chez toute une série de nos économistes. Ce sont les réflexions suivantes qui ont servi et servent encore de base à cette tendance : le fait que l'histoire est faite de la ruine de la paysannerie, d'usurpations coloniales, d'une continuelle expropriation des petits producteurs, avec les méthodes les plus « brutales » qui accompagnent une telle politique. Tout ceci représente des moments de « l'accumulation primitive ».
A notre avis, ces réflexions sont tout à fait fausses. Car on perd de vue l'essentiel, c'est-à-dire le fait que, d'après Marx, « ce qu'on appelle accumulation primitive » est « non un résultat, mais un point de départ » du développement capitaliste. C'est pourquoi il serait absurde de placer dans la rubrique de l'« accumulation primitive » l'impérialisme actuel pour autant qu'il soit dirigé contre les « tierces personnes » et serve d'outil pour les « absorber » et les « exproprier ».
Il faut choisir l'un ou l'autre : ou bien on considère la période d'accumulation primitive justement comme une « préhistoire » et dans ce cas, elle est très étroitement limitée dans le temps (elle se situe avant le capitalisme en tant que tel) ; ou bien nous y voyons un processus d'anéantissement des « tierces personnes » et il convient alors de liquider la notion elle-même, car dans ce cas, elle n'exprime rien de particulier, de spécifique, ou autre... Nous supposons pourtant que Marx avait raison. « Ce qu'on appelle accumulation primitive » est quelque chose de spécifique. C'est une prémisse historique du capitalisme, sa « préhistoire » par opposition à son histoire réelle. L'accumulation primitive n'est pas l'objet d'une analyse théorique pour une économie politique (c'est l'objet d'une analyse sociologique et historico-économique). Pour une théorie d'économie politique c'est bien seulement une prémisse historique. D'ailleurs le processus d'anéantissement plus éloigné des formes antérieures du capitalisme, de même que les problèmes de l'impérialisme représente aussi un matériau valable pour l'analyse théorico-économique. Il est absolument impossible de mutiler la notion d'« accumulation primitive », en la privant de ses caractéristiques historiques spécifiques (son caractère « préhistorique », les méthodes de violence, les changements (Umwälzungen), « le caractère inattendu et violent du processus », etc.). Marx l'a dit le plus clairement possible : « Elle (l'accumulation primitive N.B.) apparaît « primitive » parce qu''elle forme la préhistoire du « capital ». La confondre avec l'histoire, cela signifie s'éloigner totalement de la façon marxiste de poser le problème et servir au lieu d'un vin fort, un affreux breuvage« théorique ». »
Passons maintenant au camarade Préobrajenski.
En développant la thèse comme quoi le socialisme, en tant que structure définie de la société, ne peut pas complètement (c'est-à-dire en comprenant son sommet de production) arriver à maturité dans les limites du capitalisme et en montrant que « ce fait prend une importance colossale pour la compréhension non seulement de la genèse du socialisme, mais aussi de toute l'édification socialiste subséquente » (p. 129), le camarade Préobrajenski continue en ces termes : « Par conséquent, si le socialisme possède sa préhistoire, celle-ci ne peut commencer qu'après la conquête du pouvoir par le prolétariat. La nationalisation de la grande industrie constitue le premier acte de l'accumulation socialiste » (p. 130). Pourtant, cette analogie avec le capitalisme ne suffit pas au camarade Préobrajenski. Il va bien plus loin dans son parallèle historique. Voici comment il définit la différence entre l'accumulation socialiste et l'accumulation primitive socialiste (nous donnons ici deux variantes : la première avant la polémique de ma part, la seconde après)14.
1° « Nous appelons accumulation socialiste l'adjonction au capital de base de la production du surproduit lorsqu'il n'est pas employé à une répartition supplémentaire entre les agents de la production socialiste et le gouvernement, mais sert à la reproduction élargie. Au contraire, nous appelons accumulation socialiste primitive : l'accumulation aux mains de l'État des ressources matérielles, provenant principalement de sources extérieures au complexe de l'économie d'État. Cette accumulation dans un pays de paysans attardés doit jouer un rôle capital, en accélérant considérablement le moment où commencera la reconstruction technique et scientifique de l'économie d'État et où cette économie connaîtra enfin une prédominante purement économique sur le capitalisme. Il est vrai qu'à cette période s'accomplit aussi l'accumulation sur une base de production de l'économie d'État. »
Cependant, en premier lieu, cette accumulation porte en plus le caractère d'une accumulation préalable des moyens pour une véritable économie socialiste et est soumise à cette finalité.
Et, en second lieu, l'accumulation comme premier mode, c'est-à-dire pour le compte d'une sphère qui n'est pas étatique, domine très nettement au cours de cette période. C'est pourquoi nous devons appeler toute cette phase « période d'accumulation socialiste primitive ou préalable » (Le Messager de l'Académie communiste - 1924 - Livre 8, p. 54).
2° « Par accumulation socialiste nous désignons le rattachement aux moyens de production en fonctionnement du surproduit qui se crée à l'intérieur de l'économie socialiste une fois formée et qui ne servira pas à une répartition supplémentaire entre les agents de la production socialiste et de l'Etat socialiste, mais est employée à la reproduction élargie. Au contraire, nous qualifions d'accumulation socialiste primitive, l'accumulation entre les mains de l'Etat de(s) ressources matérielles tirées principalement ou simultanément de sources situées en dehors du contexte de l'économie d'Etat » (« Nouvelle économique » p. 134) (N.B. par la suite il n'y a plus de changement, les modifications du début du texte sont soulignées en noir).
Comme le voit le lecteur, le camarade Préobrajenski a accepté toute une série de nos indications, en ayant énoncé à additionner le capital au produit, à mêler le capital de base au capital en fonctionnement en général etc. C'est bien. Simplement ce qui est ennuyeux c'est que par ses autres corrections le camarade Préobrajenski aggrave encore sa position.
En effet, nous avons montré au camarade Préobrajenski (cf « la Question du trotskisme » p. 96) que, d'après sa formation, il était impossible de comprendre où il situe exactement les limites « de la primitivité ». S'il s'agit (cf la variante 1) d'une prédominance purement économique de l'économie d'Etat, alors ceci est donné d'une façon extrêmement rapide (loi de la grande production).
Mais, dans ce cas, cela contredit la « loi » qui est nettement calculée sur un laps de temps beaucoup plus long. Nous avons indiqué aussi le fait selon lequel, si, d'autre part, il s'agit d'établir une supériorité par rapport aux pays occidentaux et à l'Amérique - ce qui est d'ailleurs impossible à admettre à un premier degré d'abstraction de l'analyse - dans ce cas, au contraire, le processus s'étend sur une très vaste durée. Dans sa réponse le camarade Préobrajenski ne s'est pas arrêté sur ce point. Mais qu'a-t-il fait ?
Il a défini (cf. la variante 2) l'accumulation socialiste en tant que telle, comme l'accumulation où il n'y a pas un seul kopeck qui n'ait une origine non socialiste. Et il a défini l'accumulation socialiste primitive en tant que telle comme celle où il y a ne serait-ce qu'un « kopeck » provenant d'une sphère non socialiste (« ou simultanément » écrit-il dans la variante 2).
Si l'on prend au sérieux les analogies (du camarade Préobrajenski) et que l'on passe de cette définition de « l'accumulation primitive socialiste » à ce qu'on appelle l'« accumulation primitive capitaliste », alors le capitalisme tout entier, de son début à sa fin, tomberait littéralement dans la « préhistoire » du capitalisme : car, pendant tout le temps de son existence, le capitalisme a reçu des profits sur la base d'une exploitation (les « tierces personnes ».
Ceci étant dit, qu'en est-il véritablement de « l'accumulation primitive socialiste » ?
On comprend facilement que tant que subsistera une différence entre les structures de production et une supériorité technique de la grande production qui est en plus planifiée, dans ce cas, même en envisageant un échange des équivalents alignés entre eux d'après la norme de « travail collectif nécessaire », la fabrique et l'usine (aux mains de l'État) seront toujours dans une position avantageuse par rapport aux restes de la petite industrie à domicile, artisanale ou autres de ce genre... Considérer comme période « d'accumulation primitive socialiste » toute la période au cours de laquelle ne serait-ce qu'un seul kopeck, provenant des petits artisans, des travailleurs à domicile, ou des paysans, viendra gonfler les fonds de l'accumulation industrielle, cela signifie, en fait, confondre « histoire » et « préhistoire » et à tel point étendre dans le temps la préhistoire que la notion elle-même perd toute signification.
Qu'aurait-on pu appeler, sous condition, « période d'accumulation socialiste primitive » ? On pourrait nommer ainsi uniquement l'acte « d'expropriation des expropriateurs » avec les mesures qui l'accompagnent.
Si l'accumulation capitaliste était caractérisée par la séparation des producteurs par rapport aux moyens de production, ici on est en présence au contraire de la réunion de ces 2 facteurs ; le recours à la violence, caractéristique du processus, comme des « changements », « la soudaineté et la violence » du processus, enfin la caractéristique du processus en tant que prémisse historique et « point de départ » du développement, et non pas en tant que « résultat » ; tout ceci forme des éléments de rapprochement. Mais le terme même « d'accumulation primitive socialiste » apparaît comme un « jeu d'enfant ». Pourquoi ?
« Jeu d'enfant » parce que les faits qu'ils utilisent pour spécifier notre développement sont tirés par les cheveux et qu'il pose un grand nombre de questions dans une perspective tout à fait fausse. Chez nous l'expropriation est une révolution contre les anciennes classes dirigeantes ; alors que dans la période d'accumulation primitive capitaliste, il n'y a pas de révolution et encore moins contre les classes dominantes, mais il y a ruine de la paysannerie ; dans un cas, il y a création d'un pôle de classe indispensable. Chez nous, il n'y a rien de semblable ; dans un cas, les mesures à long terme vont dans le même sens que l'expropriation à long terme des « tierces personnes » ; chez nous, le problème de l'expropriation est dirigé contre la bourgeoisie et contre les seigneurs et le principal problème à plus long terme dont traite le camarade Préobrajenski est le problème du petit producteur, c'est-à-dire d'une autre classe ; là, l'évolution à long terme se fait sous l'angle de la ruine, de l'évincement, ou si vous voulez, « de l'absorption », ici sous l'angle de l'« accommodation », de la « refonte », de l'assimilation, etc. Par conséquent, dans une telle situation les parallélismes et les analogies, construits par le camarade Préobrajenski, ne peuvent être autre chose qu'un « jeu d'enfant » sur les termes. Il est temps de sortir de l'enfance ! Il est temps de cesser de poser des questions sérieuses comme des enfants !
Voici pourquoi en ce qui concerne ce problème, Lénine a totalement raison, et le camarade Préobrajenski complètement tort.
Les faits empiriques qui ont servi de base à toute la « théorie » de l'accumulation socialiste primitive, ce sont, avant tout, les faits pris à l'époque de la guerre civile et pendant les années de famine, période de prélèvements des denrées et d'une industrie qui s'est presque arrêtée. Dans des conditions tout à fait exceptionnelles - dans des conditions de ruine énorme et d'une baisse extrême des forces productives - l'« économie » offrait une image d'un type particulier : la « ville » absorbait ce qui lui restait, la « campagne » nourrissait la ville.
Le prélèvement des denrées alimentaires était une des formes par lesquelles la ville vivait à un certain degré sur le compte de la campagne. C'était l'époque où Lénine disait, en s'adressant aux paysans : « Faites nous un prêt de pain ! »
On était en présence d'un fait empirique où la ville vivait partiellement sur le compte de la campagne. Mais 1) on avait affaire à une période où était absente toute forme de processus normal de reproduction collective ; 2) le caractère même du slogan « prêt » montre qu'il s'agit d'un rapport tout à fait particulier. Essayez donc de mettre ce slogan dans la bouche des « chevaliers » de l'accumulation primitive !
Enfin, personne ne niera que l'industrie reçoit et recevra de la part des petits producteurs des plus-values en réserve de son accumulation.
Ce que le camarade Préobrajenski écrit à ce propos dans sa réponse produit une impression vraiment comique :
« Ayant reconnu cela, c'est-à-dire le fait et l'inéluctabilité d'échanges non équivalents avec l'économie privée et, en tout cas, d'un solde positif en faveur de l'économie d'État, il (Boukharine) a admis ma façon de poser le problème (!) pour l'essentiel et s'est ainsi privé de la possibilité d'entamer une discussion de principe sur le fond de toutes les conclusions tirées de cette thèse. » (« Nouvelle Économique » p. 306).
Cet argument m'a rappelé un fait d'une époque assez reculée. Lorsque j'étais en prison avec V.V. Obolenski, il y avait là un S.R. que nous avions surnommé le « garçon silencieux » comme ceux que l'on rencontre dans les romans de Sologoub. Lors d'une discussion, alors que je disais que les paysans ne disparaîtraient pas tous avant l'avènement de la révolution prolétarienne, le « garçon silencieux » se leva solennellement et déclara d'une voix étonnamment forte : « Voilà déjà la première des concessions » ! Et bien le camarade Préobrajenski copie textuellement le « garçon silencieux ». C'est encore plus comique pour la raison suivante : le camarade Préobrajenski lui-même est d'accord avec moi que le « fondement » de sa loi est « constitué par un truisme pur et simple » (p. 346) et que « tout est dans la chaîne des déductions ultérieures » (idem).
« L'erreur essentielle, absolument inadmissible (si c'est une erreur) du camarade Boukharine - écrit le camarade Préobrajenski qui ne peut évidemment se passer de faire un procès d'intention -,erreur qu'il fait tout au long de son article et qui le conduit à manquer de très loin son but quant au problème fondamental du débat consiste en ceci : mon article est un essai d'analyse théorique de l'économie soviétique ou, pour parler plus modestement, une tentative pour aborder une telle analyse. Notre économie soviétique se divise en économie d'Etat et économie privée. L'économie d'Etat a en propre ses lois de développement et l'économie privée a les siennes. Mais les unes et les autres entrent dans l'organisme unique de toute l'économie de l'Union dans son ensemble. Pour l'analyse théorique, il est méthodologiquement nécessaire d'examiner séparément les unes et les autres et d'expliquer ensuite comment s'obtient la résultante de la vie réelle. Mais il faut examiner les tendances du développement de l'économie d'Etat sous leur aspect pur, c'est-à-dire les analyser comme si le développement et l'économie d'Etat s'opérait sans rencontrer de résistance de la part de l'économie privée, il faut examiner la loi de l'optimum. C'est la seule méthode correcte, celle que nous avons héritée de Marx. Seule elle nous donne la possibilité de nous orienter parmi les faits disparates de la vie réelle et de comprendre le sens intrinsèque de tout ce qui se passe.
« Mais que fait le camarade Boukharine ?
« Il mêle l'analyse de la loi du développement de l'économie d'Etat (analyse au cours de laquelle il convient momentanément de faire abstraction de la résistance économique et politique de l'économie privée) et les conclusions tirées de cette analyse à la politique économique réelle de l'Etat prolétarien et, naturellement, il « découvre » ici, sans effort particulier, la contradiction. Je ne sais pas comment qualifier pareille confusion, pareille erreur. Le camarade Boukharine comprend parfaitement où est ici la différence. Il a lui-même maintes fois employé avec succès cette même méthode de recherche dans ses travaux économiques... De deux choses l'une : ou il se refuse à comprendre maintenant l'essence de cette méthode d'analyse, ce qui est peu probable, ou il a sacrifié l'honnêteté de la recherche théorique aux objectifs de la polémique du jour. Et alors, il doit être photographié sur les lieux du crime. » (pp. 301-302, les italiques gras sont de nous).
Ainsi donc, voyez-vous, j'ai « découvert » sans difficulté particulière une contradiction chez le camarade Préobrajenski, ce en quoi je suis précisément fautif car, par l'effet d'une inclination ignoble envers la politique, il se trouve que, peu consciencieux, j'ai mélangé à dessein des catégories de l'analyse théorique « pure » du camarade Préobrajenski avec la résultante empirique réelle, je me suis comporté en économiste vulgaire, tout cela toujours au profit de cette même politique.
Eh bien ! nous allons « donner réponse ». Auparavant, citons encore un passage de la réponse du camarade Préobrajenski à mon premier article contre lui. On sait que sa « loi » consiste en ce qu'il s'opère un transfert de ressources du secteur de l'« économie privée » vers le secteur de l'économie d'Etat et qu'en outre cette loi « supprime » la loi de la valeur et beaucoup d'autres choses encore.
J'ai indiqué au camarade Préobrajenski que le fait lui-même du transfert existe mais que sa « chaîne de déduction » n'est pas la véritable et que sa formulation s'assimile, de par sa nature, au proverbe : « prends davantage et sans compter », ce qui est une erreur du point de vue économique comme du point de vue politique et conduit au krach du bloc paysans-ouvriers, etc. («toujours cette même politique»!). Et voici, développant sa pensée rapportée dans la citation précédente, ce qu'écrit le camarade Préobrajenski :
« ... Dans la mesure où l'expansion de l'économie d'Etat doit inévitablement s'opérer en même temps aux dépens de l'économie privée, il est nécessaire de savoir au juste par quels canaux s'opère cet afflux de moyens vers elle et quelles sont les tendances du développement de l'économie d'Etat dans cette direction, ces tendances étant prises sous leur aspect pur, c'est-à-dire en faisant abstraction de la résistance du secteur de l'économie privée et, par là même, de la politique réelle que l'Etat ouvrier doit (le dernier italique est de l'auteur - N.B.) mener pour des raisons économiques et politiques. Les tendances spontanées (?! N.B.) de l'économie d'Etat vont-elles plus loin que ce qui est en réalité accessible à la politique économique de l'Etat ? Evidemment, oui. Mais cela signifie-t-il que l'analyse scientifique (italiques de l'auteur) de ces tendances, et la formulation de l'optimum de ces tendances, impliquent une critique de la politique économique de l'Etat et du parti ? Une critique d'une politique qui s'écarterait toujours (l'auteur) quelle qu'elle soit de cet optimum ? Question passablement dénuée de sens. Mais cette question absurde, c'est le camarade Boukharine qui nous force à la poser, lui qui n'a pas un seul mot pour avertir le lecteur que mon article est consacré à l'analyse théorique des lois fondamentales de notre économie et non à la politique économique de l'Etat » (pp. 303-304).
Voilà comment le camarade Préobrajenski me « photographie sur le lieu du crime ». Mais je soutiens, quant à moi que, précisément, du point de vue théorique, il n'y a rien, si ce n'est que des bêtises, dans les opinions rapportées ci-dessus. Nous allons les examiner point par point en suivant le camarade « photographe » à la trace. Commençons par la fin.
Le camarade Préobrajenski se plaint de moi parce qu'« à aucun moment » je n'ai « averti le lecteur » : son article est une « analyse théorique des règles fondamentales de fonctionnement de notre économie ». Je me repens, je n'ai pas « averti ». Mais je n'ai « pas averti » pour cette simple raison que j'étais et je suis en désaccord avec le camarade Préobrajenski sur la valeur de son article : sa prétention à procéder à l'analyse rapportée ci-dessus existe, mais d'analyse elle-même, il n'y en a point du tout. Je parcours maintenant de nouveau le chapitre consacré à sa « loi » : le problème du « pillage colonial » (pp. 142-143), « l'aliénation du surplus de toutes les formes précapitalistes » (page 144), « l'impôt sur le profit capitaliste pur » (idem), le problème des prélèvements d'Etat (idem), l'émission (145), les tarifs ferroviaires (146), le monopole du système bancaire et la politique du crédit (147-148-149), le commerce intérieur et extérieur (150 sq), la « politique des prix » (c'est écrit ainsi, 151 sq) etc. et je parcours également les discussions qui suivent et qui concernent le fait que le socialisme se bat contre le capitalisme et que, pour le vaincre, il doit accumuler au profit de l'économie privée - et plus il accumule, mieux c'est - voilà tout le contenu de son travail. Le camarade Préobrajenski recommande de faire abstraction de la politique mais, la politique mise à part, il ne reste plus rien chez lui : seulement, sa politique est mauvaise, ce dont je l'ai « averti » en mon temps. L'analyse théorique aurait dû montrer selon quelles lois objectives se détermine notre politique, comment se modifient les rapports entre la production et la consommation, quelle est l'évolution du poids respectif de chaque branche de production, comment la loi de la valeur se transforme en loi des dépenses de travail, quel nouveau mécanisme intermédiaire de la loi des dépenses de travail apparaît en période de transition, où se situent les limites de notre politique, etc. Mais cela, le lecteur ne le trouvera pas chez le camarade Préobrajenski. L'analyse théorique de l'économie, le problème des lois objectives transformées - sous notre nez - en normes ne figurent pas chez lui. Recommandant de faire abstraction de la politique au nom de la théorie, le camarade Préobrajenski s'est « abstrait » en réalité de la théorie au nom de la politique.
Mais pourquoi alors le camarade Préobrajenski a-t-il besoin de ces protestations contre la politique ? Pour justifier une mauvaise politique. Le lecteur verra plus loin comment ceci se produit. Pour l'instant, tournons le volant et attelons-nous à l'analyse des « objections » théoriques du camarade Préobrajenski établissant avec une clarté toute classique la racine de ses erreurs et les plus « intéressantes » c'est-à-dire les plus directement « éblouissantes » d'entre elles.
Le camarade Préobrajenski n'a pas examiné à fond la particularité méthodologique de la théorie de la période transitoire. Il raisonne d'une façon très simpliste. Marx a examiné des tendances du capitalisme « à l'état pur ». Ceci est une véritable orientation. De là, le camarade Préobrajenski « tire » sa méthode pour une « Nouvelle Economique » : nous avons une économie d'Etat et nous avons une économie privée. Supprimons les lois de l'économie d'Etat « dans leur pureté » et définissons ensuite la « résultante ». Voici ce que propose le camarade Préobrajenski. Ici le camarade Préobrajenski paraît avoir raison. Mais ça n'est qu'une apparence. En fait, tout est construit sur une fausse analogie. Marx, en rejetant les formations précapitalistes et en simplifiant le tableau, a analysé le « capitalisme pur ». Si nous rejetions les « tierces personnes », nous aurions aussi « un socialisme pur » mais, de ce fait, disparaîtraient toutes les catégories et tous les problèmes de la période transitoire. Essayez de supprimer l'environnement petit-bourgeois, le problème de la valeur disparaîtrait totalement, et disparaîtraient des formes comme par exemple la forme du salaire, etc. Il ne resterait plus rien de « transitoire », même dans le domaine de « l'économie d'Etat ».
S'il agissait d'une théorie d'économie socialiste (comme chez Marx, il s'agit d'une théorie sur l'économie capitaliste), dans ce cas, le camarade Préobrajenski aurait raison dans son orientation, et l'économie d'Etat abstraite serait l'abstraction limite c'est-à-dire pour le fond du problème une économie socialiste.
Mais si on entreprend d'étendre l'économie transitoire dans sa particularité historique, il est absolument nécessaire de prendre comme abstraction limite une société à deux classes, c'est-à-dire une combinaison d'économie prolétarienne étatisée et d'une économie paysanne.
Du commerce extérieur (aussi important soit-il d'un point de vue empirique) on peut faire éventuellement abstraction - et même, aux premiers degrés de l'analyse, on le doit (ce que ne fait absolument pas le camarade Préobrajenski) ; mais il est tout à fait inadmissible de faire abstraction des « tierces personnes » pour analyser la période transitoire ; cela signifie supprimer tous les problèmes théoriques spécifiques. L'incompréhension théorique de ceci entraine une façon fausse de poser le problème dans le domaine de la politique économique.
En présentant la loi du développement comme deux bâtons se trouvant dans les mains des 2 classes, qui se frappent l'un l'autre cruellement, le camarade Préobrajenski perd de vue l'unité du système. Bien que cette unité soit contradictoire. C'est quand même une unité avec le conditionnement réciproque des parties.
Une évaluation insuffisante de ce conditionnement réciproque provoque les plus graves erreurs15 .
Cette orientation générale fausse se traduit aussi dans les fondements mêmes qu'il pose à cette fameuse « loi ». Cette loi - si toutefois, c'en était une, et qu'elle se soit formée normalement - est la loi du rapport entre « l'économie d'Etat » et « l'économie privée ». Eloignez-vous du dernier terme et la « loi » perd toute signification. Elle se transforme en un amalgame de phrases sans signification, elle perd absolument tout contenu. Nous pouvons illustrer cette idée par l'exemple suivant : l'un de nos grands économistes, ayant pris la parole au cours de débats à propos de l'exposé du camarade Préobrajenski, reconnaissant à cet exposé « une immense valeur scientifique » et le considérant comme « un fait exceptionnel » dans notre littérature (cf. : « Le Messager de l'Académie communiste », 1926, livre 15, pages 180-183) s'exprime en ces termes : « Encore une remarque. Si dans le domaine de notre économie d'Etat nous pouvions détacher quelque complexe qui représenterait une autarcie, alors la loi de l'accumulation socialiste (il s'agit de la loi de l'accumulation socialiste primitive formulée par le camarade Préobrajenski, N.B.) se présenterait dans sa pleine activité et la loi de la valeur n'aurait plus de raison d'être ici. En partant de ce point de vue abstrait on peut dire que plus l'un ou l'autre complexe de notre économie d'Etat est près de l'autarcie, près d'un certain tout indépendant, moins on voit en lui l'action de la loi de la valeur, et vice versa. » (« Le Messager », page 182).
Ainsi si l'on avait l'« autarcie », c'est-à-dire si l'économie d'Etat était coupée des « tierces personnes » c'est-à-dire, disons-le s'il n'y avait pas du tout de ces « tierces personnes », dans ce cas apparaîtrait dans sa « pleine activité » la loi qui consiste à tirer les ressources du fond de tierces personnes non existantes ! Mais peut-on dire quelque chose de plus comique que cette « remarque » ? Et c'est là la conclusion qu'il tire des positions du camarade Préobrajenski et de « leur immense valeur ».
Les idées du camarade Préobrajenski étudiées plus haut atteignent leur couronnement dans les affirmations de l'auteur de la « Nouvelle Economie » sur « l'optimum » de la loi sur l'accumulation socialiste primitive. Ces considérations du camarade Préobrajenski (dirigées très vivement contre mon argumentation) sont tellement étonnantes, tellement « exceptionnelles » dans notre littérature qu'il convient vraiment de les populariser très largement : c'est dans ces considérations qu'on voit le mieux le « péché originel » commis par le camarade Préobrajenski.
Nous venons de donner l'opinion du camarade Préobrajenski selon laquelle il faut absolument examiner les tendances de l'économie d'Etat dans leur « état pur », ou bien d'après la formulation du camarade Préobrajenski « comme si le développement de l'économie d'Etat s'opérait sans rencontrer de résistance de la part de l'économie privée, il faut examiner la loi de l'optimum » (302) ou encore dans un autre passage que nous avons cité, il faut examiner ces tendances « prises sous leur aspect pur, c'est-à-dire en faisant abstraction de la résistance du secteur de l'économie privée et, par là même, de la politique réelle que l'Etat ouvrier doit mener pour des raisons économiques (! N.B.) et politique » (p. 303).
Admettons. En gens disciplinés, nous allons essayer d'agir selon la recette de la « Nouvelle Economique ». Commençons par nous rendre compte des oppositions dont il nous faut faire abstraction et, encore une fois, en gens disciplinés, nous sommes tout prêts à « obéir » à notre auteur « en tant que tel ». Voici comment le camarade Préobrajenski définissait ces obstacles dans « le Messager » : « Les obstacles que rencontre sur ce chemin l'économie d'Etat résident dans une insuffisance chez elle de la force économique susceptible d'exécuter cette politique, et avant tout dans le faible pouvoir d'achat de l'économie privée, et dans l'augmentation relativement lente de ce pouvoir ».
Mais ici que le lecteur me pardonne, je dois m'arrêter un instant et faire une digression, car nous sommes en présence d'un fait dans le domaine de la « théorie » qui, à mon avis, est criminel. Dans mon article « politique » je montrais au camarade Préobrajenski (cf. l'ouvrage « La Question du trotskisme », page 82) qu'il n'avait pas du tout éclairé le point décisif qui concerne la capacité du marché paysan. Dans sa réponse (« Nouvelle Economique », page 340) mon détracteur m'attaqua avec une violence inouïe :
« En ce qui concerne la capacité du marché paysan intérieur et l'appréciation de son rôle en faveur de notre industrie, là moins que partout ailleurs je n'ai à recevoir de leçons du camarade Boukharine. Ce problème, je l'ai posé (!) il y a un an et demi, etc. »
Admettons. Nous ne discuterons pas d'un problème épineux que celui du savoir qui a « traité » tel ou tel problème et quand, mais voici ce qui est intéressant.
Dans sa nouvelle édition, le camarade Préobrajenski a complètement refait la partie qui concernait la faiblesse du marché paysan, sans en « avertir » personne. Nous lisons à cet endroit (cf page 87): « Les obstacles que rencontre sur ce chemin l'économie d'Etat résident non pas dans une insuffisance, chez elle, de la force économique pour exécuter cette politique, mais, avant tout, (on trouve ensuite un changement complet N.B.) dans la nécessité de faire concilier cette politique avec la politique de baisse des prix…16
Je considère une transformation aussi essentielle et faite sans réserves de la part de l'auteur comme inadmissible et, suivant la méthode de mon « ennemi », je le « photographie » en pleine action. Les lecteurs verront immédiatement pourquoi ce point nous apparaît extrêmement important. Mais d'abord encore une remarque, en passant (en français dans le texte. N. du T.). Il faut constater que le camarade Préobrajenski qui prêche la nécessité de faire abstraction de la politique économique de l'Etat, dans sa première formulation, qu'il le veuille ou non, tentait de lier cette politique à un fait objectif (la faiblesse du marché intérieur), dans sa seconde formulation, au contraire, il s'éloigne aussi de ce dernier élément théorique en « faisant coïncider » une politique avec une autre politique (la politique de l'accumulation avec la politique des prix). Et lui-même il s'écrie : « Pas de politique dans l'analyse ! » Et maintenant revenons à notre sujet principal (dans notre analyse on verra très clairement pourquoi le camarade Préobrajenski a changé sa formulation et pourquoi il « n'a pas averti le lecteur »).
Ainsi, nous abordons la question de « l'optimum » de l'accumulation primitive socialiste, c'est-à-dire la question de savoir quel est le meilleur chiffre (le chiffre optimal) qui, économiquement, doit exprimer cette quantité de surproduit que peut recevoir l'économie d'Etat de l'économie paysanne pour le fonds de son accumulation industrielle ou pour le fonds de l'accumulation du secteur étatisé de l'économie. Comme nous l'avons vu le camarade Préobrajenski exige pour cela que l'on fasse abstraction des « obstacles » provenant du côté de « l'économie privée ». Nous avons vu aussi que le principal obstacle était la faible capacité du marché intérieur. Ainsi pour dégager « dans sa pureté » « l'optimum » de l'accumulation primitive, il faut selon Préobrajenski s'abstraire du marché intérieur. Et maintenant essayez de dégager cet « optimum » ! Nous considérerions avec un intérêt exceptionnel un « maître des affaires optimales », qui aurait pu dégager « l'optimum », sans tenir compte des conditions déterminant cet « optimum ».
N'est-il pas clair même pour un enfant que c'est là un problème insoluble, et que la notion même « d'optimum » dans l'interprétation qu'en donne le camarade Préobrajenski est tout simplement absurde ?
Nous pensons que c'est clair.
On voit aisément où se situe la racine même de l'erreur. La loi de la relation suppose l'existence des deux membres de cette relation.
En en supprimant un (l'économie paysanne), on supprime tout. Et c'est ce qu'on appelle une « analyse théorique » !
Dans le second chapitre de notre travail, nous avons vu que la « loi de l'accumulation socialiste primitive » remplace la loi de la valeur et apparaît comme la loi qui, pour ainsi dire, dirige la répartition des Forces productives dans le pays. D'autre part, nous avons vu aussi que notre erreur fondamentale aux yeux de Préobrajenski consiste en ce que nous considérons comme impossible de faire abstraction de tels « obstacles » comme par exemple, en premier lieu, la capacité du marché paysan. Examinons aussi de ce point de vue-là la « loi » du camarade Préobrajenski (« A l'état pur ! »).
Si l'on ne se place pas du point de vue de Tougan-Baranovsky, il est clair qu'ici on ne peut ignorer la consommation, c'est-à-dire la demande. Or la demande chez nous est dans une large mesure alimentée par la paysannerie. D'autre part, chez nous le partage social des sphères productives coïncide pour l'essentiel avec leur partage productif fondamental (l'industrie prolétarienne et l'économie agricole).
Le fait que le blé pousse dans les champs et non pas dans les ateliers des villes était connu même des éducateurs des instituts pour nobles du bon vieux temps !
Qu'en résulte-t-il ?
Il en résulte que la capacité du marché intérieur qui détermine la demande est un des facteurs les plus importants déterminant d'une façon immédiate les dimensions de l'industrie légère et en partie de l'industrie métallurgique et de toute autre industrie.
Et ceci, à son tour, comme « réaction en chaîne », détermine aussi les proportions entre les diverses branches.
Il est donc impossible de construire le plan d'une industrie prise en elle-même », et ça n'est pas du tout un hasard, si, chez nous, « les programmes de production » sont liés aux problèmes de la récolte
Essayez donc de créer un « plan sans tenir compte de la capacité du marché paysan », en faisant tout simplement abstraction de ce problème ! N'est-ce pas absurde ? Et cette absurdité, le camarade Préobrajenski l'érige en principe méthodologique. C'est la même erreur qui est à la base de cette absurdité ; le camarade Préobrajenski voit les contradictions, mais ne voit pas l'unité de l'économie nationale; il voit la lutte, mais ne voit pas la collaboration ; il aborde la question du point de vue des contradictions « plates », « logiques », mais non dialectiques. C'est pourquoi il obtient le résultat qui correspond à une telle approche.
Il est peut-être maintenant temps de passer de la « chaîne des conclusions » à la loi elle-même. Rappelons la formulation du camarade Préobrajenski telle qu'elle était donnée dans « le Messager de l'Académie communiste » (« Le Messager », 1924, livre 8, page 92).
Voici comment le camarade Préobrajenski y formulait sa « loi » :
« Plus un pays, passant à une organisation socialiste de production est économiquement retardé, petit-bourgeois et paysan, moins sera important l'héritage que reçoit au moment de la révolution sociale le prolétariat du pays en question pour les réserves de son accumulation socialiste, plus l'accumulation socialiste sera obligée de s'appuyer sur l'exploitation des formes d'économie présocialiste, moins le poids spécifique de l'accumulation pèsera sur sa propre base de production, c'est-à-dire moins elle se nourrira du surproduit des travailleurs de l'industrie socialiste.
« Au contraire, plus le pays dans lequel triomphe la révolution sociale est développé économiquement et industriellement, plus est important l'héritage matériel que reçoit de la bourgeoisie après la nationalisation le prolétariat de ce pays et qui prend l'aspect d'une industrie très développée et d'une agriculture organisée d'une façon capitaliste, moins il y aura dans le pays en question de poids spécifique des formes capitalistes de production et plus pour le prolétariat du pays il sera nécessaire de diminuer la non-équivalence des échanges de ses produits et de ceux des colonies, c'est-à-dire de diminuer l'exploitation de ces dernières, d'autant plus que le centre de gravité de l'accumulation socialiste se déplacera vers une base de production de formes socialistes c'est-à-dire s'appuiera sur le surproduit de sa propre industrie et de sa propre agriculture ».
Dans cet exposé, le camarade Préobrajenski, sous les coups répétés des critiques que nous lui avons faites, a été obligé de retirer les termes de « colonies » et « d'exploitation ».
Mais nous aborderons largement ce sujet par la suite, c'est pourquoi nous l'écartons pour l'instant. Nous nous contenterons de remarquer simplement la chose suivante :
C'est que l'idée principale, « donnée d'une façon immédiate » « dans la loi », se réduit au fait que là où il n'y a pas de « tierces personnes », on ne peut rien leur prendre, et là où il y en a plus, on peut en recevoir plus. Par conséquent, nous sommes ici en présence d'une « loi » dans le genre de celle où : 6 + 5 ou + 4 font moins de 12. Il s'agit d'un « truisme » avec lequel d'ailleurs le camarade Préobrajenski est d'accord puisque pour lui tout fait partie de « la chaîne des conclusions ».
L'une des conclusions essentielles du camarade Préobrajenski, est la suivante :
« La loi de l'accumulation socialiste primitive est la loi de la lutte pour l'existence de l'économie d'Etat. La non-équivalence des échanges que cette loi impose, aussi dans la sphère des échanges de marchandises, reproduit non seulement la proportion dans laquelle cette non-équivalence existe dans les pays capitalistes mais est aussi liée à quelque chose de plus » (p. 347).
Cette « conclusion » exige une étude particulière et son analyse suppose une série de déductions logiques intermédiaires nouvelles dont l'établissement sera le but que nous nous proposons pour un prochain exposé. Ici, nous mettons fin à d'autres « conclusions », en particulier liées à la notion d'« optimum » du camarade Préobrajenski. Notre « conclusion » à propos des « conclusions » est la suivante : le camarade Préobrajenski a presque atteint l'optimum de confusion dont il ne pourrait sortir même à l'aide d'appareils photographiques.
Sur ce, à la prochaine !...17
Notes
1 Boukharine: « Une nouvelle révélation sur l'économie soviétique » est publié dans le Débat sur la loi de la valeur, Maspero. (N. de l'E.).
2 Les références à ce livre correspondent à l'édition française publiée par EDI (N. de l'E.).
3 Le titre n'est pas réussi, car il est tout à fait neutre en ce qui concerne les moments de classes sociales - tout ce qui est « neuf » est considéré comme « nouveau » : est nouveau aussi le capitalisme d'État de la période de guerre, actuellement l'économie de l'après-guerre en général est « nouvelle ». Dans ce terme la nouveauté sociale de l'économie soviétique apparaît souillée (N.B.).
4 Pierre Strouvé : « Économie et Prix ».
5 La Pravda n° 150, 1926
6 Marx, Lettres sur « Le Capital », Ed. Soc. 1964 ; pages 229-230 (N. d. l'E.).
7 K. Marx : Le Capital, livre 1, Tome 1, Ed. Sociales, p. 83 (N. d. E.).
8 ibidem, p. 90 (N. d. E.).
9 La Pravda n° 154, 1926.
10 K Marx : Le Capital, livre 1, tome 3, p. 153 (N. de l'E.).
11 ibidem p. 154 (N. de l'E.).
12 ibidem p. 155 (N. de l'E.).
13 ibidem p. 156 (N. de l'E.).
14 Consulter sur cette question l'article que j'ai écrit, il y a longtemps, sur la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne (réédité dans le recueil « Attaque ») et le comparer avec les positions correspondantes du camarade Préobrajenski.
15 P.P. Maslov (cf. les « Bases de la politique économique », GIZ. 1926) en distinguant le point de vue de l'économie privée, de l'économie d'Etat et de l'économie nationale, ne souligne cependant pas suffisamment le fait que, dans un régime de dictature du prolétariat, le point de vue de l'économie d'Etat coïncide avec le point de vue de l'économie nationale, si l'on parle d'« intérêts à long terme »,c'est-à-dire« décisifs ». (Note de N.B.)
16 Cette référence (p. 87 de l'édition russe) n'a pas pu être retrouvée dans l'édition française (N. de l'E.).
17 Ce dernier article comporte la mention « à suivre » bien qu'il ne soit suivi d'aucun autre.