Discussion de la Question Paysanne |
Téléchargement du .pdf : Quatre contributions de Boukharine (21 mars-6 avril 1925)
Rapport sur la question paysanne | 2 avril 1925 | |
Discours de clôture du débat | 2 avril 1925 | |
Résolution sur la question paysanne | Cahiers du Bolchévisme 22 mai 1925 | |
Rapport sur la discussion dans le Parti | 3 avril 1925 |
Publié dans La question paysanne en U.R.S.S. (1924-1929, François Maspéro, 1973, Livres « Critiques de l’économie politique », pp. 197-212. Il s’agit du rapport à l'Exécutif élargi de l'Internationale communiste de mars-avril 1925, publié dans les Cahiers du bolchevisme,n° spécial du 22-5-1925. Références dans la bibliographie de W. Hedeler : n° 1102 et 1290 (en français), 1177 (en russe), 1186 (IPK).
Beaucoup de camarades des partis étrangers, et même des meilleurs partis, pensent que la question paysanne est quelque chose de tout à fait secondaire. Quoique ce soit à présent chez nous la grande mode de se proclamer léniniste, et de lutter tout naturellement contre le trotskysme, il y a cependant beaucoup de partis qui consacrent une attention insuffisante à la question paysanne. Beaucoup de camarades et de partis pensent même que la question paysanne n'est importante que pour un pays aussi arriéré que la Russie, mais qu'elle est secondaire pour les pays avancés. Cette idéologie est complètement fausse et, entre parenthèses, un petit peu trotskyste. C’est précisément Trotsky qui développe, dans sa théorie de la révolution permanente, l’enchaînement d'idées suivant : en Russie, le prolétariat ne peut défendre son pouvoir, après sa victoire, qu'avec l’aide des organes d’Etat du prolétariat occidental, parce que la majorité de la population russe est agricole.
Cette assertion est fausse. Elle n’est pas seulement fausse, elle manque même de logique. La victoire du prolétariat international, ce serait sa victoire à l'échelle mondiale, la conquête du pouvoir dans le monde entier, et alors nous devons nous demander : quelle est la composition de la population de toute la terre ? Si nous posons la question de cette façon, nous remarquerons immédiatement que le prolétariat constitue la minorité relative et absolue de la population totale de la terre, par rapport à une majorité paysanne prépondérante. Peut-on donc éliminer cette question ? Peut-on dire que la révolution mondiale et la victoire mondiale du prolétariat résolvent le problème ? Nullement. Au contraire, avec la victoire internationale du prolétariat, ce problème se reproduira sur une plus large échelle. Voici quelques chiffres illustrant ma pensée : nous savons que la population du globe est de 1 700 000 000 d'habitants. Plus de la moitié de ce nombre habite l'Asie (environ 900 millions). La Chine seule compte 436 millions, ce qui veut dire que près d’un quart de la population du globe habite la Chine, et sur ces 436 millions — il est vrai que la statistique est extrêmement mauvaise — environ 400 millions sont des paysans. Aux Indes, la proportion des paysans vis-à-vis de la population totale est de 220 à 320 millions. L’immense majorité de la population coloniale est composée de paysans.
Nous savons tous que la question coloniale joue un rôle très grand dans le processus de la révolution mondiale du prolétariat. Nous savons très bien que les contradictions entre le capital de la métropole développée et les colonies arriérées comptent parmi les principaux antagonismes du capitalisme, qu’elles ne sont pas autre chose que les contradictions entre la ville mondiale, centre de l’industrie et de l'économie actuelles, et le village mondial, c’est-à-dire la périphérie coloniale de ces centres. Presque toutes les questions principales de notre politique sont liées d'une façon ou d’une autre à la question coloniale. Même la question de l’unité syndicale, en connexion avec l'orientation à gauche du prolétariat anglais, est étroitement liée à la question des colonies. Et la question coloniale constitue une forme spécifique de la question agraire et paysanne. Il n’y a donc pas de doute que ce problème n'est pas un problème négligeable et secondaire. On peut dire qu’il constitue un des problèmes les plus importants de notre époque. Mais on ne saurait l’envisager exclusivement de ce point de vue. Il faut l’envisager au contraire du point de vue de la production et de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Si la population paysanne constitue une si grande partie de la population totale, il est tout à fait clair qu’elle est économiquement d’un assez grand poids.
Le prolétariat industriel des pays développés a parfois cette idée fausse que ce problème ne serait pas important. Mais quelle est la réalité ? En ce qui concerne la situation économique, l'Angleterre est située en Asie, et la France, au point de vue économique, est située en Afrique. Il est tout à fait clair que la grande attention que la classe ouvrière anglaise consacre actuellement à la question des colonies est un pressentiment des problèmes futurs. Le simple ouvrier anglais qui voit les troubles des Indes doit se demander : « Si je soutiens maintenant les Indes et si elles se détachent de la Grande-Bretagne, qu'est-ce que je mangerai alors, après la conquête du pouvoir politique ? » Une telle façon de poser la question se rencontre déjà dans certains milieux du prolétariat développé, économiquement qualifié. Elle est en connexion avec le fait que la question de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat est devenue une des questions principales de notre époque.
Mais comment la chose se présente-t-elle si nous envisageons la question paysanne du point de vue du rapport des forces sociales en présence au moment actuel ? Si nous demandons sous quelle influence se trouve la classe paysanne, comment se répartissent ses forces entre les différentes catégories, nous devons dire que nous avons dans les pays coloniaux et semi-coloniaux une forte influence sur la classe paysanne, mais que notre influence dans les pays industriels les plus importants est presque égale à zéro. En Allemagne, où les dépressions économiques avec leurs diverses conséquences ont sévi après la guerre de la façon la plus cruelle, nous voyons que l'Union agraire nationale, qui se trouve sous la direction des grands propriétaires fonciers, compte plus de deux millions de membres fermement organisés. Même la moitié du prolétariat se trouve dans cette organisation. Qu’est-ce que cela signifie ?
Si vous ne tenez compte que de ce fait, et si vous comparez ensuite le nombre des grands paysans, des paysans moyens, des petits paysans et des semi-prolétaires, appartenant à cette organisation, vous verrez que la grande majorité de la classe paysanne et la moitié du prolétariat agricole sont directement groupés dans des organisations ennemies. La composition sociale de l’Union agraire nationale, au point de vue de la direction, est celle-ci : à la tête, il y a les grands agrariens et les grands capitalistes ; l'idéologie est monarchiste : la colonne vertébrale de l’appareil est composée d’anciens officiers et de fonctionnaires supérieurs. En France, où les paysans ont une idéologie moins réactionnaire qu'en Allemagne, le tableau est pourtant aussi assez terrifiant. Il y a plusieurs grandes organisations paysannes qui toutes se trouvent sous la direction des grands agrariens et des grands capitalistes.
La structure de ces organisations est assez semblable dans tous les pays. Elles ont comme directeur un parti ou plusieurs partis politiques. Leur forme d'organisation est une sorte de syndicat agricole réunissant des membres de toutes les catégories — des grands agrariens jusqu'au plus petit paysan et même jusqu'à l'ouvrier agricole. Cependant, au sein de cette organisation, il y a une certaine hiérarchie, à la tête de laquelle se trouvent toujours des grands capitalistes. Ces cadres sont excellents, quant à leur hostilité contre le prolétariat.
Cette organisation est liée à des coopératives de différentes espèces, qui sont économiquement liées à des banques.
Je ne vous ai cité que deux exemples, ceux de la France et de l’Allemagne, mais une situation analogue existe presque partout.
Dernièrement, nous avons vu, il est vrai, une différenciation au sein de ces organisations. C’est un processus assez important et assez ample. Mais, si nous envisageons la situation en général, si nous faisons le bilan et si nous excluons les pays coloniaux, nous voyons que notre travail se trouve dans la période initiale.
Dans une période où les vagues de la révolution montent rapidement, nous pouvons entraîner de larges couches du prolétariat et imprégner de nos idées de larges couches du peuple.
Mais, vivant à présent dans une période de stabilisation, même passagère, il y a à craindre que toutes ces couches ne soient utilisées contre le prolétariat.
Le fascisme, la réaction noire, a ses meilleures réserves au village. C'est vraiment une situation scandaleuse que, en Allemagne par exemple, la moitié du prolétariat agricole se trouve dans le camp ennemi. Avec une telle proportion des forces, il est très difficile de conquérir le pouvoir.
Je puis dire par conséquent qu’au point de vue du prolétariat révolutionnaire, de même qu’au point de vue du léninisme, ce serait la plus grande sottise de considérer cette question comme secondaire.
Toute la bourgeoisie, les milieux agrariens et l'industrie lourde comprennent très bien la situation. Les professeurs à la solde des grands propriétaires fonciers et du grand capital considèrent consciemment la classe paysanne comme la dernière réserve du camp contre-révolutionnaire et fondent leurs espoirs sur son caractère conservateur.
Naturellement, on peut dire que les espoirs de la bourgeoisie et des agrariens sont limités. La bourgeoisie et les agrariens ne comprennent pas que le conservatisme de la classe paysanne n’est pas un trait éternel et qu’il y a aussi dans l'histoire d'autres époques, comme celles des révoltes paysannes, qui n’ont rien de commun avec ce conservatisme. Et aujourd’hui l’ordre bourgeois est si profondément ébranlé que différents traits du conservatisme paysan disparaissent. Nous savons qu’à l’époque antérieure, celle du rapide développement du capitalisme, surtout dans les pays les plus avancés, même quelques couches du prolétariat s’étaient embourgeoisées. Il est encore plus compréhensible que certaines couches de la classe paysanne, par exemple les couches possédant de la propriété privée et travaillant individuellement, etc., aient rejoint encore plus vite le camp bourgeois.
Mais cette époque du capitalisme organique était une époque spécifique, et il est impossible de transporter mécaniquement le caractère spécifique de cette époque à une autre et surtout impossible de le transporter à notre époque.
On peut aller jusqu’à poser cette thèse que, parallèlement à la disparition de ces éléments embourgeoisés du prolétariat, au « désembourgeoisement » du prolétariat, s'il est permis de s'exprimer ainsi, se poursuit un processus analogue au sein de la paysannerie. Ce processus commence d'abord dans les couches semi-prolétariennes de la paysannerie, chez les « paysans pauvres », etc. Naturellement, il est plus lent que le processus de désembourgeoisement du prolétariat, et c'est pourquoi notre tâche d'étendre notre influence sur ces couches de la population est plus difficile que la conquête des parties embourgeoisées, social-démocratiquement infectées, du prolétariat. Mais plus le problème est difficile, et plus d’énergie nous devons y appliquer. Nous devons attirer beaucoup de couches de paysans pauvres, de petits paysans, sous notre influence, sinon nous ne pourrons pas remporter la victoire.
Grosso modo, la période actuelle du développement du capitalisme n’est, du point de vue social, qu’une lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat pour la conquête de la classe paysanne. Je dois dire que la bourgeoisie comprend ce trait caractéristique beaucoup mieux que les partis communistes. Il y a là un grand danger. Nous parlons de la tactique du front unique, nous avons parlé du mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, nous avons adopté une résolution sur la nécessité de conquérir la classe paysanne, etc. Mais nous faisons fort peu pour cela, tandis que la bourgeoisie applique la véritable tactique du front unique envers les paysans et obtient beaucoup de résultats.
Il y a à présent en France un très grand mouvement dans les milieux agrariens et bourgeois. Les mots d’ordre sont à peu près ceux-ci : « Retour à la campagne », ou bien : « Par la terre et pour la terre » ou bien : « La terre à la famille paysanne », etc. Il existe par exemple un courant qui dit : « Nous devons produire davantage, nous avons besoin de grandes entreprises agricoles industrialisées. » Mais la majorité des agrariens dit : « Non, ce serait juste du point de vue économique et technique, en vue du relèvement immédiat de la production, mais de notre point de vue de classe nous ne devons pas agir ainsi. Nous ne devons pas permettre que tant de prolétaires soient rassemblés. Au point de vue social, nous voudrions plutôt donner la terre aux paysans. » Et, en effet, on fait en France différentes tentatives de remplacer les ouvriers agricoles émigrés dans les villes par des travailleurs étrangers, polonais, tchèques, italiens, etc., qui reçoivent même parfois de petits lopins de terre, parce qu’on veut créer un terrain solide pour le relèvement de l'agriculture et acquérir une base sociale plus forte.
Il en est de même en Allemagne : une discussion analogue est en cours entre une aile plutôt agrarienne et une autre qui a un caractère moins agrarien.
Je cite ces faits pour démontrer que la bourgeoisie applique la tactique du front unique consciemment et méthodiquement, et non seulement avec de bonnes paroles, comme nous le faisons parfois.
Récemment, j’ai vu dans un journal de la finance américaine une formule nette de la tactique du front unique de la part de la bourgeoisie. Le capital financier dit aux farmers : Les démagogues (c'est-à-dire les communistes) vous proposent le front unique avec la classe ouvrière. L'idéo de la tactique du front unique est bonne. Les farmers ont besoin du front unique, d’une alliance politique. Mais ils doivent la chercher chez les banquiers, chez les grands industriels. » C'est ainsi que l'idée de la tactique du front unique est retournée contre le prolétariat.
Mais comment réalise-t-on cette tactique ? Cette tactique, qui consiste en différentes concessions de la bourgeoisie à la classe paysanne, a différentes formes. Premièrement, des réformes agraires dans les pays arriérés. Il est vrai que la cause de ces réformes est la pression de la classe paysanne. Elles sont naturellement insuffisantes. Il faut les combattre et présenter des revendications plus larges, plus révolutionnaires. Mais ces réformes sont parfois aussi très prudentes et très rusées. Par exemple, dans quelques pays limitrophes de la Russie, les paysans reçoivent d'abord une parcelle de la terre à répartir, puis encore une parcelle et plus tard encore une autre, et ainsi on maintient toute la classe paysanne dans l’espoir que sa situation s’améliorera de plus en plus. Ainsi, les gouvernements tiennent les paysans dans leurs mains. En Roumanie, la réforme a été réalisée moins prudemment, mais la bourgeoisie n’en a pas moins attiré à elle une partie des paysans.
La seconde forme de cette tactique bourgeoise est celle du crédit agraire et des coopératives. Au point de vue formel, c’est le même problème que chez nous. Au point de vue du caractère social et du but historique, c’est quelque chose de tout à fait différent. Le poids principal repose chez nous sur le crédit agraire. La réforme d'organisation est la coopérative.
Voici un exemple. En Allemagne, les organisations des agrariens et des paysans ont beaucoup de banques qui sont liées aux plus grandes banques du Reich. En Finlande, la coopération paysanne est concentrée dans deux banques privées. Aux Etats- Unis, les trusts et les financiers ruinent le farmer ; en même temps, ils lui avancent des capitaux et le tiennent ainsi entre leurs mains.
Une autre forme enfin consiste à réclamer des tarifs protectionnistes : par là, les grands propriétaires fonciers attirent les paysans, précisément pendant la crise agraire, dans leur sphère d'affluence.
J'ai parlé ici des aspects de la tactique de front unique de la bourgeoisie à l’égard des paysans. Si nous envisageons ce danger avec toute la netteté nécessaire, nous devons comprendre qu’une réorientation des partis communistes s'impose. La faute principale du trotskysme consiste dans la sous-estimation de la question paysanne. Beaucoup de camarades crient beaucoup contre le trotskysme, tout en maintenant dans cette question leur point de vue erroné : c'est une situation impossible.
Nous avons essayé, dans le P.C.R., de trouver la juste ligne, et nous l’avons trouvée. C’est principalement pour cela que nous avons combattu le trotskysme et que les autres doivent en faire autant. Quand ils disent qu’ils sont contre le trotskysme, leur première tâche est d'avoir des vues justes dans la question paysanne, et encore plus de suivre une juste ligne politique.
Quels préjugés s'opposent dans les partis communistes au point de vue juste ? Je pense que la base principale de ces préjugés réside dans l’idéologie corporatiste qu’on trouve encore chez les ouvriers des pays industriels. Il y a quelque temps, je causais avec un excellent camarade allemand, qui me disait entre autres : « Que voulez-vous, avec le gouvernement ouvrier et paysan ? Ce mot d’ordre n’allèche plus aucun chien, et encore moins un ouvrier. » Qu’est-ce que cela comporte, du point de vue de nos pronostics ? Cela entraîne la nécessité de concentrer nos forces pour vaincre cette idéologie.
Lénine a dit une fois que la plupart des fautes, dans les luttes et dans la révolution en général, proviennent de ce que les mots d’ordre et toute l’orientation d'une époque, où ils étaient très bons, sont transplantés mécaniquement dans une autre époque. Dans l'époque antérieure du capitalisme, la question principale était celle-ci : comment le capitalisme se développera-t-il ? Oui vaincra ? La grande entreprise ou la petite entreprise ? Dans quelle mesure le processus de différenciation de l'ancienne paysannerie se poursuivra-t-il ? Combien de temps le capitalisme se développera-t-il encore ? La norme de la lutte était celle-ci : tout ce qui entrave le développement du capitalisme doit cesser. Nous devons exterminer tous les obstacles sur la voie du prolétariat. Voilà ce qui fut l’orientation générale. Mais aujourd'hui, où nous avons une tâche essentiellement différente, la conquête du pouvoir politique, le renversement du capitalisme, et où nous n’avons plus à nous occuper de pronostics, une telle orientation est tout à fait fausse.
L’ancien principe d’organisation était celui-ci : la constitution de notre propre classe est la tâche principale. C'était presque tout pour nous. A une époque, au contraire, où nous nous trouvons en face de la question immédiate de la conquête du pouvoir politique, la question des alliés est une des plus graves de toute la politique.
A l’époque de la conquête du pouvoir politique, il n'y a rien de plus nuisible que la psychologie corporative. On peut la couvrir de toutes sortes de prétextes, mais objectivement c'est de l’opportunisme.
En quoi consiste le trotskysme ? C’est la même chose : plus pour le prolétariat, plus pour l'industrie, moins « face au village ». Et c'est ce qui renferme un danger de cassure du bloc entre les ouvriers et les paysans, c’est-à-dire d’anéantissement de la dictature prolétarienne.
C’est précisément par cette opinion : « Pourquoi dois-je m’occuper de ces villageois ? », que s’exprime l'opportunisme de nuance trotskyste, qu'il se couvre ou non de toutes les couleurs prolétariennes.
Dans mon projet de thèses, toutes les grandes questions de la politique agraire et paysanne sont envisagées sous trois aspects principaux :
1. Longtemps avant la conquête du pouvoir politique.
2. Immédiatement avant la conquête du pouvoir politique.
3. Après la conquête du pouvoir politique.
La non-compréhension de ces changements est une des grosses fautes de la période précédente. Nous avons toujours soutenu et soutenons encore contre les réformistes que la grande entreprise est économiquement plus rationnelle. Nous serions des réactionnaires si nous nous opposions aux progrès de la grande entreprise. Mais si, par exemple, pendant la conquête et à la veille de la conquête du pouvoir, nous ne voulions pas morceler la grande propriété, uniquement parce que la grande entreprise est économiquement plus avantageuse, pour en donner une partie aux paysans, nous perdrions toute la révolution.
Je voudrais mentionner ici l’exemple le plus saillant, à savoir celui de la révolution hongroise. J’affirme que nous n’avons pas profité complètement de l'exemple des camarades hongrois. Il serait très nécessaire que tous les partis communistes lisent les livres, les documents et les déclarations qui s’y rapportent pour comprendre ce qui s’est passé là-bas. On peut affirmer que la cause principale de la défaite de la révolution hongroise était la question agraire, la politique absolument inadmissible des camarades hongrois dans cette question.
La situation en Hongrie était la suivante : 72 % de petits exploitants ne possédaient que 15 % de toute la terre. Il était absolument nécessaire de répartir entre eux les grands domaines. Au lieu de gagner socialement la classe paysanne, au lieu de l’attirer vers le prolétariat, au lieu de se créer une large base au sein de la classe paysanne et de soulever ainsi un grand enthousiasme dans l'armée rouge pour surmonter la force de résistance des paysans, on a fait une tout autre politique, on n’a rien réparti, en disant naturellement que les grandes entreprises sont techniquement plus rationnelles. On a lancé à ce sujet une déclaration très intéressante du parti communiste à l’assemblée des soviets ouvriers.
La classe paysanne est en révolte, le prolétariat a besoin d’un allié, et en ce moment le parti communiste dit (dans cette déclaration) qu’il serait absolument faux de répartir les grands domaines fonciers, car ce serait un renforcement de la propriété privée. Par cette politique, on a si bien soutenu la dictature prolétarienne que l’ancienne propriété privée appartient aujourd'hui de nouveau, telle qu’elle était autrefois, aux anciens propriétaires ! Même si nous partons du point de vue que les forces étaient insuffisantes et que nous avons perdu le pouvoir pour d'autres causes, nous aurions pourtant eu un terrain propice dans la classe paysanne.
Les paysans diraient que les communistes leur ont donné la terre, que le grand propriétaire foncier la leur reprend et que les communistes sont de bons gars. Ce serait naturellement un excellent argument en notre faveur. Mais le souvenir d’une telle déclaration nous démontre la faute. Dans des conditions si difficiles, sans allié, le prolétariat devait naturellement perdre la bataille. Mais il est intéressant que quelques camarades hongrois ne comprennent pas cela encore aujourd’hui.
En 1919, c’est-à-dire il y a environ six ans, Varga ne l’a pas compris, mais il le comprend aujourd’hui. Mais le camarade Hevési ne le comprend pas encore. Dans l’organe de notre Internationale paysanne, il écrit des phrases destinées à servir de justification à cette politique. Il dit que la situation en Russie est foncièrement différente de celle de Hongrie. En Hongrie, nous avons un petit pays avec une industrie plus développée qu’en Russie, et le travailleur industriel a besoin de plus de denrées agricoles, qu’il ne peut avoir que par des moyens de production agricole plus perfectionnés, c’est-à-dire par la grande entreprise. Et il écrit à peu près : « Notre faute a consisté exclusivement en ce que nous n'avons pas fait tout pour faire entrer cette conception dans la conscience sociale, surtout dans la conscience de la classe paysanne. »
La conscience est une excellente chose pour les paysans hongrois. Mais ce qui leur est essentiel, c’est que nous ne leur avons rien donné. Or, nous n’ignorons pas que la question de ne rien donner ou de donner quelque chose pèse toujours dans la balance plus lourd que n’importe quelle conscience. Cela est encore plus vrai pour le paysan. Le gouvernement soviétique hongrois nous donne une grande leçon. Nous avons aussi parlé à nos congrès de l’Italie et de le, Pologne. Je pense qu'il serait très bon de publier tous les documents de l’histoire hongroise, de même que de l’histoire du développement révolutionnaire en Italie et en Pologne, et d'autre part en Russie.
Il ne faut pas oublier notre situation avant la révolution d’Octobre : une fermentation révolutionnaire très profonde dans la classe paysanne. 242 revendications formulées dans différentes réunions paysannes de plusieurs provinces de Russie furent envoyées à Moscou et à Pétersbourg. Il y en avait dans le nombre beaucoup de sottes et d’utopiques, nous l’avons tout de suite reconnu. Mais pourtant nous avons déclaré aux paysans que nous transformerions, immédiatement après la conquête du pouvoir politique, leurs revendications en lois. Nous avons soutenu leurs revendications et les avons en effet proclamées lois après la conquête du pouvoir.
Au point de vue de la technique de la production, nous y avons perdu. Mais c'était le prix dont nous avons acheté la victoire, en échange duquel nous avons réussi à consolider la dictature, le bloc entre la classe paysanne et la classe ouvrière. Nous devons donc étudier les expériences négatives de la révolution hongroise, les expériences négatives d’Italie et l'expérience positive de la révolution d’Octobre russe. Je pense que les partis communistes doivent étudier ces leçons pour mettre un terme au scepticisme, pour voir que la question paysanne ne constitue pas une question secondaire, mais une tâche stratégique de premier ordre, sans laquelle la victoire est en général impossible.
Si nous considérons la situation actuelle dans les campagnes, nous devons d’abord constater un changement des rapports mutuels entre la ville et les campagnes depuis la guerre.
Marx a dit une fois : le changement des rapports entre la ville et les campagnes est un signe de changement de l'époque en général. C’est absolument juste. Le développement du capitalisme entraînait une inégalité entre la ville et la campagne, et la période actuelle a également des traits spécifiques en cette matière : le poids spécifique du village par rapport à la ville est devenu plus grand. Dans notre économie, l’agriculture joue aujourd’hui un rôle plus grand, par rapport à l'industrie, qu'avant la guerre. Au point de vue social, les agrariens et la classe paysanne jouent aujourd'hui un rôle relativement (non pas absolument I) plus grand que les classes urbaines. Et voilà pourquoi, au point de vue politique aussi, l’influence et la puissance du village ont augmenté.
Le deuxième grand phénomène dans ce domaine est la crise agraire, dont ont déjà parlé Zinoviev et Varga.
Le troisième phénomène, lié aux deux autres, est l'activité croissante de la classe paysanne dans tous les pays sans exception.
Enfin, le quatrième phénomène, de nature sociale, est la différenciation des paysans et de leurs organisations. Voilà les caractéristiques spécifiques, les phénomènes les plus importants de cette situation.
Sur cette base se développe le mouvement paysan dans les contradictions suivantes : l’antagonisme entre les grands agrariens et les paysans, entre les paysans et le grand capital, première ligne de contradictions ; une autre ligne est constituée par les contradictions au sein de la classe paysanne. Toutes ces contradictions nous donnent la possibilité de profiter de la situation et de tirer les conclusions politiques nécessaires. Ces contradictions se développent sous des formes différentes. La contradiction entre les paysans et les grands agrariens se développe dans les pays arriérés avec une netteté particulière à propos de la réforme agraire. C’est la lutte pour la terre. L’antagonisme entre la paysannerie et la bourgeoisie, dans les pays soi-disant civilisés, se développe sur deux lignes principales : d'un côté, la politique fiscale ; de l’autre, la politique économique, les syndicats patronaux et les trusts. Et il faut ajouter le troisième élément, celui du danger de guerre.
Tout cela donne une base objective à notre politique. Nous n'avons qu'à utiliser les contradictions entre le grand propriétaire foncier et le paysan dans les pays arriérés, et nous aurons la solution révolutionnaire de la question agraire au sens essentiel du mot. Dans la question des impôts, des prix du blé, des prix des produits industriels, nous devons lancer le mot d’ordre de la lutte commune contre le capital des trusts.
Je dois souligner que, dans quelques partis communistes, on ne comprend pas encore que nous devons aller aux paysans avec des revendications tout à fait empiriques, tout à fait concrètes, les seules qui produisent un fort effet sur les paysans. Les partis communistes ne doivent pas nier toutes ces revendications partielles. Au contraire, nous pouvons leur accorder beaucoup plus, mais nous devons rattacher toutes les revendications partielles à notre perspective révolutionnaire. Voilà ce qui est pour nous spécifique.
Quelle est la meilleure méthode pour soulever les paysans contre l’Etat bourgeois? Ce sont précisément les impôts. La politique fiscale est la politique de l'Etat. Si le paysan proteste contre le fardeau des impôts, il proteste contre l'Etat. Ce qui est le plus important pour nous, c’est de mettre le paysan en conflit avec l’Etat bourgeois. La politique fiscale et les revendications communistes dans la politique fiscale, voilà le point le plus important susceptible de conduire le paysan de l’amour pour l’Etat bourgeois à la haine de l'Etat bourgeois.
Il y a des camarades qui sont d’avis que, si nous réduisons le fardeau fiscal des paysans, nous aggraverons d’autant ce fardeau pour les ouvriers. C’est un très mauvais argument. Au contraire ; précisément parce que les paysans pauvres et moyens sont aussi intéressés que les ouvriers à la réduction des impôts, précisément pour cela, nous devons lutter côte à côte. Il en est de même en ce qui concerne les prix des produits industriels. Une des causes les plus importantes du problème des « ciseaux » réside dans la politique des organes monopolistes du capitalisme. Le mot d’ordre de la lutte contre le capitalisme monopoliste, contre les profits des cartels, sous la forme de la campagne pour la réduction des prix industriels, est très susceptible d’unir les forces des ouvriers et des paysans.
Il en est de même en ce qui concerne la lutte contre le danger de guerre.
Sur la base de cette situation nous voyons à présent différents mouvements au sein de la classe paysanne, des mouvements d’un type tout à fait différent, des mouvements agraires révolutionnaires, sur la base de la crise agraire, etc. Une forme spécifique était le mouvement des farmers aux Etats-Unis, où encore un tiers des farmers étaient ruinés. Il y a encore des mouvements causés par de mauvaises récoltes, comme, dans plusieurs cas, en Allemagne. Un grand chapitre de l’histoire des mouvements est celui des mouvements coloniaux. Il y a aussi différentes espèces mixtes de mouvements. Mais il n’y a pas de doute que le nombre, l’intensité, le poids social, de ces mouvements sont allés en augmentant ces temps derniers. Le processus de différenciation au sein des organisations paysannes est un phénomène général. Ce phénomène se poursuit dans tous les pays où il existe des organisations paysannes.
J'ai déjà décrit la situation. Dans tous les pays, à l'exception des colonies, la direction des organisations paysannes se trouve entre les mains des grands agrariens et des grands paysans. Depuis quelque temps, nous assistons à un processus de différenciation et de séparation des organisations de petits paysans, etc. En Bulgarie, il y a une aile gauche assez puissante au sein de l’Union de Stambouliski, en Tchécoslovaquie ce sont les petits fermiers indépendants (Domoviny). Des phénomènes analogues se rencontrent en Allemagne, en Pologne, en France, etc.
Cette ligne principale de différenciation dans les organisations paysannes ne fait aucun doute. Nous nous trouvons là en face de différentes questions de propagande, d'agitation et d’organisation.
J’ai déjà parlé de la propagande et de l'agitation.
Dans la question des organisations paysannes, nous devons envisager plusieurs types et plusieurs possibilités. Là où if existe déjà des organisations, elles peuvent exister sous deux formes principales, celle d’un parti politique et celle d’une union paysanne. Je pense qu’en général notre tactique envers les organisations déjà existantes doit consister à soutenir l’aile gauche de ces organisations ou à faire bloc avec elles. La façon et la méthode dépendent des circonstances. Dans quelle mesure et quand aurons-nous à faire la scission entre cette aile gauche et l’organisation, cela dépend également des circonstances. Ce qui caractérise toutes ces organisations, c’est qu’elles renferment les éléments sociaux les plus divers, depuis le grand agrarien jusqu'à l’ouvrier agricole. Cela se voit même dans des organisations qui se sont déjà séparées, où on trouve encore différentes catégories sociales de paysans. Nous devons soutenir les organisations de gauche au sein des partis et des unions. Mais, s’il est nécessaire, nous devons aussi scinder.
L’essentiel est cependant de savoir quelle forme d’organisation nous devrons préférer si l’initiative dépend de nous. Je ne pense pas que ce soit la forme d'un parti politique, mais bien celle d’une union paysanne. Les partis politiques sont moins recommandables, pour différentes raisons. Par exemple, les membres de notre parti devraient être organisés d'un côté dans le parti communiste, de l’autre côté dans un parti analogue. En outre, nous n’aurions que des groupes communistes de paysans, seulement une fédération et non pas des organisations larges de la paysannerie. Nous n’avons pas besoin de sectes communistes de paysans, ni de petits groupes, nous devons encadrer la grande masse des petits paysans. Pour cela, la forme de l’union paysanne est beaucoup plus avantageuse. Nous n'avons pas besoin d’offrir à ces paysans le programme communiste complet. Ce serait les condamner à une indigestion de communisme. Nous devons dresser des revendications assez élémentaires, plus radicales que n'importe quelle autre organisation, donner à notre organisation plus d'ampleur, nous y assurer l’influence prépondérante par ¡’activité de nos camarades. Nous pouvons, si c’est nécessaire, y constituer des fractions. Mais il peut y avoir aussi des situations où l’organisation se trouve sous notre influence sans que nous y ayons des fractions. C’est donc la forme de l’union paysanne qui est la plus apte, et non pas celle des partis politiques. Quelques-uns de nos partis ont déjà obtenu des résultats à cet égard. Mais, en comparaison avec la grande tâche qui s’impose à nous, ce ne sont que les premiers et faibles pas dans la voie de la conquête des masses.
Je voudrais encore parler du problème spécifique des rapports entre la classe ouvrière et les paysans en Russie. Je pense cependant qu’il sera plus utile de le traiter dans mon rapport sur la discussion dans le parti russe.
Je souligne une fois de plus : on étudie trop peu dans nos partis. C’est, cependant, une nécessité élémentaire.
La bourgeoisie comprend beaucoup mieux le problème, elle étudie beaucoup mieux que les partis communistes.
J’espère et je souhaite qu'après cet exécutif élargi et après les thèses sur la bolchevisation des partis, tous les partis communistes et l’internationale communiste se bolcheviseront enfin réellement et s’occuperont en premier lieu de la question agraire et paysanne, c'est-à-dire feront dans ce domaine la politique léniniste qui s’impose. (Applaudissements prolongés.)
La plupart des orateurs n’ont pas élevé d’objections contre les thèses, mais se sont bornés à faire différentes observations complémentaires.
Varga a proposé d’ajouter un passage spécial sur les paysans pauvres, c’est-à-dire sur les petits paysans et les paysans parcellaires. J’ai rédigé les thèses, selon la terminologie russe. Nous ne faisons pas de distinction entre le petit paysan et le paysan parcellaire. Pour être précis, je pense donc que nous pouvons faire cette distinction.
Nous pouvons également adopter une autre proposition de Varga : noter dans les thèses qu’à l'époque actuelle la classe paysanne n’est pas, à elle seule, capable de gouverner d’une façon indépendante et durable.
Par contre, je ne partage pas l’opinion de Varga sur la formation des partis paysans, ni l’affirmation analogue de Dombal.
Toute l'argumentation de Varga consiste en ceci : nous affirmons nous-mêmes que la classe paysanne se politise : or, l'expression de cette politisation est le parti politique ; donc, nous devons avoir un parti politique de paysans. Cela peut être juste du point de vue de la logique formelle, mais du point de vue dialectique et réel ce n’est pas juste. Peut-on dire en général qu’une union paysanne soit une organisation non politique ? Je pense qu’il est faux ,de dire qu’une organisation de classe peut exister sans avoir un caractère politique. Les organisations paysannes ont un caractère politique, de même que les organisations syndicales. La C.G.T. ne joue-t-elle pas un rôle politique en Allemagne ? Naturellement ! Et pourtant ce n’est pas un parti politique. L’Union paysanne n’a-t-elle pas joué un rôle politique en Russie ? Naturellement I Et pourtant elle n'était pas un parti politique. Dans le cadre de cette union, agissaient les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks et notre parti. C’est le cas aussi en ce qui concerne les organisations paysannes actuellement existantes. Elles existent, elles grandissent, de nouvelles se forment, et au sein de ces organisations il n'y a parfois non pas un, mais plusieurs partis politiques. Il se peut que ces partis ne se distinguent que très peu entre eux, mais ils sont là.
Varga dit que les principales revendications des paysans sont dirigées contre l’Etat bourgeois. C’est trop catégorique : on pourrait avoir l’impression que les organisations paysannes sont les plus grandes organisations révolutionnaires. Elles ne sont pas contre l’Etat, elles lui posent seulement des revendications à la fois économiques et politiques, par exemple dans la question des impôts.
La plupart des revendications des paysans ont ce caractère. Les éléments paysans avancés ne sont pas encore assez avancés pour dresser des revendications directement révolutionnaires. On ne saurait dire : ou bien ces revendications sont politiques, et alors nous avons besoin d’un parti politique, ou bien elles sont économiques, et alors nous n'avons pas besoin de parti politique. C’est ainsi que Varga et Dombal après lui posent la question. Ce n’est pas un hasard si les paysans s’organisent prudemment, non pas sous une forme politique nettement exprimée, mais sous la forme d’unions paysannes. En un sens, il n’y a pas de différence entre union paysanne et parti paysan, parce que les revendications économiques sont intimement liées aux revendications politiques. Et pourtant, en un autre sens, il y a une différence relative. Le parti politique est une formation beaucoup plus stricte, ayant un programme fixe et une discipline ferme, etc. Au sein d’un parti, il ne peut y avoir trois ou quatre autres partis. Dans une union, c’est possible. Il y a, il est vrai, des partis politiques qui portent ce caractère, mais tout le monde comprend que le Labour Party anglais, par exemple, est une sorte d’organisme intermédiaire entre l’union et le parti politique au sens propre du mot. Ce qui est spécifique pour une union paysanne, c’est précisément son caractère mixte. Pour nous, il vaut mieux avoir une organisation de ce genre, ne fût-ce qu’à cause des possibilités d’influence qu’elle nous donne sur les masses. Au contraire, il n’y a que ceux qui acceptent son programme, et qui exécutent strictement tout ce qu’il prescrit, qui peuvent adhérer à un parti politique
La liberté d’action est plus grande dans l’union paysanne. Nos camarades peuvent y pénétrer et, vu l’état amorphe de la classe paysanne, ils peuvent y créer un noyau par lequel nous pourrons gagner un nombre toujours croissant de partisans. Dombal nous propose une solution : ni union, ni parti, mais une forme intermédiaire. Mais, de cette façon, nous ne ferions que créer un nouveau terme, rien de plus. Le caractère spécifique de l'union paysanne est précisément la forme d’organisation la moins serrée, donnant la possibilité de réunir des membres de différents partis ou sans parti. Aucun argument objectif n'a été invoqué contre : on s’est borné à dire que les partis croîtront à mesure que les paysans se politiseront. Mais alors, les unions paysannes aussi se politiseront. Tout dépend des circonstances et du travail bon ou mauvais que nous y ferons.
Dombal nous reproche de n’avoir pas précisé ce que nous ferons dans les ailes gauches des unions paysannes. C'est tout à fait clair : nous en servir pour étendre notre influence, pour conquérir la majorité de la population travailleuse. Par quels moyens ? Ici se pose la question de notre politique, de notre organisation, des moyens d’entraîner les masses dans les actions véritables.
Mechtchériakov a fait deux remarques : l'une sur le crédit. Il est parlé du crédit dans les thèses, mais on pourrait peut-être développer ce passage. L’autre, ou bien repose sur un malentendu, ou bien vient d’un point de vue erroné. Il a été dit dans les thèses que nous avons besoin d'une organisation séparée des travailleurs agricoles, qui peut — et non pas « doit » — entrer dans l'organisation commune des paysans. Mechtchériakov prétend que l’expérience italienne a prouvé la fausseté de cette thèse. Or, le camarade Grieco a dit qu’en Italie les réunions communes des paysans et des ouvriers agricoles n’ont mené à rien, mais il a ajouté qu’on a vu en même temps que des unions fédératives, des organisations, des centrales communes, etc., étaient possibles. On n’a pas trouvé la forme adéquate, mais il reste qu’en général une liaison organique est possible et désirable. Si nous avons déjà le prolétariat agricole à nos côtés, il nous sera bien plus facile d’influencer les petits paysans.
Dans la préface de Varga à son livre Sur l'état du mouvement paysan,il y a deux alinéas qui sont absolument faux. Voici le premier :
« La social-démocratie a toujours empêché de deux façons la création d’une alliance de classe entre les ouvriers des villes et des campagnes, et elle a ainsi agi d'une façon contre- révolutionnaire. Premièrement, en dressant une barrière entre les possesseurs et les non-possesseurs, elle a classé les paysans travailleurs, même les paysans pauvres, parmi les possesseurs. Ainsi elle a tracé une division formelle au lieu de la juste division de classes entre exploiteurs et exploités, et a servi objectivement les intérêts des exploiteurs en augmentant leur camp aux dépens du prolétariat. »
La faute de la social-démocratie n’a pas consisté à parler de possesseurs et de non-possesseurs. Il faut bien faire une distinction entre possesseurs et non-possesseurs, entre les couches sociales ayant part à la propriété privée et les autres. Mais cette distinction n’est pas suffisante. Lénine l'a noté en élaborant notre premier programme, dans sa polémique contre Plékhanov : d'abord, nous devons nous délimiter comme classe révolutionnaire, comme prolétariat, à l’égard de toutes les autres classes ; ensuite, après nous être constitués, nous avons à déterminer nos rapports avec certaines autres classes : dans cette seconde phase, nous faisons la distinction entre la propriété acquise par le travail et la propriété capitaliste, entre la propriété qui est liée à l'exploitation et celle qui ne l’est pas. C’est là que la social-démocratie a commis différentes bêtises et différents crimes politiques. Mais la formule de Varga est inexacte.
Et voici son second passage :
« Les deux positions étaient la conséquence naturelle de l’orientation générale de la social-démocratie, qui s'est toujours considérée comme le parti de la classe ouvrière industrielle au sens étroit du mot, poursuivant le but d’améliorer la situation de cette classe au sein du capitalisme en changeant la répartition des revenus. »
C'est là aussi une formule très imprudente : je pense que Varga voulait dire autre chose. Nous sommes bien un parti ouvrier, et non pas un parti ouvrier et paysan. Nous sommes avant tout le parti du prolétariat industriel. Affirmer cela n’est pas trahir la cause ouvrière. La faute ne réside donc pas là. Le crime politique de la social-démocratie consiste à placer la classe ouvrière dans une relation inexacte avec la paysannerie, à ne voir que ce qui se passe dans le prolétariat, sans comprendre que cette classe et son parti doivent avoir un allié.
Pourquoi dire tout cela ? C’est qu’il y a chez nous deux dangers : l’un est que nous restions passifs envers les paysans, et l'autre que nous nous dissolvions dans la paysannerie. Si nous nous dissolvons, nous ne sommes pas marxistes, nous ne sommes pas un parti ouvrier, et nous ne pourrons pas maintenir la dictature du prolétariat. La doctrine léniniste sur le bloc ouvrier et paysan ne dit pas seulement que nous sommes pour le bloc des ouvriers et des paysans, mais aussi que dans ce bloc l’hégémonie appartient à la classe ouvrière. Cela est valable aussi après la conquête du pouvoir. Nous nous appelons parfois gouvernement ouvrier et paysan : en réalité, il y a la dictature de la classe ouvrière, d'une classe qui s’est constituée en pouvoir d’Etat, mais en alliance avec la paysannerie. Nous avons de très bons rapports avec la classe paysanne, nous nous appuyons sur la classe paysanne, mais selon notre caractère social nous sommes un pouvoir prolétarien.
Dans la formule de Varga, cette « nuance » échappe. Je devais faire ces corrections, car en général cet ouvrage de Varga est excellent. Il importait d'éviter toute confusion, à une époque où la plupart de nos camarades sont encore infectés de l'esprit corporatiste. Une clarté théorique parfaite est indispensable pour déterminer une ligne politique nette, et c'est ce dont nous avons besoin. (Applaudissements.)
Publié dans Boukharine, Le socialisme dans un seul pays UGE, 10/18, 1974, pp. 189-210. Source : les Cahiers du bolchevisme, n° spécial, 22-5-1925. Référence dans la bibliographie de W. Hedeler : n° 1102.
1. - La ligne générale du communisme à l’égard des paysans fut indiquée, au second Congrès de l’Internationale Communiste, dans les thèses sur la question agraire rédigées par Lénine. Le IVe Congrès a une fois de plus confirmé ces thèses les complétant par quelques considérations découlant de l’expérience pratique ultérieure des partis communistes des différents pays. Les thèses du second Congrès restent à ce jour les directives que tous les partis affiliés à l’Internationale Communiste sont tenus de suivre.
2. - Actuellement, l’importance énorme de la question paysanne pour la révolution prolétarienne s’est avérée avec encore plus de relief. Plus le mouvement communiste devient international, plus les perspectives de la révolution mondiale du prolétariat deviennent claires, plus évidente apparaît la diversité de la marche concrète de la révolution, où la population paysanne des colonies ou des semi-colonies ainsi que les diverses couches paysannes des pays dits « civilisés » doivent jouer inévitablement un rôle de premier plan.
Du fait que la paysannerie constitue la majorité écrasante de l’humanité, la question de la lutte pour la paysannerie devient une des questions politiques centrales et du point de vue de la lutte du prolétariat pour le pouvoir et pour la consolidation de ce pouvoir et de ses bases économiques. Une question comme celle des colonies est, au fond, une question de rapport entre la ville mondiale et la campagne mondiale, qui souffre du triple joug de la propriété féodale, de l’exploitation capitaliste et de l’inégalité nationale.
3. - L’instabilité des rapports capitalistes pose la question paysanne avec une grande acuité également pour les classes dominantes, c’est-à-dire pour la bourgeoisie et les grands agrariens. Presque dans tous les pays, sous diverses formes, par diverses méthodes, en utilisant par exemple la social-démocratie, les classes dominantes s’efforcent en réalité de faire une tactique originale de front unique avec la paysannerie, dirigée contre le prolétariat. S’appuyant avant tout sur les couches paysannes les plus riches, les classes dominantes les utilisent pour renforcer leur influence sur tout le front paysan, afin de l’opposer au front révolutionnaire du prolétariat.
4. - D’autre part, dans l’U.R.S.S., où la classe ouvrière a su affermir sa domination grâce à son alliance avec les masses paysannes et à sa direction sur elles, toute la politique de la bourgeoisie et des partis contre-révolutionnaires quasi socialistes est misée sur une rupture entre le prolétariat et les paysans. Ainsi, le moment actuel rend la question paysanne extrêmement aiguë et exige de l’Internationale Communiste un travail particulièrement actif et réfléchi dans ce domaine. Poser clairement la question théorique agraire et paysanne et déployer une intense activité pratique, voilà deux conditions plus indispensables que jamais au succès des partis communistes.
5. - Le prolétariat est une des classes principales de la société capitaliste. Privé des moyens de production, louant sa force de travail, le prolétariat travaille la plupart du temps dans des conditions qui le groupent par le jeu même de la production capitaliste. Les conditions de son existence sociale (opposition diamétrale de ses intérêts à ceux de la bourgeoisie : absence de propriété privée, travail collectif et enfin augmentation numérique constante), font du prolétariat, en tant que classe, l’agent social de la Révolution communiste.
6.- La paysannerie, qui était autrefois la classe fondamentale de la société féodale, n’est plus dans la société capitaliste une classe au vrai sens du mot. Happée par les lois de l’économie marchande, entraînée dans l’orbite de l’exploitation capitaliste, la paysannerie, tout en conservant une couche plus ou moins stable de petits producteurs laborieux, se différencie sans cesse ; d’une part, elle dégage des salariés, chasse l’excédent de sa population dans les villes, où ces éléments se fixent, pour la plupart dans les rangs des ouvriers d’industrie ; d’autre part, elle dégage une bourgeoisie agricole qui abandonne de plus en plus l’économie dite « laborieuse » pour une économie capitaliste, c’est-à-dire employant systématiquement le travail salarié.
Ainsi, dans la société capitaliste, la paysannerie dans son ensemble, n’est pas une classe. Néanmoins, dans la mesure où nous avons une société qui passe du type féodal à un régime de production du type capitaliste, la paysannerie dans son ensemble se trouve également dans une situation contradictoire ; par rapport aux propriétaires féodaux, elle est une classe ; dans la mesure où elle est happée par les rapports capitalistes qui la rongent, elle cesse d’être une classe.
C’est pourquoi, dans les pays ayant beaucoup de survivance de la propriété foncière féodale, la paysannerie, dont les intérêts en tant que classe, sont en antagonisme flagrant avec les intérêts des propriétaires, peut, à une certaine étape de la révolution, être dans son ensemble l’alliée du prolétariat. Il en est ainsi tout d’abord dans les colonies et semi-colonies et de même dans les pays d’Europe économiquement arriérés où la révolution agraire contre la propriété foncière féodale, seulement en partie capitalisée, est encore à l’ordre du jour.
7. - La diversité des couches, voire même des classes sociales au sein de la paysannerie, la diversité des proportions entre ces couches et classes dans les divers pays, déterminée par des degrés divers d’évolution économique ; enfin, la variation de ces facteurs en fonction des constances historiques concrètes, rendent l’analyse des rapports de classes dans les campagnes particulièrement difficile et exigent une attention toute particulière.
8. - Le principal facteur qui oppose profondément les intérêts du prolétariat à ceux des gros paysans, ce sont les intérêts qui découlent de la propriété capitaliste, c’est-à-dire l’antagonisme entre l’acheteur de la force du travail et ceux qui la vendent, entre le capitaliste et l’ouvrier salarié. C’est pourquoi, dans le processus de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire de la révolution qui abolit la propriété capitaliste, les gros paysans constituent une réserve de forces anti-prolétariennes. Cependant, dans les pays où la révolution agraire contre la propriété foncière féodale est à l’ordre du jour, même des gros paysans peuvent marcher contre le hobereau.
9. - Le facteur principal qui divise les intérêts des paysans moyens et de la classe ouvrière, ce sont les intérêts de l’économie marchande privée, basée sur la propriété privée, fût-elle laborieuse. Les intérêts du vendeur de blé (le paysan) et de l’acheteur (l’ouvrier) sont opposés. Cependant plusieurs autres facteurs, qui découlent du fait que les paysans moyens sont soumis à l’exploitation capitaliste (usure, politique des hauts prix des trusts industriels, impôts, joug de l’État impérialiste, guerres, etc.) peuvent l’emporter sur les facteurs de discorde avec le prolétariat. Par conséquent, ces couches peuvent être neutralisées et, même là où le joug capitaliste est particulièrement intolérable, et aussi là où il est doublé d’un joug féodal, les paysans moyens peuvent marcher avec le prolétariat.
10. - Le désaccord entre les petits paysans et le prolétariat découle également du caractère de la production marchande privée. Cependant, la proportion entre les facteurs de rapprochement et ceux de discorde est ici tout autre que pour les paysans moyens. La petite exploitation doit souvent acheter du blé ; le petit paysan est souvent de temps en temps ouvrier salarié. Ses intérêts fondamentaux résident ainsi dans la lutte contre le grand capital. C’est pourquoi les petits paysans peuvent être gagnés à la cause du prolétariat et devenir pour lui des alliés résolus.
11. - « Le désaccord entre les paysans pauvres et le prolétariat découle de la propriété privée des premiers. Cette division est insignifiante et disparaît devant la communauté des intérêts. Ces catégories, n’étant indépendantes qu’en apparence, sont entièrement soumises au capital et sont des ouvriers exploités par ce dernier. C’est pourquoi elles passent du coté du prolétariat pour composer sa réserve, voilée dans la forme. »
12. - Les salariés agricoles sont une partie du prolétariat même. Cependant, cette couche a des particularités qui s’opposent fort souvent à sa lutte contre la société capitaliste. Les conditions objectives en sont l’éparpillement des salariés agricoles dans le processus du travail et le régime « patriarcal » qui règne dans les campagnes. Ces conditions particulières empêchent de comprendre les intérêts de la classe ouvrière. Il est bien entendu que les partis prolétariens doivent se proposer de gagner cette couche en premier lieu.
13. - Les rapports entre le prolétariat et les petits paysans, et, dans une certaine mesure (surtout dans les pays agraires), les paysans moyens doivent être des rapports d’alliance et de direction. Ce rapport spécifique entre deux classes, sans aplanir les distinctions de classe, est néanmoins basé sur la communauté d’intérêts dans la lutte contre les grands propriétaires et le» capitalistes. Il revêt diverses formes, et enfin, à un certain moment, après la conquête et la consolidation du pouvoir prolétarien et de sa base économique, se détruit lui-même, en tant que les classes en général commencent à disparaître.
Par conséquent, il faut poser tout le problème sur le plan historique.
14. - Dans la plupart des pays capitalistes, dans la période où le prolétariat n’avait pas encore l’objectif immédiat de s’emparer du pouvoir, les marxistes révolutionnaires devaient en premier lieu démolir les illusions petite-bourgeoises, les préjuges théoriques, les conceptions fausses sur la marche de l’évolution capitaliste. A l’encontre des opportunistes, les marxistes ont toujours défendu les avantages techniques et économiques de la grande production, de la concentration et de centralisation dans l’agriculture, le caractère inéluctable de la différenciation de la paysannerie et de la capitalisation de la production agricole en général.
15. - Le point de vue principal était à cette époque celui de prévoir la marche future de l’évolution capitaliste. Les marxistes révolutionnaires devaient tout d’abord anéantir la théorie de la soi-disant « évolution non capitaliste » de l’agriculture, qui enseignait que l’agriculture suit une évolution tout à fait particulière, n’ayant rien à voir avec celle de l’industrie.
16. - Cette lutte des marxistes révolutionnaires contre les utopies petite-bourgeoises consistait en une critique acerbe des idées du socialisme agraire et agraire-coopératif, qui prétendait que la réforme agraire ou la coopération agricole serviraient de leviers pour vaincre le régime capitaliste, que la coopération en évoluant se changerait en socialisme, etc. Les marxistes devaient démasquer cette doctrine, qui voilait le fait que la coopération agricole dégénérait partout en entreprises collectives de type capitaliste, se soudant de plus en plus rapidement à l’appareil économique des classes dominantes et tombant inévitablement sous la tutelle des grands agrariens et des capitalistes.
17. - Les marxistes devaient dénoncer impitoyablement les tentatives sentimentales et bornées des utopistes petit-bourgeois qui voulaient voiler le fait de la désagrégation de la paysannerie de sa différenciation en classes, de la lutte de classe, toujours croissante dans les campagnes, du salariat, etc. Ecarter les obstacles qui entravent cette lutte de classe dans les campagnes, voilà la « norme » de la principale politique pratique dans cette période.
18. - Dans les pays où, somme toute, les objectifs des révolutions bourgeoises étaient atteints, les marxistes devaient, comme l’avait déjà indiqué Engels, « se mettre résolument du côté du petit paysan », le protéger contre toutes les formes d’exploitation qui apparaissent dans le processus de l’évolution capitaliste et l’aider à s’émanciper de l’influence bourgeoise. Ce problème de la défense des intérêts du petit paysan ou bien n’était pas résolu du tout, ou bien, si on l’abordait, c’était sous l’angle non pas de la lutte contre le capital, mais de la consolidation de ce dernier (l’aile révisionniste des partis social-démocrates).
19. - Dans les pays où les objectifs des révolutions bourgeoises n’étaient pas atteints (ainsi dans la Russie de 1905), les marxistes, tout en combattant les utopies petite-bourgeoises sur la chute du capitalisme sans dictature du prolétariat, devaient en même temps prendre position pour l’abolition intégrale de la propriété féodale, pour la confiscation des terres au profit des paysans, afin de donner l’envergure la plus large à la lutte ultérieure pour le socialisme sur la base de l’évolution la plus « libre » (c’est-à-dire anéantissant les vestiges de féodalité) du capitalisme.
20. - La période des révolutions prolétariennes crée une situation où la classe ouvrière et son parti sont obligés, s’ils veulent avoir une juste stratégie révolutionnaire, de modifier essentiellement leur façon d’envisager la question paysanne. Si, dans la période précédente, le Parti du prolétariat révolutionnaire aidait - afin de donner le maximum d’envergure à la lutte de classe - à écarter les obstacles s’opposant à la libre évolution du capitalisme et rassemblait les forces de sa propre classe, maintenant, au contraire, il doit se proposer de disloquer immédiatement les rapports capitalistes, et la question de son allié de classe acquiert une acuité particulière. Par conséquent tout doit être à ce moment entièrement subordonné à l’objectif de la prise du pouvoir et de l’instauration de la dictature du prolétariat, qui est la condition nécessaire, fondamentale, principale de l’évolution de la société vers le socialisme.
21. - Dans les pays à grande industrie capitaliste, le prolétariat doit s’efforcer de transformer les domaines féodaux employant le travail salarié en entreprises d’État. Cependant, l’idée de la supériorité technique et économique de la grande production agricole ne doit pas empêcher les communistes de morceler une partie des grands domaines (dont les dimensions sont déterminées par le régime de chaque pays) en faveur des petits paysans et parfois même des paysans moyens, si la nécessité révolutionnaire l’exige. Pour atteindre au socialisme, qui n’est autre chose qu’une production rationnelle avec tous les avantages techniques et économiques qu’elle présente, il faut conquérir la dictature du prolétariat, dont l’avènement dans l’immense majorité des pays est impossible sans l’appui direct des petits paysans et la neutralisation des paysans moyens. L’expérience négative des mouvements hongrois, italien et polonais, ainsi que l’expérience positive du mouvement russe, prouvent que dans cette question, les erreurs sont fatales.
22. - La question des utopies relatives à une évolution non capitaliste se pose d’une tout autre façon. Vu que la dictature du prolétariat a radicalement transformé le cadre et changé la direction de toute l’évolution sociale, les communistes doivent, dans la période qui précède la prise du pouvoir, faire porter leur critique des partis petit-bourgeois, non pas sur leurs utopies anticapitalistes, mais sur leur activité capitaliste, qui mène à des compromis avec la bourgeoise et trahi le petit paysan.
23. - De même, la façon d’envisager la question change pour les paysans du type colonial ou semi- colonial. Vu que la dictature du prolétariat dans les pays industriels les plus importants rend possible une évolution d’un autre type dans les anciennes colonies, la tâche principale n’est pas de lutter avec les conceptions anticapitalistes, précapitalistes et autres, mais de critiquer tout compromis dans la lutte contre le capital étranger et la propriété féodale et de donner au mouvement le maximum d’envergure.
24. - Une fois le pouvoir conquis par la classe ouvrière, une fois les capitalistes et les hobereaux expropriés, les principaux facteurs stratégiques de la vie économique (banques, grande industrie, transports, etc.) nationalisés, les conditions de la vie économique en général et de la vie rurale en particulier changent radicalement, et entre autres les conditions dans lesquelles se développe l’économie paysanne.
25. - Ces conditions nouvelles rendent possible une évolution non capitaliste de l’économie paysanne. Son développement peut se poursuivre, quoique dans des formes contradictoires, par la coopération vers le socialisme. Car, en régime capitaliste, les coopératives unissant les économies paysannes se transforment inévitablement, si toutefois elles sont viables, en entreprises capitalistes, car elles dépendent de l’industrie capitaliste, des banques capitalistes, de l’économie capitaliste en général, tandis que ces coopératives, sous la dictature du prolétariat, se développent dans de tout autres conditions et dépendent de l’industrie prolétarienne, des banques prolétariennes. En d’autres termes, si en régime capitaliste elles se soudaient à tout le système capitaliste, dans les conditions nouvelles, par contre, à condition que l’État prolétarien ait une bonne politique, elles iront se souder à tout le système des rapports économiques socialistes.
26. - Il est évident que ce processus de « soudure » ne s’effectuera qu’à la suite d’une lutte entre diverses formes économiques, qui exprimera la lutte des classes. L’État prolétarien, qui soutient activement les formes économiques socialistes et les tendances économiques correspondantes et qui les aide à utiliser la haute technique, doit réglementer aussi les rapports capitalistes qui naissent inévitablement, afin d’assurer en fin de compte le triomphe du socialisme.
Ainsi, la politique de l’État prolétarien est un instrument puissant, à l’aide duquel le prolétariat exerçant la dictature continue sa lutte de classe. Dans ce duel, entre deux principes, deux tendances, deux classes opposées - dans le duel entre le principe socialiste et le principe capitaliste - l’existence d’un État prolétarien est une condition essentielle de la victoire du socialisme.
27. - De même, il devient possible pour les pays coloniaux de « sauter » par-dessus l’étape capitaliste, si la révolution donne le pouvoir au prolétariat dans les pays industriels les plus puissants. Marx indiquait déjà la possibilité de ce « saut » en cas d’une révolution prolétarienne victorieuse.
Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas du tout d’évolution capitaliste dans ces pays. Tout le processus s’effectuera dans des formes contradictoires, et des formes capitalistes se dégageront inévitablement au cours de cette évolution. Mais, d’autre part, il s’affirmera une puissante tendance à caractère socialiste qui déterminera tout le processus dans son ensemble.
28. - La principale directive pour un parti prolétarien au pouvoir doit être de vivre en paix avec la paysannerie. Il faut bien comprendre que l’on ne peut éviter ce problème, car la paysannerie constitue encore la majorité de l’humanité et son rôle est encore immense dans la production. On ne peut vivre en paix avec la paysannerie que si la politique économique de l’État prolétarien tient compte de la propriété privée qui est le stimulant du petit producteur, que, si, utilisant ce stimulant, elle amène les paysans à s’organiser en des formes de plus en plus parfaites d’économie collective.
29. - Tenant soigneusement compte de la différenciation de la paysannerie et assurant constamment la croissance des éléments socialistes de l’économie ; prêtant une aide financière directe aux diverses organisations de travail collectif ; se proposant pour but de développer le plus possible la coopération affranchie de la tutelle bourgeoise, etc., l’État prolétarien et le parti prolétarien au pouvoir doivent unir et soutenir par tous les moyens les organisations de salariés agricoles, des éléments pauvres des campagnes, des paysans moyens, au détriment des nouvelles couches bourgeoises et capitalistes qui apparaissent parmi la paysannerie.
30. - L’alliance économique de la classe ouvrière et de certaines couches de la paysannerie doit se baser sur une aide active de l’industrie, qui doit développer ses forces de production suffisamment pour être plus avantageuse au paysan que l’industrie capitaliste.
31. - Les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie dans la période de dictature du prolétariat sont des rapports d’alliance. La classe ouvrière « constituée en pouvoir d’État » fait un accord, « s’appuie » sur la paysannerie (la petite paysannerie, et, dans quelques pays, la petite et moyenne ou la petite et une partie de la moyenne).
Collaboration avec la paysannerie ne signifie pas partage du pouvoir. Cependant, dans la mesure où la paysannerie participe réellement au travail d’édification socialiste qui la soumet à une transformation sociale, il sera indispensable de faire participer les éléments les plus avancés de la paysannerie à l’appareil de l’État. Socialement, la paysannerie se rapprochera de plus en plus du prolétariat et les différences de classes s’atténueront de plus en plus. La forme soviétique de la dictature du prolétariat est précisément, comme l’a montré l’expérience de la révolution, une organisation d’État qui, d’une part, en assure le caractère prolétarien de classe, et, d’autre part, permet une participation toujours plus grande des paysans au travail d’édification socialiste.
32. - Les partis communistes doivent bien comprendre que toute la période de dictature du prolétariat à ses lois propres. Au cas d’une marche favorable de l’évolution, les antagonismes de classes, à partir d’un certain moment, commencent à se reproduire dans des dimensions de plus en plus faibles, les éléments économiques du socialisme croissent par voie d’évolution ; le prolétariat fait une politique non pas de rupture de 1’organisme social, mais de consolidation, et, de plus, les formes bourgeoises hostiles sont peu à peu évincées, tandis que les formes de petite économie sont peu à peu transformées (par la coopération, par le développement de toutes les formes d organisation collectives, etc.). Ces lois particulières sont à la base de toute notre tactique dans la période en question.
33. - Le but final du mouvement est l’organisation d’une grande production agricole collective, l’anéantissement de 1’antagonisme entre la ville et la campagne, et la liquidation de l’état arriéré de l’agriculture, qui était une des lois de l’évolution du capitalisme.
34. - La guerre et les événements qui l’ont suivie ont déterminé dans de nombreux pays une chute des forces de production et porté atteinte aux anciens rapports entre la ville et les campagnes. La puissance économique des campagnes, en tant que productrices des produits alimentaires, s’est extrêmement accrue. En même temps, le poids spécifique social des classes rurales, et en premier lieu de la paysannerie, s’est accru.
35. - Ensuite l’ébranlement de tout le régime économique dans son ensemble et l’élargissement de l’horizon idéologique du paysan pendant la guerre et la fermentation d’après-guerre ont fortement augmenté l’activité de la paysannerie, de ses couches pauvres, moyennes et bourgeoises. Enfin, l’affaiblissement de l’impérialisme a rendu beaucoup plus aigu le mouvement colonial, dans lequel les paysans jouent un grand rôle.
36. - La crise agraire mondiale, résultat de la désagrégation de l’économie mondiale, et le phénomène des « ciseaux », où cette crise se reflète et qui résulte aussi de la politique des hauts prix pratiqués par les organisations monopolistes du capital ont été un coup très rude, pour les paysans, qu’ils ont même dans certains pays, aux États-Unis par exemple, ruinés en masse.
37. - Tous ces phénomènes ont provoqué des formes très variées de mouvements paysans. Dans les pays agraires et arriérés (Roumanie, Pologne, Esthonie, Hongrie, sans parler de la Russie d’avant la révolution) il y avait et il y a encore jusqu’à présent un mouvement qui revêt par moments des formes nettement révolutionnaires ; dans d’autres pays, la lutte a revêtu d’autres formes ; souvent les paysans ont fait bloc avec les agrariens (exigeant des prix élevés sur les céréales, des tarifs douaniers en leur faveur), ces derniers ayant la direction du mouvement.
D’autre part, les « ciseaux » et la crise agraire des États-Unis ont provoqué un mouvement contre la politique des grands trusts, qui ruinent les paysans par les prix élevés qu’ils établissent, grâce à leur monopole, sur les produits de l’industrie ; dans bien des pays, des mouvements paysans ont été suscités par l’exploitation accrue du capital usuraire et commercial (sociétés d’achat et banques), là où le désarroi économique a déterminé de très mauvaises récoltes (ainsi qu’en certaines régions de l’Allemagne), apparurent des mouvements de petits paysans réclamant de l’aide ; enfin, après la stabilisation des changes, les impôts deviennent une charge énorme, sous la pression des dépenses improductives de l’État impérialiste ; le danger de nouvelles guerres, où les paysans perdent plus d’hommes que toute autre couche sociale, est devenu plus imminent.
38. - Sur le fond de ce large mouvement paysan, très bigarré et hétérogène, ont surgi ces derniers temps plusieurs Organisations paysannes. Il faut noter, comme des phénomènes d’un haut intérêt, l’existence de gouvernements paysans (ainsi, celui de Stambouliski en Bulgarie), et demi-paysans (Esthonie, Lettonie, etc.), ensuite une croissance extraordinaire de toutes sortes d’organisations paysannes (nombreux partis en Pologne et en Tchécoslovaquie, apparition de nouvelles organisations en Allemagne, renforcement d’organisations existant dans les Balkans, organisation d’un mouvement des farmers aux Etats-Unis et du parti de La Follette, etc.), les tentatives de fondation d’organisations internationales (l’Internationale verte).
39. - Presque partout, se produit une différenciation au sein des organisations paysannes ; les petits paysans quittent peu à peu les organisations communes, groupant les paysans de toutes conditions, rejetant la direction des bourgeois et des gros propriétaires (cultivateurs de gauche en Bulgarie ; Niézavissimyé domoviny en Tchécoslovaquie ; la Ligue de Vyzvolenié en Pologne ; l’organisation des paysans travailleurs en Allemagne ; certaines organisations de farmers aux Etats-Unis, etc.). En connexion avec ce phénomène, se pose la question de l’influence des communistes parmi les paysans.
40. - Les milieux agrariens bourgeois font en ce moment tous leurs efforts pour retenir les paysans sous leur emprise ; réformes agraires (Roumanie, Pologne, Etats Baltes, Tchécoslovaquie, etc.), aide financière à la coopération ; concessions de détail ; mesures agraires et douanières.
Quelles sont les formes principales que revêt cette politique ? Cette activité fébrile des classes dominantes exige impérieusement des partis communistes qu’ils déploient une activité énergique parmi les paysans.
41. - Le problème élémentaire qu’ont à résoudre les partis communistes est d’étudier la question agraire dans leurs pays et dans leurs colonies. Jusqu’à présent, on a très peu fait sous ce rapport. Ni la presse quotidienne, ni les revues ne s’occupent de cette question comme il conviendrait.
42. - Le principal objectif des partis communistes doit être de libérer les paysans de la tutelle de la bourgeoisie et des grands propriétaires fonciers. Dans les pays agraires ayant de nombreuses survivances féodales, la question agraire doit être posée au premier plan. Il faut surveiller la marche concrète de la réforme agraire, en critiquer impitoyablement tous les compromis et le caractère bourgeois, rendre évidente la spoliation des catégories les plus pauvres, etc. et opposer à cette « solution » de la question « agraire », la solution révolutionnaire : confiscation des terres nobles, du matériel et du bétail.
43. - Dans la plupart des pays de grande culture capitaliste, l’axe de notre propagande et de notre agitation doit être constitué par trois questions : les impôts, les prix élevés imposés par les cartels industriels et, enfin, l’oppression de l’Etat impérialiste et le danger de guerre.
44. - Il est tout à fait faux d’opposer les mots d’ordre découlant de cette politique à celui de dictature du prolétariat ou de gouvernement ouvrier et paysan, mots d’ordre qui généralisent notre lutte pour l’influence parmi les paysans. Il ne faut pas oublier que l’on ne peut attirer les paysans aux côtés du prolétariat qu’en partant de ses intérêts pratiques, évidents et directs. Tout nihilisme dans ces questions serait intolérable et contraire au bolchevisme.
45. - Il est également faux de croire que la réduction des impôts frappant les paysans entraîne l’augmentation de ceux que doit payer le prolétariat. C’est précisément la conclusion contraire que nous devons faire dans notre travail. Vu que le prolétariat et les paysans sont intéressés à la réduction des charges fiscales, ils doivent lutter ensemble contre l’Etat impérialiste. C’est justement la question des impôts qui met la paysannerie face à face avec tout l’appareil de l’État bourgeois, et constitue ainsi une passerelle vers le gouvernement ouvrier et paysan.
46. - Dans la question des prix des produits industriels, il faut lancer une campagne énergique contre l’omnipotence des trusts industriels, conséquence inévitable du régime capitaliste. La lutte contre les profits des cartels doit être une charnière unissant le prolétariat aux paysans dans la lutte commune contre le capital monopoliste.
47. - Une très grande question, qui doit devenir un sujet de propagande et d’agitation, est celle des guerres à venir. Quoique la guerre ait renforcé la position des campagnes, elle les a frappées le plus rudement (pertes humaines, ravages matériels, etc.). Cela fait jaillir dans certains pays une sorte d’antimilitarisme paysan (par exemple en France). Il faut soutenir ce mouvement par tous les moyens et le transformer en une lutte active.
48. - Dans les colonies, toutes ces questions apparaissent sous une forme plus aiguë : le joug de la propriété foncière féodale jointe au manque de terre, les prix trop élevés, les impôts excessifs, le danger de guerre. Tout cela se complique par une exploitation supplémentaire du capital étranger, ainsi que par l’oppression nationale. C’est pourquoi la tâche des partis communistes est de déployer la lutte dans toutes ses directions.
49. - Dans toute l’activité des partis communistes parmi les paysans, il faut prendre en considération la diversité de la paysannerie. La tactique esquissée au IIe Congrès par rapport aux diverses catégories paysannes doit servir de base dans la solution des questions d’actualité. De plus il faut souligner que les communistes, loin d’attenter à la petite et à la moyenne propriété, veulent l’affranchir de toutes les charges dont l’accablent les usuriers, les préteurs capitalistes, les propriétaires fonciers, l’État bourgeois, etc.
50. - Là où diverses catégories paysannes sont unies en une organisation comme sous la direction des agrariens et des « paysans » capitalistes (Grossbauer, koulaks, etc.), les partis communistes doivent s’efforcer de libérer les petits paysans (et si possible les paysans moyens) de leur tutelle. Si l’on ne peut conquérir ces organisations, c’est-à-dire renverser leurs chefs agrariens (or, telle est la situation dans la plupart des cas), il faut organiser indépendamment les petits paysans et toutes les catégories susceptibles de marcher avec le prolétariat. A cet effet, il faut une tactique de bloc entre les P. C. et ces ligues de petits paysans.
51. - Dans les pays capitalistes où les organisations des petits paysans sont nulles ou très faibles, il faut travailler à en créer sous forme de ligues paysannes, comités paysans, etc., où l’influence du parti est assurée par des fractions. La création par les communistes de Partis Paysans indépendants n’est pas utile et ne saurait être recommandée. « Sous le nom d’associations paysannes, quel que soit leur titre, il faut entendre en général des organisations plus larges que les partis politiques proprement dits. Ces associations n’ont pas un programme, une discipline, une structure aussi strictes ; elles permettent, d’une part, de toucher plus largement les masses, d’autre part, elles rendent possibles l’existence dans leur sein de différentes tendances et nuances politiques ».
52. - Là où les paysans sont organisés en partis politiques hétérogènes, par leur constitution sociale, le parti communiste doit soutenir leur aile gauche, formée par les petits paysans et les aider à se séparer' au bon moment pour fonder une organisation indépendante.
53. - Les partis communistes font bloc avec les partis des petits paysans, s’efforçant de les attirer sous leur influence idéologique et propageant l’idée de la nécessité de l’alliance entre ouvriers et paysans pour une lutte fructueuse des travailleurs contre les exploiteurs.
54. - Les partis communistes sont tenus d’accorder l’attention la plus sérieuse à l’organisation professionnelle des salariés agricoles pour en faire leur base dans les campagnes. Ces organisations doivent être, si possible, étroitement liées aux syndicats du prolétariat industriel et, d’autre part, liés aux organisations des petits paysans. Leur adhésion à ces dernières est certainement admissible à condition de conserver une organisation autonome.
55. - Là où la question paysanne est liée à une question nationale, les partis communistes doivent prêter une attention toute particulière à cette dernière. Ignorer le facteur national dans des cas semblables serait non seulement une erreur, mais un crime politique.
56. - La propagande et l’agitation doivent servir à les entraîner dans la lutte commune. Il faut inviter tous les partis communistes à un travail plus énergique dans ce sens. Il faut, en particulier, indiquer la nécessité d’interventions parlementaires sur cette question.
57. - Tous les partis communistes doivent agir de façon à faire adhérer les organisations paysannes au Conseil Paysan International. Ils doivent contribuer à la croissance de cette Internationale Paysanne, renforcer et rendre plus profonde son action, aider à poser convenablement les questions paysannes, contribuer à une étude vraiment scientifique des problèmes du mouvement paysan, etc.
58. - Dans tout leur travail parmi les paysans, les communistes doivent éviter de toute façon la déviation social-démocrate d’une part, la passivité dans la question paysanne, et, d’autre part, la « Bauernlangerei » sans principe, qui abandonne toutes les positions marxistes, et aussi la déviation populiste (qui efface la division entre le prolétariat et la paysannerie, qui ignore l’idée de l’hégémonie du prolétariat).
Les communistes doivent toujours et partout expliquer aux paysans que les paysans, comme l’a montré l’expérience de toutes les révolutions, ont toujours été battus et trompés lorsqu’ils ont voulu agir comme force indépendante, sans l’alliance et la direction du prolétariat.
L’expérience des gouvernements paysans (Stambouliski) montre également que les paysans ne peuvent se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi, seule, la dictature du prolétariat, soutenue par les paysans, est capable d’assurer la victoire effective des deux classes contre les exploiteurs. Les communistes ne seront à la hauteur de la tâche que s’ils suivent la doctrine sur les rapports entre la classe ouvrière et les paysans qui a été élaborée par Lénine.
59. - La période historique actuelle peut, de plein droit, être définie comme une période de lutte sans merci entre le prolétariat et la bourgeoisie, non seulement pour les couches arriérées du prolétariat, mais aussi pour les immenses masses paysannes.
60. - Il est absurde de parler de bolchevisation des partis communistes sans un travail effectif pour la conquête des masses paysannes. Les déviations non bolchevistes, voire même antibolchevistes qui existent dans les partis communistes, se manifestent avant tout dans l’incompréhension de la portée du problème agraire et paysan et de la question connexe du travail dans les colonies.
61.- Il faut comprendre qu’actuellement il ne s’agit pas seulement, et même il s’agit moins de propagande en faveur des mesures, que nous réaliserons après la prise du pouvoir, que d’une lutte active et effective pour conquérir l’influence sur les paysans par des mots d’ordre économiques et politiques d’actualité, permettant d’entraîner les paysans dans la lutte contre le capital.
62. - En s’appuyant dans les campagnes en premier lieu sur le prolétariat agricole, les catégories dépossédées et les petits paysans doivent dès maintenant mener un travail énergique pour neutraliser les paysans moyens. Cette circonstance que les paysans moyens ne peuvent passer définitivement au prolétariat qu’après la consolidation de la dictature prolétarienne ne peut jamais justifier la négligence envers le travail actuel. Le fait que ce travail est ardu nous dicte non pas la passivité mais, au contraire, une tension exceptionnelle de toutes nos forces.
63. - Seule, une telle politique permettra au parti communiste de préparer le triomphe du prolétariat dans la révolution et le bloc entre la classe ouvrière et les petits producteurs agricoles, seule base possible d’un mouvement vers le socialisme sous la dictature du prolétariat.