1924

 

bordiga

Amadeo Bordiga

Intervention au 5e congrès
de l'Internationale communiste
13e séance

1924

 

BORDIGA (Italie). — Je trouve qu’� ce Congr�s, une discussion g�n�rale sur la tactique �tait n�cessaire. Autre chose est de discuter sur la ligne tactique de l’Internationale en g�n�ral, autre chose de discuter seulement sur la tactique appliqu�e depuis le dernier Congr�s.

Autre observation. En r�alit� on ne fait pas ici le proc�s du Comit� Ex�cutif, mais le Comit� Ex�cutif fait le proc�s des Partis. (Applaudissements et rires.) Chaque orateur r�pond seulement � ce que Zinoviev a dit de son Parti et reste dans les limites born�es de ses affaires nationales.

Zinoviev nous a donn� un aper�u de la situation mondiale sur laquelle, d’une mani�re g�n�rale, on est d’accord. Momentan�ment, le monde semble s’orienter en effet vers une politique bourgeoise de gauche, mais je ne trouve pas que l’offensive du capital ait cess� ou soit ralentie. Le capital peut user de moyens tr�s diff�rents. Il a un moyen de droite, la r�action ouverte, l’�tat de si�ge, la terreur. Il a des m�thodes de gauche, le mensonge d�mocratique, l’illusion de la collaboration de classe. Mais ces deux m�thodes visent au m�me but.

Nous devons nous attendre � ce que toutes deux fusionnent.

Quelle cons�quence tirer de l� ? L’œuvre des Partis Communistes — et l� nous sommes compl�tement d’accord —, ne consiste pas seulement � faire la propagande de notre programme maximum, de notre id�ologie marxiste, mais � �tudier, � suivre tous les �pisodes particuliers de la vie ouvri�re, � participer � des conflits, � profiter de ces conflits pour apprendre au prol�tariat � lutter et pour le conduire vers la r�volution.

Front unique par en bas et par en haut ; voil� une assez bonne formule ; union de la classe ouvri�re tout enti�re, et non coalition des �tats-majors. Si nous ne voulons pas compromettre tout notre travail de pr�paration r�volutionnaire, nous ne devons pas m�me laisser supposer qu’il y a un autre parti r�volutionmiaire en dehors du Parti Communiste, ou que les partis social-d�mocrates et les Partis Communistes soient des fractions parall�les s�par�es par hasard, mais qui peuvent marcher et lutter ensemble.

Cependant Zinoviev n’exclut pas compl�tement le front unique par en haut.

Dans quel sens peut-on accepter cela ? � mon point de vue, le front unique ne doit jamais �tre un bloc de partis politiques. Sa base peut �tre trouv�e dans d’autres organisations de la classe ouvri�re, susceptibles d’�tre conquises par une direction communiste, d’�tre rendues r�volutionnaires.

Aujourd’hui la situation nous d�conseille la tactique de coalition avec les social-d�mocrates. Mais rien ne nous garantit que demain on ne voudra pas recommencer l’exp�rience. Nous diff�rons de Zinoviev en ce que nous croyons qu’une tactique d’alliance avec les partis opportunistes n’est jamais utile, ni quand la situation est r�volutionnaire et qu’il est �vident que le Parti Communiste peut jouer un r�le autonome, ni quand elle est d�favorable et que l’heure de l’action finale semble �loign�e.

On nous dit que le IVe Congr�s a commis certaines erreurs que l’on rectifie. Nous prenons acte de cette rectification, certainement avec plaisir (Rires), mais nous voyons aussi que ces erreurs ont �t� des erreurs de la direction de l’Internationale et, il faut le dire, du IVe Congr�s tout entier.

La tactique du front unique, dans son sens r�volutionnaire, doit �tre maintenue, on ne peut pas y renoncer. Mais nous demandons des textes qui liquident nettement la tactique du gouvernement ouvrier.

Dire que le gouvernement ouvrier est le pseudonyme de la dictature du prol�tariat ne nous semble pas heureux. On nous affirme : si nous disons � dictature du prol�tariat �, les masses ne comprennent pas, si nous disons � gouvernement ouvrier �, elles comprendront et nous gagnerons des adh�sions parmi les �l�ments que nous n’avons pas encore pu atteindre par notre propagande th�orique.

On r�duit � cela le r�le de cette formule. Or, je conteste m�me cela. Les mots � dictature du prol�tariat � ont suscit� de tels �v�nements, ont tellement int�ress� les masses que m�me hors de la Russie sovi�tiste on sait tr�s bien ce que c’est que la dictature du prol�tariat et on la demande par instinct, en d�pit des chefs social-d�mocrates.

Mais que peut comprendre au � gouvernement ouvrier � un simple travailleur, un simple paysan, quand, depuis trois ans, nous, les chefs du mouvement ouvrier, nous ne sommes pas arriv�s � en donner une d�finition satisfaisante ? (applaudissements).

Je demande un enterrement de troisi�me classe et pour la tactique et pour le mot du � Gouvernement Ouvrier �.

On nous dit : l’Internationale va � gauche, et vous n’�tes pas encore contents !

Admettons que l’Internationale aille � gauche. Mais si je me reporte au discours que j’ai prononc� au IVe Congr�s, je vois que ce que nous avons critiqu�, c’est pr�cis�ment cette oscillation tant�t � droite, tant�t � gauche, selon qu’on croit interpr�ter le d�veloppement des �v�nements. Une oscillation � gauche en provoque une plus forte � droite.

Ce n’est pas la d�viation � gauche, dans la conjoncture pr�sente, que nous demandons, c’est la rectification g�n�rale de l’Internationale.

Avant de continuer, je dois corriger une opinion que Zinoviev m’a pr�t�e. J’aurais dit : ou le Congr�s acceptera mes id�es, c’est-�-dire celles de la gauche italienne, ou bien nous organiserons dans l’Internationale une fraction de gauche. Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que dans le cas o� se v�rifierait une d�viation vers un r�visionnisme de droite, il faudrait r�pondre par la constitution d’une fraction de gauche. C’est une chose tout � fait diff�rente et je prie Zinoviev d’en prendre acte. Ainsi le fameux dilemme tombe. Il �tait m�me ridicule de le poser. Il �tait d’avance r�solu contre le pauvre individu que je suis, en faveur de l’Internationale.

Nous voulons une vraie centralisation, une vraie discipline. Pour cela, il faut de la clart� dans la direction tactique et de la continuit� dans la position de nos organisations vis-�-vis des autres partis.

C’est pourquoi, je le dis � nouveau, nous sommes contre la fusion avec d’autres partis, contre le noyautage et aussi contre l’institution de partis sympathisants qui se trouveraient dans la situation tr�s commode de profiter du drapeau de l’Internationale, de n’�tre engag�s � rien, et de pouvoir pr�parer, sous notre � contr�le �, la trahison du prol�tariat.

On nous dit : � Vous n’avez pas confiance dans l’Internationale. Votre langage signifie que vous n’�tes pas s�rs que l’Internationale restera toujours r�volutionnaire. L’existence � sa t�te du Parti bolch�vik est cependant une suffisante garantie que l’Internationale n’ira pas � droite. �

L’importance de la contribution que le bolch�visme a donn�e au mouvement d’affranchissement du prol�tariat mondial consiste justement dans la situation tout � fait sp�ciale dans laquelle le Parti russe se trouvait. Il ne se trouvait pas en pr�sence d’un capitalisme d�velopp� et d’un prol�tariat nombreux. Il a puis� sa th�orie r�volutionnaire l� o� existait le grand capitalisme et il l’a appliqu�e d’une mani�re grandiose, l� o� elle avait des probabilit�s d’�chouer.

Si le Parti bolch�vik a pu r�aliser cette synth�se du d�veloppement particulier de la Russie avec l’exp�rience r�volutionnaire mondiale, c’est parce que ses chefs ont �t� forc�s d’�migrer et de vivre au milieu du capitalisme occidental. L�nine est mondial et pas seulement russe. Il nous appartient � tous.

Dans la situation pr�sente, l’Internationale doit rendre au Parti russe une partie des nombreux services qu’elle en a re�us.

Le grand danger d’un r�visionnisme de droite menace le Parti russe, les autres partis doivent le soutenir, l’appuyer. C’est dans l’Internationale qu’il doit trouver le surplus de forces dont il a besoin pour traverser cette situation, vraiment difficile. La v�ritable garantie repose sur le probl�me revolutionnaire du monde entier.

Les masses d’Occident sont plus r�volutionnaires qu’on ne le croit. Naturellement, pour r�aliser les conditions qui permettent le d�veloppement triomphal de la r�volution dans les autres pays, il doit se produire certaines circonstances, et il faut que, de notre c�t�, nous soyons � la hauteur de la situation.

Une situation favorable politiquement peut d�j� se constater dans le prol�tariat d’Occident. Nous avons vu des �lections au Parlement dans trois grands pays. Nous avons essay� partout de faire ces �lections en coalition avec d’autres partis. Mais partout nous avons d� les faire seuls, sous le drapeau communiste. Devant les groupements bourgeois de droite et de gauche, nous avons affich� notre programme communiste int�gral et appel� le prol�tariat � y r�pondre. Presque en m�me temps dans trois grands pays un nombre consid�rable d’ouvriers s’est montr� pr�t � suivre le Parti Communiste. Cela a une importance dix fois plus grande que si, dans un pays, nous avions suivi la tactique de la collaboration, dans un autre, celle de la coalition, dans un autre, la tactique autonome.

Nous avons confiance dans l’Internationale, parce que l’Internationale, c’est le prol�tariat du monde entier luttant pour son affranchissement de l’exploitation capitaliste ; parce que l’Internationale, c’est la r�volution russe, c’est la victoire russe, c’est la tradition merveilleuse du mouvement de lib�ration du prol�tariat russe, c’est la tradition r�volutionnaire de tous les autres pays.

 

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