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Diplomate britannique, ambassadeur en Russie pendant la révolution
de 1917.
Le protecteur et inspirateur de Kérensky, Buchanan, a
eu l'imprudence de nous raconter dans ses Mémoires ce que furent
pour lui et ses pareils la guerre et la révolution. Bien des mois
après Octobre, Buchanan décrivait dans les termes suivants l'année
russe 1916 --terrible année de défaites de l'armée tsariste, de
désarroi économique, année où l'on faisait partout la queue pour
se ravitailler, année pendant laquelle les gouvernants jouèrent à
saute-mouton, sous le commandement de Raspoutine :
«Dans une des plus charmantes villas que nous visitâmes (Buchanan
parle de son voyage en Crimée, en 1916), nous ne fûmes pas
seulement accueillis avec le pain et le sel présentés sur un plat
d'argent, mais, lors de notre départ, nous trouvâmes dans
l'automobile des douzaines de bouteilles de vieux bourgogne dont
je célébrai les mérites en le dégustant à déjeuner. Il est
infiniment triste de jeter un regard en arrière sur ces jours
heureux (!), perdus à tout jamais, et de songer à la misère et aux
souffrances dont a été fait le sort de personnes qui nous avaient
reçus avec tant d'amabilité et d'hospitalité.»
Buchanan n'envisage pas ici les souffrances des soldats dans les
tranchées et des mères affamées qui prenaient leur tour aux portes
des boutiques; il parle des souffrances des anciens propriétaires
de délicieuses villas, il regrette pour eux les plateaux d'argent
et les fins bourgognes. Quand on lit des lignes aussi sereinement
impudentes, on se dit : non, ce n'est pas à tort que la révolution
d'Octobre est venue au monde ! Ce n'est pas à tort qu'elle a
balayé non seulement les Romanov, mais un Buchanan et un Kérensky
!
Trotsky, Ma vie,
1930
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