1891 |
L'une des premières études marxistes sur la question, par le "pape" de la social-démocratie allemande. |
La femme et le socialisme
II: La femme dans le présent
Si le mariage représente l'un des côtés de la vie sexuelle du monde bourgeois, la prostitution en représente l'autre. Le premier est la face de la médaille, la seconde en est le revers. Quand l'homme ne trouve pas sa satisfaction dans le mariage, il a le plus souvent recours à la prostitution, et c'est encore dans celle-ci que cherche l'apaisement de ses appétits celui qui, pour une raison ou pour une autre, renonce a se marier. Ainsi, qu'il s'agisse de ceux qui, de gré ou de force, vivent dans le célibat, ou de ceux auxquels le mariage ne donne pas ce qu'ils en attendaient, les circonstances leur sont infiniment plus favorables pour les aider à satisfaire leur instinct sexuel que pour les femmes.
Les hommes de tous les temps et de tous les pays considèrent l'usage de la prostitution comme un privilège tout naturel, qui leur est acquis « de droit. » Ils n'en font que juger et surveiller avec plus de rigueur et de sévérité, en ces matières, toutes les femmes qui vivent en dehors du monde de la prostitution. Que la femme ait exactement les mêmes instincts que lui, mais que ces instincts se manifestent avec infiniment plus d'ardeur à certaines époques de sa vie (au moment de la menstruation), l'homme ne s'en embarrasse pas. En vertu de sa situation prépondérante, il oblige la femme à comprimer énergiquement ses instincts les plus vivaces, et il fait dépendre de sa chasteté sa considération sociale et son mariage.
C'est surtout le célibataire qui est favorisé. La nature a assigné à la femme seule les conséquences de l'acte charnel ; l'homme, une fois la jouissance passée, n'a ni peine ni responsabilité.
Cette situation privilégiée vis-à-vis de la femme a créé, au cours de la civilisation, la licence effrénée qui distingue une grande partie des hommes dans leurs exigences sexuelles. Et comme, ainsi que nous l'avons établi, cent causes pour une s'opposent à la satisfaction des sens sous la forme légitime ou ne la permettent qu'insuffisamment, il en résulte qu'on en pousse la recherche jusqu'à la bestialité.
La prostitution devient une institution sociale nécessaire, tout comme la police, l'armée permanente, l'Église, le patronat, etc. Cela n'a rien d'exagéré, et nous prouverons la justesse de cette allégation.
Nous avons déjà montré comment les anciens, en Grèce comme à Rome, envisageaient la prostitution, la tenaient pour nécessaire, et l'organisaient au nom de l'État. Nous avons également indiqué quelle fut, sur ce point, la manière de voir du Moyen-âge chrétien. Saint Augustin lui-même, le plus illustre défenseur du christianisme après saint Paul, tout en prêchant l'ascétisme, ne pouvait s'empêcher de s'écrier : « Si vous persécutez les filles publiques, la violence des passions détruira tout de fond en comble ». Le concile provincial du clergé tenu à Milan en 1663 s'exprima, lui aussi, dans le même sens.