1891

L'une des premières études marxistes sur la question, par le "pape" de la social-démocratie allemande.


La femme et le socialisme

August Bebel

II: La femme dans le présent


La situation de la femme devant le droit. Sa place dans la politique.

Quand une catégorie, une classe d'individus, se trouve dans la dépendance et dans l'oppression, cette dépendance trouve toujours son expression dans les lois du pays où elle est en usage. Les lois constituent l'état social d'un peuple, ramené à certaines formules et exprimé par celles-ci ; elles en sont la propre image. Les femmes, en tant que sexe dépendant et opprimé ne font pas exception à cette règle. Les lois sont d'ordre négatif et d'ordre positif. Négatif, en ce sens que dans la répartition des droits elles ne tiennent pas plus compte des êtres opprimés que s'ils n'existaient pas ; positif, en ce qu'elles les instruisent de leur situation d'infériorité et indiquent, le cas échéant, certaines exceptions.

Notre droit commun est basé sur le droit romain qui ne connaissait l'homme que comme être possédant quelque chose. Cependant l'ancien droit germanique, qui concevait l'homme plus libre et se faisait également de la femme une idée plus digne - déjà, au temps de tacite, il existait des tribus qui avaient des femmes pour chefs, ce qui constituait une monstruosité aux yeux des Romains, - a conservé son influence. Par contre, chez les nations latines, les idées du droit romain dominent encore aujourd'hui, particulièrement en ce qui concerne le sexe féminin. Ce n'est pas l'effet du hasard si, dans la langue française, l'être humain pris en général et l'être humain masculin ne sont désignés que par un seul et même mot : « l'homme ». Le droit fran­çais ne connaît l'être humain qu'en tant qu'homme. Il en était de même à Rome. Il y avait des citoyens romains, et seulement des femmes de citoyens romains ; la citoyenne n'existait pas.

Il est superflu d'énumérer la liste variée des nombreux droits communs, particu­lièrement ceux de l'Allemagne. Quelques exemples suffiront.

D'après le droit commun allemand, la femme est partout une mineure par rapport à l'homme ; celui-ci est le maître auquel elle doit obéissance dans le mariage. Si elle n'est pas obéissante, le code prussien donne à l'homme de « basse » condition le droit de lui infliger une correction corporelle immodérée. Comme la vigueur et le nombre des coups ne sont inscrits nulle part, l'homme en décide souverainement. Dans le code de la ville de Hambourg il est dit : « Mais l'application équitable d'une correction légère est permise et accordée à l'homme sur son épouse, aux parents sur leurs enfants, aux instituteurs sur leurs élèves, au maître et à la maîtresse de la maison sur leurs domestiques ».

Des prescriptions de ce genre existent en grand nombre en Allemagne. D'après le code prussien l'homme peut encore prescrire à sa femme pendant combien de temps elle devra donner le sein à son enfant. C'est l'homme qui tranche toutes les questions concernant les enfants. Vient-il à mourir, la femme est partout obligée d'accepter un tuteur pour eux ; elle est considérée commue mineure et incapable de les élever seule, même quand il n'est subvenu à leur entretien que par sa fortune ou son travail personnels. Sa fortune est administrée par l'homme ; en cas de faillite, dans la plupart des États, on la considère comme la propriété de celui-ci et on en dispose lorsqu'un contrat passé avant le mariage n'en a pas assuré la possession à la femme. Là où le droit de primogéniture existe pour la propriété foncière, la femme, quand elle est l'aînée, ne peut entrer en possession du bien si elle a des frères ou s'il existe des hommes dans la famille ; elle ne recueille la succession que si elle n'a pas de frères ou si ceux-ci sont morts. Les droits politiques, qui, en général, reposent sur la même base, elle ne peut pas les exercer, sauf dans quelques cas particuliers, comme en Saxe, où la loi communale lui accorde comme propriétaire le droit électoral actif, mais lui refuse le droit passif, c'est-à-dire l'éligibilité. Mais si elle a un mari, tous les droits se reportent sur celui-ci. Dans la plupart des États, elle n'a pas le droit de conclure de traité sans le consentement de son mari, hors le cas où elle possède une maison de commerce personnelle, que la loi nouvelle lui permet de fonder. La femme est exclue de toute action. La loi prussienne sur le droit de réunion interdit aux écoliers, aux apprentis au-dessous de 18 ans et aux femmes de prendre part aux réunions et aux assemblées politiques. Il n'y a pas encore bien des années que plusieurs codes de procédure criminelle allemands interdisaient la présence des femmes dans l'auditoire pendant les débats publics des tribunaux. Une femme engendre-t-elle un enfant illégitime ? Elle n'a aucun droit à une pension alimentaire si, au moment où elle a été fécondée, elle a accepté un cadeau de son amant. Une femme fait-elle prononcer sa séparation de son mari ? Elle n'en porte pas moins son nom comme un souvenir éternel de lui ; c'est donc comme si elle se mariait une seconde fois.

Ces exemples doivent suffire. En France, la femme est plus mal partagée encore. Nous avons déjà parlé de la façon dont on y traite la recherche de la paternité dans les cas de naissance illégitime. À cela se rattache ce fait, qu'en cas de simple adultère de la part du mari, la femme ne peut pas porter de plainte en séparation de corps ; il faut que l'adultère ait été commis avec des circonstances aggravantes. Par contre, l'homme a le droit de demander la séparation de plano. Il en est de même en Espagne, en Portugal et en Italie. D'après l'art. 215 du code civil, elle n'a pas le droit de tester en justice sans le consentement de son mari et de deux de ses plus proches parents, même si elle exerce un commerce public. D'après l'art. 213, l'homme doit aide et protection à son épouse, et celle-ci lui doit obéissance. L'administration de la fortune est l'affaire du mari, etc. Des dispositions analogues se rencontrent dans la Suisse française, par exemple dans le canton de Vaud. il existe un mot bien significatif, qui donne une idée de la façon dont Napoléon 1er concevait la situation de la femme en France : « Il y a une chose qui n'est pas française, c'est une femme qui puisse faire ce qu'il lui plaît  [1] ».

En Angleterre, la situation de la femme devant le droit s'est sensiblement améli­orée depuis le mois d'août 1882, et cela à la suite d'une énergique propagande faite par les femmes dans le peuple et dans le Parlement. Avant cela, la femme anglaise était purement et simplement l'esclave de son mari, qui pouvait en toute liberté disposer à sa guise de sa personne et de ses biens. Celui-ci était responsable du crime commis par elle en sa présence, à tel point elle était considérée absolument comme une mineure. La femme causait-elle un dommage à autrui, on condamnait le mari tout comme si le dommage avait été causé par quelqu'un de ses animaux domestiques ; c'était à lui d'en répondre. Par la loi d'Août 1882, la femme a été mise sur le même pied que l'homme au point de vue du Droit Civil.

De tous les États européens. c'est en Russie que la femme a la situation la plus libre. Aux États-Unis, tout au moins dans la majorité des États, elle a gagné de haute lutte sa pleine égalité devant le Droit Civil. Encore l'a-t-elle amoindrie dans ces pays par l'introduction des lois anglaises et analogues sur la prostitution.

L'inégalité évidente et tangible des femmes devant le droit, par rapport aux hommes, a fait naître cirez les plus avancées d'entre elles la prétention aux droits politiques pour pouvoir agir législativement en vue d'obtenir leur égalité. C'est la même pensée qui a déterminé la classe des travailleurs à diriger partout leur agitation sur la conquête du pouvoir politique. Ce qui semble juste pour la classe des travail­leurs ne peut ne pas l'être pour les femmes. Opprimées, privées de droits, partout traitées avec injustice, elles ont, non seulement le droit, mais encore le devoir de se défendre et de s'emparer de tous les moyens qui leur semblent bons pour conquérir une situation plus indépendante. Contre ces efforts s'élèvent naturellement encore les clameurs sinistres de la réaction Voyons de quel droit.

La grande Révolution française de l789, qui disloqua tout le vieil organisme social et qui amena une délivrance des esprits telle que le monde n'en a point vu de pareille, fit aussi entrer les femmes en scène. Beaucoup d'entre elles, dans les vingt années qui précédèrent immédiatement l'explosion de la Révolution, avaient déjà pris urne part active aux grandes luttes intellectuelles qui passionnaient à cette époque la société française. Elles accouraient en foule aux discussions sérieuses, se mêlaient aux cercles politiques et scientifiques, et aidèrent pour leur part à préparer la Révo­lution qui fît passer les théories dans la pratique. La plupart des historiens n'ont pris acte que des excès commis, et comme toujours quand il s'agit de jeter des pierres au peuple et d'exciter l'horreur contre lui, ils les ont défigurés jusqu'au monstrueux pour pouvoir n'en embellir que plus facilement les infamies des grands. Ils ont diminué ou passé sous silence l'héroïsme et la grandeur d'âme dont ont fait preuve beaucoup de femmes de cette époque. Aussi longtemps que les vainqueurs seront seuls à écrire l'histoire des vaincus, il en sera de même. Mais les temps changent.

Dès le mois d'octobre 1789, les femmes demandèrent, par une pétition à l'Assem­blée nationale, que l'on rétablît l'égalité entre l'homme et la femme, qu'on leur accordât la liberté du travail et qu'on les admit aux fonctions auxquelles leurs aptitu­des les prédisposaient. La demande du « rétablissement » de l'égalité entre l'homme et la femme donne à penser que celle-ci aurait précédemment existé. Mais c'est là une erreur à laquelle on se laissait aller à cette époque pour tout ce qui concernait le passé de l'humanité. Trompé par une étude superficielle de l'histoire, sans notions des lois de l'évolution humaine, on professait la croyance que les hommes avaient jadis vécu plus libres et plus heureux. Cette idée est encore aujourd'hui répandue par-ci par-là, mais elle était alors enseignée et représentée par les écrivains les plus influents, et notamment par Rousseau. C'est pourquoi les « revendications » jouèrent un grand rôle dans toutes les discussions politiques et sociales ; on les retrouve fréquemment encore aujourd'hui chez les écrivains radicaux français.

Lorsqu'en 1793 la Convention eut proclamé les Droits le l'homme, les femmes perspicaces s'aperçurent bien que ce n'était que des droits des hommes qu'il était question. Olympe de Gouges, Louise Lacombe, et d'autres encore, leur opposèrent les « droits de la femme » en 17 articles, les basant le 28 Brumaire (20 novembre 1793), devant la Commune de Paris, sur cette déclaration : « Si la femme a le droit de monter à l'échafaud, elle doit avoir aussi celui de monter à la tribune ». Et lorsqu'en présence de toute l'Europe réactionnaire marchant contre elle, la Convention eut déclaré « la patrie en danger »et convié tous les hommes en état de porter les armes à accourir en toute hâte pour défendre la Patrie et la République, d'enthousiastes parisiennes s'offrirent à faire ce que réalisèrent effectivement vingt ans plus tard contre le despo­tisme de Napoléon des femmes prussiennes : défendre la patrie le fusil à la main. Le radical Chaumette alla au-devant d'elles en leur criant : « Depuis quand est-il permis aux femmes de renier leur sexe et de se changer en hommes  ? Depuis quand est-il d'usage de les voir délaisser les soins pieux de leur ménage et les berceaux de leurs enfants pour venir, sur les places publiques, prononcer des discours du haut de la tribune, se mêler aux rangs des troupes, en un mot remplir des devoirs que la nature n'a donnés en partage qu'aux hommes  ? La nature a dit à l'homme : sois homme ! Les courses, la chasse, l'agriculture, la politique, les fatigues de tout genre sont ton privilège. Elle a dit à la femme : sois femme ! Le soin de tes enfants, les détails du ménage, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux Femmes impru­dentes, pourquoi voulez-vous devenir des hommes ? Le genre humain n'est-il pas assez divisé ? Que vous faut-il de plus ? Au nom de la nature, restez ce que vous êtes ; et, bien loin de nous envier les périls d'une vie si orageuse, contentez-vous de nous les faire oublier au sein de nos familles, en laissant nos yeux se reposer sur le délicieux tableau de nos enfants, heureux grâce à vos soins éclairés ».

Les femmes se laissèrent convaincre et s'en allèrent. Sans aucun doute, le radical Chaumette a nettement rendu la pensée d'une foule de nos hommes qui, à part cela, ont horreur de lui. Du reste, je crois aussi, pour ma part, que c'est faire une répartition convenable des devoirs de chacun que de confier à l'homme la défense de la patrie et à la femme la garde du pays natal et du foyer. En Russie, à l'époque actuelle, les hommes de villages entiers, une fois leurs champs labourés, s'en vont à la fin de l'automne vers les usines lointaines, laissant à leurs femmes la garde de la maison et l'administration de la commune. Au reste, les poétiques épanchements de Chaumette se trouvent détruits par tout ce que nous avons dit de la vie de famille et de l'existence de la femme à notre époque. Ce qu'il dit des fatigues de l'homme dans l'agriculture n'est pas exact non plus, car, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, ce n'est pas le rôle le moins pénible que la femme y a joué. En ce qui concerne les « fatigues » de la chasse, des courses et de la politique, ces fatigues sont exclusive­ment, quant aux deux premiers objets, un plaisir pour l'homme, et la politique n'a de danger que pour ceux qui veulent lutter contre le courant ; du reste elle leur donne au moins autant de plaisir que de fatigue. C'est l'égoïsme masculin qui parle, dans ce discours. Mais le discours a été tenu en 1793 ; cela excuse l'orateur.

Aujourd'hui les choses vont un peu différemment. Les circonstances ont fortement changé depuis cette époque, et elles ont aussi modifié la situation de la femme. Mariée ou non, elle est plus intéressée que par le passé aux conditions sociales et politiques existantes. Il ne peut pas lui être indifférent que l'État retienne chaque année dans l'armée permanente des centaines de milliers d'hommes sains et vigou­reux, que la politique soit belliqueuse ou pacifique, quelle charge d'impôts il y a à supporter et comment ils doivent être prélevés. Il ne peut pas lui être indifférent non plus que les choses les plus nécessaires à l'existence renchérissent par suite des impôts indirects qui favorisent la falsification des vivres et frappent la famille, d'autant plus lourdement qu'elle est plus nombreuse, dans un temps où les moyens d'existence sont eux-mêmes déjà réduits à l'extrême. Elle est intéressée au plus haut degré au système d'éducation, car elle ne peut pas rester indifférente à la façon dont son sexe sera élevé dans l'avenir ; comme mère elle y a un double intérêt.

D'autre part, il y a aujourd'hui, comme nous l'avons montré, des millions de femmes qui, dans des centaines de genres e métier, sont intéressées à la manière dont est faite la loi sociale qui les concerne. Les questions qui ont trait à la durée de la journée, au travail de nuit et du dimanche, à celui des enfants, aux salaires, aux termes du congé, aux certificats, aux mesures de sûreté dans les usines, à la disposition des ateliers, etc., tous ces points essentiels de la loi les regardent aussi bien que les hommes. Les ouvriers ne connais­sent que fort peu ou même ignorent complètement les conditions du travail dans un grand nombre de branches d'industrie où les femmes sont employées exclusivement ou en majorité. Les patrons ont tout intérêt à passer sous silence des vices d'organisation qui sont leur propre faute. L'inspection des fabriques, de son côté, ne s'étend pas à un grand nombre des métiers exclusivement exercés par les femmes ; elle est encore et surtout d'une inefficacité notoire, et cependant une foule de ces branches d'industrie auraient besoin de se voir appliquer des mesures de sûreté de tous genres. Il suffit de rappeler ici les ateliers de nos grandes villes où sont parquées en commun les couturières, les tailleuses, les modistes, etc. Aucune plainte ne s'en élève, et c'est à peine si on les inspecte. Le triste résultat de l'enquête officielle faite en 1874 sur les occupations auxquelles se livrent les femmes, montre au mieux combien l'organisation manque encore et combien il reste à faire de ce côté. Enfin, en tant que productrice, la femme est également intéressée à la législation commerciale et douanière, il n'existe donc aucun doute sur ce point qu'elle a le droit de réclamer une influence, au moyen de la loi, sur la forme des conditions sociales. Sa partici­pation à la vie publique ne manquerait pas de donner à cette influence un essor considérable et d'ouvrir une quantité de points de vue.

À des réclamations de ce genre on coupe immédiatement court par cette réponse : les femmes ne comprennent rien à la politique, et pour la plupart ne veulent pas en entendre parler ; elles ne savent pas non plus se servir du droit de vote. cela est vrai et cependant ne l'est pas. Ce qu'il y a de certain, c'est que jusqu'à présent il n'y a eu qu'un très petit nombre de femmes, en Allemagne tout au moins, qui se soient risquées à réclamer pour leur sexe l'égalité des droits politiques. Une seule, à ma connaissance, Madame Edwige Dohm, est intervenue dans ce sens par ses écrits ; elle ne l'en a fait que plus énergiquement.

Exciper du peu d'intérêt que les femmes ont apporté jusqu'à présent au mouve­ment politique ne prouve absolument rien. De ce que les femmes ne se sont pas, jusqu'ici, préoccupées de la politique, il ne ressort pas qu'elles ne le devaient pas. Comment en a-t-il été jadis pour les hommes ? Les mêmes raisons que l'on fait valoir aujourd'hui contre le droit électoral des femmes, on les a invoquées en Allemagne contre le suffrage universel des hommes, pendant la première moitié de la période décennale de 1860-1870, et l'adoption de celui-ci en l867 a fait évanouir d'un seul coup toutes les objections. Moi-même j'appartenais encore, en 1863,à ceux qui se déclaraient contre le suffrage universel, et quatre ans après je lui devais mon élection au Reichstag. Il en fut. de même pour des milliers d'autres qui trouvèrent leur chemin de Damas. Toutefois, ils sont encore nombreux les hommes qui ne se servent pas de leur droit politique essentiel ou qui ne savent pas s'en servir ; mais il ne viendra à l'idée de personne de vouloir le leur retirer pour cela. En Allemagne, dans les élections au Reichstag, il y a régulièrement 40 % de citoyens qui ne votent pas, et ces abstentionnistes se recrutent dans toutes les classes, il s'y trouve des savants comme des ouvriers manuels. Et parmi les 60 % qui prennent part au scrutin, la plupart, à mon sens, votent encore comme ils ne devraient pas le faire s'ils comprenaient leur véritable intérêt. Qu'ils ne le comprennent pas, cela tient au manque d'éducation politique, que ces 60 % ont néanmoins encore à un plus haut degré que les 40 % qui s'abstiennent complètement, déduction faite de ceux qui se tiennent à l'écart de l'urne électorale parce qu'ils ne peuvent pas voter suivant leur libre conviction.

Or l'éducation politique des masses ne peut se faire si on les tient un dehors des affaires publiques, mais seulement si on leur accorde l'exercice de leurs droits. Pas d'exercice, pas de maître. Jusqu'ici les classes dirigeantes ont cherché, dans leur inté­rêt, à tenir la majorité du peuple en tutelle politique, et cela leur a toujours parfaitement et complètement réussi. C'est ainsi que, jusqu'à l'heure actuelle, il n'a été réservé qu'à une minorité d'hommes privilégiés ou favorisés par les circonstances, de prendre la tête de l'attaque et de combattre avec énergie et enthousiasme pour tous, afin de réveiller peu à peu la grande masse engourdie et de l'entraîner après eux. Il en a été ainsi jusqu'à présent dans tous les grands mouvements d'opinion ; il n'y a donc pas plus lieu de s'étonner que de se décourager s'il n'en est pas autrement ni dans le mouvement du prolétariat moderne ni dans celui de la question des femmes. Les résultats obtenus déjà prouvent que peines, fatigues et sacrifices, trouvent leur récompense, et l'avenir nous donnera la victoire.

Dès le moment où les femmes auront obtenu l'égalité de leurs droits, naîtra aussi on elles la conscience de leurs devoirs. Sollicitées de donner leurs voix, elles se demanderont à leur tour : pourquoi ? pour qui ? Dès cet instant, il s'échangera entre l'homme et la femme des inspirations qui, loin de nuire à leurs rapports réciproques, ne feront au contraire que les améliorer dans une large mesure. La femme moins instruite, aura recours à l'homme, qui le sera davantage. il s'en suivra un échange d'idée s, de conseils, un état de choses enfin comme il n'en aura existé jusque-là entre les deux sexes que dans des cas extrêmement rares. Cela donnera à leur vie un charme tout nouveau. La malheureuse différence d'éducation et de conception que nous avons dépeinte plus haut, qui cause tant de divergences d'opinion, tant de querelles de ménage, fait hésiter le mari entre ses divers devoirs et nuit au bien de la communauté, s'effacera de plus en plus. Au lieu d'un obstacle, l'homme trouvera un soutien dans la personne d'une femme pensant comme lui ; elle ne grondera pas, même quand ses propres devoirs l'empêcheront d'y prendre part, lorsque l'homme remplira ses obliga­tions. Elle trouvera également fort bien qu'une faible partie du salaire soit dépensée pour un journal, pour la propagande, parce que le journal servira aussi à son instruction et à sa distraction, parce qu elle comprendra la nécessité de faire des sacrifices pour conquérir ce qui lui manque à elle, comme à son mari et à ses enfants : une existence vraiment humaine, une égalité de droits complète.

Ainsi l'entrée de chacun des deux membres du ménage dans la vie politique aura une action infiniment plus noble, plus moralisatrice, sur le bien-être commun, lequel est lié de la façon la plus étroite au bien-être individuel ; elle produira donc l'effet contraire de ce que prétendent les gens à courte vue ou les adversaires d'une république ayant pour base l'égalité des droits de tous ses membres. Et ces rapports entre les deux sexes s'amélioreront encore, à mesure que les institutions sociales délivreront l'homme et la femme des soucis matériels et du poids d'un travail exagéré.

Ici encore, comme dans beaucoup d'autres cas, l'habitude et l'éducation seront donc d'un grand secours. Si je ne vais pas à l'eau, je n'apprendrai jamais à nager ; si je n'étudie pas une langue étrangère, si je ne la pratique pas, je ne la comprendrai jamais. Tout le monde trouve cela naturel et dans l'ordre, mais ne comprend pas que cela s'applique également aux conditions de l'État, de la société. Nos femmes sont-elles plus incapables que les nègres bien inférieurs à elles à qui on a reconnu, dans l'Amérique du Nord, l'entière égalité de droits politiques ? Et des milliers de femmes intelligentes doivent-elles jouir de moins de droits que l'homme le plus grossier, le moins civilisé, qu'un tâcheron ignorant du fond de la Poméranie, ou quelque terrassier ultramontain de la Pologne, pour cette seule raison que le hasard de la naissance a fait de ceux-ci des hommes. Le fils a plus de droits que la mère de laquelle il tient peut-être ses meilleures qualités et qui l'a fait ce qu'il est. C'est bizarre !

Au surplus, nous ne sommes pas, en Allemagne, les premiers qui aient risqué un saut dans l'inconnu, dans ce qui ne s'était jamais vu. L'Amérique du Nord et l'Angle­terre ont déjà frayé la voie. Dans plusieurs États de la première, les femmes jouissent des mêmes droits électoraux que les bommes. Les résultats en sont excellents. Dans le territoire de Wyoming on a déjà expérimenté le droit électorat des femmes depuis 1869. Le rapport ci-dessous nous renseigne au mieux sur les effets de cette mesure.

Le 26 décembre 1872, le juge Kingmann, de Laramie-City, dans le territoire de Wyomning, écrivait au Journal des Femmes (Women's Journal) de Chicago :

« il y a aujourd'hui trois ans que, dans notre territoire, les femmes ont obtenu le droit de vote, en même temps que celui de participer aux emplois comme les autres électeurs. Dans ce laps de temps elles ont voté et ont été élues à différentes fonctions ; elles ont notamment rempli celles de jurés et de juges de paix. Elles ont en général pris part à toutes nos élections et, bien que je croie qu'au début un certain nombre d'entre nous n'approuvaient pas cette introduction de la femme dans la vie publique, je n'en pense pas moins que personne ne saurait se défendre de reconnaître qu'elle a exercé sur nos élections une influence heureuse au point de vue de la bonne éduca­tion. Il se produisit ce fait que les élections se passèrent tranquillement, dans le plus grand ordre, et que, dans le même temps, nos tribunaux furent mis en mesure d'atteindre et de punir différents genres de crimes restés impunis jusque-là.

C'est ainsi, par exemple, que, lors de l'organisation de l'État, il n'y avait presque personne qui ne portât un revolver sur soi et qui n'en fit usage pour la moindre querelle. Je n'ai pas souvenir d'un seul cas ou un jury composé d'hommes ait reconnu coupable un de ceux qui avaient tiré, mais avec deux ou trois femmes dans le jury, celui-ci a toujours donné suite aux instructions judiciaires ».

Plus loin le juge Kingmann explique qu'à la vérité il arriva fréquemment que l'on ne put avoir des femmes dans le jury à cause de leurs occupations domestiques - ce que regrettaient les juges, - mais qu'une fois qu'elles avaient accepté une fonction, elles la remplissaient avec beaucoup de conscience. Elles donnaient, d'après lui, plus d'attention que les hommes à la marche des débats, étaient moins influencées par les relations d'affaires et des considérations étrangères au procès, et avaient une con­science plus scrupuleuse de leur responsabilité.

En outre, leur présence, commue jurés ou comme juges, aurait eu pour effet de faire régner dans la salle d'audience plus d'ordre et plus de tranquillité ; les hommes s'y seraient comportés avec beaucoup de respect et de politesse ; les auditeurs y auraient paru mieux habillés ; les débats auraient, à tous égards, pris un caractère plus digne, et les affaires se seraient dénouées plus rapidement.

Les femmes auraient eu la même heureuse influence saur les élections publiques. Celles-ci qui, précédemment, ne se passaient jamais sans force scandale, tumulte et violences de tous genres, et où les ivrognes ne manquaient pas auraient pris depuis un aspect tout autre et entièrement différent. Les femmes venant exercer leur droit de vote seraient traitées par chacun avec les plus grands égards, les braillards et les tapageurs auraient disparu, et les élections se passeraient aussi tranquillement qu'on peut le souhaiter. Elles ont également pris part aux élections en nombre toujours croissant, et il est arrivé fréquemment qu'elles votèrent dans un autre sens que leurs maris, sans que jusqu'ici cela ait rien amené de fâcheux.

Le juge Kingmann termine sa lettre par ces paroles, dignes d'être remarquées : « Je proclame aussi hautement que possible que, tandis que j'ai vu de grands avanta­ges et beaucoup de bien résulter pour la vie publique de cette modification de nos lois, je n'y ai pu découvrir ni un mal ni un inconvénient, malgré les mauvais présages que la concession accordée aux femmes avait fait émettre aux adversaires de cette mesure ».

En Angleterre également, où dans un grand nombre de communes les femmes qui paient le cens jouissent du droit de vote3 il n'en est en aucune façon ressorti rien de fâcheux. Sur 27.946 femmes qui, dans 66 communes, possédaient le droit de voter, 14.415, soit plus de 50 %, prirent part au premier scrutin. Sur 166.781 hommes, à peu près 65 % y participèrent. En Allemagne aussi, par exemple en Saxe, le droit de vote est accordé à la femme, d'une façon tout exceptionnelle, il est vrai. D'après le code des communes rurales, elle a le droit « actif » de vote quand elle est propriétaire fon­cière et non mariée. Supposons le cas où, dans une commune, il se trouverait une majorité d'électeurs de cette catégorie : elles pourraient élire les deux tiers du conseil communal, mais il leur faudrait voter… pour des hommes. Dès que la femme prend un mari, elle perd son droit de vote qui passe sur la tète de celui-ci ; la propriété est-elle aliénée, ils perdent leur droit de vote tous deux. Le droit de vote n'est donc pas attaché à la personne, mais au… sol. Voilà qui en dit long sur la morale et sur les conceptions de l'État. Homme, tu n'es qu'un zéro, si tu ne possèdes ni argent ni bien ; la raison, l'intelligence sont des accessoires, elles ne comptent pour rien.

Maintenant, on objecte encore que le droit de suffrage des femmes est dangereux parce que la femme est facilement accessible aux suggestions religieuses et parce qu'elle est conservatrice. Bien ; mais elle n'est l'un et l'autre que parce qu'elle est ignorante. Qu'on fasse donc son éducation et qu'on lui apprenne où gît son véritable intérêt. Au reste, à mon avis, on s'exagère l'influence religieuse dans les élections. Si la propagande ultramontaine en Allemagne a été si fertile en résultats, c'est unique­ment et absolument parce qu'elle a mêlé l'intérêt social à l'intérêt religieux. Les calotins de l'ultramontanisme ont lutté avec les démocrates socialistes à qui révélerait la pourriture sociale. De là leur influence sur les masses. Dès l'instant où la paix sera faite dans le « Kulturkampf », ces messieurs seront obligés de se calmer, le feuillet se retournera, et l'on verra alors combien est mince la véritable influence religieuse. Cela s'applique aussi à la femme. Dès qu'elle aura entendu, par les hommes, dans les assemblées, par les journaux, dès qu'elle aura appris par sa propre expérience où se trouve son véritable intérêt, elle s'émancipera du clergé aussi rapidement que l'homme. Mais admettons que cela n'arrive pas ; cela pourrait-il constituer une raison équitable pour lui refuser le droit de vote ?

Les adversaires les plus acharnés du droit de suffrage des femmes sont les prêtres. Ils savent pourquoi. C'est leur puissance dans leur dernier domaine qui serait en cause. Que diraient les travailleurs si les libéraux voulaient abolir le suffrage uni­versel - qui leur est fort désagréable - parce qu'il sert de plus en plus aux socialistes ? Un droit bon en soi ne devient pas mauvais par le seul fait que celui qui l'exerce n'a pas encore appris à en faire bon usage.

Il va de soi que le droit de vote actif est lié au droit passif, autrement ce serait un couteau sans lame. J'entends encore cette objection : « Une femme à la tribune du Reichstag  ! Ce serait du propre » Nous avons déjà pris l'habitude de voir les femmes à la tribune dans leurs Congrès et dans leurs réunions, en Amérique aussi dans la chaire et au banc des jurés, pourquoi donc alors ne monteraient-elles pas également à la tribune du Reichstag ? On peut être certain que la première femme qui entrerait au Reichstag en serait une qui saurait s'imposer aux hommes. Lorsque les premiers représentants des travailleurs y entrèrent, on crut aussi pouvoir se moquer d'eux et l'on prétendit que les travailleurs ne tarderaient pas à s'apercevoir de la folie qu'ils avaient commise. Mais ils surent rapidement se faire respecter, et maintenant on craint qu'ils ne deviennent bientôt trop nombreux. Des plaisantins font cette objection frivole : « Représentez-vous donc une femme enceinte à la tribune du Reichstag ! Ce que ça manquerait d' « esthétique »  ! Mais ces mêmes messieurs trouvent parfaite­ment convenable que des femmes par centaines, et dans l'état de grossesse le plus avancé, soient employées aux occupations les moins « esthétiques », où dignité féminine, santé, mœurs, sont foulées aux pieds. C'est à mes yeux un triste individu que celui qui ne trouve que des plaisanteries pour une femme enceinte, quelle que soit la situation dans laquelle elle se trouve quand il la voit dans cet état. La seule pensée que sa propre mère a eu le même aspect avant de le mettre au monde devrait lui faire monter le rouge au visage ; et cette autre pensée que c'est, de par la nature, un homme qui a été le complice de cette position, et que lui-même, le brutal insulteur, attend d'un état semblable de sa femme la réalisation de ses vœux les plus chers, devrait le rendre muet de honte.

Si tout ne roulait que sur l'extérieur suffisamment esthétique des représentants du peuple, plus d'un parmi ces messieurs du Reichstag supporterait mal l'épreuve. Plus d'un d'entre eux est pourvu d'un embonpoint excessif qu'il ne doit pas à un effet primordial et essentiel de la nature, mais aux soins exagérés qu'il prend de sa chère personne, et par lequel il fait le plus grand tort à son caractère et à son intelligence. L'obésité est presque toujours le signe d'une existence de parasite, tandis que, pour une femme, la grossesse est un signe de santé physique, le témoignage de l'accom­plissement consciencieux d'une fonction naturelle. La femme qui fait des enfants rend à la collectivité un service pour le moins égal à celui de l'homme qui défend, au péril de sa vie, son pays et son foyer contre le pillage ennemi. De plus, la vie de la femme est mise en jeu à chaque maternité nouvelle ; toutes nos mères ont, à notre naissance, vu la mort de près, et beaucoup ont payé cet acte de leur vie. Le nombre des femmes qui meurent pendant leurs couches ou qui dépérissent de leurs suites est vraisem­blablement plus élevé que celui des hommes qui sont tués ou blessés sur le champ de bataille. Pour cette raison encore la femme a droit à l'égalité, notamment au cas où l'homme ferait valoir précisément ses devoirs de défenseur de la patrie comme un argument décisif contre la femme. D'ailleurs, en raison de nos institutions militaires, la plupart des hommes n'ont même pas à remplir ce devoir qui, pour la majorité d'entre eux, n'existe que sur le papier.

Toutes ces objections superficielles contre l'action de la femme dans les affaires publiques ne pourraient être formulées si la situation respective des deux sexes était naturelle, si elle ne constituait pas un antagonisme, dû à l'éducation, des rapports de maître à esclave, et si, dès l'enfance, elle ne séparait pas les deux sexes au point de vue social. C'est principalement cet antagonisme, dont le christianisme est coupable, qui tient constamment séparés l'homme et la femme, l'un au-dessus de l'autre main­tenus dans l'obscurité, et qui entrave leur liberté d'allures, leur confiance mutuelle, le développement réciproque complet de leurs qualités caractéristiques.

Un des premiers et des plus importants devoirs d'une société rationnelle sera de supprimer cette mésintelligence entre les deux sexes et de replacer la nature en pleine possession de ses droits. Dès l'école, on commence à agir contre la nature. On commence par séparer les garçons des filles ; puis on ne leur donne qu'une instruction fausse, voire nulle, sur tout ce qui concerne l'être humain considéré au point de vue sexuel. Pourtant aujourd'hui on enseigne l'histoire naturelle dans toute école passa­ble : l'enfant apprend que les oiseaux pondent des oeufs et les couvent ; on lui dit aussi à quelle époque se forment les couples, qu'il faut pour cela des mâles et des femelles qui se chargent de concert de construire le nid, de couver les oeufs et de soigner les petits. Il apprend encore que les mammifères mettent au monde leurs petits tout vivants ; on lui parle de l'époque à laquelle ces animaux entrent en rut et des combats que se livrent les mâles entre eux pendant ce temps ; on lui fait connaître le nombre habituel des petits, peut-être aussi la durée de la gestation chez la femelle. Mais on le laisse dans l'ignorance complète en ce qui concerne la formation et le développement de son propre sexe ; on lui cache cela sous un voile plein de mystère. Et lorsque l'enfant cherche à satisfaire par des questions à ses parents - il s'adresse rarement pour cela à son maître - son désir bien naturel de savoir, on lui fait avaler les histoires les plus bêtes, qui ne peuvent le contenter, et produisent un effet d'autant plus fâcheux lorsqu'un beau jour il apprend quand même le secret de sa naissance. Il doit y avoir peu d'enfants qui, à l'âge de douze ans, ne le connaissent pas déjà. Ajoutez à cela que, dans toute petite ville ainsi qu'à la campagne, les enfants ont sous les yeux, dès leur première jeunesse. L'accouplement de la volaille, le rut des animaux domestiques, et cela à proximité d'eux, dans la cour de la maison, dans la rue, quand les animaux sont menés au pâturage, etc. Ils entendent comment l'état de chaleur et son assouvissement chez les différents animaux domestiques, de même que la mise au monde de leurs petits font, de la part de leurs parents, des domestiques, de leurs frères et sœurs aînés, l'objet des discussions les plus approfondies et les moins gazées pendant les repas du matin, de midi et du soir. Tout cela fait naître dans l'esprit de l'enfant un doute au sujet de la description que lui a faite sa mère de sa propre entrée dans la vie. Le jour où il sait tout arrive quand même, mais dans des conditions bien différentes de celles dans lesquelles il serait venu si on avait suivi un système d'éducation naturel et rationnel. Le secret de l'enfant a pour conséquence de l'éloigner de ses parents et notamment de sa mère. Il arrive juste le contraire du résultat que l'on voulait atteindre par imprévoyance et manque de bons sens. Quiconque se rappelle sa propre enfance et celle de ses camarades du premier âge sait quelles sont fréquem­ment les suites de cet état de choses.

Il a été écrit sur ce sujet, par une américaine  [2], un livre dans lequel celle-ci nous dit entre autres choses que, pour satisfaire aux questions que lui posait sur son arrivée au monde son fils âgé de huit ans, et ne voulant pas lui faire de contes - ce qu'elle tenait pour immoral -, elle lui révéla sa véritable origine. L'enfant, raconte-t-elle, l'écouta avec la plus grande attention, et du jour où il sut ce qu'il avait coûté à sa mère de soins et de douleurs, il s'attacha à elle avec une tendresse et un respect jusque-là inconnus et reporta même ce respect sur les autres femmes L'auteur part de ce point de vue très juste qu'une éducation conforme à la nature peut seule avoir pour consé­quence nécessaire une amélioration sensible des rapports entre les deux sexes et notamment le développement du respect et de la retenue de l'homme à l'égard de la femme. Quiconque, libre d'idées préconçues, pense d'une façon naturelle, ne saurait arriver à une conclusion différente.

Quel que soit le point d'où l'on parte pour critiquer notre situation, on en revient toujours, en fin de compte, à ceci : une modification essentielle des conditions sociales et, par là, des rapports entre les sexes. Mais dès lors que la femme, livrée à ses propres forces, ne pourrait jamais atteindre ce but, il lui faut s'enquérir d'alliés, qu'elle trouve tout naturellement dans l'agitation prolétarienne considérée comme le mouvement d'une classe opprimée. Les travailleurs ont, depuis longtemps déjà, entre­pris de donner l'assaut à cette forteresse, l'État de classes, qui représente la domi­nation d'une classe aussi bien que celle d'un sexe sur l'autre. Cette forteresse, il faut de toutes parts l'entourer de tranchées et de chemins couverts ; il faut. employer des armes de tous les calibres pour l'obliger à se rendre. Notre armée trouve partout ses officiers et les munitions nécessaires. L'économie sociale et les sciences natu­relles, unies aux recherches historiques, à la pédagogie, à l'hygiène, et la statistique viennent à notre aide pour des raisons diverses ; la philosophie ne veut pas rester en arrière et nous annonce, par la« Philosophie de la délivrance », de Maïnland, la réalisation de l' « État idéal » comme étant d'un avenir prochain.

Ce qui facilite la conquête finale de l'État de classes actuel et son renversement, c'est la division qui règne parmi ses défenseurs qui, malgré leur association d'intérêts contre l'ennemi commun, ne s'en combattent pas moins constamment dans leur lutte « pour l'assiette au beurre ». Les intérêts des deux factions se combattent. Ce sont ensuite les révoltes qui éclatent chaque jour plus nombreuses dans les rangs de nos ennemis, dont les troupes, pour la plupart corps de notre corps, chair de notre chair, n'ont jusqu'ici combattu contre nous et contre elle-mêmes que fourvoyées par suite de malentendus, et en arrivent à voir toujours plus clair. Et ce n'est pas en dernier lieu qu il faut compter les désertions des hommes honorables appartenant aux milieux de nos adversaires, mais dont les yeux se sont dessillés, que leur haute science, leur connais­sance plus approfondie des choses, excitent à se soustraire aux misérables intérêts de classe et à l'égoïsme, et qui, obéissant à l'impulsion de leur idéal, apportent à l'huma­nité altérée de liberté le secours de leur enseignement.

Mais comme le degré complet de désagrégation où se trouvent déjà dès aujour­d'hui l'État et la société ne ressort pas encore clairement aux yeux de beaucoup de gens, bien que nous en ayons à maintes reprises montré les parties sombres, il est nécessaire d'en faire aussi l'exposé. C'est le sujet du chapitre suivant.


Notes

[1] Bridel : « Puissance maritale ».

[2] Womanhood : its Sanctities and Fidelities by Isabella Beecher-Hooker. Boston : Lee and Shepard, Publishers. New-York : Lee Shepard and Dillingham, 1874.


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