1948 |
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS
EUX-MÊMES |
Voix des Travailleurs nº 34
11 février 1948
La politique du pire, que mène la bourgeoisie, ce n'est pas seulement nous, au nom des ouvriers, qui la dénonçons. Il se trouve de bons prophètes, au sein de la bourgeoisie elle-même, pour se rendre compte de ses conséquences catastrophiques.
M. Rémy Roure, dans Le Monde des 200 familles, parle des "salaires qui ne correspondent plus au coût de la vie", des "gouvernants qui ne parviennent pas à stabiliser les prix", de "l'éternel cri de misère qui s'élève encore en février 1948", comme en février 1848.
Alors, M. Rémy Roure demande à la bourgeoisie de ne pas aller trop loin, de tenir compte des "leçons de l'Histoire". Cela fait bien dans un article de journal. Mais que sont, en réalité, ces bourgeois dont fait partie M. Roure, et jusqu'où peuvent-ils aller ?
Ecoutez plutôt cette petite histoire, une entre tant d'autres, qui se passait tout récemment un jour en fin de quinzaine chez Renault (Dép.6, Atelier 30) :
Deux ouvriers, n'ayant plus un sou en poche, même pas de quoi payer la nourriture qui doit leur permettre de faire leur journée, demandèrent de manger à la cantine, à crédit. Ils s'offraient à payer le lendemain, puisqu'ils devaient toucher la paye dans l'après-midi.
Tout ce qu'ils obtinrent, après une discussion un peu vive avec la gérante, qui ne voulait pas "marcher dans cette affaire", c'est que les gardiens furent appelés et, comme il se doit, firent leur rapport.
Quelques jours après, les deux ouvriers furent mandés par le chef du personnel. Estimant qu'un fait comme celui de ne pas pouvoir se payer la nourriture en échange d'un travail aussi pénible qu'est celui de métallurgiste méritait bien une sanction, M. le chef du personnel décida d'infliger... AUX OUVRIERS, une mise à pied, c'est-à-dire une diminution de leur salaire !
Un des ouvriers convoqués n'était pas présent. Pour quel motif ? Cause de maladie. Eh bien, il fera sa mise à pied quand il reviendra !
Hélas ! la sanction ne sera pas appliquée, l'ouvrier, entre-temps, étant mort d'une congestion cérébrale : mort d'épuisement, mort d'inanition.
Ce n'était pourtant pas un mendiant. Ce n'était pas un vagabond, dont la misère hideuse s'étale "normalement" en société capitaliste ; ni même un chômeur. C'était un ouvrier qui travaillait, jusqu'à dix heures par jour, pour fabriquer les voitures pour l'exportation. Mais, parce que son salaire était un salaire de misère, il n'avait même pas le droit de bénéficier, pour un jour, de crédit à la cantine.
Il est fâcheux, pour M. le chef du personnel et son patron, que cet ouvrier soit mort si spectaculairement, soulevant ainsi un coin du voile de l'hypocrisie officielle qui cache l'exploitation sanguinaire dont meurent, avant l'âge, la plupart des travailleurs.
Les bons prophètes du genre de M. Roure ont beau prêcher aux capitalistes. Cela ne changera rien à leurs actes. Comme les requins se nourrissent de chair vivante, le Capital, lui, s'accroît de la substance vitale du travailleur.
Les requins du Capital, on ne leur tient pas de prêche. C'est en oeuvrant à leur renversement que les travailleurs éviteront la mort lente d'une rosse abrutie, épuisée et servile, au service du Capital.
LA VOIX DES TRAVAILLEURS
Devant la faillite des soi-disant mesures contre la hausse (plan Mayer, retrait des billets de 5.000 francs, etc...), le gouvernement annonce de nouvelles "mesures". Lesquelles ? Il paraît que le gouvernement est très divisé à ce sujet, les ministres se partageant en tendances "libérale" et "dirigiste" !
Mais, en ce qui concerne les prix, quelles que soient leurs "doctrines", le résultat a toujours été le même : la hausse continuelle. De même que leur doctrine commune est toujours restée la même sur un seul point : le blocage des salaires.
Malgré cela, devant la hausse accélérée des prix, les bourgeois, pour décourager les ouvriers de nouvelles revendications, n'hésitent pas à prendre les devants et à ressortir la vieille rengaine déjà presque abandonnée : la hausse des salaires provoque la hausse des prix. En effet, expliquent-ils, pendant novembre et décembre, quand, par suite de la grève, les ouvriers n'avaient pas de quoi acheter, les prix n'ont pas augmenté. Aussitôt que les salaires ont été relevés, la demande a augmenté et les prix ont monté. En réalité, donc, si les ouvriers ne mangeaient pas, les prix n'augmenteraient pas.
Si les ouvriers ne mangeaient pas... Mais les ouvriers en sont, effectivement, presque arrivés à ce point. Même avec leurs 30% théoriques d'augmentation, ils pourront acheter moins qu'ils ne le pouvaient avant. Comment la demande ouvrière, qui est à quelque 47% de ce qu'elle était en 1938, face à une production qui dépasse celle de 1938, pourrait-elle provoquer la hausse ? La vérité, c'est que les capitalistes exportent le plus clair de la production. Et les ouvriers peuvent se serrer la ceinture tant et plus, les prix n'en augmenteront que davantage.
Avec leurs faux prétextes, ces messieurs veulent jeter de la poudre aux yeux des ouvriers, alors que, par ailleurs, les mesures qu'ils avaient soi-disant prises contre la hausse des prix devaient automatiquement entraîner celle-ci. ILS DISCUTENT MAINTENANT A PERTE DE TEMPS SUR DE NOUVEAUX ETAIS A DRESSER, APRES AVOIR, D'UN AUTRE COTE, OUVERT LARGEMENT LES DIGUES : HAUSSE DES PRIX INDUSTRIELS DECRETEE PAR LE GOUVERNEMENT, DEVALUATION.
Malgré les préjugés répandus par les capitalistes et leurs agents, à la politique de hausse de la bourgeoisie, il n'y a qu'une réponse : imposer l'échelle mobile des salaires, c'est-à-dire l'adaptation automatique, à chaque paye, de l'indice des salaires à celui des prix.
Cette revendication est si bien justifiée par la réalité que les dirigeants de la C.G.T., après l'avoir combattue pendant des années, ont été obligés d'en admettre le principe, estropié d'abord sous forme de revalorisation trimestrielle. Mais bientôt, devant les faits, c'est tous les mois qu'ils ont été obligés de réclamer la revalorisation du salaire.
Sans ce minimum de garantie du pouvoir d'achat, les capitalistes pousseront effectivement les ouvriers à la "solution économique" de ne plus manger.
La semaine dernière, les Indochinois, actuellement parqués dans des camps de travail, en France, ont répondu, unanimes, par la grève de la faim, à l'arrestation arbitraire d'un de leurs représentants : Tran Ngoc Danh, délégué officiel du Viet-Minh à Paris.
La riposte du gouvernement Schuman ne s'est évidemment pas fait attendre : aussitôt, perquisitions et rafles ont été effectuées, par la police, dans tous les camps. Ce que la presse bourgeoise, fondant alors en un seul choeur de louanges émues autour du cadavre de "l'apôtre de la non-violence", Gandhi, s'est empressée de démentir et de qualifier, honteusement, d'opérations de recensement (Le Monde).
Or, ces travailleurs, au nombre de dix mille, ont été amenés de force en France, au début de la guerre. "Ils ont connu la vie du front avec ses dangers, les camps de prisonniers avec leurs atrocités. Beaucoup parmi eux sont sous l'uniforme depuis dix ans et tous, depuis bientôt huit ans, n'ont reçu aucune nouvelle des leurs", relations-nous dans La Voix numéro 27.
Chaque fois que les soldats vietnamiens, à bout de forces, ont réclamé leur démobilisation et leur rapatriement, le gouvernement français a répondu par la provocation, la torture, les attaques aux grenades lacrymogènes, les emprisonnements en masse et les travaux forcés.
De terribles conditions de vie, la répression incessante la plus féroce n'ont cependant pas réussi, pas plus en France qu'en Indochine, à briser le courage et la volonté de lutte acharnée des Vietnamiens.
Les travailleurs français ne peuvent pas rester indifférents aux souffrances et aux luttes de leurs frères opprimés des colonies. Seules, en effet, la fraternisation et la lutte solidaire des travailleurs français et vietnamiens peuvent mettre fin aux massacres d'Indochine, source de misère et de souffrances pour tous, et assurer le triomphe des forces de paix sur les forces de guerre.
P.S. - Au défilé du 8 février, organisé par la C.G.T., la police a attaqué les Vietnamiens qui avaient osé porter une pancarte contre Bao Daï, ex-empereur d'Indochine et protégé de la finance parisienne.
Depuis certaines déclarations officielles, on savait Vincent Auriol inviolable (et on prétend que nous sommes encore en République !). Mais Bao Daï ? Simple prétexte pour taper dans le tas.
La loi bourgeoise concernant les élections de délégués ouvriers dans les entreprises dresse mille obstacles à la candidature des ouvriers du rang, tandis qu'elle donne toute facilité aux organisations et aux individus soutenus par le patronat. Cela explique pourquoi le S.D.R., qui est incontestablement la deuxième force syndicale de chez Renault (après la C.G.T. frachoniste), se voit contester la "représentativité" et le droit de présenter des candidats aux élections partielles du 24 février, alors que les pionniers d'une "Force ouvrière" inexistante, forts de l'investiture patronale, peuvent le faire.
De sorte que ces élections, loin de permettre aux travailleurs d'élire des délégués de leur choix, n'ont d'autre but que de permettre à la direction de "lancer" ses nouveaux favoris.
A ces derniers, le vin est bien vite monté à la tête. Ils vendent déjà la peau de l'ours à qui veut l'acheter et n'ont pas hésité à proposer au S.D.R. le marché suivant : "Soumettez-vous à la discipline et vous figurerez sur nos listes." Donnant, donnant : Faites suivant notre volonté (celle de M. Lefaucheux) et il n'y aura plus d'obstacles à votre action dans l'usine...
Sans le savoir, ces petits messieurs de Force Ouvrière répétaient la proposition honteuse que les représentants frachonistes de la C.G.T. avaient déjà faite fin mai 1947 aux dirigeants de l'ex-Comité de grève, venus leur demander de nouvelles élections syndicales : "Soumettez-vous à la discipline : faites rentrer l'argent et NOUS vous reconnaîtrons comme Commission exécutive." Autrement dit, monnayez la confiance, que vous venez de gagner auprès des ouvriers par votre action, contre des places dans la HIERARCHIE syndicale ! Les dirigeants de Force Ouvrière démontrent ainsi qu'en quittant la C.G.T., soi-disant pour faire respecter la démocratie, ils n'ont pas dépouillé la défroque du bureaucrate.
Ils oublient seulement à qui ils ont affaire. Si les dirigeants du Comité de grève avaient eu l'intention de "se caser" dans la hiérarchie, ils l'auraient fait quand les bureaucrates leur parlaient au nom d'une C.G.T. "forte de 6 millions d'hommes", et non pas d'une fraction derrière laquelle, s'il y a une force, c'est celle du patronat et nullement celle des ouvriers ; s'ils avaient eu l'intention de se vendre, ils se seraient vendus non pas aux valets : c'est-à-dire à "Force Ouvrière", mais directement au maître, c'est-à-dire à M. Lefaucheux, au moment de la grève !
Certes, il n'y a pas de quoi s'étonner que ces bureaucrates aient fait des propositions aussi honteuses et aussi anti-démocratiques. Pour ces petits bonshommes, c'est le soleil qui tourne autour de la terre et tous les efforts humains n'ont qu'un but : "une bonne petite place" ! L'arrêt de la chute catastrophique du niveau de vie des travailleurs et le relèvement du pays, la sauvegarde des droits démocratiques de la classe ouvrière et la lutte révolutionnaire pour le socialisme, tout cela, c'est le moindre de leurs soucis, eu regard à leur "place au soleil"... capitaliste.
Mais les dirigeants du Comité de grève n'ont pas déclenché le mouvement dans toute l'usine Renault et lutté pour la grève générale, pour finir au service du patronat. Ils n'ont pas soulevé des montagnes pour accoucher d'une souris. Ils savaient que si, au lieu de capituler devant les exigences des bonzes frachonistes, ils créaient un syndicat de base indépendant - ce syndicat serait en butte à toutes les difficultés que peuvent susciter, ensemble et séparément, l'Etat et la bureaucratie syndicale.
Mais ils savaient également que la sauvegarde des intérêts des ouvriers ne peut être obtenue qu'à ce prix : savoir résister jusqu'au bout à toutes les pressions que les ennemis des travailleurs ne manquent jamais de susciter aux véritables défenseurs des travailleurs. Et ils savent que, quelle que soit la force apparente actuelle de leurs persécuteurs, leur action, basée entièrement sur la clairvoyance et le dévouement des travailleurs, sera, tôt ou tard, victorieuse. Et plus les difficultés à vaincre seront grandes, plus la victoire sera complète.
A. MATHIEU
A
la R.N.U.R.
POUR
LES ELECTIONS PARTIELLES DES DELEGUES
DU 24 FEVRIER,
Dans des conciliabules secrets, comme il se doit quand on prépare un mauvais coup, la direction de la R.N.U.R. a enfin fixé des élections partielles pour le remplacement des délégués du personnel manquants.
La direction a finalement choisi de déroger à la loi qui autorise seulement des élections générales ; car il s'agit, cette fois-ci, de répondre à la demande de ses bons amis de "Force Ouvrière", et ils ont manigancé ensemble pour faire échec aux candidatures S.D.R.
Ces élections vont donc avoir lieu le 24 février.
Peuvent se présenter au premier tour, seulement les organisations reconnues "représentatives". Or, "Force Ouvrière", qui n'est même pas encore organisée et constituée légalement en syndicat d'usine, a été d'emblée reconnue organisation représentative. Elle a été, en conséquence, convoquée avec la C.G.T. et la C.F.T.C., à la signature du protocole qui détermine les modalités du vote. Ce protocole, Force Ouvrière l'a signé des deux mains, sans même l'avoir discuté.
La seule organisation qui n'ait pas été convoquée à la signature du protocole, c'est le S.D.R. Or :
1° le S.D.R. a été la première organisation à réclamer, dès le mois d'octobre, les élections ;
2° le S.D.R. légalement reconnu depuis juillet 1947, dont les responsables sont ceux du Comité de grève de mai, est, par son activité syndicale comme par la sympathie qu'il rencontre auprès des ouvriers, la DEUXIEME FORCE SYNDICALE DE L'USINE.
TOUTES les organisations syndicales auraient dû participer à la discussion du protocole déterminant le mode d'élection des délégués. Il n'y a pas l'ombre d'un motif qui ait pu permettre légalement l'exclusion du S.D.R. Le motif véritable : c'est la complicité de la direction avec les bureaucrates syndicaux pour imposer aux ouvriers le choix entre des organisations agréées par elle. C'est pour cela qu'on refuse au syndicat issu du Comité de grève de mai, ce qu'on accorde à Force Ouvrière, qui n'existe même pas en tant que syndicat !
Si la C.G.T. représente une politique de faillite ; son opposition au mouvement de mai et l'échec de novembre ; si Force Ouvrière représente la fidélité à Jouhaux et la servilité envers le patronat, le S.D.R. représente l'action du mois de mai et l'opposition continuelle à la politique patronale antiouvrière.
C'est pour cela que la direction, avec la complicité des bureaucrates syndicaux, s'essaie à lui contester sa "représentativité".
Le S.D.R. avait reçu d'un représentant de la direction la promesse verbale d'être convoqué à la signature du protocole. Promesse de mauvaise foi ! Le comportement malhonnête de la direction et des bureaucrates syndicaux, vis-à-vis du S.D.R., prouve assez que ce qu'ils lui reprochent, ce n'est que... son attachement aux intérêts ouvriers.
Mais les élections de délégués du personnel ne sont pas des élections de valets du patronat, mais de représentants chargés de défendre les intérêts des ouvriers et responsables envers eux.
Les ouvriers doivent donc manifester fermement leur volonté de s'opposer aux mesures antidémocratiques perpétrées contre eux.
Si le S.D.R., qui lutte pour la libre candidature de tous les ouvriers, pour la proportionnelle intégrale et la révocabilité par les ouvriers des délégués ne donnant pas satisfaction, n'est pas admis à présenter ses candidats, BOYCOTT AU PREMIER TOUR. En s'abstenant de voter au premier tour, les travailleurs gagneront quand même la partie, car la loi bourgeoise prévoit, si 50% des votants s'abstiennent, un DEUXIEME TOUR où toutes les organisations peuvent se présenter.
Pierre BOIS
...CHEZ RENAULT
La Direction de la R.N.U.R. vient de faire connaître au personnel, par une circulaire, comment elle applique la loi sur les salaires. Pour un O.S.2 qui touchait jusqu'à aujourd'hui 40,30 frs. de salaire de base, le nouveau taux est fixé à 43,90 frs. au lieu de 48,30 frs. qu'autorise la loi. Ce qui se traduit par un vol de 4,40 frs. qui va s'agrandissant au fur et à mesure que le taux de base s'élève : 6,40 frs. pour 130 de production, presque 7 francs (6,96 frs) pour 140, etc...
En ajoutant les 10 francs de vie chère, 5,10 frs. de prime à la production, le nouveau salaire horaire pour un coefficient de production de 130 devrait être de 77,90 frs. alors qu'il sera de 71,52 frs. Nous serons de 6,40 frs. au-dessous du minimum légal autorisé, alors qu'à la suite de nos luttes, nous étions de 4,30 frs. au-dessus.
La loi prévoit que les avantages acquis seront conservés, mais la circulaire est muette à ce sujet. Elle justifie le taux de base inférieur en déclarant que cela permettra aux ouvriers de réaliser jusqu'à 152% de boni, sans dépasser le salaire maximum, prévu par la loi.
En d'autres termes : "Si nous vous donnions ce à quoi vous avez droit (48,30 frs. de salaire de base), vous n'auriez pas besoin de produire plus pour avoir votre minimum vital, tandis que, de cette manière, il vous faudra travailler plus fort", pour le plus grand bien des actionnaires évidemment.
Nous disions, dans un précédent article, que cette loi était conçue et rédigée en termes volontairement vagues, afin d'en permettre une application au mieux des intérêts patronaux. C'est ce qui est arrivé. A la R.N.U.R., aucun rajustement ne peut se faire sans circulaire ministérielle en prescrivant les modalités ; c'est donc du gouvernement qu'émane ce "sabotage" de la loi.
Le fait n'est pas isolé. Chez Morane, les ouvriers ont débrayé une heure pour réclamer l'application de l'augmentation. A la S.N.C.A.C., à Billancourt, il y a eu un mouvement pour la même cause. Or, ces usines sont toutes deux "nationalisées" et soumises en conséquence aux circulaires ministérielles. Le fait se produit également dans l'industrie privée : grève perlée en Lorraine chez les mineurs du fer, à Fécamp chez les métallos... Partout les patrons reprennent, avant de l'avoir donné, ce que le gouvernement a fait semblant d'accorder. Les dirigeants de la C.G.T. protestent aujourd'hui, mais rappelons leur attitude en mai dernier, lors de la grève Renault : aux 10 francs sur le taux de base que réclamait le Comité de grève, ils opposaient une prime de production : c'est ce que les patrons font aujourd'hui.
S'ils veulent protester efficacement, qu'ils envisagent avec tous les ouvriers, toutes les organisations syndicales, une action concentrée comme le demande le tract du S.D.R. du 9 février.
Comment le directeur calcule la paye
Pour calculer la paye chez Renault, pour un O.S. il fallait jusqu'à la dernière augmentation :
1. Prendre le taux de base du manoeuvre (28), le multiplier par le coefficient hiérarchique (127). Cela donnait 36 francs, qu'on appelle le minimum légal.
2° Pour avoir le taux de base de l'O.S.2, il fallait ajouter au minimum légal d'abord 3 fr.30 représentant la partie de la prime de production incluse dans le taux de base lors des 11%. Puis 1 franc supplémentaire acquis au mois de juillet.
Cela donnait 36 + 3,30 + 1 = 4O,30 de taux de base (*).
3° Il fallait ensuite appliquer le coefficient de production. Prenons par exemple 140 p. cent ou 84' dans l'heure, ce qui est courant. On avait alors 40,30 x 1,40 = 56,40 taux réalisé (*) (taux de base + boni).
4° Il fallait ensuite ajouter la prime progressive de production (P.P.P.), sur laquelle les ouvriers n'ont aucun contrôle puisqu'elle est fixée sur l'ensemble de l'usine, et qui se chiffre actuellement par environ 5 francs de l'heure.
5° Il fallait ajouter la prime horaire de 10 francs de vie chère.
Aujourd'hui, la direction fixe arbitrairement et illégalement le taux de base à 43 fr.90 et calcule la paye de la même façon, soit :
Avant | Après | |
Taux de base | 40,30 | 43,90 |
|
| |
Taux réalisé (à 140%) | 56,40 | 61,46 |
P.P.P | + 5 | 5 |
Vie chère | + 10 | 10 |
------ | ------ | |
71,40 | 76,46 |
(*) Ces taux figurent en haut et à gauche de la fiche de paye.
...DANS LES PETITES BOITES
(Halftermeyer, Montreuil)
Les textes gouvernementaux réglementant les salaires sont tellement compliqués qu'il est facile aux patrons de tourner et de violer la loi. Mais, dans les petites boîtes où la résistance ouvrière est plus faible, les patrons font ce qu'ils veulent, au mépris de toute légalité.
C'est ainsi que chez Halftermeyer, maison d'appareillage électrique, à Montreuil, le patron paye ses ouvriers au-dessous du minimum légal.
Une ouvrière de dix-sept ans qui devrait toucher au minimum 80 pour cent du salaire minimum vital, soit 52,50 x 80 : 100 = 42 francs, est, en fait, réglée à 30 francs de l'heure.
Du 24 novembre 1947 au 15 janvier 1948, le patron a escroqué aux ouvrières plus de 3.900 francs.
Non seulement la direction empoche des superbénéfices en faisant travailler des jeunes filles qui, légalement, ne touchent que 80 pour cent du salaire des adultes, alors qu'elles produisent autant que les adultes, mais encore elle les vole en les payant en-dessous du minimum vital.
Un camarade mobilisé nous écrit d'Afrique Occidentale Française :
"... Des défilés imposants de troupes ont lieu très souvent dans les villes indigènes...
"... Certains Arabes possèdent des papiers, signés du commandant, les autorisant à pénétrer dans la caserne pour chercher dans les poubelles ce qu'ils pourraient y trouver de nourriture..."
Il y a deux mille ans, les empereurs romains, pour faire oublier au peuple le poids de sa servitude, lui donnaient du pain et des jeux (panem et circenses).
Aujourd'hui, aux colonies, en fait de pain, quelques "privilégiés" parmi les millions d'esclaves faméliques, ont le droit de chercher leur nourriture dans les poubelles... de l'armée venue leur apporter soi-disant la civilisation et le bien-être.
Quant aux jeux, les peuples coloniaux ont, pour se distraire, et surtout pour admirer la force de leurs puissants colonisateurs, le spectacle régulier des défilés des troupes destinées à leur répression !
Pour résoudre la crise qui menace, là-bas aussi, le gouvernement britannique vient de bloquer les salaires, mesure qui ne se fait pas particulièrement remarquer par son originalité.
Selon lui, "dans les circonstances actuelles, rien ne justifie un accroissement général des revenus personnels en espèces" ; ce qui signifie, une fois traduit, que les besoins des travailleurs et rien, c'est tout comme aux yeux des ministres anglais. Si cela ne ressortait clairement, il suffirait pour s'en convaincre de lire Le Monde, qui, lui, explique tout crûment que ce qui a amené le gouvernement anglais à bloquer les salaires, c'est tout simplement la "nécessité de réduire les prix des produits manufacturés destinés à l'exportation". On ne saurait être plus clair : que crèvent les ouvriers, pourvu que les bourgeois puissent exporter ! D'ailleurs, Le Monde ne cultive pas du tout la politesse anglaise : c'est un spécialiste de la franchise. Ne préconise-t-il pas, dans le cadre des mesures destinées à "encourager les exportateurs" – genre dévaluation et retrait des billets de 5.000 – le chômage comme moyen de faire baisser les prix ? Le raisonnement est très simple : les chômeurs n'ayant pour ainsi dire pas de pouvoir d'achat, il y a moins de demande, les prix baissent et les exportateurs sont avantagés par rapport à leurs concurrents étrangers. Quant aux chômeurs, qu'ils se débrouillent.
C'est vraiment génial. Mais une chose à laquelle ne semblent pas avoir pensé les gouvernants français, anglais et autres, c'est qu'à force d'encourager l'exportation au détriment des "populations intérieures", il ne reste de par le monde que des populations affamées et appauvries.
En Angleterre, les mesures prises par le gouvernement ont déjà entraîné la protestation des Trade-Unions et, étant donné que plusieurs millions de travailleurs avaient depuis quelque temps déposé des demandes d'augmentation de salaires, il faut s'attendre à une recrudescence des mouvements revendicatifs dans ce pays.
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