1947 |
PRIX : 3 francs – 17 SEPTEMBRE 1947 |
La Voix des Travailleurs Renault nº 19
17 septembre 1947
C'est avec indifférence que les travailleurs de chez Renault, qui se trouvent habituellement entre 12 h. 30 et 14 heures sur la place Nationale, ont écouté Raymond Guyot venu leur parler au nom du P.C.F.
Qu'est venu faire, à Boulogne, le membre du Bureau politique du P.C.F. en ce moment où les masses laborieuses, lassées des promesses, se montrent disposées à combattre de toutes leurs forces, PAR L'ACTION DIRECTE, la politique de famine de la bourgeoisie et de son Etat ? Lancer un appel aux travailleurs de chez Renault pour qu'ils soient prêts à renforcer le mouvement gréviste de toute la France ? Non ! R. Guyot est venu leur demander leurs voix aux prochaines élections municipales. Il n'a pas parlé pour les exploités en lutte, il a lancé un appel électoral en faveur du P.C.F.
"IL Y AURAIT EU QUELQUE CHOSE DE CHANGE, a-t-il dit, si MAURICE THOREZ, au lendemain des élections du 10 novembre 1946, conformément aux résultats du scrutin, AVAIT FORME LE GOUVERNEMENT". SI...
Mais comme les "si" n'ont pas empêché Thorez de se contenter d'une place plus modeste et de collaborer au premier gouvernement Ramadier ; et comme les élections municipales ne peuvent, en aucun cas, procurer ce que trois élections législatives lui ont constamment refusé – une majorité électorale – la conclusion de Guyot est plus que modeste : les prochaines élections doivent simplement "RAMENER la France dans des chemins plus démocratiques". Autrement dit, revenir de Ramadier soutenu par une majorité parlementaire de droite : bonnet blanc, à un Ramadier soutenu par une majorité parlementaire de gauche : blanc bonnet. Faute de pouvoir changer quelque chose dans le système qui opprime les masses, Thorez est toujours disposé à en obtenir quelques portefeuilles ministériels... Et voilà pourquoi au dernier Comité central, par sa bouche, "produire d'abord revendiquer ensuite" redevient le mot d'ordre du P.C.F. Comme on comprend que les ouvriers de chez Renault n'aient montré aucun enthousiasme !
C'est, bien entendu, au nom de la démocratie que les Thorez et Guyot mènent leur campagne bassement électoraliste. Mais de QUELLE démocratie s'agit-il ? Prétendre qu'on respecte la volonté populaire en subordonnant l'action dont dépend le sort des masses travailleuses au résultat des élections, c'est en réalité "capituler devant la bourgeoisie" et TROMPER LE PEUPLE.
En effet, aux élections, les soutiens de la bourgeoisie, qui détient entre ses mains la presque totalité des moyens matériels, ne se présentent pas sous leur véritable visage. Ils se présentent derrière des programmes trompeurs et utilisent des préjugés vieux de plusieurs siècles dans la société. Pourquoi l'électeur chrétien n'élirait-il pas un M.R.P., plutôt qu'un socialiste ou un communiste, puisque dans le programme du M.R.P., comme dans celui de tous les partis, on trouve les mêmes phrases générales ? Quand on examine le programme de tous les partis, y compris le R.P.F., concernant les remèdes à la situation désastreuse, ne trouve-t-on pas les mêmes banalités ? Produire (suer), économiser (suppression de leur gagne-pain aux petits employés), plus d'inflation (impôts), etc. Mais une fois élus, rien n'empêchera les partis de servir leurs véritables maîtres, ceux qui les ont payés et patronnés aux élections : les capitalistes.
SI LES ELECTIONS REPRESENTAIENT VRAIMENT LA DEMOCRATIE, LA MAJORITE DU PEUPLE FRANÇAIS SERAIT-ELLE DANS L'OBLIGATION, MAINTENANT, EN PLUS DE SON TRAVAIL EXTENUANT, DE MANIFESTER DANS LES RUES, DE SE METTRE CONSTAMMENT EN BRANLE POUR DEFENDRE SON PAIN QUOTIDIEN ?
Mais si derrière une "étiquette" politique, les masses ne peuvent que rarement découvrir l'exploiteur, dans la vie de tous les jours il en va tout autrement. Qui ne reconnaît, indépendamment de ses préférences idéologiques, le trafiquant, le spéculateur, le parasite ? Qui ne voit d'où vient le mal et où est la solution ? Dans la vie de tous les jours, où les masses ont pour ainsi dire les choses A LA PORTEE DE LEUR MAIN, elles peuvent saisir presque unanimement contre quoi il faut lutter et combattre. C'est pourquoi, dans l'action directe qui secoue actuellement la France, non seulement toute la classe ouvrière (indépendamment des affiliations syndicales ou politiques), mais également les petites gens se sont trouvées unies. LA VOILA LA VERITABLE MAJORITE, LA VOILA LA VERITABLE DEMOCRATIE.
Mais à cette démocratie, qui groupe, d'un côté la majorité écrasante du peuple, d'un autre côté la petite minorité d'exploiteurs et leurs serviteurs (la bureaucratie, la caste des officiers, la police, en un mot l'Etat bourgeois), les valets politiciens "démocrates conséquents" se gardent bien de se soumettre. Elevés sur le dos des travailleurs, se nourrissant au râtelier capitaliste – pour les chefs du P.C.F. le régime électoral est, pour cause, le mode d'existence idéal. Mais là se limite toute leur démocratie. Quant à la démocratie véritable, celle des masses ouvrières et paysannes et des petites gens en lutte contre les exploiteurs, de celle-ci, ils ont autant horreur que les capitalistes eux-mêmes. "La grève générale est une idiotie" déclarait Duclos il y a quelques semaines à peine...
Si les chefs du P.C.F. voulaient réellement être des "démocrates conséquents", c'est-à-dire respecter la volonté de la majorité de la population, ils n'attendraient pas les élections pour mettre en avant des étiquettes vides. Ils appuieraient de toutes leurs forces le mouvement actuel, le coordonneraient, lui donneraient un but clair, compris par tous les exploités, le mèneraient à la victoire sur la poignée de milliardaires qui pillent la France.
Mais leur attitude, au contraire, est le seul obstacle à la victoire des masses. Pour vaincre la classe capitaliste, les travailleurs doivent par conséquent, avant tout, vaincre la bureaucratie dirigeante qui les paralysent.
Mais, quels que soient les agissements des bureaucrates rétrogrades et leur succès plus ou moins grand, la véritable démocratie OUVRIERE ET PAYSANNE est en marche et RIEN NE POURRA L'ARRETER. Avec beaucoup de peine et de mal, elle arrivera à créer un gouvernement démocratique, c'est-à-dire un gouvernement appuyé non plus sur l'Etat bourgeois, mais directement sur les masses organisées : le GOUVERNEMENT OUVRIER ET PAYSAN.
La Voix des Travailleurs
Dans son communiqué du 13 septembre, l'Union des Syndicats (C.G.T.) de la Région Parisienne vient de désavouer ouvertement le mot d'ordre de grève générale, voulue par la majorité de la classe ouvrière, y compris les responsables de base de la C.G.T.
Alors que la province secouée par un grandiose mouvement de masse, attendait que Paris couronne cette lutte pour que la force unie des travailleurs devienne irrésistible, les dirigeants cégétistes ont décidé de ne rien faire. Ils consolent les ouvriers avec la baisse du prix des pommes de terre ou l'attribution de 100 grammes de saindoux !
Ce sont les incidents qui viennent d'avoir lieu en province (au Mans, à Alençon), qui leur servent cette fois-ci, de prétexte pour renoncer à unifier l'action ouvrière. Ils essaient d'effrayer les ouvriers avec les éléments provocateurs "attentifs à exploiter le mécontentement des travailleurs".
Mais, cette fois-ci, ce sont les dirigeants de la C.G.T. qui en brandissent l'éventail. Il faut renoncer à la grève générale, parce que les provocateurs la détourneraient de son but. Et ce serait la peur de quelques éléments provocateurs (qui ne peuvent tout de même pas se compter par millions) qui fait reculer la C.G.T., forte, prétend-elle, de 6 millions d'hommes, de sa "discipline" et de sa "clairvoyance" devant toute action. Quelques trublions suffisent pour la paralyser.
Cependant la décision de l'Union des Syndicats de renoncer à l'action est prise contre la volonté des ouvriers, comme est dirigé contre leur volonté le mot d'ordre "produire pour faire baisser les prix", que les chefs cégétistes viennent de reprendre à la suite de Ramadier. A aucun moment, la base des syndicats, la masse des travailleurs, n'a été consultée. C'est donc là qu'il faut chercher le secret des "provocations".
Les chefs cégétistes, parce que leurs intérêts sont étrangers aux véritables intérêts des syndiqués, agissent toujours en dehors de la volonté de la base. Alors que les travailleurs ne peuvent être défendus que par l'organisation de leurs luttes, les bureaucrates syndicaux inféodés à l'Etat et à la bourgeoisie, s'opposent de toutes leurs forces à toute lutte. C'est seulement quand les masses ouvrières s'ébranlent, contre leur volonté, qu'ils sont obligés de se mettre à la tête des manifestations, mais uniquement pour les détourner de leur véritable but et empêcher les travailleurs d'agir efficacement.
C'est ainsi que nous avons eu, au lieu d'actions véritables, des promenades comme celle du Champ-de-Mars ! Dans ces conditions, est-il étonnant que des travailleurs exaspérés fassent éclater leur colère dans des manifestations, qui ne sont peut-être pas toujours les meilleures, ou que des provocateurs essaient ici et là de les égarer ?
Si chaque action était démocratiquement organisée, c'est-à-dire décidée par la majorité des participants, après propositions diverses faites par n'importe quel ouvrier, organisé ou inorganisé, chaque manifestant saurait exactement ce qu'il aurait à faire, et les provocations seraient impossibles.
Par conséquent, la volonté de l'Union des Syndicats d'écarter l'action de la grève générale par peur des provocations, n'est qu'un mauvais prétexte pour masquer leur propre peur devant la volonté des ouvriers, leur propre peur devant la véritable démocratie.
Le moyen concret pour organiser démocratiquement les ouvriers sur le plan de l'usine a été proposé le 8 septembre par le Syndicat Démocratique Renault aux dirigeants de la C.G.T. et de la C.F.T.C. :
..."Chaque organisation, C.G.T., C.F.T.C., S.D.R., etc. doit soumettre, dans des ASSEMBLEES GENERALES DE TOUS LES OUVRIERS, dans chaque département, aux ouvriers de l'usine, un PLAN D'ACTION. Et ce sont les ouvriers qui choisissent, A LA MAJORITE, en même temps que le plan à suivre, les camarades chargés de diriger l'affaire avec L'OBLIGATION de faire des comptes rendus aux assemblées générales".
Bien entendu, les dirigeants syndicaux de la C.G.T. et de la C.F.T.C. ne pouvaient que refuser une solution qui, favorable aux ouvriers, aurait mis fin à leur action incontrôlée.
Mais l'unité ouvrière, indispensable à la classe ouvrière pour agir efficacement, n'est possible que de cette façon. Pour éviter toutes les provocations et aussi le sabotage des dirigeants de la C.G.T. la classe ouvrière doit agir de toutes ses forces pour créer des Comités d'usine, organes de l'ensemble des ouvriers. Les bureaucrates n'en veulent pas ? Mais les ouvriers peuvent passer outre, comme ils l'ont fait aussi quand il s'est agi de déclencher l'actuel mouvement gréviste. Ce que la classe ouvrière veut, elle le peut.
par Pierre BOIS
Dès avant les vacances, de nombreux camarades nous avaient suggéré de supprimer le sous-titre "Renault" de notre journal, afin d'en faciliter la diffusion dans les autres usines. Ces camarades constataient, en effet, que ce que nous disions aux ouvriers de chez Renault était valable pour les ouvriers d'ailleurs. Il est certain que dans ses principaux articles La Voix des Travailleurs exprimait un point de vue sur tous les aspects de la lutte ouvrière et de la lutte de classe en général.
Cependant, si nous avons hésité à enlever au journal son sous-titre "Renault", c'est parce que du point de vue de l'activité concrète, il reflète principalement la lutte dans notre usine.
Mais il apparaît de plus en plus que pour relier les usines les unes aux autres dans leur activité de tous les jours, il faut un journal qui s'adresse à tous les exploités et non seulement aux ouvriers d'une usine.
Aujourd'hui, de nombreux ouvriers de toutes les usines voudraient pouvoir lire un journal comme La Voix des Travailleurs. Et puisque pour eux les problèmes se posent de la même façon que pour nous, en élargissant notre journal à d'autres usines, non seulement nous ferons l'économie de forces que nécessiterait pour les différentes usines la création (très pénible) de journaux semblables au nôtre, mais encore nous aurons un instrument pour relier et unifier notre lutte à tous.
Déjà des camarades nous ont donné la liaison avec des ouvriers de chez Salmson, L.M.T., Citroën et plusieurs autres petites usines. Dans l'usine, de nombreux ouvriers connaissent des camarades de toutes les usines de la région parisienne qui pensent comme nous, qui voudraient agir, mais qui ne font rien parce qu'ils se sentent isolés. Nous faisons appel à tous nos lecteurs pour nous mettre en liaison avec ces ouvriers.
Là où il est difficile de créer une organisation de toutes pièces, il est relativement facile de regrouper des ouvriers autour de quelque chose qui existe déjà.
La Voix des Travailleurs peut devenir un instrument de regroupement des ouvriers de nombreuses usines. Le simple fait de la diffuser et de l'informer peut concourir à ce but.
Et si nos liaisons à l'extérieur ne sont pas encore suffisantes pour refléter entièrement la lutte quotidienne des ouvriers des autres usines, le journal sera, pour commencer, un moyen décisif pour leur faire connaître notre propre expérience.
Etendant son activité à d'autres entreprises, il est évident que le journal ne pourra plus se consacrer autant à certains détails de la vie syndicale de l'usine et qui n'intéressent que les ouvriers d'un atelier ou d'un secteur. Mais très rapidement le S.D.R. sera en mesure de publier son propre bulletin destiné à donner un compte rendu détaillé de l'activité syndicale dans l'usine.
Jusqu'à présent, La Voix des Travailleurs, née de la lutte chez Renault, avait dû limiter son activité à Renault. Aujourd'hui, son influence lui permet de déborder le cadre de notre usine.
A partir de la semaine prochaine, La Voix des Travailleurs-Renault deviendra La Voix des Travailleurs. C'est un pas en avant dans notre lutte. Camarades, au travail pour faire connaître La Voix dans les autres usines, pour recueillir des informations, lui trouver de nouveaux collaborateurs.
De plus en plus nombreux nous viennent les échos d'ouvriers cégétistes, pour la plupart membres du P.C.F., qui abandonnent la C.G.T., écoeurés des méthodes et des objectifs que préconisent les dirigeants appointés.
Lors de la manifestation du Champ de Mars, un grand nombre de responsables de la base s'est désolidarisé de cette "action". Certains ont malgré tout suivi "la discipline", mais ce qu'ils voulaient, c'était, comme ce délégué du 6, "y aller pour dire aux dirigeants que nous sommes mécontents et que nous voulons agir". Evidemment, au Champ de Mars, ils n'ont rien pu faire car la tribune des bureaucrates n'est pas facilement accessible.
Au département 18, un délégué, cégétiste à bloc, a donné sa démission. Au 6, un responsable, détaché de l'A.O.C., a depuis quelque temps déjà abandonné ses fonctions. Aux roulements à billes, un cégétiste qui, il y a quelque temps, se montrait particulièrement acharné contre les vendeurs de La Voix, a dit à une vendeuse : "Tout ce que vous dites dans votre canard, je l'approuve." Au département 49, plusieurs cégétistes, sans être absolument convaincus que ce soit nous qui ayons raison, commencent à trouver que la C.G.T. y va fort et qu'il serait temps de se remuer. Un cégétiste particulièrement acharné disait, il y a quelques jours, à un de nos camarades, après avoir arraché un article de La Voix qui avait été affiché : "Je n'ai pas entièrement confiance en votre syndicat". Ce à quoi notre camarade répondit : "Nous ne te demandons pas ta confiance, mais seulement de nous laisser dire ce que l'on a à dire."
Ainsi, de nombreux secteurs nous parviennent les échos d'ouvriers militants actifs de la C.G.T. et du P.C.F. qui se rendent compte que ça ne va pas et considèrent qu'après tout le S.D.R. n'a pas tous les torts. Mais le malheur c'est que ces ouvriers, pour la plupart, lorsqu'ils quittent leur organisation, abandonnent en même temps la lutte.
Nous ne leur demandons pas d'accepter comme argent comptant tout ce que nous disons, mais simplement de réfléchir et de juger. Nous ne leur demandons pas non plus d'entrer chez nous, de nous faire confiance, ou de prendre une responsabilité quelle qu'elle soit vis-à-vis de nous. Mais le fait que des organisations qui se soient usées et corrompues dans la lutte, que leurs dirigeants se soient compromis honteusement avec la bourgeoisie, cela suffit-il pour que ces militants, qui abandonnent de telles organisations, abandonnent aussi la lutte ? S'ils se sont engagés dans la lutte, ces camarades ne l'ont tout de même pas fait par amour d'un Jouhaux, d'un Frachon ou d'un Thorez. Et la trahison de ces derniers peut-elle leur faire abandonner une lutte pour laquelle ils ont consacré le meilleur de leur vie et de leur jeunesse ?
La lutte de la classe ouvrière pour son émancipation n'est-elle pas plus importante que tous les politiciens véreux qui se servent d'elle pour se tailler une part de l'assiette au beurre ?
Il ne s'agit pas d'avoir confiance dans les chefs, mais d'avoir confiance dans la classe ouvrière et de lutter avec elle.
les 70.000 grévistes du Yorkshire font plier le gouvernement
Dans le dernier numéro de La Voix, sous le titre "Ailleurs, les ouvriers réagissent comme nous", nous relations que 70.000 mineurs du bassin houiller du Yorkshire en Angleterre s'étaient mis en grève par solidarité pour leurs 2.682 camarades de la mine de Grimethorpe. Ceux-ci ayant refusé d'augmenter leur rendement pour un même salaire, comme on voulait le leur imposer, le gouvernement anglais avait décidé de les licencier et de les condamner à reprendre du travail uniquement dans d'autres mines et à des conditions inférieures.
Mais le gouvernement, que les bureaucrates des Trade Unions ont soutenu à fond dans sa tentative de maintenir le bagne militaire instauré à la faveur de la guerre dans les usines, a été obligé de capituler au bout de cinq semaines : les 2.682 mineurs de Grimethorpe non seulement ne sont pas licenciés mais reprennent le travail dans les mêmes conditions qu'avant la grève, c'est-à-dire sans augmentation de leur rendement individuel, pour le même salaire.
Une fois de plus, malgré le sabotage de leurs organisations syndicales, les ouvriers, par leur action unie et résolue, ont mis en échec les plans, destinés à les exploiter davantage, du gouvernement capitaliste.
LE PRIX D'UNE TRAHISON
Lorsque nous nous sommes mis en grève pour les 10 francs sur le taux de base, la C.G.T. nous a sabotée. Elle nous a fait reprendre avec 3 francs, "le reste serait obtenu par la discussion, dans le calme et la discipline". Mais ces 3 francs nous étaient donnés comme prime de production. Pas sur le taux de base, comme le voulaient les "démagogues". Cela aurait fait augmenter le coût de la vie. Malgré la prime, les prix ont augmenté (et dans quelles proportions !) alors on nous donne les 3 francs sur le taux de base plus le reliquat : 0,85 fr. Après cinq mois de discussions, les représentants de la C.G.T., malgré les protestations de masse devant la direction, malgré la grève générale de 24 heures et les défilés au Champ de Mars, ont "arraché" 17 sous.
Pour une fois, la C.G.T. ne clame pas victoire. Néanmoins, elle se trouve une excuse : "C'est le gouvernement qui ne veut pas appliquer les accords C.N.P.F.-C.G.T." Mais ce gouvernement, sur qui les bureaucrates cégétistes rejettent toute la responsabilité, n'est-ce pas le même qui négociait avec eux au mois de mai tandis qu'il refusait de recevoir le comité de grève ? Il est vrai que le comité de grève était un peu plus exigeant. Mais n'est-ce pas à ce même gouvernement antiouvrier que les dirigeants cégétistes faisaient appel pour mater les "énervés" de Collas qui ne voulaient pas reprendre avec de simples promesses et qui menaçaient de paralyser l'usine. L'expérience a montré qu'en continuant la grève trois jours de plus, à 1.500, les ouvriers de Collas ont obtenu 1.600 francs pour tout le monde à titre d'indemnité de grève.
Après cinq mois de discussions des dirigeants cégétistes, il faudra aux ouvriers plus de dix mois de travail pour gagner 1.600 frs.
17 sous, c'est le prix que Lefaucheux paie la trahison des bonzes syndicaux.
L'ACTIVITE DU S.D.R.
Au département 6, des ouvriers manquant de pièces furent réglés à 46 francs alors que leur paie précédente avait été supérieure à 48 francs.
Après plusieurs démarches auprès du chef de département, appuyés par le S.D.R., ces camarades obtinrent satisfaction. Car, pour toute perte de temps, indépendante de la volonté des ouvriers, entraînant une baisse du prix horaire, le salaire doit être calculé au taux de la quinzaine précédente.
Egalement au département 6, des ouvriers qui, à la dernière quinzaine, avaient été payés à plus de 48 francs, furent payés à 40 francs à la paie de jeudi.
Les camarades du S.D.R. se rendirent chez le chef de département où les causes de cette baisse furent analysées. Trois ouvriers qui avaient demandé leur compte avaient tiré au flanc, ce qui provoqua une baisse considérable du coefficient de production.
On calcula le prix réalisé par les ouvriers de l'équipe sans tenir compte du travail des "dissidents" et on trouva 49 francs.
Ces ouvriers n'étant pas responsables de la baisse de la production, le rappel leur fut accordé.
– Alors qu'au secteur Collas les ouvriers qui avaient refusé de suivre le mot d'ordre de la C.G.T. lors de la grève de 24 heures, revendiquèrent et obtinrent le paiement de l'indemnité de cantine, les camarades de la tôlerie se trouvant dans le même cas n'avaient rien touché. Sur intervention des représentants du S.D.R. ils obtinrent satisfaction.
– Dans un atelier du département 49, aucun ouvrier ne connaissait les temps alloués. Les camarades du S.D.R. exigèrent de connaître les temps. Quatre temps trop élevés furent baissés, mais tous les autres trop courts furent remontés. D'autre part, ces camarades exigèrent les bons jaunes auxquels les ouvriers avaient droit pour avoir attendu les régleurs. Jusqu'ici, les contremaîtres faisaient leur paie sans rien leur communiquer et ils n'étaient jamais réglés au-dessus de 46 francs. Dorénavant, les ouvriers exigent de contrôler chaque quinzaine leur paie.
LES COULISSES DES CANTINES
Notre délégation à la Commission des cantines, mandatée par notre assemblée syndicale du 3 septembre, n'a pas obtenu beaucoup de renseignements car ces messieurs en sont très avares. Néanmoins nous avons pu savoir que la viande était payée 136 et 157 contre 180 que l'on nous avait annoncé la dernière fois. Pour le vin, il revient à 25 francs le litre alors que la dernière fois on nous avait annoncé 28 francs. Le personnel qui était de plus de 800 personnes est passé à 620. Voilà qui va permettre de réduire le prix des repas, penserez-vous ? Que non ! Les tomates, nous annonce-t-on, sont payées 40 francs le kilo alors que nous les payons 10 francs au détail. La commission des cantines nous annonce que les cantinières sont payées 48 francs de l'heure. Mais en fait la paye moyenne est 42 à 43 francs et nous avons en notre possession des bons de paye de 38 fr. 10. Serait-il indiscret de demander pourquoi la commission des cantines a refusé de montrer ses factures à notre délégation ?
Pourquoi M. Blanchard, qui est responsable à la commission des cantines et qui n'a pas été réélu au Comité d'entreprise, est-il toujours en place ?
Pourquoi lorsque nous avons posé cette question à M. Cazenave, secrétaire du Comité d'entreprise, est-il resté muet ?
Pourquoi le Comité d'entreprise et particulièrement la commission des cantines, malgré leurs promesses réitérées d'informer l'ensemble des ouvriers sur la gestion des cantines, n'ont-ils encore organisé aucune réunion de ce genre ?
Y a-t-il quelques petits scandales à étouffer avant de publier les chiffres ? On serait tentés de le croire.
A.Q.
P.S. – Une ouvrière des cantines nous informe qu'elles ont reçu des ordres pour ne pas considérer comme pourris les haricots tachés. Au cas où il y aurait plus de 10% de déchet, on parle de prendre des sanctions contre la gérante.
Nous voudrions savoir si les bénéficiaires du mess de la direction mangent des haricots pourris.
PLUS D'EXPLOITEURS ... SEULEMENT DES EXPLOITES !
A un récent meeting électoral, sur la place Nationale, un orateur du P.C.F. s'est écrié, emporté par son éloquence : "Il n'y a plus d'exploiteurs chez Renault !"
Mais il n'a pas osé affirmer qu'il n'y avait plus d'exploités. Le fait est pourtant que 30.000 ouvriers continuent à trimer dans l'usine. Pour qui donc, alors, suent-ils des bénéfices à longueur de journée, les 30.000 exploités de chez Renault ?
"Plus d'exploiteurs chez Renault !", petite anomalie de discours électoral tout simplement !...
IL FAUT SIMPLIFIER LA PAYE !
Dans la majorité des cas, les ouvriers "ne savent pas ce qu'ils gagnent".
Même dans les limites du système d'exploitation capitaliste, le paiement non pas du fruit de leur travail (ce qui ne sera possible que lorsque les ouvriers se seront débarrassés des parasites capitalistes) mais le simple paiement de leur force de travail, c'est-à-dire leur salaire, les ouvriers se trouvent lésés et le patron leur donne à peu près ce qu'il lui plaît. Depuis que la politique d'inflation du gouvernement bourgeois crée l'anarchie dans la situation financière et les prix, les salaires subissent, eux aussi, une anarchie terrible à tel point que les patrons eux-mêmes n'arrivent plus à s'y retrouver. Il y a le salaire de base (salaire minimum, moyen, maximum), puis il y a le boni, puis les primes. Puis il faut retrancher les assurances, les impôts.
Il ne se passe pas une quinzaine sans que des dizaines d'ouvriers relèvent des erreurs sur leur paie. Sans compter ceux qui ne s'aperçoivent pas des irrégularités et ceux qui préfèrent ne rien dire plutôt que de s'embarrasser d'un tas de formalités pour exiger leur dû.
Dans certaines industries, tel le bâtiment, certains petits patrons essaient de simplifier les choses en versant le salaire de base aux ouvriers selon la légalité et en leur donnant un prix fixe pour le surplus, de la main à la main. Chez Renault, les systèmes de paie qui sont, paraît-il, très simples (pour les techniciens) sont pratiquement impossibles à comprendre pour la grosse majorité des ouvriers. Très peu connaissent les temps réels qui leur sont alloués et s'ils s'avisent de les réclamer, on trouve toujours un tas de prétextes pour ne pas le leur dire.
La direction nous objectera que tout ouvrier a la possibilité de se faire communiquer les gammes chrono. Mais comment un ouvrier pourra-t-il s'y retrouver devant des schémas qui, pour être lus, nécessitent une formation technique ? D'autre part, il existe des chronométrages anciens, desquels la direction dira qu'ils ne valent rien. Certains sont trop élevés, d'autres doivent être complétés par bons chamois. Puis il y a les nouveaux chronométrages auxquels théoriquement on doit appliquer le coefficient 125, mais qui ne sont majorés des 25% que si l'ouvrier s'est plaint de ce que son temps était trop court. Et malgré tout cela, les trois quarts des nouveaux temps se révèlent insuffisants dans la pratique.
La multiplicité des formes de paie ou de chronométrage n'ont qu'un but : extorquer le maximum de travail pour un minimum de salaire.
Il faut simplifier la paie. Pour cela, un seul moyen : supprimer le travail au rendement. Toute la bureaucratie employée dans les services de chronométrage, de planning, de pointage ou de maîtrise pourra être ainsi utilisée dans la production et pourra permettre aux productifs une diminution de la journée de travail.
PAS DE PAIN, MAIS DES AUTOS
La crise du pain a condamné de nombreux commis boulangers au chômage. Comme il faut bien que ces ouvriers gagnent leur vie, après plusieurs démarches et stations dans les bureaux des Inspections du travail, on les envoie chez Renault ou chez Citroën. Si la maigre ration des travailleurs est réduite à la portion congrue, elle est compensée par une augmentation de la production de voitures. Seulement les travailleurs ne mangent pas de Juvaquatres et ils préféreraient un bon morceau de pain blanc pour leur casse-croûte.
LA SITUATION PRECAIRE DES OUVRIERS
A peine la paie est-elle touchée qu'elle est déjà fondue. A moins de vivre comme un clochard, ni un manoeuvre, ni un O.S. ne peut y arriver. De plus en plus les demandes d'acomptes sont nombreuses. De plus en plus les ouvriers sont obligés d'emprunter pour joindre les deux bouts. Un ouvrier emprunte 1.000 francs pour payer son terme, un autre 150 francs pour payer ses tickets de cantine, un autre 100 francs pour acheter le pain (seulement le pain) jusqu'à la paie. Ce n'est pas une solution, car à la paie l'acompte est retenu, ou bien il faut rembourser l'emprunt et la quinzaine suivante est encore plus difficile à tirer. Ca nous permet tout juste de nous maintenir en attendant de trouver une petite combine qui nous tirera d'affaire. Car tous les ouvriers en sont là. Sans la "combine", avec 10 heures de travail par jour, il crève de faim. C'est à cette seule planche de salut que les ouvriers essaient de se raccrocher. Celui-ci travaille le samedi et le dimanche comme barman, cet autre comme boucher ou comme charcutier, un autre, avec 4 enfants, a dû envoyer sa femme travailler en usine, d'autres bricolent à la maison, des appareils de T.S.F., des serrures, d'autres encore se livrent à un petit trafic. Celui-ci s'en va le samedi à la frontière belge chercher quelques kilos de café qu'il revend à Paris au marché noir. Cet autre, la combine du tabac terminée, se lance dans celle des cartes de pain. Ca lui rapporte et ça dépanne les copains.
La colère des ouvriers grandit. Faudra-t-il que la misère les pousse tous au banditisme ? Déjà certains caressent le projet d'un "coup dur" qui pourrait les mettre à l'abri du besoin pour quelque temps.
Mais ils sentent bien que la solution n'est pas là. En travaillant on doit pouvoir vivre.
C'est pourquoi les ouvriers en ont assez et réclament un salaire décent calculé en fonction du coût de la vie.
A QUOI SERVENT LES DEVISES...
Si depuis des mois nous produisons à outrance tout en continuant à nous serrer la ceinture et à être privés des choses les plus indispensables : matériel agricole, vêtements, chaussures, etc., c'est parce que, nous dit-on, il faut que nous produisions pour pouvoir exporter le plus possible et avoir des devises.
Or voici qu'un scandale de devises défraie aujourd'hui la presse : des millions de dollars ont été détournés par des trafiquants qui s'en servaient pour acheter aux Etats-Unis, des autos de luxe, des pneus, des bas nylon, etc. qu'ils revendaient ensuite, en France, au prix fort.
On sait que si, pour une raison quelconque, les journaux ont publié cette affaire-là, elle n'est pas la seule ! Pour un scandale dévoilé, il en existe au moins cent qui ne le sont pas.
Les ouvriers de notre usine, comme tant d'autres, triment pour un salaire de famine afin que l'exportation des autos rapporte des devises à la nation. Mais les devises ne servent pas à la nation. Elles servent à une poignée de capitalistes et de spéculateurs pour s'offrir des Packard et des bas nylon et convertir leur fortune en monnaie forte.
Nous rappelons à tous les camarades qui désirent lire que nous tenons à leur disposition, à chaque permanence, une collection de livres d'études philosophiques, politiques, économiques et de romans.
Une série de brochures sont également mises en vente. Chaque camarade peut, dès maintenant, se constituer une collection de brochures, comme il peut aussi se constituer une collection de La Voix.
Nous rappelons que La Voix est en vente chez tous les marchands de journaux autour de l'usine à Billancourt. Que les camarades veillent régulièrement à ce qu'elle soit bien mise en évidence.
Adresser toute
correspondance, abonnements et mandats par poste à JEAN BOIS, 65,
rue Carnot, Suresnes (Seine)
Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le
Terminus»
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres