1947 |
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – LA LUTTE de CLASSES – Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 82 – 5ème année – Provisoirement bimensuel (B.I.) le n° 3 francs |
LA LUTTE DE CLASSES nº 82
18 janvier 1947
Le remplacement du secrétaire d'Etat américain Byrnes par le général Marshall , et l'annonce de la candidature de celui-ci ainsi que de celle du général Mac Arthur pour les élections de 1948 à la présidence, consacrent officiellement la prédominance du pouvoir militaire sur le pouvoir civil, dans le pays qui a été le principal champion "démocratique" du camp allié.
Or, une simple énumération de la majorité écrasante des chefs d'Etat dans le monde entier nous montre que presque partout le pouvoir est déjà passé directement entre les mains des généraux, maréchaux, généralissimes, etc. En fait, deux ans après l'effondrement des puissances de l'Axe, sur les cinq continents, le pouvoir réel est exercé par des militaires : les Mac Arthur, les Marshall, les Montgomery, les Staline, les Tchang-Kaï-Chek, les Tito et les Franco, etc.
L'exemple américain (et la France et l'Angleterre suivent la même voie) nous montre que, au lieu d'être le triomphe de la liberté et de la démocratie, la victoire militaire des Alliés sur les puissances de l'Axe, n'a fait que hâter, dans les pays où en 1939 subsistait encore ce qu'on pourrait appeler un pouvoir et une société civils, l'empire du militarisme sur toute la société.
Sous prétexte de détruire le militarisme et le fascisme chez les autres, les capitalistes alliés en ont profité pour créer dans leur propre pays une monstrueuse machine mili-taire, subordonner toutes les ressources de la nation et toute son énergie à la machine de guerre, instaurer le régime de caserne et l'omnipotence de la caste des officiers, courber leurs peuples sous une dictature militaire monstrueuse.
Pour la bourgeoisie qui a réussi à écraser la classe ouvrière de chaque pays sous le poids de son militarisme, celui-ci constitue en même temps sa dernière ressource contre la révolution prolétarienne.
Mais l'immense bagne militaire qu'est devenue la société bourgeoise n'exprime pas un renforcement de la classe capitaliste, mais son épuisement : elle ne peut plus faire marche arrière, revenir à un régime civil ; elle ne peut plus se survivre qu'en courant constamment l'aventure par les occupations, les répressions coloniales, et finalement un nouveau conflit mondial. Ainsi, elle ne laisse d'autre voie ouverte aux peuples que la révolte.
Mais le tout, c'est de savoir si la classe ouvrière réussira à acquérir la force idéologique et organisationnelle qui lui est indispensable pour détruire ce dernier barrage que lui oppose la classe dominante, le militarisme, et qui conduit l'humanité à la destruction.
Pendant la deuxième guerre mondiale, la bourgeoisie, aidée par les social-patriotes, avait réussi à séparer les ouvriers de chaque pays des ouvriers des pays d'en face. La classe ouvrière n'a pas réussi à remplir son rôle historique. Cependant, ce sont, malgré tout, les conflits sociaux puissants (qui ont éclaté en Amérique, en Angleterre et dans tous les pays) qui ont empêché que la guerre ne se continue entre les Alliés, et qui ont permis au monde de vivre maintenant une période intermédiaire, qui n'est pas la paix, mais qui n'est pas non plus la guerre.
L'issue de cette trêve dépend, une fois de plus, de la capacité de la classe ouvrière de s'opposer au rebondissement de la guerre impérialiste. Mais la réponse à cette question ne peut pas être donnée théoriquement. Le sphinx prolétarien ne se laisse pas interroger, ni deviner comme l'ancien. Il faut lutter et découvrir la réponse dans la lutte. Chaque conflit "partiel" est en réalité une épreuve de force entre la bourgeoisie et le prolétariat. Ainsi la guerre contre le peuple indochinois. L'échec des plans de nos capi-talistes marquerait un point en faveur de la paix. Leurs succès, un succès des généraux et un pas vers la 3e guerre impérialiste mondiale.
Un de ces jeunes ouvriers mobilisés et envoyés de force en Indochine pour une guerre dont il n'est pas partisan, nous écrit : "...et je serai pourtant bien obligé de me battre, ne fut-ce que pour défendre ma vie. Car on nous a dit que les Vietnamiens ne font pas de prisonniers, et je crains que des éléments arriérés, illettrés, ne se comportent effectivement pas avec des égards envers des gens venus pour leur faire la guerre."
En réalité, cette propagande : "Les Vietnamiens ne font pas de prisonniers, ils sont des illettrés, des sauvages qui se livrent à des actes de cruauté... etc." est la propagande classique que fait la bourgeoisie quand elle mène sa guerre. Comme elle ne se bat pas pour des buts qu'elle puisse ouvertement avouer (mais pour des buts de rapine et de défense des intérêts capitalistes), toute sa défense consiste à montrer que les autres sont des assassins, des sauvages, que c'est eux qui ont commencé, qu'il faut nous venger, etc., et exciter les plus bas instincts pour inciter ses propres troupes à des actes de cruauté et de barbarie, comme c'est effectivement le cas de la part des troupes mercenaires en Indochine vis-à-vis des Vietnamiens. Cette propagande lui est encore plus facile, quand elle peut de plus spéculer sur des préjugés anciens qu'elle a inculqués à l'égard des peuples considérés "arriérés".
Mais s'il en était ainsi, le peuple vietnamien, qui manque de ressources matérielles et supporte des conditions de vie lamentables, pourrait-il mener ce combat formidable ? Ferait-il preuve de cet esprit de sacrifice et d'abnégation dans un combat contre un ennemi qui dispose de moyens techniques infiniment supérieurs ? A ceux qui soutiennent un pareil combat, illettrés ou pas, il leur faut certainement un état d'esprit, une vue du monde et une conscience sociale autres que ceux dont sont capables nos capitalistes pilleurs, leurs partisans soudards.
La seule attitude des travailleurs français embarqués de force pour l'Indochine, qui puisse être digne de l'espoir commun que nous avons dans le socialisme et de la confiance que cela implique vis-à-vis de tous les peuples, c'est non pas "se battre, ne serait-ce que pour sauver sa vie", mais de chercher par tous les moyens à FRATERNISER AVEC LES OUVRIERS ET LES PAYSANS INDOCHINOIS, PARMI LESQUELS LES ELEMENTS SOCIALISTES ET EDUQUES SONT TRES NOMBREUX ET SE TROUVENT A LA TETE DU COMBAT.
La hausse déguisée en baisse...
La grande propagande orchestrée sur la baisse des 5%, interrompue un moment dans la presse en raison du lock-out imposé aux ouvriers des imprimeries, a continué à la radio où toutes sortes de personnalités ont discouru sur le même thème.
Les travailleurs, pour leur part, n'ont aucun moyen de s'exprimer officiellement : mais leurs sentiments et leur opinion n'en sont pas moins connus comme n'étant nullement en accord avec tous ces discours.
Depuis deux ans déjà, devant chaque nouvelle hausse des prix, les arguments de la propagande gouvernementale n'ont pas manqué pour promettre que "cette hausse sera la dernière". Mais devant la diminution constante de leur niveau de vie, les ouvriers se sont vus obligés de réagir par des demandes d'augmentation de salaires ; leur mécontentement s'est exprimé par des manifestations et des grèves, telles que la grève générale des fonctionnaires, la grève générale des postiers, et les multiples grèves partielles de toutes sortes de catégories de travailleurs, en province et à Paris. C'est devant cette situation qu'au mois de juin dernier, le gouvernement et le patronat n'ont pu éviter de nouvelles et plus grandes vagues de grèves, qu'en accordant l'augmentation que la C.G.T. s'était vue obligée de mettre en avant (25%). Mais cette augmentation elle-même ne signifiait plus rien par rapport au coût de la vie (la manoeuvre de la bourgeoisie consistant à réajuster les salaires des ouvriers avec un décalage toujours plus grand).
Dans ces conditions, les mesures préparées par Robert Schuman (M.R.P.) et que s'apprêtait à appliquer le gouvernement Blum étaient une véritable provocation vis-à-vis des masses pauvres. C'est pourquoi le "socialiste" Blum ne pouvait pas décréter une nouvelle hausse sans, en contrepartie, chercher quelque moyen pour parer au danger de voir se déclencher un mouvement d'ensemble de la classe ouvrière : ce moyen, c'est le "choc psychologique" de la baisse.
Mais la propagande officielle a beau parler de la "brillante réussite" du gouvernement Blum, les ouvriers, eux, parlent de la nécessité de faire grève. Les dirigeants de la C.G.T. ont été obligés de poser à nouveau et de maintenir une demande d'augmentation des salaires : car la baisse de 5% ne peut pas donner le change aux ouvriers sur le nouveau bond considérable des prix. A Saint-Nazaire, 6.000 ouvriers ont refusé de payer l'augmentation des tarifs de chemin de fer et ont pris le train d'assaut. A Clermont-Ferrand, 15.000 ouvriers des usines Michelin ont fait grève. Le mécontentement parmi les travailleurs est général.
En effet, cette "baisse" de 5% sur une hausse de 80% est une dérision.
Mais pourquoi alors le gouvernement y a-t-il recouru et pourquoi tous les partis et toute la presse bourgeoise la célèbrent-ils unanimement comme une "grande réussite" du gouvernement Blum ?
C'est qu'il est d'autres catégories sociales moyennes et pauvres qui n'ont pas la possibilité de revendiquer des augmentations de salaires. L'Etat, cependant, les ruines et les réduit au désespoir, en les volant constamment par l'inflation et les impôts toujours plus lourds. Pour se défendre, ils n'ont pas, comme les ouvriers, les ressources de l'action organisée. A quelle corde de salut se raccrocher ? C'est leur situation qui les pousse à croire au mirage de la "baisse", c'est à leur intention que le gouvernement suscite les "psychoses". C'est avant tout à ces couches que s'adresse la propagande gouvernementale qui dit : "L'expérience de la baisse réussira si les ouvriers ne font pas de mouvements revendicatifs, s'ils ne déclenchent pas à nouveau la course infernale des salaires et des prix, si le climat de confiance règne, etc..."
La politique que mène le gouvernement au service des riches ne fera qu'accroître l'appauvrissement et les souffrances de la population. Mais la propagande gouvernementale oriente la colère des couches moyennes et pauvres non salariées du peuple sur leurs frères de misère, les ouvriers.
C'est la méthode fasciste qui, pour sauver les véritables responsables d'un régime de guerre. d'inflation et de spéculation, en rejette la faute sur ceux là même qui en sont les premières victimes.
C'est pourquoi la manoeuvre gouvernementale de "baisse", qui peut paraître grossière, représente en réalité le plus grave danger. Elle sert au gouvernement non seulement de prétexte pour ajourner les demandes d'augmentation de salaires, mais surtout de moyen politique pour dresser les autres catégories pauvres et moyennes de la population (petits commerçants, artisans, paysans, petits retraités, etc...) contre les ouvriers.
Le patronat n'aurait pas pu, comme il l'a fait, lockouter les rotativistes, s'il n'avait eu le prétexte que leurs revendications compromettaient "l'expérience de la baisse". C'est là un premier fait qui démontre que la manoeuvre gouvernementale de la "baisse" EST UN PISTOLET BRAQUÉ SUR LE COEUR DU MOUVEMENT OUVRIER. Alors que le patronat aurait dû satisfaire les revendications ouvrières largement justifiées par la montée du coût de la vie, il veille maintenant jalousement sur "la réussite de l'expérience gouvernementale de baisse" et s'oppose en son nom à toute atteinte à ses privilèges.
Les capitalistes peuvent manoeuvrer (et la pression qu'ils exercent sur la population est grande) parce qu'ils peuvent mobiliser toutes leurs ressources. Et aussi parce qu'ils ont en face d'eux des organisations ouvrières dont les dirigeants sont uniquement préoccupés de sauvegarder leurs privilèges bureaucratiques et craignent plus que tout autre chose de risquer leurs intérêts mesquins dans une bataille contre les dirigeants capitalistes et leur gouvernement.
Ainsi, dans L'Humanité du 7-1, Frachon reconnaît la manoeuvre de la bourgeoisie ("vous allez voir qu'encore une fois c'est a victime qui aura commencé"). Mais il ne s'en inscrit pas moins lui-même parmi les "combattants de la baisse", faisant de cette façon l'unanimité autour de la manoeuvre gouvernementale.
Logiques avec cette attitude, les dirigeants de la C.G.T. ont calomnié, en commun avec la bourgeoisie, les rotativistes lock-outés, n'informant même pas les travailleurs qu'il s'agissait d'un lock-out, c'est-à-dire d'une attaque patronale.
Ils discréditent et ils dispersent le mouvement ouvrier, pour mieux pouvoir prétendre qu'il n'y a d'autre voie que de leur faire confiance, à eux et à leurs combines.
Les ressources de la classe ouvrière sont cependant très grandes. Tout ouvrier du rang reconnaît que personne ne pourrait briser une action militante unie de toute la classe ouvrière.
En Angleterre aussi, comme vis-à-vis des rotativistes chez nous, le gouvernement a fait intervenir l'armée contre les camionneurs de Londres en grève. Mais cette action ayant déclenché aussitôt des mouvements de solidarité dans tout le pays, le gouvernement et le patronat ont été obligés d'entamer rapidement des négociations pour satisfaire les demandes des grévistes.
Le sentiment général des travailleurs aujourd'hui, après les multiples expériences qu'ils ont faites, c'est de reconnaître cette nécessité de l'action unie, qui s'exprime dans la grève générale, ayant des objectifs communs à toute la population et qui seule imposerait un renversement de la vapeur.
La classe ouvrière se montrera, elle, le champion véritable des classes moyennes et pauvres, en faisant de la baisse des prix une réalité par la lutte énergique pour l'ouverture des livres de compte de chaque capitaliste individuel, seul moyen de réaliser un contrôle effectif sur les prix.
Mais entre le mécontentement de la classe ouvrière, entre son désir d'agir, et son manque d'organisation à l'heure actuelle, il y a un contraste qui paralyse son activité. Aucune solution ne se présentera cependant d'elle-même, en dehors de l'activité de chaque travailleur. Plus tôt, par leur activité courageuse et leur solidarité, ils combleront le fossé qui existe entre les nécessités objectives de lutte et l'organisation des travailleurs pour cette lutte, plus ils auront de chance d'avoir, de leur côté, la victoire.
Au mois de janvier, à l'occasion de l'anniversaire de l'assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg, le 15 janvier 1919, et de la mort de Lénine, le 22 janvier 1924, les organisations prolétariennes internationalistes célèbrent leur mémoire.
Cette année, au moment où se réunit une nouvelle Conférence des Quatre pour se disputer le sort de l'Allemagne qu'ils écrasent sous prétexte d'avoir vaincu le fascisme, nous pensons que le meilleur service que nous pouvons rendre aux travailleurs allemands, c'est de rappeler, pour les travailleurs français, leur passé de lutte véritable contre le fascisme et contre le militarisme de leur pays, et les raisons de leur défaite.
Les extraits que nous reproduisons dans ce but sont tirés d'un article de La Lutte de Classes, n° 22, sous l'occupation, le 31-12-1943, qui faisait appel à la solidarité de classe des prolétariats français et allemand.
[LA GUERRE CIVILE EN ALLEMAGNE]
Un des problèmes les plus difficiles à résoudre qui se posent actuellement pour les différents Etats capitalistes est celui du ravitaillement. Constamment, la presse bourgeoise insiste sur les énormes difficultés auxquelles se heurtent les diverses organisations (conférences, conseils, etc.) internationales pour le ravitaillement : difficultés techniques, mais surtout difficultés financières. Et c'est Le Monde du 24-12-46 qui nous fait voir où réside réellement la difficulté et nous donne le seul moyen de la résoudre.
"Faudrait-il que les pays riches en ressources naturelles en fassent don à ceux qui en manquent ? Il est difficile d'escompter une telle générosité. S'agirait-il seulement de vendre ces produits ? Mais ceux qui les possèdent en excédent ne s'y sont jamais refusés. Le malheur, c'est que ceux qui en sont dépourvus n'ont pas de quoi les payer. Somme toute, la distribution équitable des ressources naturelles impliquerait un communisme international, auquel aucune nation ne s'est jusqu'à présent montrée disposée."
La bourgeoisie ne peut avouer plus explicitement son impuissance. Mais si elle pousse si loin la franchise (jusqu'à aller même reconnaître que seul le communisme international pourrait débrouiller l'écheveau dans lequel elle-même s'embrouille sans issue), c'est parce qu'elle croit pouvoir opposer un argument concluant : communisme international, en effet. Oui, mais... "aucune nation ne s'y est jusqu'à présent montrée disposée."
Comble de l'insolence et de l'hypocrisie ! "Voyez-vous, semble dire le journaliste bourgeois, il y a bien un remède ; mais personne n'en veut!"
Personne, c'est-à-dire les capitalistes qui sont maîtres du marché mondial et qui trouvent la source de tous leurs profits dans l'anarchie de l'économie. On comprend aisément qu'ils bannissent un régime où l'on se passerait entièrement de "leurs services".
Mais Le Monde oublie simplement de s'intéresser à l'opinion de ceux qui constituent la majorité écrasante de la nation : les travailleurs ; ceux qui produisent toutes les richesses et font marcher, avec les techniciens, tous les rouages de la société, mais qui ne sont pas autorisés à faire entendre leur voix, pour la bonne raison qu'ils se montreraient sûrement disposés, eux, à accepter un régime qui les délivrerait de tous leurs exploiteurs.
C'est pour cela que les travailleurs ne doivent pas plus se soucier de l'opinion des capitalistes que ces mêmes capitalistes ne se soucient de l'opinion de ceux qui les font vivre. Les travailleurs doivent comprendre que c'est une nécessité, pour eux, de lutter pour l'établissement des Etats-Unis du monde entier s'ils veulent sortir de la misère, s'ils veulent vivre. Car ils n'ont rien à attendre d'un régime pourri qui ne peut se survivre qu'au moyen d'expédients sur leur propre dos. Jamais la minorité d'exploiteurs ne consentira, de son plein gré, à renoncer à ses privilèges ; et elle en fait ouvertement l'aveu alors même qu'elle en reconnaît la nécessité. Seuls les travailleurs sont capables de sauver l'humanité en donnant le coup de grâce à la vieille société capitaliste.
DAN
Le conflit de la presse qui vient de se terminer nous permet de mieux comprendre le véritable rôle de l'Etat et de sa police. Il nous révèle ce que sont en réalité les soi-disant nationalisations et quels intérêts elles servent. Mais il met aussi en lumière la carence et le manque de cohésion de la direction des syndicats ouvriers en face d'un patronat uni et décidé, ainsi que l'insuffisance, à l'heure actuelle, des méthodes traditionnelles de lutte.
La radio nous a d'abord laissé croire que les journaux avaient cessé de paraître par suite d'une grève des rotativistes. Puis un communiqué nous a appris qu'il s'agissait d'une fermeture des imprimeries décidée par la Société Nationale des Entreprises de Presse -organisme d'Etat, groupant toutes les entreprises confisquées aux journaux ayant paru sous l'occupation, à la tête duquel est placé le "socialiste" Bloch. Enfin, dans son communiqué final, la Fédération de la Presse nous explique que ce lock-out a été imposé aux entreprises de presse par "la grève perlée des ouvriers qui mettait en danger l'existence de ces entreprises".
Quels sont en réalité les faits ?
Des pourparlers durent depuis des mois entre les syndicats ouvriers et patronaux concernant une augmentation immédiate de 25% en attendant le retour au principe de l'échelle mobile en vigueur depuis 1922 dans la corporation du Livre.
C'est surtout devant cette revendication de l'échelle mobile que la S.N.E.P., les syndicats patronaux des entreprises de presse et la Fédération de la presse se sont montrés irréductibles. Quant à l'augmentation de 25%, chacun prétend être prêt à l'accorder, à condition que ses profits n'en pâtissent pas !
Et les différents organismes d'Etat, consultés, opposent leur veto à toute augmentation, quelle qu'elle soit.
Dans ces conditions, les discussions n'ayant aucune chance d'aboutir à un résultat, un vote est organisé parmi les ouvriers de la presse pour décider l'éventualité d'une grève générale. Et c'est le jour où le dépouillement devait avoir lieu que l'ordre de fermeture des imprimeries est donné par la S.N.E.P. -le patronat ne se faisant aucune illusion sur le résultat de cette consultation.
Devant ce coup de force, les ouvriers ont tenté d'occuper les imprimeries, mais ils se sont heurtés à la police du gouvernement.
Alors que toutes les entreprises non nationalisées fermaient à leur tour leurs portes pour soutenir l'action patronale de la S.N.E.P., alors que, à part LA VERITE, tous les directeurs de journaux se prononçaient pour le lock-out, du côté ouvrier nous avons assisté à la confusion la plus complète.
Les ouvriers de la base auraient voulu transformer le lock-out en grève, c'est-à-dire ne reprendre le travail qu'après complète satisfaction. Mais les dirigeants syndicaux se sont trouvés désarçonnés devant l'offensive patronale : la discorde et le désarroi ont régné parmi les dirigeants syndicaux. Les Staliniens voulaient faire reprendre le travail à tout prix. Les réformistes, eux, cherchaient une solution plus ouvrière et désiraient faire occuper les usines par les ouvriers et reprendre le travail pour leur propre compte, par l'intermédiaire des Comités d'Entreprise. Pour cela, il était indispensable d'effriter le bloc patronal.
Que la grande presse bourgeoise ait maintenu sa solidarité entière face aux ouvriers, rien de plus normal. Mais, alors que l'année dernière, lors de la grève des rotativistes, Croizat a déversé les plus ignobles calom-nies sur ces derniers (jeu de la réaction, sabotage, etc.), aujourd'hui L'Humanité, solidaire de la presse bour-geoise, s'est refusée à paraître, tout comme Le Populaire, cet autre journal "ouvrier".
Deux journaux furent tout de même tirés : France-Soir et l'hebdomadaire La France au Combat (on comprend les raisons commerciales qui ont poussé leurs directeurs à se désolidariser de leurs confrères). Mais la police de l'Etat que dirige le "socialiste" Blum les a saisis pour les empêcher de rompre le bloc patronal.
Ainsi, quand les ouvriers se mettent en grève pour obtenir une amélioration de leurs conditions de vie, l'Etat, "défenseur de l'intérêt général", fait intervenir sa police pour "rétablir l'ordre", c'est-à-dire mater les grévistes, les empêcher d'occuper les usines ou les obliger à travailler par la mobilisation et la réquisition. Mais, quand un syndicat patronal décide de lock-outer les ouvriers, la même police intervient non plus pour "maintenir la liberté du travail dans l'intérêt général", mais pour obliger les récalcitrants à respecter les décisions prises dans l'intérêt de l'ensemble des capitalistes.
Ces faits, mieux que tous les discours, nous montrent au service de qui est réellement l'Etat, quelle que soit l'étiquette de ceux qui le dirigent.
Aujourd'hui les capitalistes, dans la lutte qui les oppose à la classe ouvrière, ne peuvent plus se permettre de faire des concessions. Ils mènent un combat sans merci, et disposent, dans cette lutte, de l'appui sans réserve de l'Etat.
Dans le moindre des conflits, les travailleurs trouvent aujourd'hui devant eux l'Etat, cette incarnation impersonnelle des intérêts de l'ensemble des capitalistes.
La seule chance des ouvriers de sortir victorieux de ce combat, dont dépend leur vie même, réside dans leur cohésion, leur unité.
Cette unité, les dirigeants des ouvriers du Livre, trop soucieux de leur intérêt personnel, n'ont pas su la réaliser.
Pour s'assurer la victoire, il était nécessaire de faire appel à la solidarité de tous les ouvriers. Par de larges diffusions de tracts, ils auraient dû faire connaître à tout le pays leur situation réelle, dénoncer les calomnies déversées sur leur compte, et réduire à néant la légende des hauts salaires de la presse, entretenue à dessein pour semer la division au sein de la classe ouvrière.
Une direction syndicale, désireuse de servir réellement les intérêts des travailleurs, aurait su prendre les mesures propres à leur assurer la victoire : tirage d'un journal unique, marche des entreprises pour le compte des ouvriers. Et ces mesures, révolutionnaires dans leur essence, auraient rallié par cela même l'adhésion de tous les ouvriers et créé un nouveau rapport de forces en faveur de ces derniers.
"La C.G.T. a présenté et maintient la revendication du salaire minimum vital de 7.000 fr. par mois s'appliquant au salaire le plus bas", nous dit Frachon (Huma du 7 janvier 1947). Et en même temps il cite quelques chiffres pour prouver que la revendication est modeste.
D'abord pour Benoît Frachon, 7.000 fr. par mois, cela fait 35 fr. de l'heure, car non content d'imposer aux travailleurs une semaine de 48 heures, ce qui fait 192 heures par mois, il compte sur un mois de 200 heures.
Alors que l'indice officiel des prix par rapport à 1938 est de 7,9 pour octobre et 8,57 pour novembre, et qu'il reconnaît que "le coefficient de la vie est encore plus élevé que le laissent apparaître les statistiques officielles", Frachon indique "modestement" que l'indice des salaires est de 3,1 et que la C.G.T. revendique de le faire passer à 4,34.
Pourquoi tant de "modestie" de la part de Frachon quand il indique par ailleurs que certains industriels ont multiplié leurs prix de vente par 10 et par 12 ?
En mars 1945, la C.G.T. revendiquait 23 fr. salaire horaire du manoeuvre. Puisque Frachon compte 200 heures dans un mois et que d'autre part, depuis mai 1945, le coefficient du coût de la vie est passé de 100 à 264, c'est 12.144 fr. que la C.G.T. devrait revendiquer comme salaire minimum vital et non 7.000 francs. Si l'on applique au salaire le même coefficient qu'aux prix de 1938, c'est à 13 ou 14.000 francs qu'il faut chiffrer le minimum vital.
Benoît Frachon se limite à 7.000 francs. Mais encore comment envisage-t-il d'obliger la bourgeoisie à nous accorder le minimum de 7.000 francs. Là-dessus il reste muet et les sections syndicales, comme au moment des 25%, n'ont qu'à se débrouiller. C'est d'ailleurs ce qu'elles font. Comme la vie augmente chaque jour, il est nécessaire pour les travailleurs d'augmenter chaque jour leur paye.
Pour cela les bureaucrates syndicaux indiquent aux ouvriers un moyen bien simple : faire des heures supplémentaires et accroître le rendement.
Ceux qui ne peuvent tenir la cadence n'ont qu'à mourir de faim. C'est ainsi que chez Thomson, une ouvrière qui se plaignait de ce que les temps étaient trop courts et qu'elle ne pouvait pas y arriver, il lui fut répondu par un agent de maîtrise : "Je suis d'accord avec vous, mais si vous ne pouvez pas faire le travail vous n'avez qu'à prendre la porte."
Déjà le système du salaire au rendement fait sentir ses néfastes effets. C'est ainsi que chez Renault des ouvriers en sont arrivés à régler à 80 minutes et même davantage dans l'heure, réalisant pour un O.S. 50 et 52 francs de l'heure, tandis que d'autres de même qualification n'ayant pas crevé le plafond ne touchent que 40 à 42 frs., réalisant un boni de 15 à 20%.
Les responsables syndicaux essaient de remédier à ce vice en réclamant une révision des chronométrages. Or, sur ce terrain qui est le terrain du patron nous avons perdu d'avance. En effet, comment faire admettre à un patron que les temps sont trop courts quand l'ouvrier réalise avec ces temps un boni au-dessus de ce qui était considéré auparavant comme le plafond.
Nos bureaucrates qui sont incapables de nous faire obtenir un salaire normal parce qu'ils se refusent à employer la seule méthode qui puisse nous donner satisfaction, l'action directe, cherchent un tas de combines pour calmer le mécontentement des ouvriers. Il est certain qu'ils n'ont que très peu de chances de réussir, à vouloir user de diplomatie avec le patronat, surtout quand leurs manoeuvres sont aussi grossières que celle de chez Renault qui consiste à réclamer une révision des temps avec les-quels les ouvriers dépassent ce qui était considéré auparavant comme le plafond.
Même au cas où ces petites combines réussiraient auprès de certaines directions patronales, elles se solderaient tout au plus par des augmentations de quelques centimes de l'heure alors que ce sont des dizaines de francs qu'il manque à notre salaire.
Ce n'est pas pour la défense de revendications illusoires que doivent se mobiliser les travailleurs, mais pour revendiquer un salaire vital sur la base de 40 heures de travail et de 60 minutes dans l'heure, ga-ranti par l'échelle mobile des salaires.
VAUQUELIN
ARITHMETIQUE PATRONALE
La maison Renault a fermé trois jours. Trois jours qu'elle aurait dû payer à 75% à ses ouvriers, puisque la fermeture était motivée par le manque de charbon. Seulement, il fallait, pour cela, qu'ils aient travaillé effectivement moins de 40 heures dans la semaine. Or, la maison Renault s'est arrangée pour leur faire faire ces 40 heures. Il a suffi, pour cela, de totaliser 80 heures pour la quinzaine entière et ensuite diviser par deux.
La première semaine, les ouvriers avaient travaillé 20 heures et chômé trois jours. Mais, le lundi de la semaine suivante, ils reprenaient le licou pour 60 heures de suite, en travaillant le samedi comme jour récupéré.
48 heures sont exigés des ouvriers, mais le principe des 40 heures subsiste, dit la loi. Chez Renault, l'inauguration du système coûte aux ouvriers 3 jours à 75% et la fatigue d'une semaine de 60 heures. Le principe des 40 heures subsiste, oui... mais au profit des patrons.
LES OUVRIERS NE SE LAISSENT PAS INTIMIDERVoyant dépasser de la poche d'un ouvrier un tract signé d'un groupe d'ouvriers de la R.N.U.R., un responsable syndical, sur le ton d'un instituteur sermonnant un écolier, lui dit : – Fais-moi voir ce que tu as là. – Non, je ne te le montrerai pas. – C'est un tract trotskyste. – Et après. – Je peux te faire mettre à la porte. – Peut-être, mais une fois dehors, je peux te casser les côtes. Le délégué se radoucit et dit : – Allons, montre-le-moi que je le lise aussi. – Si c'est pour le lire, le voilà, mais rends-le moi. L'autre le lit et lorsqu'il a fini, fait mine de déchirer le tract. – Si jamais tu le déchires, je te casse la gueule. Voilà comment il faut répondre à ceux qui veulent répandre la terreur dans le mouvement ouvrier. |
Un vieux militant syndicaliste se présente à sa section locale pour régler les cotisations reçues dans sa boîte. Constatant une baisse dans le produit de la somme, le bureaucrate en demande les raisons.
– C'est que les camarades sont mécontents et ils ne veulent plus prendre leurs timbres.
– Comment, c'est un vieux militant comme toi qui tient de pareils propos, et la propagande alors ?
– La propagande, les gars s'en f..., ce qui les intéresse, ce sont les revendications, répond le vieux syndicaliste.
– Un ouvrier à qui on narrait cette histoire ajoutait en guise de commentaire
– La Propagande ! Tu te rends compte, on nous prend pour des imbéciles à qui l'on doit bourrer le crâne à coups de... Propagande !