1935 |
Les trotskystes face à la guerre d'Abyssinie... |
Ligue Communiste Internationaliste - Secrétariat International
Appel contre le brigandage colonial en Abyssinie
21 juillet 1935
L’Abyssinie a prétendu Mussolini, pour justifier son expédition en Afrique orientale, c’est un révolver braqué contre la sûreté de l’Italie. Or c’est le contraire qui est vrai. Mussolini, en accumulant ses troupes aux frontières du plateau éthiopien, braque son révolver contre ces peuples pour s’emparer de leur territoire, en profitant du désarroi dans lequel vit le monde capitaliste tout entier, Mussolini veut répéter contre l’Abyssinie l’opération qui a réussi au Japon en Extrême-Orient contre le Mandchou-Kouo [1] !
Les effets n’en seraient cette fois que plus graves. On ne peut pas à la longue maintenir une paix qui s’assoit sur des camps de baïonnettes antagonistes. L’heure du dénouement sanglant approche. La guerre de Mussolini contre l’Abyssinie n’en serait que le signal pour les puissances européennes, qui suffoquent dans leurs étaux. Mussolini ne peut plus ni reculer ni retarder son entreprise. Tenaillé par des difficultés intérieures sans précédent (chômage, crise financière profonde, appauvrissement extrême des masses paysannes, bouillonnement des jeunes générations, demandant au régime de satisfaire enfin leurs besoins, etc.). Mussolini cherche une issue à ces difficultés insurmontables dans une guerre contre l’Abyssinie. Mais ce pays n’est pas seulement la proie convoitée du fascisme italien. L’Angleterre, la France, le Japon ont aussi leurs convoitises à satisfaire. Et l’Allemagne ne reste pas la dernière à réclamer sa part de butin en Europe. Les accords navals anglo-allemands d’un côté, et ceux de l’Allemagne avec la Pologne de l’autre démontrent que l’Allemagne ne cesse de guetter l’occasion favorable pour allumer l’incendie auquel rien ne manque pour éclater. La direction d’un tel éclatement apparaît d’ores et déjà très évident : elle vise l’U.R.S.S.
On voit aussi combien il est criminel de répandre l’illusion que la paix peut être assurée par ceux mêmes qui la mettent en danger, par les bandits impérialistes. Lors de l’entrée de l’U.R.S.S. à la société des Nations, on a cherché à présenter cette entrée comme un moyen de redonner à cet organisme en décomposition du prestige et de la force. Vain espoir. La S.D.N. ne cesse d’être un instrument aux mains des bandits impérialistes luttant les uns contre les autres. Son impuissance en tant qu’instrument de paix, on l’a vue à l’occasion de la guerre du Grand Chaco, à l’occasion de l’agression contre le Mandchou-Kouo ; on la voit maintenant à l’occasion du brigandage italien contre l’Abyssinie.
Les travailleurs n’ont rien à espérer de ceux qui sans cesse conspirent contre la paix. Ceux-ci sont leurs ennemis impérialistes, sans distinction de cocarde. Laval, Mussolini, Hitler et tutti quanti, n’est-il pas significatif que tous ces messieurs se réclament au même titre d’une même volonté de paix ?
Nous affirmons une fois de plus aux travailleurs que ceux qui présentent comme pacifique la bourgeoisie de leur propre pays, ceux-là les trompent et les trahissent. Les travailleurs ne peuvent compter que sur leur force pour lutter contre la guerre. Pour être forts, il faut, certes, que les travailleurs soient unis, mais ils ne seront unis qu’à la condition d’avoir rompu avec leur propre bourgeoisie nationale et avec tous les agents de celle-ci dans leurs rangs. Le problème de la lutte contre la guerre c’est, donc, le problème de la de l’unité révolutionnaire de la classe ouvrière. Si on continue à nourrir les travailleurs des illusions d’un pacifisme qui est en dehors de toute possibilité historique, on ne fera que laisser la voie libre au fascisme et à la guerre.
Pour lutter contre la guerre il ne faut pas non plus attendre demain, il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard pour mettre en pratique les menaces dont on remplit les appels et les résolutions votées dans les meetings. On n’arrête pas la guerre par des plaintes déposées par les Barbusses au bureau de la S.D.N. : on n’arrête pas les bandits impérialistes en leur adressant des pétitions et des soupirs. Il faut faire suivre les paroles par des actes. Et c’est ce que nous proposons à toutes les organisations qui sincèrement aspirent à lutter pour la paix.
Mussolini attaque l’Abyssinie. C’est un cas indiscutable de banditisme. Si on laisse encore faire Mussolini , dans les prochains mois nous le verrons passer de la phase de préparation à la phase de guerre combattue. Avec pour conséquence, tout ce que nous avons prédit pour le reste du monde et pour l’Europe en particulier. Comme l’empêcher ? Que peut-on faire ?
Sans doute la classe ouvrière se trouve en Italie réduite à l’impuissance par treize ans de dictature sanglante du fascisme ; sans doute l’hitlérisme en Allemagne a écrasé le plus puissant prolétariat d’Europe ; les défaites autrichienne et espagnole s’y sont ajoutées. Mais malgré cela le prolétariat en Europe et dans les autres continents reste une force immense, tandis que l’ennemi impérialiste est déchiré intérieurement par ses contradictions, décomposé par sa pourriture. Le problème c’est de savoir mettre encore à profit le grand potentiel révolutionnaire des ouvriers, en même temps que le désarroi qui se manifeste dans le camp ennemi. Si on laisse à l’ennemi le temps d’agir, on lui laissera aussi le temps de mener à terme ses plans destructeurs.
On ne doit plus renouveler ce qui s’est produit pendant qu’on écrasait nos frères de Vienne et des Asturies. Nous ne devons plus demeurer des spectateurs impassibles et neutres, tandis que les brigands pillent et œuvrent comme en Extrême-Orient sur le Mandchou-Kouo. Chaque pouce de terrain perdu par les travailleurs de n’importe quel pays est perdu par tous les travailleurs. Or, si la classe ouvrière le veut, elle peut par sa force accomplir encore des prodiges. Travaillons à rendre à la classe ouvrière cette volonté. L’agression fasciste contre le peuple abyssin est le chaînon qu’il est nécessaire aujourd’hui de briser.
Sans tarder, il faut organiser un boycottage international de l’Italie fasciste et de ses alliés dans la guerre contre l’Éthiopie. Si nous ne savons pas organiser un tel boycottage, le fascisme italien ne pourra que se moquer, comme il le fait, de nos appels et de nos protestations.
Aucun envoi de soldats et d’armes ne doit être permis contre l’Éthiopie.
Tout envoi, tout navire transportant des marchandises de l’Italie ou pour ce pays doit être arrêté.
Il ne s’agit pas de proclamer « ni un sou, ni un homme » pour la guerre de l’impérialisme italien contre l’Éthiopie, il s’agit d’organiser la lutte internationale, qui doit permettre aux prolétaires d’Italie de se sentir solidaires du prolétariat international et, en sentant cette solidarité, de reprendre la marche vers leur libération.
Ceux qui parlent d’« unité d’action » , doivent démontrer par les faits que cette action, ils la veulent vraiment. De Londres à Moscou, de Paris à New York, organisons-la. Pas de temps à perdre en telles ou telles négociations entre les deux internationales, comme on a fait pendant que les mineurs d’Asturies tombaient les armes à la main. De tous les coins du globe, c’est par une action puissante et générale qu’il faut s’adresser aux prolétaires d’Italie et leur montrer notre ferme volonté de défendre le droit des peuples du continent noir à leur libre disposition. Qu’on entre immédiatement en liaison avec toutes les organisations ouvrières prêtes à une telle lutte. Nous lançons un vibrant appel pour que ce mot d’ordre soit mis en exécution partout et sans retard.
Une journée internationale de lutte doit être organisée, qui sera le point de convergence et en même temps le point de départ de l’action des travailleurs contre l’agression fasciste italienne envers le peuple abyssin.
Qu’on donne cette preuve de volonté d’action, cette preuve concrète du front international des opprimés et des travailleurs contre leur ennemi, l’impérialisme de toute cocarde et la marche du fascisme se trouvera arrêtée par la force renaissante du prolétariat mondial.
Note
[1] En 1931, le Japon avait attaqué la Chine et s’était emparé de la partie sud de la Mandchourie (NdEd.).