1948 |
Manifeste du II° congrès de la IV° Internationale aux exploités du monde entier |
Téléchargement fichier winzip (compressé) : cliquer sur le format de contenu désiré |
|
Si toutes les tendances décomposantes de la société contem poraine semblent se concentrer en Allemagne, toute la puissance de résistance du capitalisme décadent se trouve concentrée aux Etats‑Unis. La bourgeoisie américaine est sortie immensément enrichie des deux guerres mondiales qui ont appauvri le vieux continent européen. La ruine des nations de l'Europe a résulté en un essor inconnu de l'industrie, de l'agriculture et de la finance yankee. Les Etats‑Unis détiennent aujourd'hui les deux tiers de l'or et des capitaux investis dans le monde; la moitié du commerce mondial passe par leurs porte. Le dollar yankee domine toutes les Bourses, l'avion yankee tous les ciels, la flotte yankee les sept océans. De Nankin à Paris et d'Athènes à Rio, les gouvernements ne se maintiennent que grâce aux crédits américains. Les banquiers des Etats‑Unis se partagent l'Amérique latine, tandis que les sociétés pétrolières américaines achètent les cheiks d'Arabie. Des instructeurs militaires américains dirigent les forces armées en Turquie et au Groenland, et des voyageurs de commerce américains déterminent les rations à Rome ou à Tokyo. Le Pape et le Gouvernement travailliste, la dictature de Franco et la démocratie australienne se disputent les bonnes grâces de Wall Street et la bénédiction de la Maison Blanche. Les films, les danses, les livres et les conserves américaines déterminent aujourd'hui le style de vie dans tous les pays.
Mais si la puissance et la richesse des Etats‑Unis sont payées par la stagnation et la décadence du reste du monde capitaliste, cette décadence, à son tour, condamne irrévocablement à sa perte la domination des Etats‑Unis. La bourgeoisie américaine est aujourd'hui menacée d'étouffer dans ses richesses au milieu d'un monde qui meurt dans le besoin. La terre entière ne suffit plus comme marché à l'industrie américaine. Sa domination s'étendant aujourd'hui sur cinq continents, Wall Street est ébranlé par chaque secousse qui se fait ressentir en quelque endroit du globe. On a peine à croire qu'il y a moins de dix ans la bourgeoisie américaine discutait encore sérieusement la question de l'isolationnisme. Aujourd'hui les élections italiennes, les troubles en Palestine et les grèves du Japon deviennent des questions vitales pour l’impérialisme américain. Tout comme le capitalisme monopoleur tend de plus en plus à englober totalitairement la vie des nations, l'impérialisme dominant s'efforce toujours davantage d'américaniser le monde. ''One world or none '', cette remarque d'un politicien ne signifie cependant rien d'autre que la transformation ultime de la crise mondiale en crise américaine.
L'économie, la politique, la culture américaines montrent dès aujourd'hui tous les signes précurseurs de la crise prochaine. Le terrible fardeau de la dette publique dévore les réserves de la nation. L'inflation, la spéculation, les investissements non productifs sont pris de cette fièvre furieuse qui précède toujours les krachs les plus retentissants. Bientôt la chute des profits freinera la production d'autant plus violemment que celle‑ci a connu auparavant un essor sans pareil. D'autre part, la crise du système des deux partis, la lente politisation du mouvement ouvrier, l'emprise grandissante de l'église catholique, l'atmosphère chargée de tension pro‑fasciste (chauvinisme, anti‑communisme, racisme exacerbé) prédisent un bouleversement complet des données traditionnelles de la politique américaine au cours des dix prochaines années. A peine sortis de leur provincialisme, les impérialistes américains se trouvent placés devant la tâche de protéger le Capital sur les cinq continents. Leurs énormes richesses ne parviennent nullement à compenser leur manque d'expérience politique évident. L'impérialisme britannique pouvait asseoir sa suprématie mondiale sur sa seule puissance économique. Aujourd'hui l'impérialisme américain est forcé de monter dans tous les pays des armées de mercenaires. Dans sa période ascendante, le capitalisme anglais put corrompre son propre mouvement ouvrier avec les miettes de ses profits mondiaux. Dans la période de déclin capitaliste, l'impérialisme yankee ne peut établir sa domination mondiale sans militariser à l'extrême son propre pays et museler son propre prolétariat. C'est pourquoi la poussée mondiale de l'impérialisme américain sert en même temps à éduquer le prolétariat américain en politique mondiale. Les forces libérées par la crise américaine s'opposeront directement à la politique impérialiste de Wall Street. Le prolétariat américain se trouvera pour la première fois face à face avec son destin communiste.
La bourgeoisie américaine n'a pu concentrer entre New‑York et la Californie la plus puissante industrie du monde qu'en y constituant en même temps un prolétariat très nombreux et hautement qualifié. Pour rattraper le retard historique de son mouvement ouvrier, le prolétariat aux Etats‑Unis aujourd'hui se trouve devant la perspective d'un développement tumultueux. Sous le fouet de la grande crise de 1929. la conscience ouvrière avança d'un bond formidable et atteignit le niveau le plus élevé de la conscience syndicale. Basé sur l'essor magnifique du C.I.O., le mouvement syndical américain devint le plus puissant de ceux qui ont été connus dans la société capitaliste. Sous le fouet de la prochaine crise économique, la conscience des ouvriers américains fera un nouveau bond en avant et atteindra le niveau de la conscience de classe politique. La politisation du mouvement ouvrier américain sera le processus le plus explosif et le plus menaçant que le capitalisme ait connu depuis la Révolution russe. Il est inscrit dès maintenant dans toute l'évolution du capitalisme américain. Se préparer à en prendre hardiment la tête, tel est le devoir des trotskystes américains. L'absence d'une tradition puissante du réformisme et du stalinisme dans les masses, leur donne une chance de réussite exceptionnelle. Le pays qui concentre aujourd'hui en lui-même tout le mouvement capitaliste portera demain le mouvement révolutionnaire à sa plus haute expression. Les engagements de l'impérialisme américain dans le monde entier feront demain de la révolution américaine le véritable signal et le moteur de la révolution mondiale.
|