Source : Contre le courant n° 16 - 31 mars 1928. |
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Manifeste de l'Opposition du Parti Communiste Belge
Opposition de Gauche
A tous les membres du Parti.
A tous les travailleurs révolutionnaires !
Après trois mois de discussion intérieure, la Conférence Nationale du Parti Communiste belge qui devait se prononcer sur la question de l'opposition dans le Parti communiste russe, s'est tenue les 11 et l2 mars.
Sous la direction du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, la majorité de cette conférence s'est virtuellement prononcée pour l’expulsion de l'opposition du PCB.
Elle veut pouvoir défendre son point de vue dans les rangs de l'IC, d'une manière régulière et selon les statuts de cette dernière, contre la majorité. Elle relève le drapeau que l’on tente d'arracher des mains des fidèles communistes révolutionnaires déportés du PCR. Ceux-ci expient leur attachement indéfectible à la dictature de la classe prolétarienne (ouvriers et paysans pauvres). Ils veulent que toute mesure soit prise pour que son pouvoir ne soit pas mis en péril dans l’URSS. Ils veulent que la classe prolétarienne puise briser la pression qu'une nouvelle bourgeoisie exerce sur l'Etat et arrêter l'ascension de celle-ci.
La majorité du PCR et de l'IC prétend pouvoir achever la construction du socialisme dans l'URSS, sans que la Révolution n’éclate dans d'autres pays. Elle atténue ainsi les tâches du prolétariat international et arrête son élan pour les accomplir.
L'Opposition, par contre, souligne la nécessité d'étendre la Révolution à d'autres pays pour garantir l'édification complète du socialisme. Ainsi elle appelle clairement les travailleurs du monde entier à la réalisation de leur immense mission dans la période historique actuelle.
La majorité du PCR prétend avoir bien fait en défendant, dans la Révolution chinoise, la collaboration de classe contre l'impérialisme étranger, au moment même où la bourgeoisie chinoise assassinait les ouvriers et les paysans pauvres et devenait ainsi le soutien le plus précieux de cet impérialisme. L'Opposition prétend qu'à ce moment il fallait rompre tout lien avec la bourgeoisie, l'attaquer par tous les moyens afin d'empêcher le triomphe de l'impérialisme étranger.
La majorité prétend avoir bien fait en continuant à siéger au sein du Comité anglo-russe avec les chefs des syndicats anglais, au moment même où ceux-ci accomplissaient leur trahison infâme de la grande grève anglaise de 1926. La majorité, après cette trahison, au moment où la réaction anglaise faisait des chefs syndicaux de gauche son principal atout contre la Révolution russe, a reconnu ces chefs, dans un document important, comme étant la seule expression du mouvement syndical anglais.
L'Opposition a combattu et stigmatisé cette honteuse capitulation.
La défense de leur position révolutionnaire inébranlable est la seule raison de la déportation des chefs de l'opposition russe.
La majorité prétend ainsi "assurer les intérêts de l'Etat prolétarien". C'est le contraire qui est vrai : l'on porte un coup fatal à l'Etat prolétarien, l'on donne un cours plus libre aux attaques sourdes de la nouvelle bourgeoisie, l'on renforce les espoirs de la contre-révolution.
La majorité du PCR a voulu que la déportation des chefs de son opposition ait ses conséquences immédiates dans les rangs de l'IC. L'expulsion prononcée contre l'Opposition du PCB est une de ces conséquences.
Pendant que la discussion se poursuivait dans le PCB, se réunissait, à Moscou, la réunion plénière du CE de l'IC.
Que décida-t-il pour ce qui concerne l'Opposition dans le PCR ? Il prit simplement acte des mesures prononcées par celui-ci, les confirma sans remarque ni restriction et décida de les étendre à toute l'Internationale Communiste.
En effet, le PCR, à son XV° Congrès, avait décrété que la qualité de membre de l'IC était incompatible avec l'appartenance à l'opposition ou la simple manifestation de sympathie pour celle-ci. Telle quelle, cette stipulation fut reprise dans la Résolution du CE de l'IC contre l'opposition soi-disant trotskiste.
Par conséquent, l'IC n'entend pas seulement mettre un terme, pendant une période déterminée, à la discussion de toute idée de l'opposition, Elle n'entend pas seulement restreindre ce droit de défense aux moments régulièrement prévus par les statuts de l'IC. Elle jette à jamais l'interdit contre les idées de l'opposition. En réalité elle chasse de ses rangs tous ceux qui, par conviction révolutionnaire profonde, partagent, dans une mesure quelconque, ces idées.
Cet attentat brutal contre les éléments de gauche de l'IC - au moment même où les opportunistes qui l'ont ralliée au cours de ces dernières années, se disposent, plus que jamais à couvrir leur pratique sociale-démocrate de phrases révolutionnaristes - ne peut qu'accentuer le cours à droite de l'IC.
Les majoritaires veulent donc expulser l'opposition du Parti. Mais ils veulent opérer l'expulsion dans les meilleures conditions pour eux. Ils voudraient rendre l'opposition impuissante, tant au dehors du parti qu'au dedans. Ils voudraient la disperser, l'anéantir moralement et matériellement.
C'est pourquoi ils n'osent prononcer l'expulsion en bloc. Ils voudraient d'abord trouver les moyens de corrompre politiquement une partie de l'opposition, tenter de l'impressionner à force de mensonges et de calomnies, pour ensuite se défaire "des dirigeants" de l'opposition.
La résolution de la dernière réunion plénière du CE de l'IC enjoint l'exécution de cette tactique de dislocation à toutes ses sections. Les majoritaires belges ont voulu observer le mot d'ordre à la lettre. Nous allons voir comment ils s'y prirent.
Bien que, tout au cours de la discussion dans le Parti, l'opposition ait fermement marqué qu'elle ne pouvait se soumettre à la proclamation de l'incompatibilité de la qualité de membre de l’IC avec l'appartenance à l'opposition ou toute sympathie pour celle-ci, les majoritaires firent la sourde oreille. Ils affectaient de ne pas comprendre toute la portée politique de notre déclaration. Ils nous posaient une foule de questions auxquelles les statuts de l'IC ne nous obligeaient nullement de répondre. Ils connaissaient notre position. C’est sur ce terrain, uniquement, qu'ils devaient nous combattre, sans biaiser, en toute netteté.
L'Opposition, battue, aurait accepté un armistice jusqu'au VI° Congrès de l'IC, en maintenant intangible son exigence de la réintégration de l'opposition russe et sa représentation à ce congrès. Elle ne pouvait consentir au suicide politique auquel les décisions du CE soutenu par nos majoritaires l'invitaient.
Elle avait, étant donné ces conditions, l'obligation sacrée de maintenir la rébellion afin de combattre contre son anéantissement et pour la défense de la base constitutive et statutaire de l’IC même.
C'est ce qu'affirma l'opposition dans une résolution qu'elle avait préparée en vue de la Conférence Nationale.
Au cours de la première journée, les majoritaires firent tout ce qui est possible pour jeter le trouble dans les rangs de l'opposition et la disjoindre. Toutes ses tentatives avortèrent. A la fin de la première journée, le bloc de l'opposition, bien loin de présenter une fissure quelconque, se renforça d'une voix.
Cependant, à peine le vote a t-il eu lieu, donnant 74 voix à la motion majoritaire contre 34 voix à l'Opposition, que les staliniens se démasquent par une manœuvre grossière.
Ils proposent la désignation d'une commission chargée de la rédaction d'une série de questions qu'ils veulent poser, individuellement, aux membres de l'opposition. Ils estiment devoir agir ainsi "pour que le parti ait toutes les garanties pour l’exécution de ses directives".
L'opposition n'avait pas à se cacher le sens réel qu'allaient avoir ces questions. Ce serait non seulement, sous des formes à peine modifiées, le renouvellement de l'exigence du suicide politique, mais aussi l'obligation ferme de souscrire et de participer à l'ignoble travail de calomnie dirigé contre l'opposition russe et notre propre opposition, tant pour ce qui concerne notre action nationale qu’internationale.
Tous les membres de l'opposition, après s’être concertés, déclarèrent unanimement refuser de comparaître, individuellement, devant la commission et se rallier à une déclaration collective qu'ils déposeraient le lendemain.
Le deuxième jour de la Conférence Nationale, la Commission élue la veille, présenta son rapport. Le rapporteur, penaud, dût se contenter de lire les questions que cette Commission aurait voulu poser aux membres de l'opposition. Etant donné que la décision unanime de l'opposition avait été respectée sans défaillance aucune, il ne pouvait pas même rapporter un souffle de réponse.
Et ces questions ? Elles peuvent se résumer à ce qui suit :
Mais dès qu'il fallut marquer dans le rapport la volonté arrêtée d'exclusion que traduisaient ces questions, la majorité biaisa de nouveau, restant fidèle aux mots d'ordre de grignotage de l'opposition.
Bien qu'elle disposait, disait-elle, d'un "matériel" suffisant pour prononcer des exclusions, elle voulait se contenter, momentanément, d'une mesure de suspension de 6 mois de tout mandat responsable des camarades Van Overstraeten, Hennaut, Lesoil, Lootens, Cloosterman, Dewaet et Polk. En plus, elle retirait à Van Overstraeten son mandat de député.
Étant avertie que l'opposition ne pouvait capituler, la majorité marquait donc son intention de se défaire un à un des membres de l'opposition.
Celle-ci avait annoncé sa réponse collective. Elle la fit. Elle l'avait formulée d'abord dans sa résolution sur la question russe et sur la question nationale. Elle la répéta, sous une forme brève, dans une motion où elle annonça la ferme volonté de continuer la lutte, par tous les moyens politiques, pour la défense de son point de vue.
Chacun de ces documents était signé par 48 membres de l'opposition dont 34 délégués à la Conférence Nationale et 12 membres du CC.
Ainsi sa position était nette.
La majorité louvoyant, hésitant à prendre, devant la classe ouvrière, la responsabilité ouverte et claire de l'expulsion, continua sa comédie en renvoyant "purement et simplement", les résolutions de l'opposition au nouveau Comité Central qu'elle allait élire.
En face de cette hypocrisie, l'opposition quitta la Conférence Nationale, fermement résolue à prendre les premières dispositions nécessaires pour assurer la continuation de son travail.
Les leçons de la lutte des majoritaires contre l'Opposition du PCB ont un aspect tant international que national.
Un aspect international parce qu'elles confirment, de manière éclatante, la volonté des dirigeants actuels de l’IC de broyer l'aile gauche de celle-ci. Ils veulent ne pas être gênés dans leur politique désordonnée qui rompt avec le marxisme et les directives de constitution de notre Internationale.
Un aspect national parce qu'elle abandonne le Parti communiste à la tendance social-démocrate, électoraliste, mitigée de verbalisme gauchiste qui s'y développe sous l'impulsion de Jacquemotte aidé des frais émoulus du stalinisme le plus pur.
En face de cette défaillance et de cette course aux nouvelles aventures opportunistes, l'opposition du PCB appelle tous les membres de celui-ci et tous les travailleurs du pays à se rallier autour du drapeau du communisme dont elle entend représenter les traditions révolutionnaires.
Elle les appelle à soutenir sa lutte pour :
En face de la redoutable concentration des forces réactionnaires nationales et internationales, allant du fascisme jusqu’à toutes les nuances sociales-démocrates, l'Opposition du PCB appelle tous les exploités du pays à une lutte implacable :
Vive la révolution mondiale !
Vive le communisme !
Pour le groupe de l'Opposition, le Comité provisoire :
BOURGEOIS, HENNAUT, LOOTENS, MATHIEU, PLISNIER, VAN DEN HEUVEL, VAN OVERSTRAETEN.