Le 23 juin se tiendra une conférence nationale de la LCR, qui discutera des échances électorales de 2002, présidentielle et législatives. D'ici là, les quatre positions qui se sont dégagées au sein du comité central s'exprimeront dans "Rouge".
A : Un défi pour la Ligue
Nous entrons dans la dernière ligne droite, et il s'agit maintenant pour la Ligue de décider. Décider de confirmer la proposition d'une campagne commune à Lutte ouvrière. Décider, au deuxième tour, de laisser les électeurs libres de leur choix. Décider, en cas de refus de LO, de présenter un candidat de la LCR.
Confirmer toutes nos propositions d'action commune à Lutte ouvrière, parce que celles-ci découlent de la situation politique. Lorsqu'on enregistre les résultats des dernières élections européennes et des dernières élections municipales, les échos médiatiques sur LO et la LCR, la présence significative des révolutionnaires dans la préparation et la manifestation du 9 juin, ne faut-il pas oeuvrer, au-delà des divergences entre organisations, à la convergence, au rassemblement de toutes les forces anticapitalistes? La réponse de la LCR doit être: oui, sans réserve ni hésitation, et pour les prochaines échéances électorales nationales, cela devrait passer par un accord entre les deux principales organisations d'extrême gauche, LO et la Ligue, rassemblant bien au-delà de leur rang.
Au deuxième tour, "c'est aux candidats de la gauche plurielle de faire la démonstration qu'il est encore utile d'aller voter pour elle. Aux électeurs et aux électrices qui ont voté pour nous au 1er tour de juger". Voilà les formules qui définissent notre attitude lors des prochaines consultations électorales. Tout en ne mettant pas sur le même plan l'électorat de gauche et l'électorat de droite, notre politique doit prendre en compte le décrochage de tout un secteur populaire vis-à-vis de la gauche plurielle. La LCR doit accompagner ce mouvement et ne pas brouiller son message en appelant à voter au deuxième tour pour la gauche plurielle.
Mais lors de cette conférence nationale, la LCR doit surtout relever un double défi. Défi vis-à-vis de centaines de milliers de gens qui suivent la gauche révolutionnaire et qui aspirent au rassemblement des forces d'extrême gauche. Puisque la direction de LO feint d'attendre les résultats de notre conférence nationale pour arrêter ses décisions, notre position doit être des plus claires: nous sommes favorables à un accord LO-LCR qui, sur la base d'un plan d'urgence anticapitaliste, contre le patronat et le gouvernement, permette aux deux organisations de défendre leur politique. Dans ce sens, la Ligue ne prendra aucune responsabilité dans une division de l'extrême gauche.
Mais nous avons un autre défi à relever, en cas de non-accord avec LO: celui de défendre notre propre politique avec un candidat issu de nos rangs. Dans "campagne commune", il y accord, convergence, rassemblement en respectant la politique de chaque organisation. Dans le soutien de l'extérieur à une candidature d'Arlette, il ne peut s'agir que de soutenir LO. Ce n'est pas notre conception de l'action commune. La LCR a son propre programme, son propre projet. Si LO refuse l'unité, nous devons nous donner tous les moyens d'exister comme force indépendante avec notre propre candidat. Un candidat qui défende un programme anticapitaliste, un programme démocratique radical, en opposition à la politique de la droite, du patronat et du gouvernement, lié aux nouvelles générations de salariés, aux nouvelles luttes, aux nouveaux mouvements sociaux contre la mondialisation capitaliste, un candidat qui avance une perspective unitaire dans la voie d'une nouvelle force politique, d'un nouveau parti des travailleurs, pourrait représenter notre politique.
Nous serons responsables pour deux, mais nous ne saurions nous résigner à être absents lors de ces prochaines batailles électorales. Penser que nous pourrions faire l'impasse sur la présidentielle, soutenir de l'extérieur une candidature Arlette et, un mois après, être en situation de présenter des centaines de candidats relève de l'illusion.
Alors en comptant sur nos propres forces, mais aussi sur la sympathie de dizaines de milliers de jeunes, de salariés qui aspirent à une politique radicale, unitaire et anticapitaliste, nous relèverons ce nouveau défi.
Alain Krivine, Maroussia, Safara
Position B : Ne pas manquer le rendez-vous de 2002
Le 9 juin, la gauche radicale a encore montré sa capacité de mobilisation, soulignant que sur le terrain politique, LO et la LCR ont des responsabilités accrues pour répondre aux milliers de militants qui attendent une vraie gauche.
Mais à la fête de LO, l'unité n'était pas à la fête. Arlette candidate a répété que son programme ne se discute pas, et que LO n'a "jamais eu une politique de rassemblement entre organisations diverses". Si la Ligue veut la soutenir, elle le peut, mais "sans demander une profession de foi commune ou des meetings communs où, sur la même tribune, l'orateur de la LCR et celui de LO diraient des choses différentes". Et puis nous aurions tant de différences qu'il vaudrait mieux les exprimer séparément: "là où nous parlons des intérêts des travailleurs, la LCR parle de "100% à gauche"", de mondialisation ou de "nouvelles couches de salariés"! Sur le 2e tour, la LCR "n'a pas pris une position publique claire et sans équivoque". Conclusion: "Nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas, engager une discussion sur la base de ces ambiguït;és". Le tout dit avec une brutalité inutile car le fond était clair: on ne discute avec personne, vous devez appeler à l'abstention, et vous aurez le droit de me soutenir de l'extérieur.
Dans la LCR, les camarades de la position D et certains parmi la position A sont prêts à accepter. Nous devons au contraire prendre acte de la non-volonté, de la part de LO, de toute forme d'accord, tout en réaffirmant que nous sommes prêts à reprendre la discussion s'ils changent d'avis. Et il faut décider de présenter un candidat LCR- "100% à gauche". On aurait pu espérer qu'en France, là ou la contestation sociale est la plus importante, cela se traduise, comme ailleurs en Europe, dans des fronts communs ou des débuts de recomposition. Le conservatisme de LO l'empêche. En Grande-Bretagne, des résultats significatifs viennent d'être obtenu par l'Alliance socialiste, fruit d'une ouverture et d'un rassemblement de forces radicales qui s'ignoraient auparavant: entre 5 et 8% en Ecosse, entre 2 et 4% en Angleterre, dans un scrutin majoritaire à un tour difficile. Ces exemples européens ne sont pas du goût de LO, car ils supposent que ceux qui les mettent en oeuvre changent leur pratique et acceptent des concessions mutuelles.
Allons nous rester à dénoncer LO pour son refus d'unité, et ne rien faire nous-mêmes pour avancer? Nous replier sur les luttes, le syndicalisme, les mouvements sociaux, en laissant à LO le monopole de l'expression politique de la gauche radicale? Beaucoup d'électeurs à gauche de la gauche attendent une occasion de se réunir autour d'une candidature qui corresponde à leurs attentes.
Le sectarisme au sein de la gauche radicale va de pair avec un sectarisme vis-à-vis du reste de la gauche et de ses électeurs, quand LO préfère faire passer des municipalités PCF à la droite. Les militants du PCF apprécient. Les coalitions de la gauche radicale, au Portugal comme en Grande-Bretagne, ont su éviter le piège du renvoi dos à dos de la gauche et de la droite. La LCR doit s'en inspirer si elle veut construire une force utile pour contester l'influence du PC et du PS, mais utile aussi pour battre nos ennemis de droite et d'extrême droite, ne rien faire qui favoriserait les émules des Chirac, Thatcher, Berlusconi.
Bien sûr, présenter un candidat, pour la LCR, c'est plus difficile, plus exigeant, que de soutenir Arlette en collant quelques affiches. Bien sûr, nous n'aurons pas du premier coup un score aussi élevé qu'Arlette. Mais les idées que nous voulons défendre sont essentielles à nos yeux pour construire ce que LO refuse de faire. Alors c'est le moment, après 5 ans de gouvernement de gauche plurielle, avec un écho qui n'a jamais été aussi favorable, pour continuer le processus engagé par la LCR en 1998 sur le terrain électoral, pour faire converger contestation sociale et expression politique, "100% à gauche".
Bernard Couturier, Françoise Guyot, Alain Mathieu, Laurence Ruimy
Position C : La sévère leçon de Presles
Dur dimanche pour la position A! Elle s'est enfermée dans un schéma: l'heure de l'extrême gauche a sonné, à condition que convergent ses forces dispersées, ce qui passe par un accord réduit à l'axe LO-LCR... A cette Pentecôte, la réponse de LO aura été aussi brutale que sans ambiguïté.
Quels bénéfices avons-nous retirés de nos concessions unilatérales?
- L'annonce d'une candidature LCR est essentiellement apparue comme une hypothèse "par défaut", sinon un moyen de pression sur LO.
- Le renoncement à un positionnement antidroite clair a seulement servi à ce que LO exige davantage: l'alignement. Plus de référence au clivage gauche-droite (même le sigle "100% à gauche" irrite LO), l'abandon de toute prudence dans le renvoi dos à dos de la gauche et de la droite, l'interruption d'un débat interne jugé trop brouillon, le renoncement aux liaisons "dangereuses" avec tous ceux qui ne se proclament pas "révolutionnaires"... D'où l'exigence logique d'un soutien inconditionnel à la campagne d'Arlette.
Cette invitation à l'effacement n'est pas sans écho au sein même de la LCR. Car fatale est la pente qui nous a fait répéter à satiété que:
1. aucun désaccord fondamental n'existait entre LO et la LCR;
2. hors d'une campagne commune, il n'était point de salut;
3. il n'existait pas de partenaires en dehors du rassemblement de l'extrême gauche.
Remettons la politique sur ses pieds et constatons à l'inverse que:
1. une alliance LO-LCR ne pourrait prétendre rassembler, dans sa diversité, l'ensemble des forces qui, à gauche de la gauche, sont intéressées à la perspective d'une force nouvelle;
2. les propositions de la LCR doivent s'adresser non seulement à LO, mais à toutes les forces en question;
3. avec LO, c'est une discussion de fond qui est nécessaire. Un accord politique ne peut être postulé, il doit être prouvé, par le débat et la pratique, comme avec n'importe quelle organisation!
Bref, prenons acte que si la direction de LO nous répond de cette manière, c'est que les désaccords sont profonds, comme elle l'affirme d'ailleurs elle-même. Et qu'ils portent sur des questions cruciales dans une campagne électorale: l'opposition à la mondialisation capitaliste, les réponses à la crise du PCF, le nécessaire relais des exigences du mouvement social qui dessinent une logique alternative à la politique gouvernementale, l'urgence d'un parti fédérant toutes les énergies refusant d'accompagner le déferlement libéral et de se résigner au capitalisme... Si rien n'interdit, à priori, un accord circonstanciel, nous n'aurions jamais dû nous dérober à un débat ferme sur ces points.
Que doit décider notre CN?
- De cesser de tergiverser, en prenant acte que LO nous délivre une fin de non-recevoir.
- De construire la base d'une candidature à la présidentielle et d'une présence dans 300 circonscriptions aux législatives. Cela implique de partir de ce que nous défendons pour nous adresser à celles et ceux qui ont milité avec nous lors des municipales, dans le cadre des collectifs "100% à gauche" ou d'alliances avec d'autres forces.
- D'en revenir au projet qui était le nôtre avant que ne prévale la recherche exclusive de l'unité de l'extrême gauche. Et de nous tourner vers la gauche alternative et radicale, les listes "citoyennes" ou "Motivé-e-s", les militants du mouvement social, les secteurs du PCF ou des Verts, voire des militants socialistes, qui partagent peu ou prou nos préoccupations. Nous devons, localement et nationalement, prendre des initiatives favorisant des avancées vers une force nouvelle, affirmer notre disponibilité à ce qui peut rassembler largement à la présidentielle et aux législatives.
- De sortir du piège que nous avons construit concernant le 2e tour: parce que nous distinguons la gauche de la droite, nous ne pouvons apparaître porteurs de la moindre responsabilité dans une éventuelle victoire de cette dernière. Prenons plutôt les moyens pour qu'un échec de la gauche, s'il survenait, soit clairement de sa seule responsabilité.
En bref, l'heure est venue de retrouver le chemin d'une politique indépendante.
Michèle Ernis, Guillaume Floris, Delphine Petit-Lafon, Francis Sitel
Position D : Regrouper les forces
Indépendamment de son importance numérique - plus de 25000 personnes -, la manifestation du 9 juin est une réussite. Malgré l'inertie et même l'obstruction des grandes centrales syndicales, l'initiative prise, après Calais, par les sections syndicales des entreprises frappées par les licenciements a pu déboucher sur une manifestation nationale d'ampleur. Les militants d'extrême gauche, et particulièrement ceux de la LCR, ont joué un rôle moteur dans ce succès.
C'est un des signes des profondes transformations qui s'opèrent dans les consciences. En s'affranchissant de leurs illusions, les travailleurs retrouvent confiance dans leurs propres forces. La remontée actuelle des luttes est l'expression et aussi le résultat de la rupture d'un nombre important d'entre eux avec la gauche gouvernementale, comme de leur émancipation vis-à-vis des directions syndicales. Elle la renforce et l'amplifie.
Voilà ce qui est essentiel dans la situation actuelle, et qui conditionne notre politique pour les échéances électorales à venir.
Une fraction importante du monde du travail est en train de comprendre qu'il n'y a pas d'autre moyen, pour défendre ses droits, que d'exercer sa pression, d'intervenir pour modifier le rapport de forces.
Notre politique doit contribuer à encourager ce mouvement, à permettre à la fois d'accélérer cette rupture et d'ouvrir la perspective du regroupement, sur une base politique, de ces forces, de poser concrètement le problème de la construction d'un parti révolutionnaire, largement ouvert à tous les travailleurs qui rompent avec les partis de la gauche de gouvernement.
Agir dans ce sens suppose que l'extrême gauche apparaisse unie et que nous maintenions le cap qui a été celui de l'organisation depuis les élections européennes, rechercher un accord avec LO. Notre organisation est la seule à même d'être le ferment de cette unité.
La direction de LO, prisonnière d'une vision mythique du mouvement ouvrier, cherche aujourd'hui à susciter des tensions entre nos deux organisations. Mais cela ne laisse en rien préjuger de ses choix qui dépendront de ce que nous déciderons à notre conférence nationale.
Nous ne déterminons pas notre politique en fonction de l'attitude de la direction de LO à notre égard, mais par rapport aux intérêts généraux du monde du travail, aux intérêts de l'extrême gauche dans son ensemble. Pour la LCR, choisir clairement un positionnement fédérateur est une nécessité pour lui permettre de jouer son rôle dans les échéances sociales et politiques à venir. La situation nouvelle exige que nous indiquions clairement la voie des recompositions nécessaires pour qu'émerge un nouveau parti des travailleurs.
Nous ne serons à même de mettre en oeuvre cette politique que si nous nous dégageons des ambiguït;és du passé, du type de celles qui ont conduit l'organisation, lors de l'élection présidentielle de 1995, à appeler à voter indifféremment pour Voynet, Hue ou Laguiller. Il est indispensable de n'apporter aucune caution à une gauche qui a fait la preuve que sa politique au gouvernement est entièrement soumise aux exigences du Medef. Aussi est-il hors de question de choisir entre le président de la République et son Premier ministre, quel que soit le chantage exercé, avec l'aide des médias, par le Parti socialiste.
Il est de l'intérêt de tous qu'Arlette Laguiller fasse le score le plus important possible à l'élection présidentielle. Les travailleurs, dans leur large masse, ne comprendraient pas que nos deux organisations se présentent une nouvelle fois séparées aux prochaines élections. Ils en concluraient qu'elles sont irresponsables et font passer des intérêts de boutique avant les intérêts généraux du mouvement. Une candidature LCR à la présidentielle ne pourrait apparaître autrement.
Loin de nous résigner à l'échec, voire d'être tentés de l'anticiper, nous devons décider de soutenir la candidature la plus apte à regrouper largement dans le monde du travail, celle d'Arlette Laguiller, sur la base d'un accord politique et d'une campagne commune si LO l'accepte, de notre propre campagne si ce n'est pas le cas.
Fabrice, Galia, Villa