Les assassins reviennent toujours sur les lieux de leur crime
éditorial LO 3 nov. 1984

Ces pauvres socialistes n’ont vraiment pas de chance. Décidément, ils ont beau essayer de gouverner comme la droite, avoir l’aspect de la droite, les goûts de la droite, les gens de droite ne les reconnaissent pas comme les leurs et ne leur pardonnent pas de ne pas se dire de droite.

Quoi qu’ils fassent pour montrer qu’ils méprisent leur propre électorat, qu’ils n’hésitent ni à lui mentir ni à le tromper, les hommes politiques de droite ne leur passent rien.

Nos socialistes sont comme des parvenus qui veulent être reçus dans la haute société et, ils ont beau dire et beau faire, ils se voient toujours moqués à cause d’une règle d’étiquette dont ils n’avaient pas connaissance.

Avec la participation de Cheysson à la commémoration, à Alger, du 1er novembre 1954, c’est un tel avatar qu’ils sont en train de vivre, un de plus.

Oh, ils se croyaient a l’abri. N’est-ce pas Mitterrand, tout de même, à l’époque, qui avait commencé et dirigé la guerre et la répression en Algérie ? Et n’est-ce pas De Gaulle, dont se réclame toute la droite, qui avait proposé la paix des braves au FLN, signé les accords d’Evian et mis fin à un siècle de présence française en Algérie ?

Depuis, d’ailleurs, nombre d’hommes politiques et de diplomates gaullistes, giscardiens, avaient plus ou moins participé aux commémorations antérieures.

Eh bien, non ! La bonne foi candide ne suffit pas. Et voilà toute la droite de crier, de tempêter, de taper du pied, avec une indignation d’autant plus véhémente qu’elle est artificielle, pour protester contre la présence de Cheysson à Alger, à ce qui n’est pourtant, comme notre 14 juillet ou notre 11 novembre, qu’un énième enterrement des espoirs populaires, sous les flonflons et les discours.

Parce que, si certains devraient se trouver choqués de la présence de Cheysson, ministre de Mitterrand, à Alger, au moment des cérémonies marquant le début de l’insurrection algérienne, ce seraient bien les combattants du FLN eux-mêmes, et le peuple algérien tout entier.

De réconciliation entre un peuple opprimé et les chefs des tueurs colonialistes, il n’est pas possible qu’il y en ait. Entre les peuples, oui, mais pas avec ceux qui commandaient la répression, qui décidaient. Ce n’est pas possible.

Et cette cérémonie du 1er novembre à Alger, avec participation du représentant de Mitterrand, est bien le signe que le régime qui est actuellement en place de l’autre côté de la Méditerranée ne représente, lui aussi, qu’une minorité de parvenus et de privilégiés, puisqu’il accepte qu’une telle comédie soit possible.

Heureusement que les réactions de la droite, ses propos, sa hargne sont là pour rappeler au peuple algérien, s’il l’avait oublié, que les oppresseurs, eux, ne pardonnent jamais, n’oublient jamais.

Dans ce monde dominé par l’impérialisme, aucune lutte se fixant comme limites des frontières nationales, se donnant comme seul but de rendre un pays indépendant, ou de changer ses structures politiques, ne peut suffire à faire que les hommes puissent enfin connaître des régimes sans oppression.

C’est pourquoi, pour les travailleurs du monde entier, tout ce qui est fête nationale, même lorsqu’elle prétend célébrer une révolution, n’est finalement que division et dérision.

Arlette LAGUILLER.